mercredi 27 octobre 2010

Moi, la finance et le développement durable : vers l'Investissement Socialement Responsable

Le film de Jocelyne Lemaire-Darnaud sorti fin septembre dans quelques salles de cinéma, Moi, la finance et le développement durable, aborde le sujet de ce que font les banques avec notre argent. Environ 50 % de l'argent des banques provient des dépôts des particuliers, qu'elles prêtent aux investisseurs via des produits financiers élaborés prenant généralement le nom de fonds de placements (FCP, SICAV...).

Les investisseurs institutionnels (Zinzins en jargon trader) qui font fructifier votre argent, dans le film et outre ceux cités précédemment, sont des fonds de pension anglo-américains (par exemple, les Scottish Widows, les veuves écossaises, pour en citer un très célèbre !) mais aussi l'ARRCO le régime français privé des retraites complémentaires, et le Fonds de réserve des Retraites (créé par Lionel Jospin en 1999) dont on parle en ce moment à propos de la réforme : le FRR détient à lui seul 30 milliards d'euros qui sont placés sur les marchés financiers ! Ce sont des masses énormes de capitaux ; vos portefeuilles d'épargne capitalisation viennent s'ajouter à ces masses de capitaux.  D'où l'intérêt de faire de l'Investissement Socialement Responsable (ISR), sujet du film.

L'ISR a été "inventé" par une femme, une religieuse, comptable de métier, en charge de placer et investir l'argent de sa congrégation au mieux des intérêts des religieuses ; or les religieuses de cette congrégation implantée dans des pays en guerre soignaient précisément les enfants blessés par les mines anti-personnel que les conflits "régionaux" laissent derrière eux ! Un jour, en voyage dans une de ses communautés, elle est interpellée par une de ses sœurs qui lui demande : "Tu n'investis tout de même pas chez les militaro-industriels dont nous soignons les amputations d'enfants causées par leurs explosifs ?"  Alertée, Nicole Reille (c'est son nom) a passé en revue tout son portefeuille d'actions en convoquant ses banquiers pour savoir où était placé l'argent de sa congrégation. Voyant que le critère number one, était le rendement maximum à l'exclusion de tout autre, elle a créé elle-même son propre fond d'investissement en sélectionnant ses entreprises selon des critères sociaux, éthiques, environnementaux et de gouvernance. Comme toujours, ce sont des femmes qui inventent dans ces domaines, et ce sont des hommes qui sentant venir la tendance, adoptent à reculons, puis finalement industrialisent ; à ce moment-là, l'inventrice à disparu des écrans radars de l'Histoire, et ils n'ont plus qu'à s'attribuer l'invention !   Nicole Reille est à peine connue, elle est mentionnée dans le film par une femme lobbyiste bancaire qui lui attribue l'invention ! A preuve, les deux traders ISR (Société Générale et Crédit Agricole de mémoire) interviewés sont des hommes ! Mais c'est vrai que la phynance est une affaire d'hommes, pour notre malheur, et comme on le sait depuis août 2008 !

Aujourd'hui, malgré "une aversion de la France pour l'éthique" -phrase entendue dans le film- les banquiers ont des (petits) départements et quelques traders ISR ; les associations Amnesty International, Les Amis de la Terre et Greenpeace ont pour leur part des lobbyistes -voir le deuxième film de Greenpeace ci-dessous- interpellant Michel Pébereau de BNP PARIBAS, "banque nucléaire", première banque mondiale à financer ce secteur, mais aussi les industriels et le grand public, sur l'éthique de leurs financements, comme ce projet de centrale nucléaire en Bulgarie sur une faille sismique (après nous, le déluge !), projet contre lequel les Amis de la Terre ont fait du lobbying.
Ci-dessous la bande-annonce du film Moi, la finance... : je vous rassure, la table à repasser ne sert qu'une fois et de façon ironique ! Le film est un ensemble d'interviews très claires et documentées qui font avancer la compréhension des spectateurs.



Pour être complète sur le sujet, Greenpeace (film en anglais) fait actuellement campagne pour tenter de faire BNP-PARIBAS reculer sur le financement d'une centrale nucléaire à quelques kilomètres de Rio au Brésil, centrale qui recyclerait du matériel destiné il y a plus de 26 ans à la centrale de Tchernobyl et resté stocké en attendant des jours meilleurs, qui  sont arrivés apparemment, après que l'explosion de 1986 ait failli rendre inhabitable la moitié de l'Europe ! Ces pièces, vieilles de plus de 30 ans ne sont plus aux normes de sécurité actuelles. Via le site Stop Nuclear banks (arrêtez les banques nucléaires !) on peut écrire à Michel Pébereau pour lui demander d'arrêter de financer ce projet via nos économies.

samedi 23 octobre 2010

Petite expérience d'éthologie en balade

Un matin où il fait beau, je décide d'aller marcher au bord de la rivière, les mains dans les poches, histoire de faire un peu d'exercice. Ca détend, rafraîchit le teint et permet des rencontres agréables ou désagréables, les femmes dans l'espace public n'étant que tolérées, comme il vaut mieux le savoir.

Ce matin, c'est jour faste : au détour de la berge, j'aperçois un magnifique chat tigré venant dans ma direction. Je ralentis le pas, et comme il s'arrête, je m'arrête aussi. Il a l'air peu farouche et prospère. Il s'asseoit sur son derrière pour m'examiner et décider si on peut être copain copine ou... pas. Il plisse les paupières en me regardant, comme font les chats, sans doute pour se préserver des regards dans les yeux, habitude humaine qui doit les déranger mais qu'ils adoptent en plissant ainsi les leurs ! Les animaux ne (se) regardent pas dans les yeux, c'est un signe d'agressivité.

Finalement, il décide que je suis fréquentable, approche et se laisse caresser. Au bout de quelques instants, il se roule même par terre et sur mes chaussures, se laisse caresser le ventre dans un total abandon. Il est du quartier, c'est indubitable, il a un foyer, il est bien nourri, il porte collier et médaille où à coup sûr, on trouve au besoin son adresse, son téléphone portable et bien sûr son adresse mail, tous accessoires de chats citadins bien dans leur époque !

Cinq minutes d'amitié humano-féline passent quand tout d'un coup, son attitude change du tout au tout ; il faut dire que nous nous faisons face et que chacun voit derrière l'autre. Il se remet brutalement sur ses pattes, se fige, son regard devient vitreux, toute son attitude proclame la défiance. Comme il regarde derrière moi, je me retourne et voit arriver à quelques mètres un chien molosse genre american staffordshire blanc et noir (12 fois la taille du chat minimum) tenu mollement en laisse par une dame. Je me mets sur le côté du chat toujours immobile pour bien observer la scène et laisser le passage ; le chat transformé en pierre n'a pas bougé d'un pouce ; l'atmosphère devient épaisse, d'ailleurs on pourrait la découper en morceaux ; à l'évidence toute son urbanité l'a quitté et les protagonistes témoins de la scène -deux humains et un chien- comprennent instantanément et en langage absolument universel que si jamais il devait y avoir de la castagne, c'est OK, il est de la partie, mais que ça pourrait vraiment saigner au-delà de l'imaginable, si quelqu'un faisait ne serait-ce qu'un faux mouvement !

