mercredi 30 novembre 2011

Le pouvoir de nommer par Andrea Dworkin

"...les hommes ont le pouvoir de nommer, un pouvoir immense et sublime.Ce pouvoir de nommer permet aux hommes de définir l'ensemble du champ de l'expérience, de déterminer limites et valeurs, d'assigner à chaque chose son domaine et ses attributs, de décider ce qui peut et ne peut pas être exprimé, de contrôler jusqu'à la perception. Comme l'écrit Mary Daly, la première à identifier ce pouvoir dans  
Beyond God the Father, * "il faut bien comprendre le fait fondamental que nous, les femmes, nous sommes fait voler le pouvoir de nommer".
La suprématie masculine est fusionnée au langage, de sorte que chaque phrase la proclame et la renforce. La pensée, d'abord vécue comme langage est imprégnée des valeurs linguistiques et perceptives créées expressément afin de subordonner les femmes. Les hommes ont défini les paramètres de chaque sujet. Tout argument féministe, si radicales que soient ses intentions ou ses incidences se rallie ou se heurte à des énoncés ou à des prémisses implicites au système masculin, qui est rendu crédible ou authentique par le pouvoir qu'ont les hommes de nommer. Aucune transcendance du système masculin n'est possible tant que les hommes ont le pouvoir de nommer. Leurs noms résonnent en tout lieu habité. Comme Prométhée a volé le feu aux dieux, les féministes vont devoir voler aux hommes le pouvoir de nommer, pour en faire, espère-t-on un meilleur usage. Comme le feu, lorsqu'il appartenait aux dieux, le pouvoir de nommer semble magique ; l'homme donne le nom et le nom perdure, la femme donne le nom et le nom se perd. Mais cette magie n'est qu'illusion. Le pouvoir de nommer repose sur la force pure et simple. A lui seul, sans la force pour l'imposer, jugé à l'aune du réel, ce n'est plus un pouvoir mais un processus, chose plus modeste.
"L'ancien processus de nommer, écrit Mary Daly, ne résultait pas d'un dialogue, fait reconnu par mégarde dans le récit de la Genèse où Adam nomme les animaux et la femme." C'est le fait de nommer par décret qui est un pouvoir exercé sur et contre celles à qui on interdit de nommer leur propre vécu ; c'est ce décret, étayé par la violence, qui inscrit le nom en lettres de sang indélébiles dans la culture dominée par les hommes.

Le mâle ne se contente pas de nommer les femmes mauvaises : il extermine 9 millions de femmes comme sorcières parce qu'il a nommé les femmes mauvaises. Il ne fait pas que nommer les femmes faibles : il mutile le corps féminin, l'attache de façon à restreindre ses mouvements, s'en sert comme jouet ou ornement, le garde en cage ou atrophié parce qu'il a nommé les femmes faibles. Il affirme que la femme veut être violée : il viole. Elle résiste au viol, il doit la battre, la menacer de mort, l'enlever de force, l'attaquer de nuit, utiliser un couteau ou ses poings ; et malgré tout, il affirme qu'elle en veut, elles en veulent toutes. Elle dit non ; il prétend que cela veut dire oui. Il la nomme ignorante, puis il lui interdit de s'instruire. Il l'empêche d'exercer avec rigueur son esprit et son corps, puis il la nomme intuitive et émotive. Il définit la féminité, et lorsqu'elle ne s'y conforme pas, il l'appelle déviante, malade, il la bat, lui sectionne le clitoris (siège d'une masculinité pathologique), lui arrache la matrice (source de sa personnalité), la lobotomise ou la bourre de narcotiques (reconnaissance perverse de sa capacité de penser, bien que la pensée soit nommée déviante chez la femme).

Il nomme "sexe" un mélange variable d'antagonisme et de violence ; il la bat et nomme cela "preuve d'amour" (si elle est épouse), ou érotisme (si elle est maîtresse). Si elle veut de lui sexuellement, il la nomme salope ; si elle n'en veut pas, il la viole et dit qu'elle en veut ; si elle préfère étudier ou peindre, il la nomme frustrée et se vante de pouvoir guérir ses intérêts pathologique par le "bon coup" apocryphe. Il la nomme "ménagère" uniquement apte au travail de maison, et la tient dans la pauvreté et la dépendance totale ; mais si elle quitte la maison, il l'achète et puis la nomme putain. Il la nomme comme bon lui convient. Il fait ce qu'il veut et nomme cela à sa guise."
Andrea Dworkin
Pouvoir et Violence sexiste. Edition Sisyphe. 2007

Un lien vers un regard et une analyse féministes du viol et de meurtre d'Agnès Marin au lycée Cévenole

* Non traduit en français

13 commentaires:

  1. Ce texte est époustouflant. D'une intelligence tellement impressionnante...merci mille fois de me l'avoir donné à lire.

