dimanche 24 décembre 2017

Noël iconoclaste : de la maternité

 
 Vierge au buisson de roses - Stephen Locker - Vers 1450

Voilà, c'est Noël encore une fois, cette fête de famille où on finit par s'engueuler en fin de repas, après un long trajet dans les embouteillages ou dans des trains bondés, puisque tout le monde part en même temps, après avoir dévalisé les magasins, tout ça pour fêter la naissance d'un garçon -je sais on nous le vend comme la naissance d'un enfant, sauf que si une fille était née, on n'en parlerait pas. Et bien sûr, tout bénéfice, c'est de la propagande patriarcale pour la maternité.

Quand on est nullipare (techniquement sans enfant), on s'entend souvent poser la question "pourquoi tu n'as pas d'enfant ?" Personnellement, je l'ai même entendu pendant des entretiens de recrutement, ce qui est parfaitement hors-sujet et illégal ! En revanche, jamais personne ne demande aux hommes et aux femmes parents pourquoi, EUX ont des enfants ? On ne questionne pas ce qui se pose d'emblée comme une norme, mais on questionne ses dissident.es. En symétrie, on questionne celles qui ne mangent pas de viande, jamais celles et ceux qui en mangent. Les deux feraient partie de l'ordre "naturel" des choses.
D'ailleurs quand vous posez la question aux parents, pourquoi vous avez des enfants, ils ne savent pas répondre, tant ça leur paraît "naturel". Ce qui est naturel ne se verbalise ni se justifie. Sauf qu'il n'y a pas de nature dans l'espèce humaine, il n'y a que des constructions sociales. Et en ce qui concerne les femmes, il y a de la contrainte : mariages précoces, mariages forcés, enlèvements de fiancées, viols. Et bien sûr, glorification ad infinitum de la maternité. D'où les questions aux femmes sans enfants.

Voyons ce qu'il en est en anthropologie : Nicole-Claude Mathieu citant Paola Tabet.

" L'espèce humaine présente la particularité d'être, par rapport à d'autres mammifères, relativement infertile ; d'autre part, la pulsion sexuelle n'est pas concomitante des mécanismes hormonaux de la reproduction. Il est donc possible d'imposer la grossesse pour rentabiliser le corps des femmes. L'auteur analyse, outre les moyens variés (et souvent violents) qui permettent l'exposition maximale des femmes au risque de grossesse -dont le mariage est dans toute société la structure portante... 
Le divorce potentiel entre sexualité et reproduction dans l'espèce humaine  est ainsi élaboré socialement par la manipulation de l'organisme psycho-physique des femmes : sa canalisation vers l'hétérosexualité et sa spécialisation à des fins reproductives. [...]
Ainsi la reproduction fait-elle en réalité "l'objet d'un traitement social dans toutes ses étapes qui prend la forme générale d'une contrainte à la reproduction, contrainte exercée par les hommes sur les femmes. ".
" La maternité est caricaturalement présentée comme une donnée immédiate de la féminité ".
La rôle de la mère serait biologique, celui du père est de l'ordre symbolique et social.

En France, pays nataliste et croissantiste, la vitalité démographique est toujours présentée comme première condition du caractère durable du développement ; dans l'état français, dit Christine Delphy, sociologue, " la famille a une signification et une fonction précises : il s'agit d'encourager la natalité et le maintien des femmes au foyer, les deux étant considérées comme synonymes. La DEPENDANCE des femmes est valorisée pour elle-même, comme fondement de la famille ". Peu importe que ce ne soit pas vérifié dans les faits : la majorité des femmes devenues mères ont un emploi à l'extérieur du foyer, elles sont donc indépendantes économiquement, mais les différentiels de salaires et les possibilités de promotion réduisent drastiquement cette indépendance, les mères le payent sur leur bien-être et leurs finances, leur carrière. Et même quand les femmes font carrière, être chargée d'enfants permet aux hommes, peu investis dans la paternité, de s'emparer des hiérarchies des entreprises, des postes de décisions, des partis politiques et au final, de garder le pouvoir. Comme les choses sont bien faites, qui favorisent toujours les hommes ! Un tel constat devrait faire douter sur le"naturel" de la maternité ! Tout cela sert bel et bien des fins politiques.