D'ailleurs, la dame et son chien commencent à mollir du genou : ils regardent le chat avec stupéfaction puis crainte (molosse compris) et amorcent lentement mais sûrement un détour aussi grand que l'étroitesse de la berge le permet ; plus à l'écart, ils barboteraient dans l'eau ! En contournant, le chien bien à l'abri de sa maîtresse, la dame me demande d'un ton réprobateur et indigné "Mais c'est quoi ça ? Il est à vous ce
chat "? ; (c'est inouï, c'est moi qui vais prendre en plus !) ; à quoi, je réponds que non, moi je suis juste une casque bleue, observatrice des Nations Unies et que ma fonction en l'occurrence, c'est peacekeeper ! Je suis pour le dialogue entre les nations espèces.

Ce n'est qu'après qu'ils aient tous deux disparu derrière une courbe du chemin de halage que le chat va se détendre et redevenir "normal", c'est à dire un bon chat amical, un gros chamallow moëlleux ! Voilà, c'est tout. Finalement, il a bien raison ce chat : les emmerdeurs éventuellement gros prédateurs courent les villes, il n'y a aucune raison de se laisser marcher sur les pattes qu'on a délicates par ailleurs, et il est prudent de montrer qu'on est HOSTILE de PRIME ABORD (en tous cas pas amicale, pas aimable comme les parents nous ont dit d'être, souriante, gentille avec le monsieur qui ne nous voudrait que du bien, bonne fille et tout ça) et que si par malheur ça devait tourner au vinaigre, la victoire n'est pas promise au prédateur, qu'on a du répondant. C'est dissuasif ; les éventuels prédateurs se découragent vite si la victoire n'est pas assurée à 99 % et que la victime ne joue pas son rôle de victime. La dissuasion peut vous tirer de très mauvais pas.

Felis silvestris silvestris (Chat sauvage des forêts européennes)
Crédit photo : MarcheLibre

lundi 18 octobre 2010

Puissance et pouvoir : Numéricable fait sa pub en agitant les fantasmes masculins !

Voici le nouveau film publicitaire de Numéricable, tout entier centré autour du pouvoir et de la puissance, grelots masculins :



Ça s'adresse aux hommes ce genre de message : les enfants téléphonent et jouent en réseau, madame (qui n'a pas la télécommande) regarde un film en HD et laisse ainsi les matches, le foot et la phallique télécommande au seul qui ait vraiment le pouvoir, et qui fait plein de choses différentes grâce à la puissance (mot prononcé avec une inflexion renforcée) de la fibre !

Le problème avec ces offres multiples, c'est qu'il n'a toujours qu'un seul petit cerveau, il ne peut donc se concentrer que sur une chose à la fois ; aussi c'est chacun dans son coin, vive la vie de famille !

Pas de doute chez Numéricable dont on peut consulter ICI le Directoire (qui sent la chaussette !) on en a une grosse !

NB : Bon, je l'avoue, je supporte mal cette boîte qui a fait main basse sur les logements sociaux (donc les plus pauvres) et les collectivités locales avec une offre low tech, boîte qui appartient au fond de pension Carlyle Group où seule compte la rentabilité pour l'actionnaire !
Liens pour en savoir plus : L'Expansion, Univers FreeBox, Le Blog Finance.

mercredi 13 octobre 2010

Verbatim 6 : Droits humains

Emelire, Héloïse et Olympe ont écrit à raison un billet pour exprimer leur indignation sur le fait que la Ligue des droits de l'homme s'est exprimée en condamnant plus franchement l'homophobie du texte d'un groupe de rap dont le nom est emprunté aux SA, la milice privée d'Hitler, signalé dans les commentaires par Euterpe (SA : Sturmabteilung, section d'assault), que celui d'Orelsan le rappeur caennais qui exprimait son ressentiment en termes odieux et extrêmement violents à l'endroit de sa petite amie, rappeur contre la prestation "artistique" duquel j'avais manifesté toute une après-midi et toute une soirée à l'époque.

Le fait déjà qu'un groupe de rap puisse emprunter son nom à un groupe paramilitaire nazi sans que cela soulève d'émotion en dit long sur l'apathie et la régression de l'époque.

Je pense également que la Ligue des droits de l'homme porte un nom qu'on doit lire de façon totalement littérale. Elle défend les hommes (mâles) et certainement pas les femmes ; d'ailleurs, en cette occurrence, les homosexuels visés par ces propos ignobles et violents sont des hommes -qu'il faut défendre, on est bien d'accord. Les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne tenaient certainement pas les femmes comme faisant partie du groupe humain dont ils défendaient les droits. La preuve, c'est qu'Olympe de Gouges a pensé devoir écrire une Déclaration des droits des femmes et de la citoyenne qui est une proclamation authentique de l'universalisation des droits humains ! C'est que vu de l'époque, les femmes faisant partie de l'humanité n'était pas une idée allant de soi. Et les pesanteurs culturelles et historiques sont fortes, et elles persistent dans la langue ! Les psychanalystes dont je me méfie des discours à l'endroit des femmes et des mères, disent en revanche cette phrase : "Il faut écouter le langage". Le langage dit homme, il ne dit pas humain, et encore moins femme. Et les majuscules n'y changent rien. Christine Delphy écrit dans L'ennemi principal que, pas de doute, en faisant référence aux hommes et leur façon se se percevoir, "l'espèce humaine, c'est eux" ! Et on apprend soi-même, en expérimentant un peu, que tout ce qui ne leur tombe pas directement sur les pieds, ça n'arrive tout simplement à personne !

Il faut donc changer le langage : droits humains me paraît tout à fait indiqué ; coup de chance, on n'a même pas à inventer un mot : le conservatisme de la langue française la rend rétive aux changements et toute féminisation, y compris en ajoutant un E au bout d'un mot est toujours considérée dans une majorité de cas comme inutile, voire nuisible à la cause des femmes (!!!), l'exemple de sororité que j'emploie pour féminiser fraternité est une bonne illustration ! Mais puisque humain existe sans discussion, utilisons-le. Cela aura aussi le mérite de rendre la langue plus précise et moins sexiste. C'est agaçant de devoir préciser en permanence pour être bien comprise que par "homme", on entend une sous-catégorie de l'espèce humaine !

Je rappelle d'ailleurs le slogan d'Amnesty International qui pose une double insistance : Les droit humains s'accordent AUSSI au féminin ! Ce qui est terrifiant, c'est qu'il faille sans arrêt le rappeler.

Pas si loin du sujet précédent, trouvé dans Les Nouvelles News le verdict d'un procès fait à Madame LAUVERGEON Présidente d'AREVA, pour avoir osé dire au Women's Forum l'année dernière qu'en matière de recrutement, la primeur n'irait plus "au mâle blanc" ; plainte immédiatement déposée pour discrimination contre le mâle blanc donc, par l'AGRIF, une association chrétienne pour le respect de l'identité française (SIC) : ils ont été déboutés. A rapprocher des plaintes déposées à la HALDE par des hommes qui jugent inéquitable que seules les mères de trois enfants aient droit à compensation lors du départ à la retraite. Ils osent tout, eux, et ils sont tellement sûrs de leur bon droit (ce que nous devrions être aussi) ! 

