mardi 28 octobre 2025

Par effraction dans le système spéciste

En cette période où les épizooties frappent de tous côtés les troupeaux de bêtes sitôt abattues pour enrayer l'épizootie (dermatose nodulaire bovine, fièvre catarrhale ovine, et la terrible peste aviaire H5N1 qui décime les élevages de canards, oies et faisans), mais où ne sont à plaindre que les éleveurs (snif) et les consommateurs (pourrons-nous acheter du foie gras pour Noël ? resnif), où sont seuls accusés, les oiseaux migrateurs, porteurs de tous les maux car libres et sauvages, j'ai lu cette semaine cet ouvrage de Réjane Sénac qui vient de paraître : la chercheuse y recense les avancées de la cause animale, son histoire, ses précurseur-es, ses stratégies, ses activistes, tous tentant de mettre l'animal dans la politique. 

Put animals into politics 

Les défenseurs des animaux, antispécistes, végétariens et végétaliens, font effraction dans le système politique et économique carniste, et rendent visible la question animale.

Dans son premier chapitre qui n'en comporte que deux, l'autrice décrit les chocs politiques qu'elle et quelques-un-es de ses interviewé-es ont éprouvé comme une effraction dans leurs certitudes (le lapin Pompon, copain de l'autrice, servi en civet par une grand-mère qui ne fera pas plus de commentaire, respectant l'omerta de la viande), les remarques et objections toutes plus stupides (le cri de la carotte) et dépolitisantes les unes que les autres que les végéta*iens et véganes entendent à longueur de repas de famille ou amical, affirmant qu' "une croyance, tant qu'elle est hégémonique, n'a pas besoin d'être logique ou argumentée", que le carnisme est une croyance, donc un obscurantisme, vu qu'on ne ramasse pas de végéta*iens ni de véganes effondrés par pleines ambulances dans nos rues, Réjane Sénac affirme qu'il faut de la force et de la durabilité pour résister quotidiennement à l'injonction matérielle et symbolique à se conformer au banquet spéciste. Il faut aussi surmonter le conflit de loyauté des végéta*iens à l'espèce humaine ! Laquelle d'entre nous n'a jamais entendu qu'au constat des malheurs qui plombent l'humanité tellement à plaindre, malheurs où elle s'applique à se fourrer elle-même d'ailleurs, franchement se préoccuper d'animaux, quel fausse route ! Oubliant que l'empathie doit toujours aller à l'être le plus faible et le plus désarmé, ce que sont les bêtes face à nos fusils, nos couteaux et nos usines de désassemblage ! L'autrice établit aussi des parallèles entre les différentes oppressions : racisme et sexisme, colonialisme et extractivisme. La matrice de toutes les oppressions est le spécisme. 

Et vous, quel(s) choc(s) politique (s) avez-vous vécu(s) pour que vous preniez conscience de l'holocauste animal nécessaire pour (n)vos banquets carnistes ? Pour faire entrer les animaux dans (n)vos considérations morales ? 

Le deuxième chapitre fait l'état des lieux sur les avancées de la cause animale et de sa mise à l'agenda politique. En examinant les différentes stratégies des militants et de leurs associations, spécialisées ou non, mais désormais toutes très professionnalisées : du welfarisme réformiste au radicalisme abolitionniste, du lobbying et plaidoyer auprès des décideurs politiques, aux mains dans les bouses des refuges et des sanctuaires, allant des réformistes libérales aux tenantes de l'exposition par videos des souffrances indicibles des animaux considérés comme des ressources dans les tunnels et les cages des élevages, les transports, la tuerie industrielle des abattoirs -quitte à y entrer par effraction-, les cirques carcéraux, les pratiques de chasse et de divertissement, l'expérimentation sur les animaux, les militants animalistes et antispécistes exposent la boîte noire insérée entre l'élevage prétendu bucolique, et le steak dans l'assiette, ou la découverte médicale sur le cancer pour ne citer que ces deux-là. Chacune expose sa vision du combat à mener, ses stratégies, et les motivations qui les font avancer.

Les activistes et leurs fondations, associations, sont toutes là, Réjane Sénac les a rencontrées, y compris les associations environnementalistes qui prennent en considération l'animal, et prônent une " cosmopolitesse " envers tous les vivants sensibles, sentients. On y trouve aussi toutes les références bibliographiques qu'elle a consultées. Un vrai état des lieux, des méthodes et arguments : si vous aussi avez éprouvé ce choc politique qui vous a fait prendre conscience que votre adhésion au 'banquet spéciste' n'allait plus de soi sans questionnements, ce livre est fait pour vous. Et pour toutes celles et ceux qui s'intéressent à la cause animale, bien entendu. C'est une mine à recommander, aussi bien aux activistes débutants qu'aux chevronnés.

Réjane Sénac est directrice de recherche du CNRS au CEVIPOF, le centre de recherches politiques de Sciences Po.

Spécisme : préjugé favorable à l'espèce humaine, et défavorable aux autres animaux. Renvoi à l'essence, donc essentialisme. Le spécisme est un système politique et économique. 

" Il n'y a pas de propre de l'homme. " ELIZABETH de FONTENAY 

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