Comme j'en ai un peu assez de voir arriver des remarques sur les intentions de vote FN de certains défenseurs des animaux et végétariens, lors des manifestations anti-corrida pour ne citer que celles-là, je vais tenter une courte histoire de la compassion envers les animaux démontrant que ce sont des humanistes qui s'intéressent à la question. Il n'y a rien à gagner à défendre les animaux : aucun bénéfice politique, il n'y a que des coups à prendre, suivis de l'oubli. Le féminisme et la protection de l'environnement, opportunément aiguillés, peuvent éventuellement conduire vers une carrière politique, le végétarisme et la protection animale, je ne crois pas. Je n'en connais pas, en tous cas.
Le XIXème siècle
Delmas de Grammont : général de cavalerie sous Napoléon III et député de droite libérale de la Loire, deux ans de mandat. Il initie la première loi de protection animale en France en 1850, punissant d'une amende tout acte de cruauté envers un animal, 30 ans après les anglais. Je n'ai aucune sympathie pour les généraux du Second Empire, pas plus que du Premier, ni d'ailleurs pour les notables de province. Delmas de Grammont n'a même pas de page Wikipedia, il a laissé son nom à un collège du Sud-Ouest, il y a une Avenue Grammont à Tours (mais je ne sais même pas si c'est lui), bref, cet homme est bien oublié aujourd'hui. On apprend sur ce lien qu'il était taxé de socialisme par son camp politique car il demandait des salaires décents pour les ouvriers, et qu'il payait correctement son personnel, même quand ils étaient vieux. Il semble que sa compassion s'exerçait aussi bien envers les animaux qu'envers les humains, ce qui est normal, il n'a rien du facho ou de l'extrémiste de droite.
Le couple Mary et Percy Shelley - Mary Shelley, née Mary Wollstonecraft Godwin, d'une mère philosophe féministe (Mary Wollstonecraft) qu'elle perd à onze jours, est une écrivaine anglaise de l'époque romantique dont le roman le plus connu dans une production importante est Frankenstein ou le Prométhée moderne, œuvre par laquelle elle invente le roman d'anticipation gothique, genre qui fera fortune dans la littérature et le cinéma. Mary est féministe, et réformatrice radicale. Son mari et elles sont des végétariens convaincus. On peut lire son Frankenstein à différents niveaux, mais incontestablement, il dénonce déjà la croyance irrationnelle dans le progrès technique, et le fait que lorsque des hommes (mâles) se mêlent de donner la vie, ils produisent des monstres. La Créature du Docteur Frankenstein est fabriquée de l'addition de morceaux de cadavres et d'organes sélectionnés et trouvés dans des abattoirs : sa monstruosité fait fuir les humains qui la rejettent. En fuite et mourant de faim, la Créature renonce à manger de la viande en prenant conscience de quoi elle est fabriquée. Monstrueux, mais plus humain et empathique que les
humains : elle souffre tellement ! Les prétentions désespérées de la Créature à être admise par l'espèce humaine reflète la position des féministes et des végétariens de son époque : ils sont toutes et tous confrontés à un monde qui refuse de les accueillir et qui les sépare entre "eux" et "nous", selon Carol J Adams dans son ouvrage "The sexual politics of meat". Mary Shelley, bien ignorée malgré le pillage de son œuvre fait par le cinéma, est sortie de l'oubli dans les années 1970 grâce à des critiques féministes qui refusaient qu'elle sombre dans le néant patriarcal réservé aux autrices talentueuses.
Le comte Tolstoï, écrivain russe majeur du XIXème siècle, pacifiste végétarien qui prônait la compassion envers tous les êtres vivants, mais de réputation sexiste et misogyne notoire (nobody's perfect) après la publication de son pamphlet anti-mariage, cette "prostitution légalisée" selon lui, "La sonate à Kreutzer". Mais bon, l'homme était ainsi fait qu'il resta marié et fit de multiples enfants à la comtesse Sophie sa femme, qui lui servait à tout, y compris de secrétaire et d'agente littéraire ! Elle lui répondit en écrivant "A qui la faute ?" publié tardivement. Tolstoï était végétarien, pas sa femme, qui ne comprenait même pas son végétarisme, et rajoutait du bouillon de volaille en douce dans ses plats ! Bref, le mariage, cette association improbable de deux personnes qui passent leur vie entière à s'énerver l'une l'autre en se jouant des coups tordus, rien d'anormal, les Tolstoï ne pouvaient échapper à cette règle universelle. Ce qui est tout de même culotté, c'est de se plaindre tout en profitant des avantages de cette institution patriarcale étouffante pour les femmes. Tolstoï : un homme assez ordinaire en somme, mais humaniste, comme le souligne cet article qui le montre levant des fonds pour nourrir des paysans affamés, un activiste avant l'heure, un pionnier. Et qui démontre que l'empathie n'est pas sélective.