Madame LAGARDE, Women's Forum approchant, et les résultats du Global gender gap report n'étant pas du tout favorables à la France (46ème, ça la fiche mal pour donner des leçons de maintien au reste de l'humanité !) se lance aussi dans la controverse.

jeudi 7 octobre 2010

Verbatim 5

Petites stratégies d'évitement de la langue ou comment noyer le poisson : cela permet de dire les choses tout en ne les disant pas. Ou de ne pas les dire tout en les disant. Au choix.

Analyse d'une langue de plomb : quelques euphémismes* et litotes* parmi les plus employés.

Famille mono-parentale ou parent isolé : tous ces hommes qui élèvent leurs enfants seuls après que Madame les ait laissé tomber et refuse même de payer sa participation à l'éducation et aux frais de nourriture, les obligeant à vivre des minima sociaux, quel scandale ! J'espère que j'ai bon là ? Plaisanterie à part, 30 % des familles mono-parentales sont sous le seuil de pauvreté selon l'INSEE ; dit comme cela, c'est quand même plus présentable que "30 % des femmes qui élèvent SEULES des enfants contribuant ainsi au remplacement des générations et aux financement des pensions des futurs retraités sont sous le seuil de pauvreté" ; dans le deuxième énoncé on voit plus clairement COMMENT la société hétéro-patriarcale traite les femmes qui contribuent à empêcher "l'effondrement démographique" qui menacerait l'avenir des retraites selon la rhétorique des réformateurs.

Violences conjugales, ou mieux, violences intra-familiales. Qui cogne QUI ? A la façon dont c'est énoncé, le doute est permis. On trouve certainement des hommes battus par leur femme : mais ce sont les femmes qui font massivement les frais de la violence des hommes au sein du couple. Pour rappel, 166 femmes sont tuées par an en France par leur compagnon.

Drame familial : pieuse locution permettant de passer sous silence que c'est en général le père de famille, l'amant ou le compagnon le tortionnaire, la femme et les enfants les victimes. Nous avons eu l'occasion de l'expérimenter jusqu'à la nausée lors de la tuerie de Pouzauges en mai dernier. Plein de gens et pas des moindres, psys notamment : des monsieur tout le monde ayant des fragilités dans un article de LIBERATION à lire ici (psys : les molosses du patriarcat, dit justement Christine Delphy) sont prêts à trouver à ce pauvre homme fragile plein de circonstances atténuantes : surmenage, dépression, overdose de médicaments destinés à le calmer, mais qui vont en réalité provoquer une pulsion criminelle ! Pour peu qu'on n'ait pas l'esprit critique affûté, on compatirait : pauvre diable.

Crime passionnel, crime d'honneur, tous crimes MAIS les circonstances atténuantes sont accordées à l'honneur et à la passion : il l'aime, elle ne l'aime plus, elle LE quitte, il LA tue. Tout le monde a éprouvé un jour ou l'autre les affres de la jalousie : la société mise donc sur la compréhension des citoyens, et des circonstances atténuantes sont accordées aux jaloux ! Quand aux hommes qui mettent leur honneur entre les cuisses de leur femme (comme si les femmes n'appartenaient pas qu'à elles-mêmes et à personne d'autre), la trahison est punissable de la peine de mort. On ne badine pas avec l'honneur masculin.

Jeune : adjectif substantivé utilisé à toutes les sauces : léjeunes ne trouvent pas de travail, léjeunes désœuvrés tiennent les murs dans les quartiers, léjeunes violent les filles dans des caves, léjeunes caillassent la police, léjeunes dealent de la drogue, léjeunes font des rodéos en ville pour tromper leur ennui.

En plus d'être très maltraités par une société qui les éduque et les diplôme sans leur permettre de trouver un travail décent après, où ils constituent les gros bataillons des précaires, du chômage, des pauvres et des mal logés, les jeunes seraient porteurs de tous les maux. Si j'avais moins de 25 ans aujourd'hui, je m'insurgerais contre un tel matraquage, une utilisation aussi massive et abusive du mot "jeune" pour nommer et désigner faussement les responsables de presque toutes les mauvaises actions et de tous les maux de la société. D'autant que soit les filles ne sont jamais jeunes, ou alors elles aussi sont de tous les mauvais coups.
Ce n'est vraiment pas clair : léjeunes seraient une catégorie sociale à part entière, mono sexe ou asexuée, comme en atteste ce texte trouvé sur un site d'emploi : "Depuis 30 ans, [notre association] accompagne les initiatives économiques individuelles et collectives, [ .... ] et s'adresse à tous les publics, demandeurs d'emploi, retraités, salariés, hommes, femmes OU jeunes".

Quand le délinquant a plus de 40 ans (en effet, d'après mes observations, le groupe "léjeunes" en langage journalistique va jusqu'à peu près 40-42 ans, ce qui fait quand même des jeunes faisandés là où on pourrait avoir des seniors ultra-frais) et ne peut plus décemment être qualifié de djeun',  les vocables (par ordre de fréquence) individu*, escroc, hooligan, forcené, voire hurluberlu, viennent opportunément à la rescousse. Là on est en peine de leur trouver un féminin. Ils n'en ont
pas !

Finalement, la vertu est silencieuse et les mauvaises actions sont criantes et tonitruantes. Et soumises à l'honneur de la publicité.

Les femmes généralement sont passées sous silence, leurs vertus et leur calme vont de soi et ne sont donc JAMAIS mentionnées, ni ... appréciées. Mais qu'une femme soit prise la main dans le sac ou ait participé à un casse ou une mauvaise action, cela NÉCESSITE d'être souligné, jugez-en : "deux escrocs DONT une femme...". Et quand on veut faire vraiment peur au peuple, on lance la rumeur d'une femme kamikaze prête à faire sauter sa ceinture d'explosifs près d'une gare parisienne ! Évènement aussitôt démenti comme faux par les services du ministre de l'Intérieur. Les femmes kamikaze existent, elles sont un phénomène ultra minoritaire et pour l'instant cantonné à la Tchétchénie pour des raisons particulières et explicables par le type de répression mené par les russes dans ce pays martyr.

Toutes les citations sont tirées des journaux télévisés et entendues de multiples fois sur toutes les radios, ou lues dans la presse écrite ou sur Internet.

