jeudi 7 novembre 2024

Vers l'égalité, contre le consentement

L'article 222-23 du Code pénal français dispose que :

" Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur, par violence, menace, contrainte ou surprise, est un viol. " Le viol est puni de 20 ans de réclusion criminelle. 

Nulle part le mot consentement n'est mentionné. Alors pourquoi les magistrats et les avocats veulent-ils savoir à toute force si la plaignante victime d'un viol n'aurait pas été un peu consentante, ou si elle a bien spécifié clairement son non-consentement aux actes commis sur elle ? Les agresseurs posent-ils seulement la question, alors que c'est généralement leur argument de défense ? C'est devenu d'actualité et surtout de circonstance, avec le procès de Mazan où une femme endormie chimiquement est livrée à des consommateurs de sexe violeurs. Pourquoi des députés ou des féministes veulent-elles faire entrer le consentement dans cette définition ? Les mots 'violence", 'menace', 'contrainte', 'surprise' ont-ils besoin de précision supplémentaire ? N'annulent-ils pas à eux seuls la notion de consentement ? 

Nous sommes -pour notre malheur, dans une époque néo-libérale où le contrat est devenu un objet, une disposition régissant nos vies. Je me souviens d'avoir lu au début des années 2000, cette expression "le contrat ou le juge". C'était à propos des nouvelles attentes des salariés qui préféraient un contrat d'intérim, un CDD ou un travail en free-lance, vendant leurs meilleures compétences à un commanditaire pour une durée définie à l'avance. Pendant 18 mois, vous ferez, tirets à la ligne, les tâches suivantes avec tel résultat attendu, le tout spécifié par contrat. Si le contrat n'est pas rempli de façon satisfaisante pour les deux parties, ça se règle devant un juge, au tribunal. Le contrat entre pairs. Je ne sais si un ingénieur informaticien qui vend un service de développement logiciel à une entreprise, ou un créatif qui loue ses compétences artistiques à une agence de publicité sont exactement à parité avec leur commanditaire, si le patron ne serait pas un peu en position de force, même relativisée par la rareté sur le 'marché', mais c'est l'idée. Tout serait devenu contractuel. Y compris les relations sexuelles entre femmes (dominées) et hommes (dominants). Or dans ce dernier cas, on est loin de la parité (substantif qualifiant l'état des pairs).

Mais qu'est ce que consentir quand on est femme, considérée par les hommes 'faite pour le sexe' selon Catharine MacKinnon, une femme avec 'une conscience aliénée' comme écrivait Nicole-Claude Mathieu ? 


La liberté précède-t-elle l'égalité, ou est-ce l'inverse ? Accepter est-ce la même chose que vouloir ? Le consentement n'est-il pas l'acquiescement au pouvoir ? Comme si c'était possible d'être libre sans être égaux, surtout quand on est femme, et qu'on est en plus supposée être faite pour le sexe.
Dans un contexte où les agressions sexuelles et le viols sont sous-déclarés, les dossiers classés, où les cas déclarés sont blanchis avec peu de chance de voir l'agresseur aller en prison, l'agression sexuelle est le crime violent le moins signalé, constate Catharine McKinnon dans son ouvrage.

Juriste internationale, avocate, professeure de droit à Harvard, militante féministe, McKinnon pose donc la question de la pertinence de la notion du consentement des femmes à l'acte sexuel en cas d'agression, question récurrente de la police et des magistrats : a-t-elle suffisamment dit non, et s'est-elle défendue contre son agresseur ?

Après avoir constaté les fonds historique, philosophique et culturel qui sous-tendent le consentement, en convoquant même les penseurs des Lumières, et l'évolution du droit sur le viol (vol, viol ; rapt, rape), comparé le système juridique français (en reconnaissant que le consentement n'est pas présent en droit français dans son article 222-23 du Code pénal, mais que les tribunaux en font état et posent la question aux victimes de viol), et les systèmes juridiques états-unien et canadien, Catharine McKinnon en conclut que le consentement n'est pas une notion pertinente pour juger les cas d'agressions sexuelles. Elle est convaincante car elle argumente avec brio. Quand on est prises dans des hiérarchies sociales, consentir, c'est acquiescer au pouvoir, précise-t-elle.

Dans un contexte social où les inégalités de genres et sous-genres intersectionnels (ethnie, réfugiée, handicap, pauvreté...), avec les conséquences qui en découlent, persistent ; dans un contexte où perdure la croyance culturelle que les hommes sont sexuellement agressifs et prennent l'initiative, que les femmes sont passives, destinées à l'usage sexuel, qu'elles doivent être conquises et persuadées même un peu fermement, que le sexe c'est ce que les hommes font AUX femmes plutôt qu'AVEC les femmes, la notion de consentement est carrément toxique au sens où elle fait obligation à la victime d'arrêter l'agression plutôt qu'attribuer à l'agresseur la responsabilité de ne pas agresser.

Enthousiaste (je trouve McKinnon magistrale dans ses autres ouvrages) je recommande la lecture de cet essai de droit aux magistrats, auxiliaires de justice et au personnel de police pour un éclairage sur le sujet.

 Quand céder n'est pas consentir 

" My Poverty but not my will consents " *- William Shakespeare - Romeo et Juliette, acte V, scène 1

" Quand on parcourt l'histoire des différents peuples et qu'on examine les lois et les usages promulgués  et établis à l'égard des femmes, on est tenté de croire qu'elles n'ont que cédé, et n'ont pas consenti au contrat social, qu'elles ont été primitivement subjuguées, et que l'homme a sur elles un droit de conquête dont il use rigoureusement.
Choderlos de Laclos - Des femmes et de leur éducation. 

Il me paraît opportun, dans ce contexte, de verser au dossier ce texte de Nicole-Claude Mathieu, anthropologue et féministe. Quand céder n'est pas consentir est plus ancien (1991) mais il dit avec d'autres mots, peu ou prou la même chose : 

" Le terme consentement, apparemment plus anodin, est donc de fait, appliqué au sujet opprimé, plus fort et plus grave que le mot pourtant violent mais plus objectif de collaboration. On peut alors se demander pourquoi il fait moins peur, il "passe" mieux, il est mieux agréé par beaucoup de femmes que le mot collaboration. Je vois à cela plusieurs raisons : 
1 - Le mot consentement appliqué aux dominé(e)s annule quasiment toute responsabilité de l'oppresseur, puisque l'opprimé consent, il n'y a rien de véritablement immoral dans le comportement du 'dominant'. L'affaire est en quelque sorte ramenée à un contrat politique classique. 
2 - Le mot collaboration, en tous cas dans le contexte européen de l'après-nazisme, contexte loin d'être oublié, suppose une conscience mauvaise (moralement répréhensible) tant de la part du dominant que du dominé, alors que le mot consentement suppose une conscience... tout court. Et de quoi l'opprimé a-t-il le plus besoin pour survivre, sinon de pouvoir dire que ce qu'il vit, il le décide, il le fait, il le reconnaît comme part de lui-même ? 

Ainsi, avec le terme consentement, d'une part la responsabilité de l'oppresseur est annulée, d'autre part la conscience de l'opprimé(e) est promue au rang de conscience libre. La bonne conscience devient le fait de tous. Et pourtant, parler de consentement à la domination rejette de fait, une fois de plus, la culpabilité sur l'opprimé(e). "

Quand céder n'est pas consentir - Nicole-Claude Mathieu. 
L'anatomie politique. Catégories et idéologies du sexe - 1991

En conclusion En France on a cette détestable habitude de vouloir changer les lois en fonction de circonstances qui surviennent postérieurement à leur rédaction. Or les lois sont normalement écrites de façon à définir et couvrir tous les cas de figures ; on ne peut pas avoir une loi pour chaque cas qui se présenterait, ce ne serait pas tenable, et cela invaliderait même toute idée de droit. La jurisprudence, les jugements et interprétations faits par les magistrats abondent la loi, en faisant autorité. Notre définition du viol dans le Code pénal est ramassée, concise et précise en même temps. Chaque mot en a été pesé par le législateur. Elle inclut même la personne de l'auteur qui imposerait sur lui-même ces mêmes contraintes à sa victime. Je ne pense pas, à l'instar de Catharine MacKinnon, qu'on puisse faire mieux. Cette définition est parfaite, n'y touchons pas. Cessons cette habitude de juger le comportement des femmes, en ergotant sur le comportement délictueux et criminel des hommes agresseurs en leur trouvant des excuses, tandis que les femmes, elles, sont toujours coupables de quelque chose.

* Traduction du vers de Shakespeare :  " Ma pauvreté consent, mais contre ma volonté."

mardi 8 octobre 2024

Où sont passés les rouleaux à pâtisserie, les gifles de cinéma et les épingles à chapeaux de nos aïeules ?

Début septembre, dans le sillage des révélations sur les agressions sexuelles commises par l'Abbé Pierre, on a entendu le témoignage d'une aide-soignante qui a eu le réflexe, alors que le saint homme faisant mine de trébucher, se raccrochait à la planche de salut de ses seins, que cette brave femme a eu le réflexe qu'on croyait perdu chez les féministes nouvelle génération : la bonne vieille baffe qui remet les idées en place et les mains où elles doivent être. Je me suis dit "ah enfin, une qui riposte", j'en étais à penser que la sidération avait définitivement gagné.