Le XXème siècle
Isaac Bashevis Singer - Ecrivain juif polonais naturalisé américain car fuyant l'antisémitisme de son pays, conteur d'expression Yiddish, prix Nobel de Littérature pour son œuvre en 1978. Végétarien militant, "Les gens disent souvent que les humains ont toujours mangé des
animaux, comme si c’était une justification pour continuer la pratique.
Selon cette logique, nous ne devrions pas essayer d’empêcher les gens
d’assassiner d’autres personnes, puisque ceci existe aussi depuis les
tous premiers temps.” “Pour ces créatures, tous les humains sont des
nazis ; pour les animaux, la vie est un éternel Treblinka ". Dans ses romans, il y a quelques héros végétariens. Une de ses nouvelles Yentl a été adaptée au cinéma en 1983 par Barbara Streisand : très beau film musical contre le sexisme et l'intolérance des religions révélées, il raconte la volonté d'une fille à devenir rabbin. Elle doit se déguiser en homme pour parvenir à ses fins. Humaniste, avec des traces de féminisme : lisez Isaac Bashevis Singer.
Jacqueline Gilardoni, une "petite dame de la Protection animale" comme les appelle affectueusement Florence Burgat. Se prendre inlassablement des murs et des portes d'abattoirs dans le nez, affronter la violence, l'arrogance et le mépris des directeurs de ces établissements de mort, défricher des terres inconnues où personne ne s'était jamais risqué, se faire une culture sur le terrain sur un dossier qui n'intéressait personne, et surtout pas les pouvoirs publics, persévérer, et finalement arracher aux députés en 1967 une loi sur l'étourdissement avant saignée, Jacqueline Gilardoni l'a fait. Elle crée l'OABA qu'elle dirige et préside pendant 40 ans jusqu'à sa mort en 2001. Aujourd'hui cette ONG a pignon sur rue et est bien connue des professionnels : elle est dirigée par un homme.
Samedi 14 juin, à Paris, avait lieu la 3ème marche pour la fermeture
des abattoirs : ci-dessous une photo de die-in sur le parcours de la
Marche.
Liens supplémentaires : Estivales de la question animale du 25 juillet au 1er août, département de la Loire, avec des intervenants intéressants.
Non, Hitler n'était pas végétarien.
et de Elizabeth Hardouin-Fugier : la protection animale sous le nazisme, réponse à Luc Ferry.
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Et un lien, tiens, 'le cauchemar de Dickens' http://julienmichelle.wordpress.com/mes-publications/
RépondreSupprimerà charger là
http://julienmichelle.files.wordpress.com/2013/12/cauchemardickensmjulien.pdf
Merci ! Je vais jeter un coup d’œil :))
SupprimerSi Alice Wonderverden passe par ici : je n'arrive pas à poster de commentaires sur ton blog. Le test refuse tous mes posts, et il finit par effacer mon texte. Mais j'ai essayé !
RépondreSupprimerMerci pour cette analyse, j'avais étudié Frankenstein il y a quelques années au début de ma licence, mais nous n'avions pas parlé du végétarisme de la créature. En fait, j'en avais déjà eu une analyse féministe à l'époque. Ce qui est étonnant est qu'il y a peu de personnages féminins dans ce roman et qu'ils sont relégués à des rôles plutôt traditionnels - fiancée, femmes au foyer, servantes, etc. La mère du docteur, comme celle de Mary Shelley, est morte prématurément et il a un soir un rêve érotique dans lequel celle qu'il aime devient le cadavre maternel, de là le poursuit l'idéal de créer un être vivant tout seul qui s'avère devenir un assassin par la négligence de son créateur. Intéressant aussi de noter qu'il détruit la femme-monstre que sa créature lui avait demandé pour compagne car il refuse l'idée qu'ils puissent former une lignée. Le corps féminin est à la fois indésirable et désiré et au final inaccessible par faute de l'hybris masculin. Autre réflexion sur le tas, le qualificatif de "monstre" est souvent appliqué à des femmes qui sortent du lot, des rôles qui leur sont attribués, en bien ou en mal, quand on parle de femmes artistes, politique ou autres qui ont eu la chance d'être mondialement reconnues par exemple ou de criminelles ayant commis des actes particulièrement violents qui sont là aussi d'habitude une prérogative masculine.