Justement Europe 1 ce matin (5/10) apporte de l'eau à mon moulin (ce billet est depuis quelques temps en préparation et l'actualité me rattrape) : "A suivre, la délinquance des filles qui augmente et qui devient inquiétante" dit MO Fogiel, me confirmant que décidément léfilles ne font pas partie déjeunes. Et après la pub : "Avant la délinquance des adolescentes, la grève à la RATP"  MOF dixit. Je suis sur des charbons ardents : à Europe 1 on tient l'auditrice en haleine. La RATP expédiée, voici enfin le sujet :  La délinquance au féminin, c'est deux fois plus en 15 ans et plus 27 % en 5 ans ; c'est 6 fois moins que les garçons (OUF !) MAIS elle augmente trois fois plus vite. J'y perds mon latin ! 27 % de zéro, ça fait toujours zéro, non ?  7 000 filles ont été arrêtées cette année continue la journaliste (contre combien de gars ? Ce n'est pas précisé !) et elles commettent surtout des vols à l'étalage et règlent par la violence leurs rivalités entre filles et, continue-t-elle, il y a un mimétisme des filles par rapport aux garçons. Bon, d'accord, mais elles n'en sont tout de même pas à chasser le joggeur dans les bois pour le violer et lui faire la peau tout de même ? En revanche elles se font toujours raccompagner les vendredis soir par des mecs bourrés par peur d'être agressées, et elles en meurent dans des accidents de la route, alors qu'elles ne sont JAMAIS au volant, c'est la police qui le dit.
Ce rapport de l'Observatoire National de la Délinquance qui a été repris par tous les médias serait en fait biaisé par de multiples facteurs : outre qu'il joue sur les peurs, sport de saison, il basé uniquement sur des statistiques de police alors qu'une majorité de méfaits ne leur serait pas signalés, que notre seuil de tolérance à la violence s'effondre, que la violence des garçons est mieux tolérée par la société que celle des filles, et que le droit pénal est sans arrêt modifié ce qui fait évoluer la notion de délit, etc... L'article de  RUE89 ici écrit par Laurent Muchielli sociologue, bat en brèche toutes ces approximations basées sur une approche non scientifique -mais utiles politiquement ?

Quelques définitions du dictionnaire Robert :
* Individu : le dictionnaire Robert en propose trois - 1) Tout être formant une unité distincte dans une série hiérarchique, formée de genres et d'espèces ; - 2)  L'unité dont se composent les sociétés : les individus d'une fourmilière ou d'une ruche par exemple : - 3) Personne quelconque que l'on peut ou que l'on ne peut pas nommer ( Ne se dit pas d'une femme au singulier) ! ! ! Il semble qu' "individu" soit plutôt un vocabulaire spécifique de gendarme et de police ; comme "véhicule" à la place de voiture ou auto.

* Euphémisme : Expression atténuée d'une notion dont l'expression directe aurait quelque chose de déplaisant.
 
* Litote : Figure de réthorique qui consiste à atténuer l'expression de sa pensée pour faire entendre le plus en disant le moins. 


lundi 4 octobre 2010

Marina SILVA














Marina SILVA, candidate d'une petite formation, le Parti Vert du Brésil -Partido Verde- et ancienne ministre de l'Environnement de Lula, fait une percée inattendue dans le premier tour de la Présidentielle au Brésil avec près de 20 % des voix.

Comme d'habitude, elle était le point aveugle des sondages qui n'ont rien vu venir ! Environnementaliste et femme, donc invisible ? Marina Silva, analphabète jusqu'à l'âge de 16 ans, issue d'une famille pauvre de récolteurs de latex, premier emploi de femme de ménage, proche de Chico Mendès défenseur de la forêt amazonienne et leader écologiste assassiné en 1988 par des tueurs à la solde des grands propriétaires, elle devient ministre de l'Environnement de Lula avant de démissionner en 2008, hostile aux projets d'infrastructures de barrages sur le fleuve Amazone et ses affluents.

Elle veut faire du Brésil un pays leader de l'économie verte, et combiner défense de l'environnement et développement économique. En arrachant un second tour dans l'élection présidentielle brésilienne où Dilma Roussef, candidate désignée par Lula à sa succession était donnée gagnante au premier tour, elle a désormais les moyens d'imposer l'écologie dans le débat du second tour.

Actualisation 8/10/10 : Comme on en sait un peut plus maintenant sur les raisons du relatif échec de Dilma Roussef (Parti de Travailleurs, donc de gauche et progressiste) qu'on pensait élue au premier tour, il faut préciser que Marina Silva est une chrétienne évangéliste et que, personne n'étant décidément parfait, elle est contre l'avortement. Donc, et ce n'est pas une bonne nouvelle, Roussef clame désormais qu'elle est baptisée et qu'elle est aussi une bonne catholique ! Aussi, bémol à ce résultat !

Actualisation 27/10/10 : Marina Silva, d'après le site InfoSud Tribune n'aurait jamais fait campagne sur le thème de l'avortement : elle reconnaît même que le Brésil est un état laïque et qu'elle ne souhaite pas imposer ses convictions sur le sujet. Les voix qui ont manqué à Dilma Roussef seraient la sanction d'une affaire de corruption concernant son entourage. En attendant Roussef et son concurrent Serra ne manquent pas une occasion de faire savoir qu'ils sont opposés à la décriminalisation de l'avortement ! Précision : une femme meurt tous les deux jours des conséquences d'un avortement clandestin au Brésil.

mardi 28 septembre 2010

Au coeur de l'Industrie

Puisque à l'occasion de la réforme des retraites on parle de celle des femmes et des écarts de salaires et donc de pension avec leurs collègues masculins (sans parler de la précarisation y compris de celles qui n'ont pas charge de famille, et des mi-temps non choisis assumés par les femmes), voici une anecdote qui m'est arrivée il y a quelque temps, anecdote montrant que les femmes ne méritent qu'un statut inférieur. Sursélection selon des critères virils, le double voire le triple d'entretiens de recrutement par rapport aux hommes* pour les candidates femmes, obligation de donner des gages au pouvoir masculin si nous voulons le poste, contrairement à une idée répandue les discriminations que subissent les femmes dans le monde du travail sont rarement frontales et brutales. Il est très mal porté de dire "pas de femmes chez nous" ou de reconnaître que les salaires des femmes sont diminués de 20 % parce qu'elles sont des femmes. En revanche, les petits arrangements, les coups tordus, les pratiques injustes, non éthiques et non professionnelles font les mêmes dégâts.

Contexte
Grande entreprise internationale de l'électronique, implantée sur les 5 continents : l'établissement où je travaille est dans une ville régionale.
Service fabrication
: 3 500 salariés, en majorité des femmes, l'électronique nécessitant une excellente acuité visuelle et une bonne dextérité manuelle, et les femmes ont ces qualités. Service Recherche & Développement (R&D) : 1000 salariés, 95 % d'hommes, les quelques ingénieures qui y travaillent sont pratiquement indiscernables, elles évitent le maquillage, les bijoux voyants, elles sont généralement chaussées de Pataugas ou de Campers et elles portent jeans et bombers, coiffure courte petite tête pour se fondre dans la masse. Quand on traverse le service et qu'on y voit une femme un peu maquillée et habillée, c'est à coup sûr une assistante.
Je suis consultante en ressources humaines (RH) en CDD de 4 mois puis 14 mois, total : 18 mois. Je recrute pour la R&D, les services hardware, hardware radio, software... sous la hiérarchie d'une Directrice des Ressources Humaines (DRH) de la R&D, Marie-Dominique, et plus lointain mais néanmoins là, d'un DRH site. Il y a deux cents descriptions de poste, donc 200 ingénieurs et techniciens à recruter.