Si vous êtes cinéphile et avez regardé du cinéma français et hollywoodien des années 40, 50 et 60 du siècle dernier, vous n'avez pas pu manquer les gifles magistrales que les personnages féminins administraient aux hommes, assorties de l'insulte "goujat !" quand ces derniers avaient manqué à la  courtoisie. La mandale de femme était très en vogue à l'époque dans la culture cinématographique. Il n'en reste plus rien. Recherche Google : on trouve les plus belles gifles de l'histoire du cinéma, en majorité des hommes giflant des femmes comme Ventura en mettant une à  Adjani (jouant sa fille) dans le film au titre éponyme ; le ridicule ne tuant plus, un forum (où j'ai trouvé mon image) déplore qu'on ne réprouve pas plus vivement ces films où des mecs se font baffer par des femmes alors que l'inverse provoque un réprobation unanime. On trouve même une pétition de 2016 sur le site MesOpnions.com qui a fait un four retentissant : 21 signatures à ce jour ! Un non-sujet, tellement ça ne prête pas à conséquence, et que ça s'est perdu. Les conquêtes libérales féministes vers plus d'égalité ont eu raison de la baffe, laissant les femmes désarmées et "sidérées" en cas d'attaque.  Comme si les femmes étaient les égales des hommes dans la violence et qu'il faille rétablir un équilibre qui n'a jamais été en notre faveur. 


Au milieu de siècle dernier, le rouleau à pâtisserie (ou sa variante, la poêle à frire) étaient le moyen de défense de la mé(na)gère quand Jules rentrait à la maison tard ou bourré, ou les deux. On a toutes vu ces dessins où une grosse dame en tablier et chaussons, rouleaux sur la tête, est planquée derrière la porte d'entrée du domicile conjugal, tenant un rouleau à pâtisserie prêt à frapper le bonhomme qui utilise sa clé en toute confiance.
Pareil, ça s'est perdu dans les "gains d'égalité", exit l'arme cuisinière, tandis que le bâton de berger masculin, lui, retrouvait toute sa vigueur. Il n'y a aucune raison de culpabiliser à se défendre, mais l'époque, la niaiserie et la pleurnicherie ambiantes, l'infantilisme, les "papas et les mamans", les "papys et les mamies", les "tontons et les taties" dits par des gens qui ont largement dépassé les soixante dix balais, la "bienveillance", nouvelle lèpre de la langue après "respect" dans une société et une époque impitoyables, semblent avoir définitivement gagné la partie. Les actes sordides perpétrés par les hommes ne sont évoqués que des années après, par des gens sortant du bois quand la justice ne peut plus rien. La justice est désormais rendue sur les réseaux sociaux : je n'ai aucune pitié pour les accusés, ne vous méprenez pas, et je crois les femmes qui dénoncent, je déplore juste qu'elles ne croient pas pouvoir se faire justice de façon expéditive elles-mêmes sur le moment, à chaud, pour une main au cul ou une insulte, une proposition malveillante ou obscène dans la rue ou tout autre espace où ils se prennent pour des cadors et sont sûrs de rester impunis. S'il leur en cuisait sur le moment, ils se tiendraient sans doute plus à carreau, tous ces lâches qui n'agissent que parce qu'ils se savent qu'il n'y aura pas de réaction immédiate. Dans le futur, on est tous morts, disait John Maynard Keynes sur un autre sujet, mais la remarque est pertinente sur plein de dossiers, dont celui-ci. 




Il y a plus d'un siècle, nouvelle donne sociale, les femmes qui allaient au travail à leurs emplois de marchandes, couturières et secrétaires sortaient en ville chapeautées, empaquetées dans des jupes et robes allant jusqu'au sol, inconfortables quand il fallait passer les portes, grimper dans le tramway, ou descendre des escaliers, bref, la torture par le vêtement bien connue des seules femmes, ce qui limitait et limite encore leurs mouvements ! Elles devaient affronter en plus la grossièreté des hommes tout émoustillés de voir des jeunes femmes empruntant seules ou en groupes les mêmes rues et moyens de transport qu'eux, hommes qui s'autorisaient à commettre des attouchements dans les transports en commun bondés. Leurs chapeaux tenaient à l'aide d'épingles devenues longues aiguilles pointues préhensiles par une perle au bout, une arme déguisée en bijou. Se prenant comme nos contemporaines des mains au cul dans les transports en commun, elles n'hésitaient pas à utiliser ces longues épingles comme armes d'autodéfense, à les saisir pour piquer le malotru à des endroits stratégiques, et ça pouvait faire très mal. A tel point que le phénomène alerta un préfet de police et les gazettes de l'époque qui se scandalisèrent du "péril des épingles à chapeau". Je crois que je peux rassurer tout le monde, il n'a jamais été constaté de décès dû à une épingle à chapeau.

The hatpin peril ! Le péril par l'épingle à chapeau dit l'illustration d'époque ci-dessous. Et un article documenté sur le sujet à consulter sur ce lien








Dans le même ordre d'idées, je voudrais aussi rappeler le combat pionnier, courageux et victorieux des Suffragistes britanniques, féministes radicales qui ne s'embarrassaient pas de préséances. Elles y allaient franco, manifestant dans la rue, commandant et apprenant une technique de combat, le jujitsu, importé et adapté à leurs besoins par un maître Japonais pour se défendre contre les exactions policières ; elles ont été torturées, gavées de force, un tuyau enfoncé dans l'œsophage et l'estomac, lorsqu'elles menaient leurs grèves de la faim ; elles incendiaient des boîtes aux lettres et vandalisaient même les toiles de la Tate Gallery à Londres pour protester contre le fait que les femmes figuraient surtout nues sur les tableaux et nettement moins comme artistes peintres. Et pas avec de la soupe, mais avec un hachoir ! Elles l'ont emporté de haute lutte. Il a fallu un quart de siècle de plus aux suffragistes françaises (dénommées de façon méprisante "suffragettes") pour avoir le droit de vote et encore par décret, tellement le Parlement à majorité radicale socialiste mâle ne voulait pas en entendre parler, au motif que les femmes voteraient comme le curé leur soufflerait ! 

En conclusion

Ce calme hallucinant et étonnant des femmes ! Malgré Shaïna, Chahinez, Delphine, Lina, Pilippine, Gisèle et toutes les autres victimes d'agressions et de féminicides, malgré toutes ces femmes agressées, massacrées par les hommes de leur intimité, ou rencontrés dans la rue, pas de mairies, de bibliothèques ou d'écoles incendiées, pas de mobilier urbain détruit, pas d'émeutes, de celles qui suivent la mort par policier interposé, de mauvais garçons, mineurs conduisant sans permis, sans assurance, refusant d'obtempérer, troublant l'ordre public, risquant de tuer des enfants, des femmes, des hommes, des vieilles dans les rues où elles passent. Et sur qui la société, ses médias et sa justice patriarcale consacrent des pages, des écrans, des temps de radio et des commentaires ineptes infinis sans jamais nommer le problème, la violence masculine, les comportements asociaux des hommes. La vie des femmes en patriarcat est un roman gothique, leurs histoires d'Ann Boleyn maquées à des Henri VIII servent à avertir les récalcitrantes de QUI tient les manettes, et que tenter de sortir de l'oppression peut se payer de leur vie. Vie qui a moins de valeur que celle du mâle le plus délinquant et à qui les psys trouveront les excuses habituelles : violence familiale, misère sociale et sexuelle, absence de père, et tutti quanti. Les filles et femmes subissent toutes ces maltraitances à des niveaux supérieurs à ceux des garçons, et pourtant elles ne se vengent pas sur la société, ni d'ailleurs sur les usual suspects, les hommes ! Elles n'ont même pas la réflexe de se défendre lorsqu'elles sont attaquées. Le néo-féminisme libéral ne propose aucune alternative que le victimaire, et la quête de "moyens" auprès d'institutions, toutes d'obédience patriarcale, la police et la justice. On le voit ces jours-ci dans l'écœurant procès Mazan et ses débats vains sur le "consentement", une diversion patriarcale de plus où les femmes portent encore la responsabilité de leur agression parce qu'elles n'ont pas dit clairement non dans un système inégalitaire où les femmes sont "faites pour le sexe", où les hommes ont des droits à "un congé payé dans le CDI du mariage" comme on a pu entendre, éberluées, témoigner un des co-accusés du procès. Mais les mecs, si le mariage et le conjugo ne vous conviennent pas, vivez votre vie en célibataires sans enfants, faites carrière et sortez le soir avec vos amis. C'est quand même insensé de devoir rappeler cette évidence que PERSONNE n'est obligé de se marier, de vivre en couple ni d'élever des enfants. Si vous trouvez tout cela pesant (et ça l'est certainement !) ABSTENEZ vous. 

EDIT - Evidemment, mon propos dans cet article n'est pas d'inciter à se faire vengeance soi-même, ni à faire l'éloge de la loi du plus fort. La violence légitime appartient à l'état, sa police et sa justice selon les lois voulues et écrites par le législateur. Mon propos est de dire aux femmes qu'elles ne sont pas totalement désarmées, qu'elles ont le droit de se défendre, d'arrêter de faire dévolution de leur sécurité à l'ennemi intime ou public principal, que lui confier notre sécurité conduit à des mortes et des blessées graves. Nous avons toutes dans la tête, indélogeable, ce tabou anthropologique de nous défendre, les armes nous étant interdites -nous savons pour quelles raisons-  et c'est à tel point que même l'insulte nous fige d'effroi. Alors qu'on peut au moins vocaliser une légitime indignation, piquer une saine colère réparatrice, sortir un spray au poivre de son sac, et menacer de niquer une de leurs précieuses caisses, voire de passer à l'acte ! C'est quand même mieux que d'être transformée en statue de pierre permettant tous les abus, et se réveiller 18 ans après, non ? 

samedi 21 septembre 2024

Des Iraniennes - Femme, Vie, Liberté 1979 - 2014 et de quelques autres ouvrages

 

