mercredi 27 janvier 2021

Lee Miller, artiste amoureuse vampirisée



J'ai trouvé ce roman-biographie de Lee Miller sur une étagère de ma bibliothèque municipale, je l'ai dévoré en deux jours. Lee Miller est une artiste photographe (1907-1977) qui eut à la fois le bonheur et le malheur de rencontrer en 1929, alors qu'arrivant des Etats-Unis son pays de naissance, elle vient juste de s'installer à Paris, Man Ray, né Emmanuel Radnitsky, peintre, sculpteur et photographe, 1890-1976, dont elle devient l'assistante mal payée, puis l'amante passionnée pendant quelques mois. Une liaison fulgurante et féconde pour les deux artistes. Le père d'Elizabeth Miller est photographe et elle est elle-même ancienne mannequin de Vogue Magazine ; elle est tombée dans la photographie toute petite et n'en est jamais sortie. Elle arrive à Paris avec un vieil appareil de son père, dont elle ne sait pas bien se servir mais dont elle ne se sépare jamais. Elle apprend avec Man Ray les techniques photographiques : réglages des appareils, exposition, développement, produits chimiques ; au début, elle partage la même chambre noire dans l'atelier de Man Ray. Elle y développe ses propres photos prises dans les rues parisiennes des quartiers qu'elle hante, Saint Germain, la Sorbonne, le Jardin du Luxembourg, le Quartier latin. Elle invente la technique de solarisation à la suite d'une erreur de calcul de temps d'exposition, (beaucoup de trouvailles géniales sont dues à des erreurs) qu'elle va essayer de reproduire parce qu'elle trouve le résultat intéressant artistiquement. Le procédé de solarisation " consiste à obtenir une inversion partielle ou totale du noir ou blanc sur un négatif ou un tirage photographique " en obtenant sur certains clichés un détourage noir ainsi que montre la photo de Lee Miller reproduite sur la couverture ci-dessus du roman de Whitney Scharer, ou comme ci-dessous : 


deux portraits de Lee Miller par Man Ray selon le procédé Lee Miller. La brouille puis la séparation entre les deux artistes interviendront lorsqu'elle réalise qu'une de ses séries de photographies "The Bell Jar Series" a été envoyée par Man Ray sous sa signature à lui, à une galerie d'exposition de Philadelphie, et qu'un prix lui est attribué pour cette oeuvre.  

Le roman nous fait vivre la période Man Ray de Lee Miller, dans le Paris des Surréalistes : elle fréquente André Breton et sa bande d'artistes : Kiki de Montparnasse, Philippe Soupault, Claude Cahun, Tristan Tzara (mouvement Dada).., et elle tourne brièvement avec Jean Cocteau dans son long métrage Le sang d'un poète où elle joue le rôle d'une statue qui marche ! 


La vie romanesque de Lee Miller se prête à ce type de biographie romancée : les différents chapitres sont intercalés avec sa vie d'après. Devenue grand reporter pour l'Armée américaine à partir de 1942, elle suivra l'armée de libération US à travers toute l'Europe pour le magazine Vogue qui lui achète ses photos. Rien de glamour désormais : elle met son œil imparable et tout son art à capturer les destructions des alliés et des armées en débâcle de Hitler, d'Angleterre à Saint-Malo et à Cologne dont elle photographie les ruines, à Munich où elle prend un bain dans la villa de Hitler ; elle est la première à entrer à Dachau en 1945 et à découvrir et photographier l'horreur des camps. 

Toute sa vie, Lee Miller souffre du "syndrome de l'imposteur": tout en se sachant au fond d'elle artiste avec un grand talent, elle a du mal à revendiquer son oeuvre ; elle a été abîmée à 7 ans par un viol commis par un "oncle" sans doute ami de la famille appelé ainsi, ce qui en fait un inceste. Ceci explique sans doute ses prises de risques et sa désignation en tant que proie à un artiste dominateur et peu scrupuleux. Une simple recherche sur Internet et on s'aperçoit que les oeuvres de sa période surréaliste sont impossibles à discerner de l'oeuvre de Man Ray. Pas mal de ses clichés sont encore attribués à Man Ray, ou ont une double signature. 

Ce premier roman de Whitney Scharer "The age of light", paru en français en 2019, est une réhabilitation d'une belle artiste effacée de l'HIStoire. Il fait oeuvre utile et se dévore d'un bout à l'autre. Il donne envie d'en savoir plus et de faire des recherches sur Internet sur cette artiste magnifique à deux niveaux : une femme à visage androgyne en lame de couteau prenant remarquablement la lumière intéressant les hommes de ce fait, et une artiste talentueuse par elle-même. 

Tandis que Man Ray délaisse progressivement la photo comme moyen d'expression artistique à mesure que l'appareil se démocratise, Lee Miller, elle, s'en empare pour témoigner auprès du public des horreurs de la guerre. 


Lee Miller sur le front avec des soldats américains 
Anthony Penrose - Source : Ouest-France

Lee Miller - Saint-Malo - 1944

Lee Miller - Femme tondue Rennes - 1944

" I would rather take a picture than be one " 
Lee Miller. 

Liens : Photos trouvées sur le site Zoom photographe : Lee Miller.

Page du roman aux Editions de l'observatoire 

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