samedi 11 avril 2015

Humains, animaux, repenser l'éthique - 1

Actuellement aux Champs Libres à Rennes, rencontres, échanges et débats sur la question hautement politique de l'éthique humains et animaux, baptisée comme il se doit L'Homme et l'animal, (d'ailleurs l'animal-chien de l'affiche est habillé en homme !) selon l'habituelle expression gratte-nerfs, représentative de la grandiosité pétrifiée dans le marbre et de l'infatuation masculines, l'homme universel, perpétrant le traditionnel hold up sur la totalité de l'espèce, -"l'espèce humaine, c'est eux", écrit quelque part Christine Delphy. De plus, l'Animal est conceptualisé comme entité globale, incluant des animaux aussi divers que les moules, les huîtres, les poules, tous les oiseaux, les chiens, les vaches... pour faire court !


Évidemment, rien de révolutionnaire, ne surtout pas se fâcher avec la FNSEA et le lobby de l'élevage omniprésents dans la région, les animaux restent au service exclusif de l'homme, cet éleveur du néolithique "sous les choix duquel nous vivons toujours", déplore E de Fontenay. J'ai assisté à deux conférences, données par deux femmes, la première par la philosophe Elizabeth de Fontenay, et la seconde par Jocelyne Porcher, Docteure en éthique animale, chercheuse à l'INRA (Institut National de Recherche Agronomique) au parcours atypique et très intéressant, à consulter sur cet article d'Agrobiosciences. Évidemment, je ne suis pas d'accord avec toutes les positions de ces deux penseuses chercheuses, mais je vais tenter un résumé de ces conférences, qui ont au moins le mérite de dénoncer les violences que nous faisons subir à ces "autres nations" que sont nos voisins de planète. Mes réfutations de certains de leurs arguments figureront dans ma conclusion.

Elizabeth de Fontenay - Animal : bien ou lien ? 
Après avoir rappelé les noms des philosophes qui ont écrit avec bienveillance sur la question animale, Empédocle, Plutarque, Porphyre, Pythagore, les philosophes de l'antiquité, tous végétariens, Raimond Sebon, philosophe catalan de la Théologie naturelle au XVème siècle dont Montaigne a fait l'apologie, le philosophe empiriste Hume, et plus près de nous, les philosophes contemporains : Theodor Adorno, Max Horkheimer et Jacques Derrida, E de Fontenay précise qu'il y a actuellement une forte résistance métaphysique aux animaux. Due pour une grande part sans doute aux deux grands philosophes "anti-animaux", Emmanuel Kant et surtout René Descartes, théoricien de l'animal-machine à qui les éleveurs industriels doivent tant ! Les animaux et les humains partagent un même statut de vulnérabilité, selon E de Fontenay : enfants, vieux, handicapés, persécutés, tous sont des êtres vulnérables. L'animal, par définition ne peut s'opposer : on peut tout lui faire. Et quand il résiste, parce qu'il résiste (les animaux dans les élevages industriels sont confinés en bâtiments, maintenus attachés ou en cages, autrement ils s’enfuiraient) ; de temps en temps une vache ou un cochon s'échappent des camions qui les emmènent à l'abattoir, traités de "furieux", ils sont quand même abattus par la police ou la gendarmerie. Nous soumettons ces animaux dits "de rapport" à l'injustice et à la démiurgie humaines : le clonage de brebis, l'élevage industriel, industrie de production par excellence, sont la négation du lien humain-animal. Tous les grands écrivains post-Shoah (Charles Patterson, "Un éternel Treblinka", Isaac Bashevis Singer, Elias Canetti...) ont fait le rapprochement entre les camps d'extermination, l'élevage hors-sol et la mort industrielle de milliards d'animaux dans des abattoirs. Patterson rappelle que Henri Ford a inventé la chaîne de montage en visitant les abattoirs de Chicago (usine de désassemblage) en transposant à l'envers ce qu'il y avait vu dans ses usines, et que ce même Henri Ford avait des sympathies nazies : vous trouverez le développement de l'argument de Patterson sur ce lien vers les cahiers antispécistes.


E de Fontenay rappelle qu'il n'y a pas de "propre de l'homme" : tous les "propres de l'homme" que nous nous sommes trouvé n'ont pas résisté aux progrès de la connaissance des animaux et à l'expérience. Ils ont tous fait flop. Le rire, qui n'a pas toujours eu bonne presse chez les humains, notamment aux yeux des pères des religions révélées (rire sardonique, rire diabolique, rire bestial, et puis écrit Armelle Le Bras-Chopard dans Le Zoo des Philosophes, n'ont-ils pas trouvé que les femmes rient  
bêtement ?) : nous savons aujourd'hui que les animaux se marrent à leur manière. La culture ? Il  y a des cultures animales, même chez les oiseaux, les chants d'une même espèce varient entre "communautés" et quartiers observés. L'utilisation d'outils : nous savons grâce à l'observation et à l'expérimentation que les animaux utilisent des outils et même des méta-outils (expérience faites sur des corbeaux), les doigts opposables de la préhension humaine, même la conscience de soi et le tabou de l'inceste sont parfaitement observés chez certains animaux. Alors, que nous reste-t-il ? Peut-être les religions nihilistes bellicistes et mortifères, et la mise sous le joug de la moitié de notre espèce, les femmes ? Pas vraiment flatteur, pour une espèce suprémaciste et tellement supérieure aux autres..., je n'insiste pas.