Pour le deuxième anniversaire de l'assassinat de Jina Mahsa Amini par la police des mœurs le 16 septembre 2022 pour un voile mal ajusté, des manifestations contre le régime qui ont suivi, (deux ans d'islamophobie de la part des Iraniennes en Iran comme écrit Charlie Hebdo, en tous cas selon certains critères de la gauche occidentale, -c'est plus facile à défendre quand on ne le paie pas d'injonctions privatrices de liberté de choix comme disent ici celles qui le portent), les Editions des Femmes sortent l'album du long combat des femmes iraniennes pour leur auto-détermination : elles y sont depuis 45 ans ! 
En première partie, anamnèse du départ de Shah Reza Pahlavi et rentrée en Iran de l'Ayatollah Khomeini qui menait en exil son combat depuis la France, et contre-révolution islamique, ou révolution conservatrice, je ne sais comment appeler cela, après la "révolution blanche" (!) du shah qui avait occidentalisé à la schlague le pays, en édictant des lois favorables aux femmes : mobilisation des Iraniennes, soutien des féministes états-uniennes par la voix de Kate Millett, et des européennes notamment. Elles se rendront toutes en Iran pour célébrer les journées autour du 8 mars 1979, Journées Internationales des droits des femmes, vite requalifiées par l'Ayatollah de "concept occidental" pour tenter de contrer le combat universaliste des femmes iraniennes. Puis, en deuxième partie, la mobilisation après l'arrestation et la mort de Jina Mahsa Amini issue de la minorité Kurde, et le soutien des mêmes européennes pendant 2 ans. Le combat continue, les femmes iraniennes sont obstinées, intrépides, elles n'ont peur ni des arrestations ni de la mort. L'ouvrage, en deux parties, comporte des documents, textes, slogans, tracts, affiches et photos des deux époques. Pour documenter la mémoire des âpres combats des femmes contre l'obscurantisme. 

Quand les femmes iraniennes font sauter leurs chaînes, ce sont les femmes du monde entier qui avancent avec elles. "  Antoinette Fouque en 1979. C'est toujours d'actualité. 

" Ils disent : 'ils nous ont trompés', d'autres disaient ; 'un religieux ne peut pas être révolutionnaire. La religion est réactionnaire'. "

Révolutionnaires les hommes, vraiment ? " Grâce au régime et à la religion islamique, les hommes ont pris de plus en plus d'arrogance et même, une certaine arrogance ". Des femmes en mouvement - Juin 1980.

" En Iran, 1981 est-ce réellement la fin du XXème siècle ? Ou le Moyen Age ? Ou une époque plus arriérée encore ? L'Islam est une machine à broyer la vie du corps, la vie privée, la vie publique. Un archaïsme barbare. " Des femmes en mouvement - Juillet / Août 1981.

Les Iraniennes de 1978 / 1979 ont quand même commis quelques erreurs. Par exemple, se recouvrir d'un tchador pour, lors d'une unique manifestation, demander le départ de Shah Reza Pahlavi et l'avènement de Khomeini fin 1978, tchador qu'elles retireront une fois rentrées à la maison. Le voile est facile à mettre, plus difficile, voire impossible à retirer. La preuve, l'Ayatollah l'imposait quelques années plus tard, malgré leur âpre résistance. On ne s'en sert pas impunément comme d'un étendard : celles qui le portent ici en se prétendant rebelles à nos très tolérantes lois et opinion, promouvant une idéologie théocratique conservatrice, feraient bien de s'en souvenir en pensant aux Iraniennes. Les manifestantes de 1979 distribuaient aussi des tracts précisant que ce n'était pas tant contre le voile qu'elles se battaient que pour l'égalité des salaires, l'égalité juridique dans le mariage, le divorce, l'héritage, pour leur indépendance économique. Sauf que c'est un tout : le voile les maintient en état de subordination, il est le symbole de leur effacement, de leur immanente destination première qui est le service des hommes, de leur famille, livrées à leur merci. 
Et autre erreur : croire, comme toutes les femmes qui participent généreusement aux 'révolutions' masculines en prenant les mêmes risques qu'eux, puis, lorsqu'ils estiment que la 'révolution' est terminée selon leurs termes à EUX, se faire renvoyer ensuite dans 'leurs cuisines'. Les problèmes des hommes une fois résolus, les nôtres trouveraient au-to-ma-ti-que-ment une solution aussi. Ils nous ont servi la même antienne à chaque fois. Souvenez-vous de la phase de Françoise d'Eaubonne : " Les hommes ne font pas de révolutions, ils se contentent de remplacer les pères par les fils."


Toujours sur le même thème, et pour célébrer le combat des Iraniennes, en confirmation hélas de ce qui figure plus haut : 

Le rendez-vous iranien de Simone de Beauvoir - Par Chahla Chafiq 


Evoquant à travers les quarante dernières années de l'histoire iranienne les éternelles oppositions entre groupes sociaux de sexe, les femmes priées de ne pas déranger les "révolutions" des hommes avec leurs questions de femmes, d'égalité, leurs revendications toujours subsidiaires aux intérêts des hommes, leurs 'révolutions' à eux devant par miracle résoudre toutes les questions sociales, Chahla Chafiq rappelle à travers la pensée de Simone de Beauvoir qui infuse toujours en Iran, son Deuxième sexe traduit en persan en 1970, que le système patriarcal est universel, et que donc les revendications des femmes à l'égalité et à l'autonomie le sont aussi. Cet ouvrage rafraîchissant sur les traces très actuelles de Simone de Beauvoir dans la perception des iraniennes, est un plaidoyer pour l'universalisme dans une époque relativiste culturelle ou l'intersectionnalité est érigée en outil politique (alors qu'elle n'a de valeur que sociologique), tentée par l'obscurantisme. 

Simone de Beauvoir, femme sujet par excellence, revendique pour les femmes la transcendance, le statut de sujet agissant sur le monde, sorti de l'immanence où tentent de l'enfermer les religions obscurantistes et leur étouffant système patriarcal. La revendication à la liberté et à l'autonomie n'est ni occidentale ni orientale, elle est universelle. Une lecture qui peut bien calmer les ardeurs des différentialistes culturel-les.

Et toujours le journal de voyage de Kate Millett : En Iran que j'avais chroniqué sur ce lien 


Trois ouvrages pour célébrer le courage des Iraniennes.

Nous n'oublions pas non plus les femmes et filles Afghanes privées d'école, d'université, d'indépendance économique, mineures transformées en fantômes sous la féroce férule des Talibans, variante sunnite de l'Islam. Les Iraniennes ont elles, sa version chiite. Les héritiers du prophète se sont battus comme des chiffonniers pour l'héritage de Mahomet. Devenus ennemis irréconciliables, ils s'entendent toutefois sur un seul sujet : les femmes sont offertes comme une terre à labourer et exploiter aux Croyants des deux bords. L'asservissement des femmes fait l'unanimité chez tous les obscurantistes. 


jeudi 5 septembre 2024

Refuser d'être un homme. Pour en finir avec la virilité - John Stoltenberg

 " Le sexe masculin a besoin de l'injustice pour exister. " 


Pro-féministe radical, matérialiste et universaliste, John Stoltenberg propose sa dissection au scalpel de la société patriarcale, geôle des femmes depuis des millénaires, objectifiant leur corps, érotisant la haine misogyne (érotisme sado-masochiste) dans laquelle elles se laissent piéger, pour ensuite subir les trahisons quotidiennes petites et grandes des hommes, maris, pères, frères... 

Propriété privée des vieux pères, les femmes furent les premières esclaves, leur corps fut le premier capital. John Stoltenberg livre ici le point de vue d'un homme sur la sujétion des femmes, ce qui est intéressant. Lui-même ne correspond pas au sacro-saint standard de la masculinité, car il est gay dans une société hétérosexuelle de fer, il a donc forcément subi les menaces et injonctions masculines à montrer tous les signes d'appartenance à la classe sociale des hommes, maîtres et possesseurs qui n'hésitent pas, tous les moyens d'infiltration et d'attrition étant bons à prendre, à " confisquer les rares ressources encore concédées aux femmes, quitte à se prétendre transgenre ". Son texte est aussi un plaidoyer pour un pas des hommes vers les femmes, pour leur lâcher prise de dominants, pour un compagnonnage débarrassé de leur virilité encombrante, cause tant de maux et de coûts sociaux. 

John Stoltenberg est dramaturge : ses textes ont été écrits pour être dits sous forme de conférences, d'adresses, à des publics d'hommes. Un peu à la manière d'Andrea Dworkin, dont il fut le compagnon, laquelle s'estimait elle écrivaine, mais qui, ne trouvant pas d'éditeur, devait déclamer ses écrits sous forme de conférences devant des publics d'étudiantes. Un entier chapitre documentaire est consacré à l'élaboration de l'ordonnance de Minneapolis, puis à l'amendement antipornographie sur lesquels avaient travaillé Andrea Dworkin avec Katharine MacKinnon, juriste féministe, amendement soutenu en 1982 devant la Cour Suprême des USA. Sans résultat. La trivialisation, la dégradation, la torture, le viol de corps de femmes dans la pornographie ont été justifiées, défendues, au nom du Premier amendement sur la liberté d'expression. 

Egalement manuel à usage des hommes, l'ouvrage comporte des passages de conseils à ces derniers. Décapant, sans concession ni tentation réformiste, comme les ouvrages de Dworkin, il est indispensable dans toute bonne bibliothèque féministe. L'ouvrage traduit en français et publié en 2013 est épuisé chez les éditeurs ; espérons qu'il sera réédité rapidement. En attendant, on le trouve dans les bibliothèques publiques.
 
