" Naître femme, c'est naître à l'intérieur d'un espace restreint et délimité, sous la garde des hommes. La présence sociale des femmes, c'est le résultat de leur ingéniosité à vivre sous cette tutelle à l'intérieur d'un espace aussi limité. "
" Un homme vit à travers son visage, il enregistre les étapes progressives de sa vie. En revanche, le visage d'une femme est potentiellement séparé de son corps. " Susan Sontag - Le double standard du vieillissement.
A travers huit portraits d'actrices, Nicole Kidman, Thelma Ritter, Brigitte Bardot, Meryl Streep, Mae West, Frances McDormand, Isabelle Huppert et Bette Davis, les stratégies pour vieillir et durer dans une industrie cannibale qui se nourrit en permanence de chair fraîche, quand on est une femme. Les choses ne se présentent pas de la même manière pour les acteurs.
La fugue
Il y a eu plusieurs sortes de fugueuses, plus ou moins radicales : par le suicide (Marilyn Monroe), la folie (Frances Farmer), l'alcool, la drogue (Judy Garland), liste loin d'être exhaustive, puis la fuite en prenant ses jambes à son cou pour ne jamais revenir. Dans ses mémoires, Brigitte Bardot rapporte que le dernier jour de tournage de L'histoire très bonne et très joyeuse de Colinot Trousse-chemise, par Nina Companeez en 1973, tournage avec deux chèvres qui jouaient leur rôle de chèvres, sachant qu'une devait finir en méchoui pour célébrer la fin du tournage, Bardot se voit dans une glace et se dit : "qu'est-ce que je fous là, déguisée, ridicule, alors qu'une chèvre va mourir pour un méchoui ? " Elle a 38 ans, elle rachète la chèvre et se barre avec. Le cinéma ne la reverra jamais. Commence une magnifique reconversion pour laquelle elle devra vendre tous ses souvenirs afin de créer sa fondation en 1986, dont la photo inaugurale fut prise lors d'une expédition à Terre-Neuve en 1977 avec Greenpeace, à l'époque dirigé par Paul Watson, image qui fit le tour du monde, et qui fit aussi ricaner pas mal de monde. Aujourd'hui, plus personne ne rigole, la Fondation Brigitte Bardot est puissante, elle intervient sur la planète entière, emploie 200 salariés, elle a littéralement lancé le mouvement animaliste en France, à un moment où personne ne s'y intéressait.
La photo à l'origine de la deuxième carrière de Bardot
C'est vrai qu'elle dit pas mal de bêtises, qu'elle est régulièrement condamnée par les tribunaux pour propos racistes, qu'elle rend schizoïde n'importe quelle féministe en nous vouant aux gémonies, elle qui a réussi ce tour de force : se repositionner, renaître en quittant une industrie cannibale qui a eu la peau de tant de femmes. Mais, comme Murielle Joudet, je pense que BB à force de vivre entourée de chiens, est plus misanthrope que raciste. Elle exerce désormais, " le mauvais génie des vieilles, cette magie noire qui, parce que le regard des hommes ne structure plus leurs choix, leur autorise tout.". Je me souviens aussi d'avoir lu une phrase qui m'avait marquée, écrite par le regretté Cavanna au sujet de Bardot :"elle est la première à avoir défendu les animaux dits de boucherie et à avoir parlé de leur sort dans les abattoirs, dans les années 60, quand personne ne le faisait. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que le sujet n'était pas glamour". Tout oser par conviction. Bardot est devenue vieille à 38 ans.
Etre vieille tout le temps, comme Thelma Ritter. Avoir une tête de 55 ans pendant toute sa carrière ! Thelma Ritter a joué des seconds rôles (supporting characters). On se souvient d'elle dans le rôle de la gouvernante dispensant ses conseils de bon sens à l'indécis James Stewart dans Fenêtre sur cour ; toute sa carrière se passe à épauler les premiers rôles, héros ou héroïnes. Elle jouait des rôles de domestique, cuisinière..., ramenant sa fraise sans qu'on la sollicite, toujours des rôles de célibataire ou de veuve, presque toujours au service des autres.
Se comporter comme les mecs ou exercer leurs métiers, en étant habillée comme eux : Frances McDormand, policière enceinte de 8 mois dans Fargo des Frères Cohen en 1996, poursuivant des tueurs et les mettant en joue dans la position du tireur couché, son gros ventre sous elle. Inoubliable. Dans un autre film plus récent, Three billboards, en 2017, la dernière scène la montre en train de mettre le feu à un commissariat de police ! Une sorte de dirty Harry en somme. Elle est aussi l'épouse d'un des Frères Cohen.
La "hagsploitation" (de l'anglais hag qui désigne une vieille sorcière, composé sur le modèle "blacksploitation", mouvement des afro-américains pour exploiter eux-mêmes leurs talents) : être moche, vieille, et transgressive, d'abord en étant entrepreneuse de sa propre carrière, montrer les horreurs du vieillissement, en rajouter sans épargner personne, ni soi-même ni les spectateurs, ni surtout les producteurs mâles de Hollywood amateurs de chair fraîche, devenir une cannibale comme eux : les deux cas présentés sont Mae West (qui venait du théâtre) et Bette Davis. Toutes deux ont tourné jusqu'à 85 ans passés ! Dans l'inoubliable All about Eve, (Joseph Mankiewicz - 1950) Bette Davis, qui joue une actrice vieillissante, met en abîme la carrière des actrices, condamnées à être toujours remplacées par de plus jeunes, donc plus désirables.