Mais il faut tout de même reconnaître une différence entre humains et animaux : nous sommes l'espèce qui s'est nommée genre humain dit E De Fontenay, nous avons donc une spécificité, nous sommes capables de prendre des responsabilités vis à vis des bêtes. Et nous pouvons contracter : les animaux, non. Même si nous leur imposons nos termes de contrats, celui de l'élevage par exemple : je te donne le gîte et le couvert, je te donne des soins vétérinaires, et au terme, je te tue et je te mange. L'amendement Glavany sort maintenant l'animal du statut de bien meuble (notion de mobilité avant celui de chose, rappelle-t-elle) vers celui d'être sentient, sensible, dans le droit européen depuis 1997, mais il ne "protège" que les animaux domestiques et les animaux des zoos et des cirques, pas les animaux sauvages. Le droit fondamental est le droit à la vie. Le droit dérive de l'éthique humaine. E de Fontenay est pour un droit des chimpanzés, pas pour étendre les droits humains aux chimpanzés. Elle travaille également à un droit séparé pour chaque espèce animale, en ce sens, elle se reconnaît spéciste, discrimination fondée sur le critère de l'espèce. Elle se déclare aussi "bouffeuse de viande" alors même qu'elle reconnaît que "le végétarisme est une utopie active, l'honneur de l'Humanité".


E de Fontenay rappelle la phrase de John Stuart Mill sur les utopies qui deviennent réalité : il y a trois grands moments dans l'histoire des idées
1 - Le ridicule ; 2 - Le débat et enfin, 3 - L'adoption de lois.

Quelques écrivains et artistes qui ont plaidé pour les animaux : Victor Hugo, Jules Michelet, Rosa Luxembourg, Rosa Bonheur, Louise Michel, Schopenhauer... Rappelons également que l'espèce humaine a subi au cours de son histoire une succession de rabaissements narcissiques, vécus comme autant de gifles : avec Galilée, perte de la centralité de la terre dans l'univers, avec Darwin (à qui nous le faisons toujours payer en désinformant sur son œuvre) : perte du sommet de la pyramide, nous sommes les produits d'une longue évolution buissonnante, et avec Freud qui nous démontre que nous sommes dominés par notre inconscient. La quatrième blessure narcissique pourrait bien nous être infligée par les animaux, à condition qu'il en reste pour nous accompagner dans l'aventure humaine sur la Terre ! Mais peut-être que nous nous en doutons et que ceci explique les guerres implacables que nous leur menons.

Évidemment, j'ai pris un malin plaisir à illustrer mon billet avec un iconographie insupportablement anthropomorphique ;))
A suivre : Jocelyne Porcher.

Lien : La conférence d'Elizabeth de Fontenay aux Champs Libres sur Soundcloud
Elizabeth de Fontenay, la voix des sans voix, sur la vulnérabilité : interview dans le Monde
Bibliographie d'Elizabeth de Fontenay -sans rémunération publicitaire, on la trouve dans toutes les bonnes librairies.

4 commentaires:

  1. Je ne suis pas la propriétaire des chiennes que j'ai recueilli même si le droit français dit le contraire, j'en suis responsable dans le sens où leurs envies et besoins passent et passeront toujours avant les miens, tout comme je le ferai avec un enfant. Et j'aime les voir sourire quand elles veulent une friandise ou un câlin parce qu'elles savent que c'est leur droit de les avoir.

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    1. Merci de votre commentaire et de votre intérêt ! Vous n'êtes donc pas pour la "libération animale", qui suppose pas d'animaux dans le sillage des humains. Mais j'y reviendrai dans mon second résumé, sur l'élevage. Moi aussi, je pense que ce serait une perte que de ne pas avoir la possibilité d'avoir un chien sur les talons ou un chat qui vous attend (ou pas) à la maison. Pour le chien, il s'agit d'un apprivoisement réciproque qui dure depuis 20 ou 40 000 ans.

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    2. J'avoue que ma position à ce propos n'est pas tranchée, d'un côté, l'aspect animal/objet me révulse parce que l'une de mes chiennes vient probablement d'une de ces saloperies d'usine à chiot des pays de l'est et l'autre a été utilisée comme utérus sur pattes dans le but de gagner du pognon avant de passer à deux doigts de l'euthanasie, de l'autre j'aime trop la compagnie des animaux pour y renoncer de bon coeur mais s'il faut choisir entre le futur des animaux domestiques et celui des non domestiques mon choix se porterait en faveur des seconds.
      Le fait d'être VGL et d'avoir une chienne omni/carnivore (l'autre est VGL) me gêne aussi mais un régime alimentaire non carné, déjà essayé une alimentation VGR suite aux conseils de sa véto après sa stérilisation, ne lui convient pas :/

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    3. La notion de "libération animale" est totalement anthropomorphique et ne signifie rien pour un animal de compagnie ou d'élevage, à fortiori bien traité. Mais j'y reviens dans ma partie 2, la semaine prochaine.

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