CITATIONS
 
Sur l'arrière-plan historique : " Nous savons que les femmes ont été les premières esclaves et que leurs corps ont été le premier capital. Nous savons que la propriété masculine des enfants est antérieure à la compréhension par les hommes de la relation entre coït et grossesse. Nous ne savons pas ce que les mères savaient, parce que leur savoir a été effacé. Mais nous savons que le premier père savait qu'il était un père du fait d'être un propriétaire ; c'était le paterfamilias, ce qui signifie littéralement 'maître d'esclaves.' "

Sur l'identité sexuelle masculine : " Je soutiens que l'identité sexuelle masculine est une construction de toutes pièces, politique et éthique, et que la masculinité n'a de sens personnel que du fait d'être créée par certains actes, choix et stratégies -qui ont des conséquences dévastatrices pour la société humaine. " 

L'objectification sexuelle (des femmes) est considérée en elle-même comme la norme de la sexualité masculine. 

Sur le contrôle social de la procréation : Pourquoi les hommes s'intéressent-ils plus aux fœtus, enfants à naître, alors qu'ils se fichent généralement de ceux qui sont nés, laissant la charge de leur éducation aux femmes, après les avoir la plupart du temps abandonnées après le coït ? Leur position politique et historique sur l'avortement, remis en cause sous n'importe quel prétexte ou caprice de rédacteurs de la loi s'explique par : "le fœtus est le prolongement du phallus qu'ils ont introduit dans un vagin, avorter consiste donc à le leur couper, en d'autres termes avorter équivaut à une castration." On est toujours dans la femme objectifiée, propriété asservie à leurs buts et fins, pas un être libre de ses choix. 

Sur l'arrière plan politique : " La droite défend la propriété privée des femmes (dans le mariage), la gauche (partageuse) défend la propriété collective et sérielle des femmes " (dans la pornographie, la prostitution, la gestation pour autrui). 

Sur le militaire " Les hommes grandissent pénétrés de la terreur d'offenser des hommes plus violents et d'être attaqués par eux. Entre hommes de pays différents, la dissuasion armée (phallique) contre toute violation du territoire qu'ils possèdent est la première ligne de défense des hommes contre une agression masculine. Les comportements militaires des pays patriarcaux ont pour modèle précis les besoins psychosociaux de défense des hommes contre les agressions personnelles entre hommes. [...] L'agression que craignent les hommes -et la peur sur laquelle est basée leur 'défense nationale', est l'agression venant d'autres hommes, c'est à dire l'attaque homosexuelle. 
Les armes nucléaires sont une extension de la capacité du sadisme des hommes; elles représentent l'ultime capacité de baise, comme attestation de la masculinité. La course aux armements nucléaires ne peut être démantelée sans démanteler les structures psycho-sexuelles de la masculinité elle-même. " 

L'ouvrage chez Syllepse comporte quatre avant-propos : un premier de Christine Delphy, les trois autres des trois traducteurs hommes : Martin Dufresne, habituel traducteur en français d'Andrea Dworkin, Mickaël Merlet, et Yeun L-Y. J'espère que ce billet donnera envie de lire John Stoltenberg et aux éditeurs de le rééditer. C'est un ouvrage indispensable, écrit par un allié. Avec Léo Thiers-Vidal, je n'en connais pas d'autres. 

dimanche 18 août 2024

Babysitter - Joyce Carol Oates : une critique des rapports sociaux de sexe

La fonction politique de l'amour.


Une belle trouvaille sur les étagères d'une de mes bibliothèques municipales avant fermeture saisonnière, j'ai lu cette semaine d'août, sans pouvoir le lâcher, cet avant-dernier roman de Joyce Carol Oates (2023), romancière valeur sûre. Bonne pioche une fois de plus. Ce roman est surtout une corrosive critique des rapports sociaux de sexe, bien que la quatrième de couverture annonce un antagonisme ethnique à Detroit (Michigan) où se déroule l'action située en 1974, entre quartiers blancs suburbains privilégiés encore traumatisés par les émeutes de 1967, et les quartiers noirs défavorisés du centre où seraient forcément regroupés tous les délinquants, violeurs et tueurs d'enfants (dont un, affublé du nom Babysitter par la police, fournit le titre de l'ouvrage). L'habituelle erreur de focus sur l'ethnie à propos de la violence et de la délinquance, alors que le commun dénominateur à tous ces crimes, c'est le sexe masculin.  

" Seuls les faibles tombent amoureux, ils ne voient pas d'autre façon de vivre. "

" Ma mère a découvert trop tard qu'on paie pour ce qu'on ne sait pas dans toute relation régie par un statut juridique.

Hannah, l'héroïne de 40 ans, s'est laissé glisser sur la pente sociale des femmes, le mariage et la maternité sans jamais avoir rien essayé d'autre. Epouse d'un cadre financier propre sur lui, mais qui la délaisse, dont elle ne sait rien des activités, et n'ose rien demander (je pense qu'il y a encore des femmes aujourd'hui dans les classes sociales supérieures qui sont dans cette ignorance), elle a deux enfants en bas âge, une fille de quatre ans et un garçon impérieux de sept ans ; elle est secondée dans ses tâches par une domestique philippine qui assure toute l'intendance. Bien que bénéficiant du prestige social des classes privilégiées, présidente ou membre de clubs de voisins ou de bienfaisance, Hannah est frustrée et se languit entre les quatre murs de sa grande maison. Elle est obsédée par un besoin pathologique d'amour, de passion torride. C'est dans cet état d'esprit qu'elle rencontre lors d'une fête de bienfaisance, un homme dont elle ne connaît que les initiales, qui va savoir la prendre dans ses filets en profitant de son besoin de passion, pour la conduire à ses fins d'agresseur implacable. Elle ne voit pas ou en tous cas ne veut pas voir le sinistre piège qui se forme sous ses (et nos) yeux. Elle est incapable de distinguer le plaisir de la douleur, les rapports sexuels violents de l'osmose à l'autre qu'ils doivent être, de faire la différence entre le viol accompagné de coups, de tentatives d'étouffement et de meurtre, de l'amour, même paroxystique. Elle est totalement subjuguée, dans le ravissement, incapable de la moindre lucidité, conditionnée par un masochisme, sans doute hérité de l'enfance, avec un père autoritaire, étouffant, tout-puissant. 

" Craignant pour sa vie, Hannah n'a pas osé s'opposer à lui, elle a essayé de le flatter, la virilité en lui si avide de flatterie, ne s'est-elle pas faite servile pour pouvoir survivre, ne s'est-elle pas dépouillée de toute volonté, la stratégie féminine instinctive, la stratégie féminine désespérée...

Avec une maîtrise totale de la narration, l'autrice nous distille durant 600 pages des informations disparates qui finissent par dessiner un puzzle terrifiant dont on découvre, à l'instar de l'héroïne qui, elle, s'aveugle, au fur et à mesure de la progression de l'action, qu'il forme un piège diabolique où va tomber irrémédiablement Hannah. Le tueur en série d'enfants n'est qu'un fond de scène, un prétexte permettant à la toile à multiples personnages de Joyce Carol Oates de se déployer : la corruption implacable de la société patriarcale, de son ordre social, et la fonction politique de l'amour : l'annihilation de celles qui marchent innocemment dans la combine, puis doivent marchander leur survie. S'installe même une dimension d'étrangeté, où par moment on ne sait si la Hannah qui parle est morte ou vivante, au vu d'évocations de salle d'autopsie et d'un drain situé sous son corps. 

La vie des femmes en conjugalité, que ce soit de la main droite (mariage) ou de la main gauche (amour clandestin) est un roman gothique. Des Ann Boleyn maquées à des Henri VIII.

De quoi se poser la question : Si nous étions libres, aurions-nous besoin d'amour ? Un texte radical de Ti Grace Atkinson.

Un thriller brillant -et installant le malaise, mais toute l'oeuvre protestataire et noire ("American litterature is dark and protest", disait un de mes professeurs d'anglais) de Joyce Carol Oates n'est-elle pas troublante ?- qui m'a réconciliée avec le genre, alors que dernièrement je lui ai préféré la lecture d'essais, tellement les derniers thrillers que j'ai lu étaient mauvais !

Les citations de l'ouvrage sont en caractère gras et rouge

samedi 27 juillet 2024

Punching ball, sac de frappe, ring de boxe

Dans le sillage de l'affaire Jegou-Auradou, les deux rugbymen du XV de France accusés de viols aggravés après une rencontre en boîte de nuit, par une plaignante argentine, j'ai aperçu il y a une dizaine de jours dans un coin d'écran, la mère de l'un des violeurs présumés (puisqu'il est de bon ton de le préciser en attendant le jugement du tribunal), lors d'un sujet d'actualité. Leurs familles ont été admises à visiter les deux rugbymen incarcérés dans une prison de Mendoza (dont ils sont désormais sortis, assignés à résidence avec port de bracelet électronique) en Argentine, car selon toutes les apparences, la justice considère avoir des motifs suffisants pour cela.

J'ai vu une petite femme, cheveux blancs, solidement entourée de policiers en uniforme, filmée de loin, monter dans une voiture. J'en ai eu les larmes aux yeux de commisération pour elle. Alors qu'elle ne m'en demande pas tant sans doute, qu'elle doit croire son fils innocent, victime d'une menteuse. Toutefois, quand on entend dès le début l'avocate de la plaignante annoncer que "la preuve, c'est le corps de la victime", mordue, battue, portant des traces externes de coups constatés par un médecin légiste, des blessures internes nécessitant une hospitalisation, et quand on a vu les deux mis en examen dépassant de la tête et des épaules les policiers argentins (200 kg et 4 mètres à deux) qui les arrêtaient, on en déduit, si les faits s'avèrent, qu'il s'est agi d'un déferlement de haine virile sur une femme, livrée à deux hommes, ivres de violence, ne se contrôlant plus, la violant à tour de rôle et la cognant pour obtenir ce qu'ils voulaient. Je n'aimerais pas être la mère. Sans induire un seul instant qu'elle y serait pour quelque chose, bien sûr. Je me sens, même sans la connaître plutôt en sororité avec elle. Imaginez le conflit de loyauté ? 