La méthode "Actors Studio" : la technique et rien que la technique, la performance de jeu. Et être "moche", en tous cas être cataloguée comme telle par l'Industrie ! Jouer les vieilles à 25 ans et les jeunes à 55, prendre 30 kilos, ou arrêter de manger pour un rôle, composer sans arrêt. Tout en jouant les vieilles dans La route de Madison, où elle interprète une ménagère épuisée, dans Pentagon Papers une veuve patronne de presse, dans Le diable s'habille en Prada une directrice de presse tyrannique, et dans le biopic sur Margaret Thatcher, La dame de fer, finalement Meryl Streep ne vieillit pas tant que cela. Selon Murielle Joudet, elle est atteinte du syndrome de la Schtroumpfette : seule et unique dans un monde d'hommes, elle doit donc à toute force tenir la place. Epuisant.
Le transhumanisme ou la jeunesse éternelle : 35 years old forever ! Même à 60 ans. Nicole Kidman et Isabelle Huppert. A base de chirurgie esthétique, d'injections de botox, et concomitamment de retouches numériques en utilisant tous les progrès des deux techniques. A tel point qu'elles sont passées de l'autre côté du miroir. Ce ne sont plus des humaines, mais des machines. Dans Elle de Paul Verhoeven (2016), Isabelle Huppert dit légèrement "je crois que j'ai été violée" ! Quand on a vu la scène, c'est on ne peut plus évident pour le spectateur. Nicole Kidman n'est plus que l'ombre d'elle-même, il faut la voir jusqu'au malaise dans Scandale, le film pré-#MeToo, ou plus récemment dans la série The Undoing ! La retouche numérique se fait avec un outil qui s'appelle le "Beauty work" : " une poignée d'artistes utilisent ce logiciel hautement spécialisé dans les dernières étapes de la post-production pour affiner, vieillir, améliorer les visages et les corps des acteurs. C'est cette version des stars que nous, le public, voyons à l'écran ". Et le Beauty work ne parle jamais du Beauty work, inutile donc d'essayer de leur ressembler, c'est peine perdue ; il a été amplement expérimenté et utilisé au moment de la production de L'étrange histoire de Benjamin Button de David Fincher en 2008. Il efface tout, rides, boutons, poils, taches, il peut même corriger le travail des acteurs en renforçant un sourire ou en rajoutant des larmes, par exemple.
Erudit, cinéphile, si vous êtes féministe et aimez le cinéma, cet ouvrage est fait pour vous. On apprend par exemple, que sur le tournage De Eyes Wide Shut, dernier film de Kubrick sorti en 1999, avec le couple Cruise - Kidman, le plateau grouillait de scientologues. Murielle Joudet est critique de cinéma.
" Vieillir, c'est pas pour les chochottes " !
Une dernière citation en écho à la première en tête d'article : Nicole Kidman, belle captive, prise dans des sortilèges, dans des histoires de séquestration (Les Autres...), femme enfermée dans des citadelles métaphoriques du peu d'espace que les hommes laissent aux femmes dans l'industrie du cinéma, et ailleurs, " sa filmographie rumine et délire le motif "Kidman-Cruise" : le mari devient cet étranger qui dort chaque soir à côté de vous, tour à tour défaillant, autoritaire ou menaçant. La vie d'une femme, un roman gothique. "
Les caractères en gras sont des citations tirées de l'ouvrage.
Vu dernièrement "Les jeunes amants". Fanny Ardant y incarne une sexagénaire aimée et amoureuse d'un Melvil Poupaud plus jeune qu'elle. La réalisatrice Carine Tardieu a révélé dans une interview qu'elle a choisi Fanny Ardant parce qu'elle souhaitait quelqu'une qui n'avait pas cédé à l'attrait de la chirurgie esthétique. L'actrice incarne une femme libre qui se fiche de ce que les autres pensent d'elle. Ce devait être Solveig Anspach, disparue il y a quelques années, hélas (j'avais adoré Lulu femme libre et Queen of Montreuil). F A est magnifique mais à la fin, tout de même...
RépondreSupprimerBon je ne gâche pas. Nous sommes évidemment pas très à l'aise avec le vieillissement, même si on ne cherche pas / plus à séduire.
Il y a évidemment des exceptions à toute règle ; la romance, cette obsession de l'humanité et notamment des femmes. Voir le film de Catherine Breillat. Je n'ai pas un souvenir marquant de ce film avec Ardant, toujours vaporeuse. J'ai dû en voir des bouts ;)) Les hommes eux jouent des rôles d'espions, de vieux ronchons, d'hommes politiques.
SupprimerMerci pour votre passage et votre commentaire.
Le commentaire précédent d'un.e anonyme, c'était moi
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