Process
Pas de short-list : nous sourçons des CV sur Internet, traitons les candidatures spontanées, et insérons peu d'annonces sur les job boards. Nous lisons les CV, les rapprochons des fiches de postes à pourvoir, les proposons à la lecture aux managers et aux team leaders qui décident de les recevoir ou non. Les rendez-vous (RV) sont pris par une assistante ; trois entretiens sont prévus par candidat-e : un avec la consultante, un avec un manager, un avec un team leader (chef d'équipe), dans la même journée. Les transports sont remboursés aux candidats. L'entreprise pratique ce fléau de la cooptation avec intéressement au cooptant, et il me faut me battre pour que le cooptant n'assiste pas aux débriefings concernant le coopté ! La cooptation est un recrutement sur une appartenance et PAS SUR UNE COMPÉTENCE. On ne dénoncera jamais assez la cooptation mafieuse masculine dont nous faisons régulièrement les frais, parce qu'ils n'arrivent plus à penser, tellement ils sont consanguins !

Un débriefing avec les trois personnes ayant reçu les candidat-e-s suit rapidement, la candidature est examinée en fonction du parcours du candidat, du ressenti de chacun (totalement irrationnel), du poste à pourvoir et de l'équipe accueillante ; la consultante est chargée de conseiller les managers sur le recrutement en fonction du service, de ses besoins actuels et futurs, des gens qui y travaillent, des capacités d'évolution du candidat et de ses souhaits, le tout dans une optique de cohésion du service et d'atteinte des objectifs. Si c'est oui, une propale (proposition de salaire) est soumise au candidat par la consultante et s'il/elle accepte, les choses se font très rapidement.

La grille de salaire relève de la convention collective nationale de la métallurgie, et prend surtout en compte le diplôme, l'ancienneté dans le poste, l'âge et l'expérience professionnelle antérieure. Peu ou pas d'intéressement.

Plan de mes entretiens 
De 45 minutes à une heure, jamais plus :
6 minutes de présentation de l'entreprise pour commencer (j'insiste, la plupart des entretiens de recrutement se déroulant à l'envers), déroulé de carrière du/de la candidate, la fin de l'entretien se fait en anglais pour évaluer si la personne pourra se débrouiller lors par exemple de tests du matériel à l'étranger avec des industriels à qui nous proposons nos produits, enfin calendrier avec dates précises de ce qui va suivre. Le/la candidat/e repart avec ma carte de visite, mon mail et ma ligne directe. Évidemment, il y a un service Intégration, mais je me fixe d'accueillir les candidats le premier jour, de veiller à leur installation dans le service et de faire un service après-vente dans les trois premières semaines de leur intégration.

Le service software recherche activement des
ingénieurs de traitement du signal depuis plusieurs mois sans aboutir. Ces ingénieurs sont des concepteurs d'algorithmes de traitement de signaux voix (téléphone), données, et images (TV numérique et autres applications images sur des téléphones par exemple), transport, compression, décompression du signal à l'arrivée sur des avenues (broadband) numériques, le tout sans distorsion et dans la plus grande fidélité à l'original. Imaginez que vous téléphoniez à votre chèr-e et tendre dont vous êtes habituée à la voix et que le téléphone vous restitue ses réponses avec celle de Donald Duck, ce ne serait pas satisfaisant du tout !

Or, miracle, il se trouve que justement arrive sur mon bureau le CV d'une jeune femme, docteure en traitement du signal, qui en plus (ces managers ne croient JAMAIS qu'un transfert de compétence soit possible, sans doute parce qu'eux-mêmes n'ont jamais rien transféré, bloqués comme ils sont dans leurs postes à vie selon le modèle masculin considéré comme universel du travail posté), qui en plus donc, a travaillé 6 ans chez un concurrent proche. Je leur faxe le CV pour aller plus vite et par retour, tellement la charge de travail et le besoin sont là, ils me répondent qu'ils veulent la voir ASAP (as soon as possible).
Rendez-vous est pris avec la candidate, elle arrive au RV ponctuelle, et elle enchaîne les entretiens comme prévu ; elle fera l'unanimité des trois, moi et mes deux collègues clairement enthousiastes : ils en ont un besoin terrible, on va lui faire une belle propale ; clairement, elle est la femme de la situation, elle n'est pas arrogante, elle ne "pèse" pas "100 KE" (travers courant chez certains hommes qui se surévaluent pour masquer leur incompétence) ; elle est plutôt effacée selon moi et elle parle, y compris couramment l'anglais avec une petite voix ; elle ne se survend pas, je dirai même qu'elle ne se vend pas du tout malgré son expérience R&D qui rassure les autres recruteurs car les thèses de doctorat effraient généralement les entreprises.
(La suite sur ce lien)

* Pour un CDD de 4 mois (en première instance) j'ai personnellement passé 6 entretiens de recrutement avec deux déplacements, soit le double de ce que je faisais passer aux garçons et aux juniors que je recevais moi-même ensuite ; les transports leur étaient remboursés ; à moi on n'a remboursé que le transport de la deuxième salve d'entretiens, en doublon donc, et encore parce que j'ai insisté ! Évidemment, comme c'était à une heure et demi de chez moi, j'ai dû prendre un deuxième logement : rien ne m'a été proposé pour m'aider ; à comparer avec les "primes de rideaux", "de moquette" et autres remboursements de plaque d'immatriculation et de déménagement que les ingénieurs mâles de la R &D percevaient lorsqu'ils déménageaient ! L'immense majorité, voire la totalité des CDD étaient tenus par des femmes, l'immense majorité des CDI l'étaient par des hommes. Autant l'univers de la R&D était un collectif d'hommes, autant les ressources humaines étaient peuplés de femmes car réputées plus "conviviales", plus "humaines" et surtout, analyse personnelle, plus souples du col : la preuve (aveu de la DRH), j'ai été recrutée parce que les chargées de recrutement junior ne tenaient tellement pas tête aux managers que la plupart des services ne recrutaient plus à cause des freins et barrières anti-femmes, anti-seniors, anti-handicapés et anti-techniciens, anti-ethniques... opposés par le management et les chefs de service qui ne recrutaient plus que des juniors sortant des mêmes écoles qu'eux !

Au coeur de l'Industrie (suite)

Avec Marie-Dominique, la DRH, nous calculons la proposition de salaire que nous allons lui faire, et sans nous tromper car nous voulons l'engager. Comme l'exige la Convention Collective, nous calculons le salaire en fonction de trois paramètres : son âge (elle a 31 ans), son expérience et ancienneté dans le métier (7 ans d'expérience en R&D chez un concurrent), et son niveau de diplôme (Thèse de doctorat -considérée comme supérieure à ingénieur).  Nous tombons d'accord, Marie-Dominique et moi sur 47 250 euros annuels - à l'époque. A charge pour moi de présenter ceci au manager du service. Là, les choses vont sérieusement se gâter. Lors de mon appel, il va ruer : en effet, elle a le plus gros salaire du service. Plus gros même que celui de mon interlocuteur qui gagne en fin d'année 42 700 euros, pauvre garçon ! Un vrai crime de lèse-majesté !