Devoir choisir d'être solidaire de fils violents, violeurs, en reniant sa propre classe sociale, faire l'impasse sur leurs comportements révulsifs, mais répétés à maintes occasions, s'ils jugent que les circonstances leurs sont favorables, à la classe sociale des femmes, obligées de prendre fait et cause pour des hommes qui, alcoolisés, cocaïnés, ce qui ne les excuse en rien, peuvent ainsi décharger leurs frustrations sur plus faible, y compris numériquement, qu'eux ? A moins de s'aveugler, je ne vois pas comment affronter ce conflit sans sombrer dans la schizophrénie. N'étant pas mère moi-même, ce que je considère être le bon choix, compte tenu de ce qui précède et de l'état des rapports sociaux de sexe, dans le cas contraire, je crois que j'aurais quand même du mal à choisir le côté des hommes. Mais la société commande aux familles d'être solidaires, et surtout aux femmes de soutenir leur garçons, ces petits sultans : devoir se tenir aux côtés des agresseurs, en se persuadant que ce n'est pas possible que cela se soit produit, contrairement à ce que nous démontrent les "faits divers" qui se produisent tous les jours. 

Du Moyen-Orient, de l'Afghanistan ou de l'Iran, et du calvaire de leurs femmes prises dans les filets et les diktats de régimes religieux obscurantistes hyper virils, forteresses assiégées haineuses des femmes, aux foyers d'agresseurs sexuels, rencontres, "compagnons" possesseurs, propriétaires d'ici, le malheur insondable des femmes, c'est qu'elles produisent et élèvent (contraintes, pour les cas des pays à idéologie misogyne) elles-mêmes leurs propres oppresseurs, ou a minima, les oppresseurs de leurs sœurs de misère. Un jour, il va falloir apprendre à se défendre dans des modalités encore à définir et mettre en place, à mener le combat, à répondre à cette guerre qu'ils nous mènent depuis le fond des temps. Il ne manque pourtant pas dans "nos cuisines" d'armes par destination ; si "sa" cuisine est le lieu par excellence le plus dangereux pour une femme, elle peut le devenir pour un homme aussi bien. Je sais que les féministes réformistes cherchant recours et budgets auprès de l'état et de ses institutions patriarcales, police, justice, ne veulent pas en entendre parler, qu'elles ne sont même pas prêtes à bannir de leurs invites (comme je l'ai encore lu cette semaine sur Twitter, sous un post annonçant un féminicide) : "Choisissez bien vos maris, Mesdames !" Et si le salut c'était au contraire de choisir de ne pas en choisir ? De ne pas rendre de services ni perpétuer cette classe sociale tant que les choses seront ce qu'elles sont  : à savoir que ce sont toujours les femmes qui vont à l'équarrissage ! Laisser ne serait-ce qu'une porte entrouverte, une alternative, l'option de ne pas s'en trouver un, serait déjà grandement libérateur. 


" Si la vie doit se maintenir sur cette planète, il doit advenir une décontamination de la Terre. Je pense qu'elle sera accompagnée par un processus évolutif,  par une pression de l'évolution, qui résultera dans une réduction drastique de la population des hommes. " Mary Daly.

samedi 6 juillet 2024

Mœurs du Néolithique

 Hier comme il faisait beau et pas trop chaud, j'ai décidé d'aller passer l'après-midi à ma Ferme conservatoire de la Bintinais, surtout pour aller dire bonjour aux bêtes qui sont bien les seules à présenter un intérêt en matière d'interaction sociale, comme on va voir. Un de mes anciens collègues de travail avait l'habitude de me dire : "Tu sais, nous on n'a pas tant que cela besoin de socialiser !", cultivant un côté (complètement surjoué) d'asocial que lui et sa femme n'avaient pas. 

J'aurais pu lui répondre avec un peu de répartie que socialiser pour moi, c'était aussi bien avec des bêtes qu'avec des humains, et que je ne voyais pas trop la différence en matière de bienfait. 

Donc, direction La Bintinais. Une fois franchie l'entrée avec employée qui se contente de vous demander votre code postal depuis que (hélas) les musées sont gratuits, je n'avais pas plutôt fait dix mètres, que j'ai été rattrapée par un tracteur tirant une tonne à eau ! Tournée des champs et remplissage des abreuvoirs dans les pâtures, en balançant un nuage de poussière au nez des visiteuses sur les allées empierrées. Ah oui, j'ai oublié de préciser, mais est-ce bien nécessaire, que le tracteur est piloté par un mâle en combinaison Adolphe Lafont, mâle qui se la joue fermier éleveur, comme ceux de la FNSEA. Donc, ralentir pour épargner les passantes ne fait pas partie de son équipement de base. Brutalité, impolitesse, bruits de moteur et pétarades afférentes au "travail" masculin. Bref, il m'a suivie sur tout le circuit, je ne savais plus où me mettre, ni où me diriger ! 

Mais le pire est à venir. Ayant enfin trouvé un banc où me poser et sortir mon roman en cours, il ne s'était pas passé 10 minutes que des cris de Huns précèdent l'arrivée de quatre Attilas de sexe mâle, 5 ans à tout casser, dont l'un était équipé d'une épée Excalibur haute comme lui, qu'il n'a pas lâchée de tout le parcours, ne me demandez pas pourquoi, mais à la réflexion, certainement un indispensable attribut phallique, comme le tracteur précédemment cité. Deux cents mètres derrière, suivent deux mères de famille, sac à dos et smartphone en main. Il fallait tout de même se persuader que ces mômes étaient à elles pour ne pas courir avertir la réception que quatre enfants garçons abandonnés venaient d'être lâchés dans la ferme. Et comme, dans un timing parfait, un autre employé venait de sortir les cochons de leur soue pour les faire se désaltérer d'une boisson rafraîchissante en guise de quatre-heures, les quatre gars, toujours poussant des cris, ont escaladé les barrières de l'enclos, l'un proférant à tue-tête plusieurs "gros cochon", "gros porc" bien spécistes devant ses camarades. Diffamer pour mieux tuer et manger ensuite : la leçon est inculquée et assimilée jeune. Jambon coquillettes ce soir en guise de souper, ça ne va pas louper. 

C'est là qu'on comprends l'utilité dans cette ferme des triples barrières (clôtures en bois et clôtures électriques haute et basse) séparant les bêtes des maltraitants spécistes sans pitié de l'espèce humaine. Sans ces clôtures, les bêtes seraient carrément en danger ! 

J'ai finalement réussi, malgré les obstacles, à rejoindre la pâture de l'ânesse Gris du Cotentin, et de la jument Trait breton qui me reconnaissent à la voix et répondent à mes salutations d'arrivée et de départ chacune dans sa langue, au grand étonnement des autres visiteurs, quand il y en a de présents. Quand je suis en forme, devant leurs airs estomaqués, j'explique que, vu que je ne mange pas de chair animale, je sens l'herbe comme elles, et qu'intelligentes comme elles sont, ça fait certainement la différence. Je suis également polie avec elles, je ne hurle pas des slogans péremptoires ni ne me méprends sur leur sexe (Oh le cheval, oh l'âne, couramment entendus, comme s'il y avait des mâles dans cette ferme !). Au moins moi, je ne fais pas de remarques style, 'c'est bon en rillettes aussi', ou 'Tiens, ça me fait penser qu'il y avait une boucherie chevaline en bas de la Rue Le Bastard, dans le temps !". 

Tout ça pour en arriver à dire que si on continue à élever les garçons de la sorte sans rien changer, ce n'est carrément pas la peine de perdre son temps en combats segmentés, spécialisés : égalité des chances et des salaires, dénonciation du viol et de la prostitution, des violences faites aux femmes et à la nature,  sans jamais remonter à la racine des choses. Ils sont clairement préparés à être des ayant-droit, à se comporter comme tels, à dominer toutes les espèces, même la moitié de la leur ; ils en parlent mal, et traitent idem. Ils passent les premiers, en écrasant, en émettant du potin, en faisant des fumées et des poussières asphyxiantes. Et il n'y a pas vraiment de résistance en face. Boyz are boyz, boyz will be boyz, slogans de résignées, révélant une absence de conscience de classe,  une fascination pour leurs mauvais comportements, une impossibilité de nommer les choses, donc de les faire cesser. On sait pourtant de quoi ils sont capables dès douze ans : ravager, dégrader en violant, des filles de leur âge, en les traitant de "putes" pour des motifs misogynes, racistes, antisémites. Ou, footeux de 18 ans "espoir" au Stade rennais, de heurter une femme qui est décédée des blessures occasionnées, en roulant trop vite en trottinette sur le Mail François Mitterrand. Typique délinquance routière. Mais il semble que s'attaquer à la racine du problème n'est toujours pas d'actualité ; pourtant ce serait mieux que se battre les flancs en se lamentant sur la "violence de la société", en mode l'universalisme a des couilles, toutes dans le même sac. L'embrouille est parfaite.   

PS - Je n'ai pas de certitude que c'était intentionnel, aussi je ne le mets pas dans le corps de mon billet, mais un raclement de gorge et un crachat, même discrets, balancés en passant à trois mètres de moi, au même endroit le même jour, je n'arrive pas à penser que c'est fortuit. Vu que c'est assez habituel, j'ai tendance à penser que c'est une façon de nous cracher leur mépris au passage.

