mardi 14 juillet 2020

Nellie Bly - Première journaliste d'investigation





J'ai lu cette semaine cette excellente BD de 140 pages sur la vie professionnelle de Nellie Bly, nom de plume de Elizabeth Jane Cochrane (1864-1922), premier grand reporter et journaliste d'investigation, elle invente même le principe du journaliste embarqué (embedded), immergé dans son sujet. Elle est également la première femme correspondante de guerre envoyée pendant la Grande Guerre sur le front serbe. Une pionnière. 

Fille d'une mère mal mariée trois fois de suite, elle est le fruit du deuxième mariage de sa mère et d'un père qui battait tout le monde, mère et enfants, elle décide donc de travailler pour gagner sa vie et ne pas dépendre d'un mari, ni affectivement ni économiquement. 

A son époque les femmes journalistes sont cantonnées aux sujets ménagers, mode et potins mondains. 
En 1885, elle lit dans le Pittsburg Dispatch un "article répugnant" sur le travail des femmes : 

auquel elle répond par un courrier plein d'aigreur et de colère. Le rédacteur en chef, intrigué par son culot et ses arguments, la convoque et lui propose d'écrire un article sur la condition des femmes, qu'il promet de publier dans son journal. Elle accepte et sa carrière est lancée. Elle enchaîne sur une série de reportages sur le Mexique du tyran Porfirio Diaz en imposant à l'époque de voyager seule en train et en bateau, ce qui ne se faisait pas. Elle concèdera finalement de voyager accompagnée de sa mère. Puis elle se fait passer pour une ouvrière pour étudier de l'intérieur la condition ouvrière, une tradition journalistique qui a toujours cours : voir les embauches de Geoffrey Le Guilcher à l'abattoir Kermené de Collinée, ou de Florence Aubenas engagée comme femme de ménage à Ouistreham, qui donneront des témoignages sur la condition ouvrière. Ces journalistes ne font que s'inspirer de leur précurseure Nellie Bly. Ses reportages ont un grand retentissement dans l'opinion publique, ils déclenchent des scandales qui aboutissent à des réformes ; Nellie Bly, par son travail de journaliste, améliore la conditions des femmes. A tel point que, remarquée par Joseph Pullitzer, elle ira travailler pour son prestigieux journal Le New York World. Elle y vivra son "shock corridor" en se faisant passer pour malade mentale, infiltrant un centre d'aliénées où les femmes sont affreusement maltraitées, souvent internées pour des raisons futiles par des maris qui par exemple ne peuvent obtenir le divorce et trouvent ainsi un moyen de se débarrasser de leur femme ! 

How quick can a woman go around the world ? 

Nellie Bly est également renommée pour avoir relevé le défi de battre le record de Phileas Fogg : Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne. D'abord choqués par son audace (une femme voyageant seule autour de la planète, en bateau, oh my god, mais vous n'y pensez pas, son rédacteur en chef renâcle devant l'audace !) après une année d'obstination, elle finit par embarquer seule à Hoboken pour son tour du monde qu'elle achèvera en 72 jours. Reçue en héroïne à Amiens pas Jules Verne, puis par les japonais qui viennent la soutenir à Yokohama, elle n'en croit pas ses yeux : être connue au Japon ! Le manteau de voyage pratique et confortable qu'elle se fait faire pour l'occasion sera adopté par toutes les femmes, elle devient à son corps défendant une prescriptrice de mode. 


Sa vie personnelle est moins retentissante : échaudée par l'expérience de sa mère, elle refuse la demande en mariage d'un ami de cœur de son âge, et continue sa carrière. Elle fera toutefois une fin : elle finit par épouser un industriel millionnaire et quitte la carrière de journaliste. Puis Nellie Bly sombrera dans l'oubli, comme souvent les pionnières femmes, effacées de l'HIStoire par les hommes qui, tout en s'inspirant et copiant, se proclament ensuite les inventeurs, spoliant ainsi les pionnières avant de les effacer. Nellie Bly sera tirée de l'ombre par les féministes. Cette BD joliment écrite par Luciana Cimino, mise en scène et dessinée par Sergio Algozzino, qui s'explique en fin d'ouvrage sur ses recherches et son travail d'aquarelle, est un régal pour les yeux. N'hésitez pas à l'offrir aux filles dès qu'elle savent bien lire et comprendre la progression narrative d'une bande dessinée avec ses flash back et flash forward. Elle est empowering et peut créer des vocations. Il n'y a pas de fatalité à être destinée au malheur et à la position immuable de victime quand on a été maltraitée par son père ; au contraire, cela peut être l'occasion d'une prise de conscience et de refuser le sort commun des femmes. Une belle lecture pour les vacances et pour toute l'année. 

Portrait-photo de Nellie Bly.

La bande dessinée Chez Steinkis Editeur 


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