Évidemment, je lui rappelle le principe de la convention collective : calcul en fonction de l'âge, ancienneté et diplôme. Lui n'a que 28 ans, il est dans son premier poste et même s'il a bénéficié d'une promotion fulgurante, il n'est QU'INGÉNIEUR ! Et il est assez courant dans une hiérarchie qu'un salarié subalterne soit plus payé que son patron. Oui, mais bon, quand même... l'entends-je ronchonner, pendant qu'il prend une grosse humiliation narcissique, c'est audible de mon poste téléphonique. Aussi, je m'offre une petite mesure dilatoire, je lui promets d'en reparler avec Marie-Dominique. Je la rencontre justement entre deux portes, c'est elle qui me pose la question ; je lui donne le résultat de mon entretien et m'attire les remarques indiscutables suivantes : "Voilà ce que c'est que de recruter des managers en culotte courte" ! "C'est parce que c'est une fille, ou quoi "? Et pour finir, en se battant les flancs et d'un ton excédé : "Mais je croyais que c'était introuvable sur le marché, ce genre de mouton à 7 pattes, qu'est-ce qu'il leur faut à la fin ?"

L'épreuve de force va durer TROIS semaines ; coups de fils, rappel du parcours de la candidate, de son excellente formation, de sa rareté sur le marché et à chaque fois, blocage sur le différentiel de salaire entre "son équipe" (tu parles !) et une nouvelle arrivante : il y voit les pires ennuis se profiler à l'horizon : mise en péril de la cohésion du service, mauvaise ambiance, devoir de justification auprès des autres salariés..., j'ai beau lui rappeler ses responsabilités de MANAGER de service dont le travail consiste précisément à mettre en mouvement des intérêts divergents pour obtenir une cohésion et un RESULTAT, rien n'y fait, il est buté. Evidemment, je campe sur mes positions, je sais que ma DRH ne cèdera pas, que j'ai été recrutée pour cela : ne pas abonder dans le sens de mes interlocuteurs, soupçonnés d'être de mauvaise foi et de faire des caprices. Je tiens ma candidate au courant (sans lui dévoiler toutes mes tractations, cela ne serait pas déontologique ni politique) pour la faire patienter, car tous les délais que je lui ai donnés sont explosés. Un matin en petit-déjeunant, j'en ai tellement assez de leur incompétence et de leur frilosité, qu'une idée m'apparaît comme la seule possible pour nous en sortir le service et moi. Elle comporte un risque que j'accepte, car il est impossible de continuer comme cela et il faut que je me sorte du piège où je suis enfermée -crois-je encore à ce moment-là !

Épilogue : j'arrive à mon bureau vers 8 H 30 ce matin-là, relis posément le dossier, décroche le téléphone et fais le numéro du manager du software. Ma proposition qu'il va écouter dans un silence de mort est la suivante : j'ai bien réfléchi, Madame X, la candidate que je vous propose depuis maintenant presque un mois ne me paraît pas être de taille a affronter l'hostilité de tout votre service si, contre la volonté de tout le monde je l'imposais avec un salaire que votre équipe et vous-même désapprouvez. (Le pire, c'est que j'y croyais !) Aussi, comme je lui dois depuis longtemps la réponse promise contre son déplacement et sa visite, je vais l'appeler tout à l'heure et lui dire que nous ne donnons pas suite à sa candidature.
- Je prends !
Concentrée sur mon argumentation, je continue : "Je ne tiens pas à engager ma responsabilité envers une salariée qui sera malheureuse, jalousée par les collègues car beaucoup trop payée par rapport à ceux-ci, je me rends à vos arguments".
- Je vous dis que je l'engage !
La fin de sa phrase et son angoisse commencent à s'infiltrer dans mon cerveau, mais je suis sur ma lancée : "je ne suis quand même pas une tortionnaire, j'ai une conscience, je ne recrute pas pour rendre les gens malheureux professionnellement".
Le temps de finir ma phrase, l'idée qu'il serait en train de se déballonner à la vitesse de la lumière m'effleure. Que se passe-t-il ???
- Je l'embauche, me dit-il à bout de souffle en criant presque, vous êtes sourde ou quoi ?

Mais oui, il se déballonne, je comprends tout instantanément : il a JUSTE essayé pendant un mois (ce qui en dit long sur son irresponsabilité soit dit en passant : il a des objectifs quantitatifs à atteindre et des comptes à rendre à date précise !) de m'intimider, de me faire ravaler mes convictions, mon sens de l'équité, de la simple justice et de la DEONTOLOGIE PROFESSIONNELLE pour une proposition de salaire à une femme PLUS PAYEE QUE LUI, l'idée lui donnant des boutons et blessant son orgueil de mâle. Je réalise qu'avec une consultante junior, il y avait une sérieuse chance que cela passe, elle aurait sans doute flanché, elle aurait accepté l'injustice ! En tous cas, c'était bien essayé !

Je vais pousser mon avantage, prendre des assurances, lui dire que je porterai une attention toute particulière à son intégration, il me jure tout ce que je veux. Tout d'un coup c'est URGENT, elle peut commencer QUAND ?

Évidemment, il y aura des retombées radioactives, ce qui est un comble vu la futilité des arguments qu'on m'a opposés, le manque de professionnalisme et l'irresponsabilité d'un pseudo-manager. Il viendra très courageusement avec des collègues un samedi matin puisque je ne travaille pas, demander ma tête à la DRH qui la leur refusera. De toutes façons en CDD, s'ils voulaient me virer ils pouvaient, mais en payant jusqu'à la fin jusqu'au dernier centime. De plus, la candidate ne risquait rien, elle était en poste et ne souhaitait que changer : il n'y avait qu'un petit enjeu pour elle. Mais combien de fois des femmes, toute dignité et justice bafouée ont dû se résigner, soit par obligation, par faiblesse aussi ou par manque de conscience de classe, ou encore parce qu'elle n'avaient pas les coudées franches, à trahir une des leurs, donc à se trahir elles-mêmes, et pour des raisons d'ego, mêmes pas justifiées professionnellement ?

Dans les services de ressources humaines des entreprises privées, comme par hasard, il y a une majorité écrasante de femmes juniors : parce que plus malléables, plus dociles, plus vulnérables, et ne pouvant que s'incliner devant une hiérarchie masculine ? Il y a des jours, j'en suis absolument convaincue. J'ai eu une amie féministe qui avait une inscription au-dessus de la porte d'entrée de son bureau ; cette inscription disait : "Si tu t'écrases, ils t'écraseront !". Autant que possible, il vaut mieux éviter de s'écraser devant certains comportements.