Spéciale dédicace de ce billet aux garçons (même âge environ que les précédents) de mon quartier qui jouent au foot sous mes fenêtres durant des heures tous les soirs depuis des semaines, sans doute encouragés par le calamiteux Euro de foot 2024 et ses milliardaires poussifs en shorts et maillots laids, le tout en impunité, les gardiennes de sacristie patriarcale, employées de mon propriétaire, ne daignant ni me répondre ni sanctionner, alors qu'il y a préemption de l'espace public et de la tranquillité des locataires par les mâles. Couché les bréhaignes ! 

jeudi 13 juin 2024

The Duchess : Georgiana Spencer Cavendish. Ou les stratégies des femmes pour survivre en patriarcat

Ce film, sorti en 2008, production franco-italo-britannique réalisé par Paul Dibb tourne en boucle sur les chaînes de la TNT. Il y est multi diffusé. Je l'ai revu récemment : il me semble être un bonne somme des stratégies que durent déployer les femmes, ici du XVIIIe siècle, mais sans doute aussi des siècles précédents et suivants, pour survivre sous la féroce loi des vieux pères. 


Dans son ouvrage Au NON des femmes, Jennifer Tamas écrit que notre époque est incapable d'imaginer la violence des rapports entre les hommes et les femmes avant la fin du XVIIIe siècle, violence exercée par les hommes contre les femmes évidemment. The Duchess raconte la vie d'une personne historique : la Duchesse Georgiana Cavendish née Spencer, femme aristocrate qui vécut entre 1757 et 1806 en Angleterre.

Les stratégies de survie des femmes, ici aristocrates, se révèlent à travers divers personnages féminins, de la mère comtesse à la fille devenue duchesse, en passant par la concubine maîtresse du Duc. Ca m'a paru terrifiant. 

La mère, stratège marieuse accomplie, vend sa fille de 17 ans contre un titre de noblesse supérieur au sien, de comtesse à duchesse, pour acquérir plus de statut social, concentrer les fortunes et agrandir les domaines. Il y a une contrepartie bien entendu, la production par la femme vendue, sa fille, d'un héritier mâle au Duc Cavendish. Aucune révolte chez Georgiana, elle accepte le contrat sauf qu'elle doit subir la naissance de deux filles aînées, que le garçon se fait attendre, et que le contrat peut être dénoncé puisque sa partie à elle est non remplie. D'où les visites de la comtesse mère à sa duchesse de fille pour l'exhorter à tout bien faire comme il faut, même accepter des affronts cuisants. Par exemple, Georgiana se laisse imposer sans discussion une fille bâtarde du Duc, provenant d'une liaison extra conjugale, fille qu'elle élèvera comme les siennes et à laquelle elle s'attachera. On verra dans le développement du récit que cela ne marche plus de la même manière quand c'est elle qui met au monde un bâtard, issu d'un amour romantique avec un jeune homme politique prometteur. Son enfant lui sera arraché sans pitié par le mari tout-puissant dès la naissance, et envoyé chez une nourrice à la campagne, au grand déchirement de sa mère. 

Le Duc dans le film est un pleutre mal élevé, capricieux et mauvais coucheur, mais comment pourrait-il en être autrement puisqu'il n'a qu'à exiger pour être obéi, maître, saigneur et possesseur qu'il est ? A une réception chez lui, il plante sa duchesse seule en bout de table où elle joue à l'hôtesse parfaite, "parce que la compagnie est ennuyeuse" et qu'il préfère aller dormir plutôt que d'écouter des inepties. Surtout celles de sa femme qui se pique de donner son avis politique et que ses hôtes écoutent ? Elle se retrouve donc seule à taper la discute, elle qui n'a aucun droit, surtout pas celui de voter, avec une cinquantaine de mâles titrés.

Evidemment, pour le plaisir amoureux ne comptez pas sur le duc non plus ! Il consomme. Pour lui, l'acte sexuel est une sorte de viol, il y a d'ailleurs une pénible scène de viol conjugal à un moment du film, il n'y met aucune forme, tant et si bien que Georgiana sera initiée au plaisir sexuel et aura son premier orgasme avec.... une femme, son amie Elizabeth Foster, divorcée et mère de deux enfants, qui n'a plus de toit parce que plus de mari. Le conjugo au XVIIIe siècle, précédents et suivants : le mari qui n'a rien à démontrer est un mauvais coup au lit. 

Elizabeth Foster doit elle, utiliser une stratégie d'entrisme, se faire bien voir, et trahir la Duchesse en acceptant (je ne parlerai pas de consentement, les forces en présence étant peu en faveur de cette pauvre femme éperdue) que le Duc l'impose comme maîtresse et vienne dans son lit. Les deux femmes (amies au départ, rappelons-le) se retrouvent donc rivales dans le foyer du Duc Cavendish qui les montre ensemble en toutes circonstances sociales. Elizabeth est évidemment victime elle aussi : elle plaide sa cause comme une question de survie pour elle et ses enfants. Divorcée, désargentée, sans toit ni revenus, elle doit accepter de tromper sa meilleure amie avec le mari de cette dernière. Les deux sont bel et bien piégées en système patriarcal tout puissant, et doivent s'arranger avec le système puisqu'elles ne peuvent le changer. 

D'un bout à l'autre du film, on voit des femmes asservies, malgré leur haut rang et leur statut social, et un patriarcal arrogant qui impose son bon plaisir à tout le monde, épouse et maîtresses incluses. Epouse qui supplie qu'on lui laisse ses enfants, soumise au chantage de devoir abandonner un nouveau-né sous peine de se voir retirer ses enfants légitimes. Le double standard est omniprésent. On a comparé le destin de Georgiana à celui de sa lointaine parente, Lady Diana Spencer, princesse de Galles (1961-1997). A part le fait qu'elles étaient toutes deux mariées à des pleutres capricieux exigeant qu'elles poulinent un héritier mâle, la comparaison s'arrête là, leur destin est différent. Georgiana s'intéressait et se mêlait de politique, Diana se dépensait en bonnes oeuvres. Pas exactement un surclassement. Georgiana Spencer était consciente que les dés étaient pipés en sa défaveur, elle s'en arrangeait en renâclant auprès de sa mère, en négociant le plus possible avec le tyran. Diana s'est fait piéger par l'aaaamourrrr, elle est tombée dans les rets d'une famille cynique et arrogante qui l'a plantée dans ses appartements après sa nuit de noces, le mari retournant à ses amours antérieures. Georgiana ne s'embarrasse pas de sentiments sauf ceux, indéfectibles, qu'elle éprouve pour tous les enfants qu'elle a élevés, elle sait qu'elle est l'enjeu d'un contrat social, qu'elle a un prix. Diana se laisse embobiner dans le conte du Prince Charmant. 

Autre époque, même classe sociale, mêmes pratiques. 

Tout cela pour montrer que c'est de là que nous venons, nous les femmes. De l'esclavage, de l'échange néolithique des femmes pour faire société, gagées, même encore à naître, dans le ventre de nos mères, vendues, prêtées pour la domesticité ou la prostitution, servant de lettre de change et de reconnaissance de dettes. Serves. Attachées à une propriété, violées, raptées, ravies ; butins de guerre, échangées lors des razzias, trophées distribués aux vainqueurs (survivance qu'on retrouve dans la stratégie actuelle de Boko Haram, de Daech, des Talibans...) et qu'il a fallu survivre, monnayer en courbant l'échine le fait de rester en vie. Nous sommes toutes des survivantes. De la famine, des guerres, de la reproduction à laquelle nous avons payé sur notre santé et notre vie un lourd tribut, des rivalités mâles et de l'injustice de notre sort. Tout cela a traumatisé, laissé des traces, abîmé notre psyché, nous a castrées métaphysiquement, si bien que nos réflexes en face de leur violence, c'est la sidération, la trouille, la peur de faire mal à un agresseur, mal qui se retournerait contre nous, le masochisme, le réflexe d'obéir et de subir l'emprise plutôt que se révolter, la soumission en somme. Aucun animal, à ma connaissance, n'est "sidéré" quand il est attaqué, il se défend, jette toutes ses forces et sa ruse pour se tirer des griffes et des crocs du prédateur, il arrive même qu'ils y échappent laissant l'attaquant tout étonné que ce fut si peu facile. 

Un exemple vécu cette semaine, que n'importe qui d'un peu attentif peut reconnaître dans sa vie de tous les jours. Un chantier dans ma rue creuse un grand trou pour changer une canalisation veille de 40 ans. Barrières partout, dalles explosées, escaliers et trous périlleux à franchir, une tractopelle à grand renfort de boucan creuse, deux mecs regardent ailleurs. J'arrive, j'en ai plein de dos, j'ai une lombalgie, je vais au culot (je suis culottée, ça m'a sauvé la vie des quantités de fois, le culot c'est ma stratégie de survie à moi !) vers le gars près de l'accès barriéré. Puisque je suis là, je vais vous ouvrir me dit-il. Vous êtes trop bon Monseigneur ai-je failli répondre en faisant la bossue à pied bot, mais, poliment, je me suis contentée d'un sobre merci. Et ayant traversé, se matérialise devant moi, out of the blue, une dame conduisant un énorme trolley avec quatre enfants du même âge dedans. Et portant de grosses séquelles de ce que je viens de décrire ci-dessus, comme vous allez constater. S'adressant au gars du BTP elle demande si elle peut elle aussi bénéficier du passage. Je vous promets, elle a REMERCIE le mec qui l'a laissée passer TROIS FOIS ! A la troisième, j'ai un peu fondu une durite et exaspérée, je l'ai suppliée d'arrêter de s'excuser. "Mais ils travaillent quand même", me signale-t-elle ! Et vous, vous vous baguenaudez avec vos quatre mômes du même âge qui ne sont pas à vous ? J'en ai perdu mon sang-froid et toute mon élégance habituels. Nounou, c'est moins bien que gars du BTP ? Nounou, c'est pas un boulot ? Payé. Mal. Mais payé ?  Le conducteur de tractopelle n'en a pas perdu une miette. Je suis partie exaspérée, il sont restés discuter, sans doute en me cassant du sucre sur le dos. L'énervée du quartier. Je ne comprends pas qu'elles ne voient pas l'escroquerie, l'esbroufe qu'est l'emploi masculin ! La pire application en est la balayeuse de ville à moteur thermique qu'eux seuls conduisent. Ils font mine de nettoyer les caniveaux tout propres, en laissant des trottoirs et des places entières jonchées de mégots et des saloperies diverses parce l'accès est impossible à leur machine. Mais il en existe plein d'autres de ces escroqueries.  Les mecs s'emploient à des boulots inutiles, touchent un salaire, les femmes travaillent, en bénévolat ou mal payées, dans le soin. 