RépondreSupprimerMerci pour cette lecture qui prouve que le roman est inépuisable. Effectivement, le renoncement à la viande de la Créature, alors qu'elle meurt de faim et qu'il y a un plat devant elle, tient en une phrase. Le mot monstre est universel pour sortir quelqu'un ou quelqu'une de l'humanité : c'est un stratagème pour épargner à l'humanité ses propres turpitudes, ou dans le cas des femmes qui sortent du lot, pour les rejeter dans l'altérité. La Créature de Frankenstein est plus humaine que les humains qui la rejettent parce qu'elle est laide et hors-norme, alors qu'elle est une création humaine. Elle éprouve d'ailleurs tous les sentiments humains de façon paroxistique ! Injustice de de l'humanité, qui ne comprend pas en plus, qu'une créature échappe irrémédiablement à son/sa créateur/trice ! Mary Shelley est une femme du XIXème siècle : il n'y a pas de femmes de pouvoir autour d'elle. Enfin, que la Créature (mâle) de Frankenstein refuse de produire une lignée, je trouve cela révolutionnaire de sa part : dans le bruit de fond ambiant du croissez et multipliez, venant d'un mâle en plus, c'est remarquable. :))
SupprimerPS Sans compter que vouloir épargner à un autre être ce qu'on éprouve soi-même de souffrance, cela me paraît être de l'altruisme plutôt que de l'égoïsme. ;))
SupprimerAttention, c'est le docteur Frankenstein qui refuse de donner une compagne à sa créature, alors qu'il avait commencé à la "fabriquer" car il craint que le couple ne procrée et démarre une nouvelle humanité monstrueuse qui risquerait de supplanter l'actuelle. La créature demande juste un autre être semblable à elle pour ne plus se trouver seule, d'ailleurs il n'est pas très crédible que des assemblages de chairs mortes puissent se reproduirent, on est pas dans la Twilight où les vampires font des petits ^^ Ce que tout bon mythologue considère comme une aberration !
SupprimerAutant pour moi ! J'ai lu ce roman 2 fois (au moins) en français (il y a des années) et une fois en anglais (il y a 10 ans au moins), j'ai lu des trucs à son propos (en anglais) : il a été tellement galvaudé par le cinéma et il fait tellement partie de la mémoire collective qu'on mélange tout. Ce qui n'empêche pas que plus personne ne sait le nom de son autrice ! Quand même : errare humanum est, perseverare diabolicum. Je parle du Docteur Frankenstein :) qui a bien raison d'arrêter là l'expérience, quoiqu'il en soit.
SupprimerJe vais être hors sujet comme souvent .....
RépondreSupprimerJe pense avoir chez moi un jeune blaireau qui est en train de s'apprivoiser ou plutôt de s'habituer car je mets à manger pour mes chats plus ou moins sauvages tous trouvés de ci de là ...... Des chats qui vivent chez moi mais toujours dehors ...... Je pense que le blaireau (?) surveille quand je mets à manger et en cinq minutes il vide tous les plats ..... Mais sans jamais se montrer ..... J'ai relevé quelques traces ..... Quelques polis noirs et blancs très courts ...... Il y a quelques temps un gros blaireau (je pense une mère) a été tuée par les voitures ...... Je pense que le petit a pu trouver refuge chez moi car c'est la jungle chez moi ...... A mon avis il serait en train de se stabiliser chez moi ..... J'éspère que c'est le cas ...... Si je réussi à sauver un blaireau ce serait super génial ....... J'ai aussi pas mal de couleuvres et quelques fouines de passage ..... Mais Là ce n'est pas une fouine ni une martre car j'aurais vu des traces plus flagrantes ....... Bon .....
En conclusion : maintenant c'est tellement la jungle chez moi que les chasseurs ne peuvent plus passer et si le blaireau reste discret alors il échappera aux connards ...... J'ai réussi à apprivoiser , habituer quelques hérissons aussi ..... Ils mangent aussi les aliments pour mes chats ....... Donc je suis super contente de tous ces êtres sympas ..... J'ai aussi de plus en plus d'oiseaux car je leur donne à manger même en été et j'ai pas mal de nids ........
Bon , je persevere avec obstination ......
Pas complètement hors sujet ! Après tout, le billet ci-dessus parle de protection animale. C'est super d'avoir des animaux sauvages autour de soi qui vous font confiance : ça vaut bien certaines présences humaines en terme de gratification, je trouve. Vraiment.
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