En ce moment, on entend sur toutes les ondes OSEO ANVAR faire sa publicité et confirmer l'annonce de Christian Estrosi de 300 millions d'euros à distribuer aux entreprises nécessiteuses : on peut s'étonner que la manne de 40 à 60 milliards d'euros annuels qui tombent ainsi sur les entreprises au titres d'aides et d'incitations diverses ne soient JAMAIS ASSORTIES de garanties de bonnes pratiques et de contreparties éthiques, notamment en matière de gestion de ressources humaines : parité hommes/femmes, pyramide des âges harmonieuse, accueil des handicapés et des français issus de l'immigration, traitement équitable à toutes les différences !

Deux liens complémentaires et indispensables sur le dossier des retraites trouvés chez le Collectif Les mots sont importants : un sur "Replacer le débat", entre autres sur les gains de productivités et le travail productif et heureux des retraités, et un second bien argumenté qui recadre les discriminations que subissent les femmes au travail

mardi 21 septembre 2010

SPACE 2010 : une conférence de Luc Ferry...







SPACE, Salon international de l'Elevage, est un salon de 4 jours réservé aux professionnels. Autant le Salon de l'agriculture est une vitrine de l'agriculture française avec des journées réservées au grand public, autant le SPACE montre l'arrière boutique et l'envers (l'enfer ?) du décor. Il ne représente qu'un seul mode d'élevage : l'intensif hors-sol. Je dois m'y rendre pour des raisons professionnelles. Je sélectionne deux conférences qui m'intéressent : une sur le bien-être animal, quelle approche pour les acteurs économiques (Il faut savoir que les aides européennes de la PAC* sont désormais conditionnées au bien être des animaux d'élevage selon des critères stricts) et l'autre sur l'évolution récente de la consommation de produits carnés par les ménages et en restauration hors foyer (RHF). Entre les deux conférences je projette de visiter l'exposition. Ca tombe le jeudi où l'horizon est à peu près dégagé : le ministre Bruno Lemaire et Jean-Michel Le Métayer se sont rencontrés dès le mardi jour d'ouverture, et les producteurs de lait en colère ont eu le temps de faire du petit bois avec les stands de la FNSEA* et de CNIEL*. Ils sont sur les nerfs et on les comprend : dérégulation, surproduction, abandon par la FNSEA et la grande distribution. Le SPACE de Rennes, c'est plus de 20 000 visiteurs régionaux, nationaux et internationaux.

L'ouverture de la première conférence est assurée par Luc Ferry, philosophe qui traite entre autres sujets d'environnement, et "droit" des animaux. Il sera suivi d'une ingénieure-chercheuse de l'INRA*, du président d'une association de protection animale l'OABA*, et de l'inévitable CIV* : comité interprofessionnel des viandes, véritable lobby de la viande.

Je vais tenter un résumé de l'intervention de Luc Ferry sur l'approche du droit de l'animal, auquel il est farouchement opposé.

Il introduit sa conférence en soulignant trois fondamentaux qui caractérisent notre époque : la disparition de la paysannerie (6 millions de paysans en 1950, et 400 000 aujourd'hui), l'avènement des femmes (!!! je verrai lors de la visite de l'exposition qu'en fait d'avènement des fâââmes, elles servent les cafés et les petits fours sur les stands), et la prolifération des peurs.

Luc Ferry voit trois traditions dans la protection des animaux :
- l'approche française avec DESCARTES : sa théorie de l'animal machine (commme une pendule ou une horloge, l'animal est un robot parfait) influence encore 80 % des éthologues contemporains selon Dominique Lestel.

En second on trouve Charles Grammont, premier député à proposer en 1850 une loi protégeant les animaux domestiques : Charles Grammont est cadre noir à Saumur, il passe sa vie avec des chevaux et il ne supporte plus de voir en pleines rues la façon dont on débite vivants les chevaux épuisés et fourbus qui s'effondrent sous les voitures et diligences dans les villes françaises ! La loi Grammont prévoit donc une peine d'amende à toute personne qui inflige publiquement  et abusivement des mauvais traitements aux animaux domestiques.

Luc Ferry cite également Rousseau et ses deux pages du début de "L'Origine de l'inégalité entre les hommes" : la différence entre les animaux et les humains selon Rousseau, c'est la liberté ; les animaux sont dominés par la nature ; les humains ont une histoire politique et cognitive, les animaux, eux n'ont pas d'histoire, ils n'évoluent pas, la preuve, la termitière est immuable (alors que nos villes et nos maisons à nous évoluent avec le temps et les époques et ne sont jamais construites pareil). L'histoire humaine est anti-naturelle.

- La tradition allemande privilégie elle l'animal sauvage contre l'animal domestique. La nature sauvage est pure de toute contamination : Hitler (nous y voilà !) se fait photographier caressant des biches, il promulgue une loi sur la chasse et une loi protégeant la nature. (Je me suis levée à pas d'heure, ai déjeuné debout dans la cuisine, fait une centaine de kilomètres, affronté une demi-heure de bouchons, je ne sais plus où j'ai rangé ma voiture parmi des centaines sur un site gigantesque, tout cela pour me faire traiter d'hitlérienne : c'est vachement agréable !). Romantisme allemand : retour au paradis perdu, à la wilderness, à la pureté raciale, l'animal devient sujet de droit (???), avec une prédilection pour les animaux sauvages. Voilà les écologistes allemands habillés chaudement pour l'automne. Évidemment, il va citer trois fois le nom de Brigitte Bardot, qualifiée d'écologiste d'extrême-droite, aimant mieux les animaux que les humains, "ce qui est incontestable". Je suis d'accord, Bardot ferait mieux de se taire, elle dit des énormités, des faussetés, mais on pourrait aussi bien citer Jane Goodall qui aime et défend les animaux (sauvages pour le coup, ce sont des chimpanzés) et construit des écoles pour les garçons ET filles dans les régions où elle défend les singes ! Mais Jane Goodall est anglo-saxonne (beurk !),ce qui m'amène en trois à :

La tradition anglaise : L'utilitarisme de Bentham ou conséquentialisme. En un mot, une action est bonne, elle augmente le bonheur, une action est mauvaise, elle augmente le malheur. Cette doctrine (le pragmatisme britannique) devient une doctrine du droit des animaux (il cite le nom de Peter Singer), un modèle de la libération animale copié sur le modèle de la libération de noirs et des femmes. On procède par inclusion progressive de sujets de droit : noirs, femmes, animaux.

Il conclut en disant que bien qu'on reproche sans arrêt aux amis des animaux leur anthropomorphisme, il s'agit en fait au contraire selon lui de zoomorphisme : "les humains sont des animaux comme les autres", vision biologisante de l'humain. Selon Luc Ferry, le monde anglo-saxon règne sur le monde en général, la question du bien-être animal est une victoire de l'hégémonie américaine ; le lobby des amis des animaux communique très bien, le monde paysan lui, communique très mal -c'est normal précise-t-il, il a autre chose à faire que passer à la télévision (d'ailleurs il les félicite pour cela). Les pro-animaux obtiennent des victoires qui vont d'ailleurs dans le "bon sens", qu'on en juge, L'Oréal invente une peau synthétique pour faire ses expérimentations, pas pour épargner des vies animales -ce qui serait un bien- MAIS sous la pression du "lobby pro-animaux", ce qui est mal selon Luc Ferry ! De la même manière pour illustrer les exagérations des pro-animaux dans le "monde anglo-saxon" il cite "l'exemple extrême" des hôpitaux canadiens qui ont un comité d'éthique sur les animaux de laboratoire. Là j'avoue avoir du mal à suivre : mon pragmatisme s'oppose aux procès comme ceux-ci.