Elles assurent toutes les corvées utiles du globe, elles soignent les corps jeunes, vieux, malades, la Terre, elles réparent l'entropie, elles gardent, éduquent, élèvent les enfants, avenir de l'espèce (voir billet précédent), mais leur travail, leurs emplois sont toujours subsidiaires, l'emploi étalon est toujours celui des mâles, fût-il inutile, destructeur, nuisible même. Le conditionnement est tel qu'ils n'ont même plus besoin de froncer les sourcils, elles se précipitent au secours de la forteresse assiégée, la reddition est totale. La conscience investie, phagocytée, à la manière de ces jumeaux chimériques, deux en un, dont l'un a définitivement absorbé l'autre. Tout cela est le résultat d'un asservissement que seules les bêtes ont connu au même niveau à travers la protohistoire et l'histoire qui, comme chacune sait est toujours racontée par les vainqueurs, et où les femmes occupent toujours le rôle des vaincues. L'héritage de Lady Georgiana Spencer Cavendish, résistante, survivante, militante politique émérite un siècle avant les Suffragistes, s'est perdu dans les sables de l'Histoire des vainqueurs.  

Lady Georgiana Spencer Cavendish peinte par Thomas Gainsborough : 


mardi 28 mai 2024

Pour une politique écoféministe - Ariel Salleh


Ecofeminism As Politics: Nature, Marx and the Postmodern
Je l'ai lu cette semaine en français sous le titre Pour une politique écoféministe, sous-titre Comment réussir la révolution écologique. Je préfère nettement le sous-titre en anglais, bien plus descriptif et exact : Nature, Marx and the Postmodern de l'ouvrage écrit en 1997, par l'autrice Australienne Ariel Salleh.

Il s'agit d'une épistémologie (critique) féministe du marxisme, de sa dialectique Homme (sexe) / Nature, de son matérialisme désincarné, dans la lignée des Silvia Federici, Marilyn Waring, qui sont déjà familières aux lectrices de mon blog. Marx fut pourtant un des premiers à inclure la nature dans sa théorie, mais il tombe ensuite dans l'ornière bien masculine de l'invisibilisation des femmes en tant que (re)productrices. 

Les femmes exécutent 70 % des corvées, entendez travaux domestiques d'entretien, de restauration des corps jeunes et vieux, et des champs, quand elles sont agricultrices vivrières, de la nature, de lutte contre l'entropie, pour seulement 10 % de la masse salariale de la planète. Selon Ariel Salleh, considérant ces chiffres, toutes les femmes sont du Sud. Le travail des femmes est donc du travail fantôme, alors qu'il est pourtant indispensable à la bonne marche des choses familiales, sociétales, planétaires. Ariel Salleh plaide donc pour une "incarnation" de leur contribution via la reconnaissance du care (soin) aux autres, au biotope, aux animaux, à l'économie, dans une perspective écoféministe via une comptabilité différente des PIB nationaux. " La femme qui nettoie la maison ne travaille pas mais le soldat qui la bombarde, lui, travaille " assène-t-elle dans son ouvrage qui compile tous les ratages patriarcapitalistiques : mythe du progrès technique aliénant et destructeur qui a mis la reproduction humaine et le corps des femmes à la découpe ; destructions, entropie, surexploitation, épuisement des femmes et de la Nature. Puis expansion néo-coloniale au nom du progrès et de l'aide au développement qui annule et détruit irrémédiablement les savoirs autochtones agricoles, notamment ceux des femmes, de leurs cultures vivrières dont elles vendent les surplus sur les marchés, surplus concurrencés par les productions industrielles subventionnées de l'hémisphère Nord.
 
Les féministes libérales qualifiées de "fémocrates" eurocentrées (versus "womanist", mot qu'Ariel Salleh propose à la place de féministe) en prennent pour leur grade, accusées de défendre uniquement l'égalité avec les hommes, et donc de vouloir conquérir des postes dans une économie dominée par " la confrérie des costard-cravate ", les mêmes emplois postés masculins en adoptant et exportant le modèle, niant l'apport des femmes du Sud, en faisant double journée pour un demi salaire (journées de travail de 15 heures si elles ne sont pas aidées) ou aidées mais faisant appel à des nounous, généralement des femmes "du Sud" mercenaires, à qui elles confient le "care" : " la Femme représente une 'condition de production économique' au même titre que la nature externe ". 

Travail domestique : initiative et organisation
Le travail non rémunéré des femmes dans la sphère domestique est décrit par l'autrice comme non seulement nécessaire, mais portant une vision holiste, demandant des qualités d'attention soutenue, "endurante", de vision globalisante, de management en pensant aux conséquences, d'anticipation, bref, des qualités de management et d'ingénierie, au contraire du travail en miettes, en séquences de production sans vision de ses finalités, de la classe ouvrière et même des techniciens des économies de l'hémisphère Nord. Après tout, faire la liste des courses est une tâche d'ingénierie, alors que la tâche de faire les courses peut être confiée à n'importe quel grouillot (par exemple votre mari, 'homme entretenu'), muni de la liste.
 
Mais on cherche en vain la réussite de la révolution écologiste promise dans le sous-titre français du livre. Quelques expériences couronnées de succès et médiatisées sont bien sûr tentées et réussies en Inde avec Vandana Shiva, en Afrique avec Wangari Maathai, et bien d'autres, mais il semble que trente ans après, le monde glisse vers l'effondrement et l'entropie portées par le croissantisme illimitisme inamendables des hommes, par l' "ethos prométhéen de l'économie patriarcale ". " La croissance contient son contraire dans l'entropie et l'effondrement. "

" Les produits de l'accouplement masculin apollinien nécrophile sont bien sûr la 'descendance' technologique qui pollue les cieux et la Terre. Etant donné que les nécrophiles se passionnent pour la destruction de la vie et qu'ils sont attirés par tout ce qui est mort, mourant et purement mécanique, les 'foetus' fétichisés du père (re-production / répliques d'eux-mêmes), auxquels ils s'identifient passionnément, sont fatals pour l'avenir de cette planète.
Mary Daly, toujours inflexible et impeccable. 
 
L'ouvrage est truffé de mots-valise à la Jacques Derrida : destructuration du langage et recomposition en termes féministes : M/Other, womanist, fémocrate, et le magnifique Re/sister entre autres !
 
Les neuf premiers chapitres sont passionnants ; les trois derniers se perdent hélas un peu dans un jargon philosophique qui décourage la lecture. Et on attend en vain de ce manuel des solutions pratico-pratiques d'un début de mise en oeuvre. Comme toujours, les féministes sont inégalables dans l'analyse et la déconstruction des modèles masculins et virils à l'oeuvre, mais moins dans le passage à la pratique. Selon moi, il comporte aussi un point aveugle qui passe sous les radars d'Ariel Salleh : c'est que le patriarcat est un système universel, c'est un fait anthropologique. Critiquer les fémocrates eurocentrées du Nord, autrement nommées féministe libérales réformistes, je suis d'accord avec elle. J'aurais même pas mal de reproches additionnels à faire valoir à leur encontre, comme la quête perpétuelle de "moyens" auprès des agents de la société patriarcale que sont la police et la justice sans jamais aucune mise en garde des femmes, ni aucune proposition pour se défendre elles-mêmes contre les violences de l'agresseur intime ou autre. L'égalité et le victimaire. Ne pas voir les hommes patriarcaux qu'on a chez soi, c'est de la cécité, ou minimum, un angle mort, mais c'est commun chez les femmes : Ariel Salleh est australienne, revendiquant ses racines aborigènes, tribus, peuples Premiers d'Australie, or je crois que la Maison des hommes, où les hommes seuls, entre eux, discutent organisation sociale et politique, et toujours strictement taboue aux femmes, même aux activistes reconnues de la défense de l'environnement et de l'écoféminisme, est toujours en vigueur dans ces sociétés. Hormis toutes ces réserves, dues à mon esprit prompt à critiquer, un ouvrage stimulant à lire, évidemment. 

Sont évoquées dans l'ouvrage des féministes, écoféministes qui seront familières pour certaines d'entre elles à mes lectrices et lecteurs, puisque j'ai publié quelques-uns de leurs textes ou parlé de leurs ouvrages sur ce blog : Vandana Shiva, Silvia Federici, Marilyn Waring, Mary Daly, Marti Kheel et Carol J Adams, féministes anti-spécistes incluant les animaux dans leurs thèses féministes, Maria Mies, Luce Irigaray, Alice Walker.

Quelques morceaux de bravoure qui donnent le ton, mais il y en a plein d'autres :

" Durant la puberté, les femmes prennent conscience des paramètres à long terme de leurs rencontres sexuelles, et si elles ne les comprennent pas immédiatement, elles paient le prix de leur manque de compréhension. Il n'y a aucune occasion biologique comparable pour aider les hommes à dépasser leur penchant pour le gain à court terme et le transfert des coûts à long terme vers les autres -les femmes, les autres groupes sociaux, l'environnement.