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  2. @ Euterpe : il n'y a malheureusement qu'un seul de ses textes qui soit traduit en français, et en plus, il est épuisé. J'espère que Sisyphe va le faire réimprimer.

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  3. RECITFICATION et bonne nouvelle : Pouvoir et violence sexiste est disponible en France à la Librairie du Québec à Paris -Tél et adresse mail : http://sisyphe.org/editions/Pouvoir-et-violence-sexiste

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  4. Et il y a six textes de Dworkin, pas seulement un dans ce livre. On en trouve trois autres dans "L'envers de la nuit: les femmes disent non è la pornographie" (Éditions du remue-ménage, Montréal, 1984) qui est encore disponible. (Le traducteur)

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  5. @ Hypathie

    J'ai longtemps pensé que les hommes contraignaient les femmes aux corvées domestiques pour les traiter ensuite de mégères mais c'est Dworkin qui a raison: on nomme d'abord pour donner corps à la réalité que l'on souhaite. Comment acheter une femme que l'on n'a pas nommée "putain" auparavant, maintenir dans le manque d'instruction celle que l'on n'a pas nommée "ignorante", violer celle que l'on n'a pas nommée "salope" ? Etc.

    Ce texte, que j'ai lu déjà pas mal de fois, nourrit à chaque fois ma réflexion. C'est une mine !

    Et l'article de E.Thiébault l'éclaire de la réalité que nous vivons. Je le mets en lien dans mon billet.

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  6. @ Hélo : bien sûr que le pouvoir de création du langage est primordial, qu'il faut nommer/créer d'abord pour mieux détruire ensuite ! Nous les femmes on s'est fait voler le pouvoir de nommer comme au coin d'un bois. J'ai vu que tu as rajouté le lien vers l'article d'Egalité-Infos (en bas de ce billet aussi) qu'il faut impérativement lire pour se laver les yeux et les oreilles de l'assommoir "drame", "fait divers", et autres désignations visant à minimiser le tort qui est fait aux victimes de ces faits de prédation, destinés à rappeler à toutes les femmes qu'elles ne sont en sécurité nulle part !
    J'en profite pour signaler que des textes de Dworkin en téléchargement libre sont trouvables en suivant le lien :
    http://www.4shared.com/file/FLaKaVkV/andrea-dworkin_textosingles.html
    ainsi que les textes signalés par Martin Dufresne, dans le commentaire précédent et que je remercie. Je n'avais cherché que sur mes sites marchands habituels, mais on peut trouver des textes en français ailleurs, tant mieux.

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  7. Super d'apprendre que le livre est réédité !

    J'ai trouvé un lien too much d'un énervé qui a décidé de dresser une liste des femmes historiques méchantes (pour faire des listes de femmes historiques tout court, il vaut mieux compter sur une femme). Devine qui est dedans ? Andrea Dworkin ! Sûr qu'elle doit vexer plus d'un couillusaure ! Voici le lien :

    http://lenaweb.voila.net/Femmes_mechantes.htm

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  8. @ Euterpe : on dirait qu'il a oublié Solanas :-)) parce qu'elle est en général classée dans les méchantes. Pour Dworkin, elle est en permanence vilipendée, et son oeuvre est déformée à des fins de désinformation ; on trouve aussi dans sa liste Aileen Wuornos, pseudo tueuse en série, vouée à la prostitution et à la mendicité par la violence et la malhonnêteté masculines, qui a été immortalisée dans Monster avec Charlize Theron dans le rôle, laquelle en fait un beau portrait de femme flouée en permanence et qui tue 7 mecs par vengeance et désespoir. Rien a voir avec la sociopathie des tueurs en série mâles ! J'ai quand trouvé que c'est une bien petite liste compte tenu du fait qu'il commence à l'époque romaine, qu'il y a quelques suiveuses dans sa liste. Et puis c'est net, il n'aime pas les femmes de pouvoir ! Encore un pisse-vinaigre revanchard calomniateur.

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  9. Quand les femmes se défendent elles sont méchantes.

    Quand les hommes tuent et maltraitent gratuitement, ils sont tout simplement humains.

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  10. @ Hélo : Tout à fait exact, ça va même jusqu'à la diffamation pour Dworkin : quand j'ai cherché une image différente d'elle que celle de mon autre article, je suis tombée sur des choses explicitement pornographiques ; qu'est-ce qu'ils ne feraient pas pour garder leur pouvoir de "construire les définitions" ! La parole de Dworkin est tellement puissante qu'ils sont contraints à la dévoyer et à la brouiller pour tenter de l'affaiblir.

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  11. Et viens de voir cela:
    https://feminada.wordpress.com/2013/12/29/un-compromis-patriarcal/

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  12. ha ben je l'avais mis là... pas réveillée, j'étais, sorry !!!

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  13. Au nom de la mère, de la fille et de la Saine d esprit...

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