Luc Ferry reconnaît que le sadisme règne dans les cuisines : "le lapin demande à être dépecé vivant" disait un livre de cuisine de sa mère ! Tout comme les chinois qui mangent du chien le dépècent vivant, ça donne meilleur goût ! Luc Ferry qui "a eu trois chats" n'a "aucun respect pour les animaux", mais il ne veut pas qu'on leur fasse de mal. J'apprécie vraiment tout de même qu'il emploie durant toute sa conférence le mot humain pour désigner l'espèce humaine. Ce que ne fera pas la chercheuse ingénieure de l'INRA* qui lui succède : "bien sûr que l'homme est un animal" dit-elle, confirmant la vision biologisante que reproche Luc Ferry à l'époque !
Elle rappelle la loi : l'article L 214 du code rural français et le Traité d'Amsterdam de 1999 qui reconnaît "l'être sensible" qu'est l'animal, l'instauration par le Conseil de l'Europe d'une commission de protection animale qui dépend de la DG SANCO (Direction Générale de la Santé et des Consommateurs) qui protège le consommateur via l'EFSA -agence européenne de sécurité alimentaire-. C'est bien la sécurité alimentaire qui préside à tout cela. Jean-Pierre Kieffer de l'OABA qui intervient dans les abattoirs et tente d'humaniser l'abattage des animaux délevage, rappelle que chaque animal de rapport a sa directive, celle de la poule pondeuse datant de 1999. Même le CIV s'enorgueillit d'avoir un comité d'éthique !

Outre le fait qu'on peut reprocher à Luc Ferry son aversion pour le monde anglo-saxon : la "pensée anglo-saxonne" ne règne pas en France, pas plus que la langue anglaise ne menace la langue française, et l'hégémonisme culturel américain sévit plus sûrement au Mexique qu'en France où nous résistons bien, mais de tous temps, à chaque fois qu'on a voulu arracher de haute lutte et après des dizaines d'années de bataille, des droits pour les noirs, les femmes, les enfants et maintenant les animaux, on a obtenu le même argument : ce faisant on spolierait le dominant ! Tout se passe comme si donner aux uns/unes, ce serait retirer aux dominants ! Pas plus qu'en donnant le droit de vote aux noirs et aux femmes, on n'a privé les hommes blancs de ce même droit de vote, pas plus en donnant la libre disposition de leur corps aux femmes on n'a privé les hommes de la libre disposition du leur, il n'est pas plus question de priver les humains -sujets de droit- de la soi-disant "spécificité" humaine. Il s'agit de traiter de façon humaine des milliards d'animaux qui n'ont pas la parole, pas de bulletin de vote, qui ne nous ont rien demandé (animaux domestiques comme animaux sauvages sur lesquels nous nous sommes arrogés le droit de vie et de mort) et dont nous exploitons le travail et les facultés d'adaptation depuis toujours, et de façon devenue implacablement industrielle depuis les 60 dernières années dans des fermes-usines, des abattoirs et des laboratoires pharmaceutiques et de cosmétologie ; si des lois forcément imparfaites et souvent inappliquées (plaintes non instruites, dossiers classés sans suite la plupart du temps...) qui criminalisent les comportements maltraitants et violents peuvent tenir à distance les malfaisants et les criminels contre les femmes, les enfants et les animaux, on obtient tout de même me semble-t-il une société moins violente, plus apaisée et plus humaine. Tout le monde, y compris les dominants réactionnaires, y gagne ! Mais en disant cela, je démontre que je suis contaminée par l'utilitarisme anglo-saxon. DAMNED !
* PAC : Politique Agricole Commune ; FNSEA : Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles ; CNIEL :  Centre National Interprofessionnel de l'Economie Laitière ; INRA : Institut National de Recherche Agronomique ; CIV : Centre d'Information des Viandes ; OABA : Oeuvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoir.

(Suite de l'article sur la consommation de viande ci-dessous)

Ces deux images, dont une version du cri d'Edvard Munch figuraient dans le Powerpoint de l'ingénieure de l'INRA.

SPACE 2010 : l'évolution de la consommation de viande en France

Conférence donnée par France Agrimer.

La france consomme 88 Kg de viande par an et par habitant ; elle se situe au 8ème rang en Europe dont les plus gros consommateurs sont Malte 135 kg (!), l'Espagne 104 kg et le Portugal 100 Kg par an et par habitant. La consommation de viande de boeuf (boeuf et veau) se maintient en France : 25 kg par an et par habitant contre 15 kg pour la moyenne européenne.
Elle connaît un tassement partout ailleurs au profit de la viande de volaille et de porc. Effet crise et retour du "fait à la maison", la consommation de chair à saucisse, de lardons et de jambon progresse notablement, la crème fraîche aussi selon les études de France Agrimer. Le veau, viande chère reste une viande festive, consommée le dimanche, jour où les gens ont le temps de s'adonner à la cuisine.

La viande de bovin est en baisse (tendance lourde), le porc et la charcuterie, comme les volailles sont en constante augmentation tandis que la viande de cheval (300 g/ an et par habitant) et de lapin sont en net déclin partout. Un cinquième de la consommation de viande se fait hors-foyer (cantines, restaurants d'entreprises, hôpitaux, maisons de retraite, restaurants divers...). Par rapport au revenu des ménages, le budget consacré à la nourriture en France est en baisse constante : de
21 % en 1970, il est passé à 13 % en 2006 et la tendance est lourde là aussi.

La moyenne de consommation de viande dans le monde est de 40 Kg par an et par habitant. Les américains consomment eux 125 kg (chiffre 2002) de viande par an et par habitant. Les suédois en consomment deux fois moins -mais il doivent manger plus de poisson !

La consommation de viande des Chinois, avec la croissance économique qu'ils connaissent est passée de 20 à 52 kg par an et par habitant (en ville, les ruraux sont plus pauvres). L'Inde qui est un pays en croissance comme la Chine consomme 3,7 kg par an et par habitant en 2003 ! Cela ne s'explique pas par la pauvreté, l'Inde est un pays de végétariens : dans l'hindouisme tous les animaux sont sacrés et les vaches sont au sommet de la hiérarchie (ce qui ne veut absolument pas dire que les vaches n'y sont pas maltraitées). La filière ne parle jamais de l'Inde : c'est une espèce de trou noir. La filière mentionne toutefois les végétariens en général en précisant que "la France n'est pas un pays de végétariens au contraire des anglo-saxons" ! Paul Mc Cartney (cité plusieurs fois) bouche littéralement la vue : de l'Inde il ne sera rien dit.

France Agrimer constate également une stagnation voire une régression de la consommation de légumes.


Plus de détails pour les intéressés ICI chiffres AGRIMER