" Cette compulsion à produire semble bien avoir amené le reste de la vie sur Terre au bord de l'anéantissement. Selon O'Brien, la conscience aliénante des hommes a inventé des 'principes de continuité'  compensatoires tels que Dieu, l'Etat, l'Histoire et aujourd'hui les Sciences et la Technologie pour tenter de surmonter sa fracture empirique vis à vis du processus vital et du 'temps naturel'. La gynécologie moderne, la fécondation in vitro, la maternité de substitution et les recherches en biotechnologies imitent les capacités génératrices des femmes pour pouvoir porter le pouvoir des hommes au plus haut. Les corps des habitantes des pays en voie de développement sont envahis et exploités pour étendre les frontières eurocentrées. "

Tout cela aboutit au " chauvinisme humain : une estimation arrogante de la mesure dans laquelle les hommes peuvent interférer avec des phénomènes complexes, imparfaitement compris, et les maîtriser. "

C'est pour cela qu'ils font déjà pleuvoir en arrosant les nuages de iodures d'argent comme en Chine, qu'ils veulent réintroduire le bison en France, (alors qu'ils tuent leur quota de loups mal vus des éleveurs de bêtes à traire, loup espèce pourtant protégée), voire qu'ils veulent recréer des dinosaures à base de cellules de fossiles, et qu'ils modifient les gamètes des moustiques pour éradiquer les porteurs de chikungunya. La géo ingénierie est leur nouvel ethos prométhéen ! Bienvenue dans leur monde d'après, ça fait carrément froid dans le dos. Il va falloir choisir entre le féminisme ou la mort. Et vite encore ! 

Les phrases en caractères gras sont des citation de l'ouvrage. 

mardi 30 avril 2024

Comment l'humanité se viande - Le véritable impact de l'alimentation carnée

Ecrit par Jean-Marc Gancille, cet ouvrage vient de sortir en librairie.


Dans ce petit essai de 152 pages, Jean-Marc Gancille reprend son plaidoyer commencé avec Carnage (que j'avais résumé dans cet article de mon blog), plaidoyer argumenté pour les animaux, pour une écologie sentientiste, et au final pour une agriculture végane sans élevage et sans amendements animaux. 

La première partie de l'ouvrage rappelle les chiffres affolants d'animaux tués (80 milliards chaque année) pour nourrir les 8 milliards d'habitants qui peuplent la planète, dont 4 milliards environ de classes moyennes aux besoins insatiables. Sans oublier que le carnage se commet également sur les mers et les océans du globe. Le pire, si c'est possible, a lieu en mer. L'emprise humaine de la pêche artisanale et industrielle est en effet bien plus importante que sur les terres, les océans occupant plus de place sur le globe que les terres émergées. Avec les inconvénients que l'on sait maintenant, sauf à vivre depuis 20 ans dans un caisson hyperbare insonorisé. Accaparement de terres cultivables pour nourrir des bêtes, destruction des habitats des animaux sauvages, de la biodiversité terrestre animale et végétale, de la faune marine, réchauffement climatique dû à la déforestation et aux émissions de méthane, pollution de l'air à l'ammoniac, pollution des eaux par eutrophisation avec les rejets d'effluents surchargés en nitrates, tels le lisier de porc, comme en Bretagne, en Chine, dans le Golfe du Mexique, tous littoraux truffés d'algues vertes ou de sargasses, se nourrissant des effluents des élevages.

Avec d'autres risques : antibiorésistance, pollution médicamenteuse, et dégâts pour la santé publique par consommation excessive de protéines et de graisses animales ; risques accrus de mutation de virus provenant de zoonoses frappant des animaux aux organismes affaiblis, tous génétiquement identiques, vivant confinés et mal portants, et donc d'épidémies ravageuses pour les humains. Les maladies épidémiques de grippe, variole, malaria, tuberculose, typhus, diphtérie, rougeole, fièvre jaune, peste, choléra sont apparues il y a 10 000 ans avec l'élevage, du fait de la proximité entre humains et animaux. Aujourd'hui, le virus de la grippe aviaire, particulièrement létal et résistant, qui a dévasté les populations d'oiseaux d'élevage et d'oiseaux sauvages en 2020 et 2021, H5N1, c'est son petit nom, donne des sueurs froides aux autorités sanitaires. Des oiseaux, il est passé aux mammifères, il contamine désormais des bovins. 

L'auteur s'applique dans un chapitre à démythifier nos croyances et démystifier nos sentimentalismes culturels pittoresques à propos de la chasse, de l'élevage et de la consommation de viande. Tels que les prairies stockant le carbone, les amendements organiques "nécessaires" pour les cultures, fumier, purin ou leur compromis moderne, le lisier, l'entretien des paysages par les paysans (dont on sait qu'ils les saccagent, en réalité, pour faire passer leurs gros engins agricoles), le bocage (talus entourant les champs, surtout garants des limites des propriétés et contenant les animaux, les empêchant de fuir), le mythe du "petit élevage" comme de la "petite pêche artisanale", tous aussi destructeurs sinon plus que l'intensif, car à plus forte intensité foncière donc d'occupation d'espace, le pastoralisme (subventionné) ravageant les flancs des montagnes, toujours en guerre contre les prédateurs (loups, lynx, ours) et tous les animaux sauvages accusés de disséminer la tuberculose bovine et toutes sortes de pestes. Le rêve des éleveurs, c'est des animaux sauvages tolérés derrière des clôtures, et des animaux d'élevage dans les vastes espaces sauvages, en contradiction totale avec le contrat des débuts, au Néolithique : des animaux sauvages devenus captifs, vivant en enclos, nourris, soignés, abrités par les humains, contre l'échange de leur vie, leur mise à mort, pour nous fournir en viande en fin parcours. 

Gancille débunke aussi le locavorisme pas forcément plus vertueux s'il est obtenu sous serre chauffée, et last but not least, la fameuse 'transition écologique', en prouvant que l'humanité n'a jamais, au cours de son histoire, transitionné vers d'autres formes d'organisation sociale que celle dont nous subissons aujourd'hui les conséquences. Tous ces arguments sont, de fait, des croyances que nous avons dû nous inventer et entretenir pour justifier le massacre. Comme la croyance indéracinable au "progrès" qui ferait forcément advenir une nouvelle ère de prospérité et de rendements croissants, comme lors de la mythique "révolution verte" des années 1960. 

Jean-Marc Gancille plaide en conclusion pour la sortie planétaire de l'élevage et du système carniste avant que nous ayons tout saccagé pour satisfaire nos estomacs : le désert avance, le chaos climatique menace notre confort et notre vie même ; le futur sera végétal ou ne sera pas. La phrase de Gunther Anders " nous ne vivons plus dans une époque mais dans un délai " est en exergue de l'ouvrage. 

Il y a quelques lueurs d'espoir, tout de même : l'élevage bovin (le plus destructeur) est en perte de vitesse, sans aides, hélas, pour une transition professionnelle en douceur. Ce sont d'ailleurs les éleveurs de bovins qui voient le plus de saisies de leurs animaux pour des raisons de délaissement, cachant mal des cas sociaux dramatiques. Des pays, la tête sous les excréments, tels la Hollande -pourtant dirigée par une coalition de centre-droit-, veulent imposer à leurs éleveurs une diminution de 30 % de leur cheptel, mesure très impopulaire. C'est dire si la situation est devenue intenable. La FAO, l'ONU et l'OMS lancent des avertissements sur les désastres à venir, et des coalitions internationales tentent de démontrer le vrai coût des protéines animales en incluant dans leur prix les nombreuses externalités négatives afin de faire pression sur les institutions européennes, dont il convient de rappeler que le budget de la PAC (Politique Agricole Commune : 37 % du budget de l'UE) contribue largement au ravage et à ses conséquences désastreuses à venir. 

" Arrêter de manger les animaux n'est pas 'un petit geste individuel', mais une décision éminemment politique qui engage le collectif tout entier. Renoncer à la viande et au poisson, c'est exprimer trois fois par jour et au moins mille fois par an, le refus de cautionner un système de domination extrêmement cruel, qui ravage les conditions de vie sur la planète. C'est un choix qui n'a rien d'une préférence alimentaire, mais un engagement qui exprime en permanence l'opposition courageuse à une norme culturelle omniprésente devenue suicidaire pour la société. " 
 
Passer à une alimentation végétale est facile et peu coûteux à réaliser. Cela dépend de chacun de nous de s'y engager et d'en constater les avantages. Il suffit juste de faire une révolution culturelle dans nos mentalités, nos assiettes suivront. Nous avons su nous unir planétairement en 1986 et 2020 pour lutter contre deux fléaux, la destruction de la couche d'ozone par les CFC, désormais bannis, et pour arrêter la pandémie mondiale de COVID 19. Pour la menace climatique, nous devrions pouvoir le refaire ? Même si cela demande un changement de nos croyances, de nos pratiques culturelles et de nos modes alimentaires. Très documenté de statistiques et de références disponibles, émanant d'organismes scientifiques tout à fait sérieux et reconnus, cet ouvrage de bonne vulgarisation est à mettre entre toutes les mains.

NAISSANCE du SAHARA 

" L'anthropologue David K Wright soutient que l'élevage est un agent actif de la désertification du Sahara, qui s'est étendue à mesure que les humains guidaient le bétail vers de nouveaux pâturages. Couplé à la croissance démographique, le pastoralisme y favorise la dévégétalisation et les changements de régime dans les écosystèmes : réduction de la productivité végétale, homogénéisation de la flore, transformation du paysage en une zone dominée par les arbustes et augmentation générale de la végétation xérophile (plantes vivant seulement en milieu aride). Il considère l'introduction des troupeaux comme facteur décisif à l'origine du franchissement de seuils écologiques. C'est l'élevage de pâturage qui aurait catalysé les rétroactions négatives entre les domaines terrestres et atmosphériques, précipitant la désertification du Sahara, autrefois caractérisé par un biome riche en végétation, avec des forêts et des broussailles.

In Humans as agents in the termination of African Humid Period" David K Wright. Cité dans l'ouvrage. 

Les citations en gras rouge et bleu sont tirées de l'ouvrage.