On peut regretter le tournant pris par le deuxième féminisme néo-malthusien au départ, prônant le contrôle de la fécondité, et donc la maîtrise par les femmes de leur destin, le féminisme de "mon corps m'appartient, un enfant SI JE VEUX, quand je veux !". Il a choisi de se tourner vers la défense des mères. Je ne dis pas qu'il ne faut pas les défendre, je dis juste que ce faisant, il a sacralisé la maternité, renforcé l'aspect "vache sacrée" de cette construction sociale qui a tant étouffé le potentiel des femmes, et qui les limite. On est passées en 50 ans à peine de la maternité malédiction, à la maternité choisie, pour arriver à un enfant à tout prix. Les féministes néo-libérales trouvent même génial de pouvoir congeler leurs ovocytes pour continuer à faire carrière et choisir ainsi le moment opportun, puisque des techniques (assez inhumaines, mais passons) le permettent. J'ai trouvé sur Twitter un exemple d'activisme féministe néo-libéral avec une foufoune affichant le slogan "souvenez-vous d'où vous venez" du Lobby Européen des Femmes, qui espère sans doute ainsi lutter contre les violences faites aux femmes !
Ça ne marche pas, ce truc ! Le féminisme réformiste est très poli et très aimable, parfois très inefficace aussi. A mon avis, une foufoune va les laisser indifférents ou les fait rire gras. Et puis, produire au quintal de l'ennemi de classe, il n'y a que les femmes qui font ça, c'est une espèce de malédiction. Prenons le contrepied des diktats patriarcaux, je serais plutôt pour un moratoire sur la production à demeure de frustrés qui nous maltraitent en nous déniant un traitement égal au leur, nous condamnent à leur service et même nous font du mal et nous tuent. Dans un monde fini et surpeuplé, où nous vivons en détruisant des ressources limitées, il est urgent de faire une pause. Le temps par exemple de nous emparer des leviers du pouvoir. C'est, à mon avis, de salubrité publique. Avec eux, nous courons à notre perte, en tant qu'espèce, menacée non de pénurie, mais de trop plein patriarcal. La seule façon de lutter contre la surpopulation qui menace, c'est indéniable, c'est l'EMPOWERMENT des femmes ! La maternité doit être un choix éclairé, pas un destin.

Qui était Marie ? Selon les textes, une très jeune femme -14, 15 ans maximum-, qui se trouve enceinte sans être mariée ; elle fait une fin en épousant un vieil homme qui endosse une paternité qui n'est pas de ses œuvres. Que s'est-il passé ? Dans la vraie vie, hors du conte de la fécondation par le Saint-Esprit ? Qu'est-ce qui est plausible dans cette Palestine occupée par les romains, connaissant les mœurs toujours en cours aujourd'hui dans les pays en guerre et occupés ? Le viol ! Vous vous dites sans doute que je suis passée en mode surchauffe ? Pas du tout : je l'ai entendu dans l'excellente série d'Arte, L'origine du Christianisme, conjecturé par un honorable et savant exégète : Marie a sans doute été violée par un soldat romain et coup de chance pour elle (!), un vieil homme la prend en pitié et offre de l'épouser, lui permettant une sortie honorable, tant il est vrai que de tous temps et sous toutes latitudes, ce sont les femmes qui portent la honte et l'infamie du viol. Les mecs eux, s'en tirent sans être inquiétés. Selon les écritures-propagande patriarcale, elle s'incline et accepte son sort : je suis la servante du Seigneur ! Des enfants, on nous en a toujours collé dans le ventre, consentantes ou non. Ce sont ces femmes contraintes et abusées que j'ai envie de défendre politiquement moi, et je ne crois pas qu'on puisse compter sur les hommes sur ce coup-là non plus. Ils ont bien trop à y perdre.

Les citations qui ont inspiré ce billet sont tirées des ouvrages suivants :
Nicole-Claude Mathieu : L'anatomie Politique ;
Christine Delphy : La maternité occidentale contemporaine : le cadre du désir d'enfant citée par Emilie Devienne : Etre femme sans être mère, Le choix de ne pas avoir d'enfant.

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