samedi 3 décembre 2016

Justice animale et justice sociale, même combat ?

Billet inspiré et résumé de la conférence de Frédéric Côté-Boudreau, philosophe québécois, donnée le 25 novembre à l'Université de Rennes 2, à l'invitation de l'association Sentience : une association d'étudiants qui défend les animaux.

Puisque le concept de justice est universel, les luttes sociales revendiquent l'égalité concrète, non formelle, l'abolition des privilèges de classe, la libération de la loi du plus fort, la solidarité. Les mouvements sociaux prennent conscience des autres et de l'oppression qu'ils subissent. Colonisés, femmes, noirs américains ont obtenu de haute lutte leur indépendance et leurs droits civiques contre les oppresseurs, la classe sociale dominante des hommes blancs généralement, pour ce qui concerne ces trois catégories.

Définition du spécisme : Le spécisme est un préjugé, une attitude ou un biais envers les intérêts des membres de notre propre espèce, contre les membres des autres espèces.

L'antispécisme dénonce l'oppression des animaux, sans nuire aux autres mouvements sociaux. Au contraire, les formes d'oppressions se soutiennent entre elles : elles sont généralement justifiées par l'appel à la tradition (on a toujours fait comme ça !), par la naturalisation de l'oppression (c'est ainsi que le monde est fait !), par la séparation ontologique par l'essence (essentialisation) des femmes, des pauvres, des animaux (par essence, ils sont ainsi faits, éternellement incapables et mineurs), par l'appel à ordre des choses, alors que tout est construction sociale dans l'espèce humaine, même l'animal, et par la prétention condescendante à la bienfaisance, (c'est mieux ainsi pour elles/eux) !

" Il est préférable pour tous les animaux domestiques d'être dirigés par des êtres humains. Parce que c'est de cette manière qu'ils sont gardés en vie. De la même manière, la relation entre le mâle et la femelle est par nature telle que le mâle est supérieur, la femelle inférieure, que le mâle dirige et que la femelle est dirigée " - Aristote, qui compare les esclaves, les femmes et les animaux domestiques dans Politique - Voir chez Tribunal animal, pour d'autres citations.

La construction sociale de l'animal : les humains ont des animaux une vision déterministe, -nous nions en permanence les choix complexes qu'ils sont capables de faire-, une vision utilitaire dont la perception change en fonction de la façon dont nous voulons les utiliser ! Le cas de la souris est éclairant : 
- "vermine" quand elle vit sa vie d'animal au seuil ou dans nos maisons ;
- "outil de travail" dans un laboratoire de faculté de médecine ou de recherche médicale ;
- ou animal de compagnie faisant partie de la famille pour de nombreux enfants.
La torture aux animaux est lourdement punie par la loi sauf si vous portez une blouse blanche et travaillez dans un laboratoire universitaire ou pharmaceutique ! Ou si vous habitez dans le sud de la France où l'on montre des spectacles de corrida. Il s'agit bien de relativisme culturel souvent appliqué de façon méprisante à des classes sociales considérées comme non éclairées.
Nous opposons aux animaux ainsi qu'à leur défenseurs notre anthropomorphisme, alors qu'ils sont des individus sentients comme nous, qu'ils ont une vie sociale complexe, qu'ils cherchent à s'épanouir, que leur vie est importante pour eux. Ils subissent la violence, la domination et l'oppression de notre espèce, bien qu'ils fassent partie de nos communautés, de nos familles et de nos voisinages. Et par dessus tout, nous partageons la même planète. Les animaux résistent de multiples façons à l'oppression, ils s'expriment : ils ruent dans les brancards, ils font grève en s'arrêtant au milieu du sillon, ils refusent d'avancer, ils sautent du troisième niveau d'un camion les emmenant à l'abattoir, et quand ils tentent d'échapper au destin que nous leur réservons, nous sommes implacables et ne leur laissons aucune chance

L'humanisme qui ne s'applique qu'aux humains (sophisme, tautologie) cache quelques zones d'ombre : il est communautaire et conservateur, il a de plus tendance à défendre les privilèges de certaines classes d'êtres humains ; il défend le capacitisme (ableism) qui est une discrimination en fonction des capacités, la personne sans handicap étant la norme 
sociale ; il utilise l'argument de la contribution, alors que certaines personnes humaines ne contribuent pas ou contribuent moins parce qu'elles ne le peuvent pas. L'argument de la contribution dévalorise le travail des opprimés (les contributions des femmes, pour ne citer que ces dernières, sont notablement dévalorisées voire invisibilisées) et survalorise celui des oppresseurs. La théorie marxiste fait des animaux des objets, non des sujets d'histoire. Il est usuel que les groupes opprimés soient comparés à des animaux : femmes, noirs, colonisés, tous rejetés dans une altérité radicale, animale en somme. 


La photo et son explication sont sur le site de Christiane Bailey, article Sexisme, racisme et spécisme, intersection des oppressions

On nous oppose à nous défenseurs des animaux le concept de "dignité humaine" et l'alibi de la priorité : "on vit dans un monde de merde, "la société n'est pas prête", ou comme j'entends sans arrêt, "des enfants meurent de faim en Afrique, vous n'avez pas mieux à faire ?", comme si ces causes se nuisaient les unes aux autres, comme si elles étaient opposables ! Il y a évidemment corrélation entre les oppressions, la même logique sous-tend l'oppression des humains et celle des animaux. 


Convergence des oppressions - Convergence des luttes

La cause animale -qui est parfaitement justifiable seule- sert aussi les humains puisqu'elle allume les projecteurs sur l'oppression que subissent les ouvrier.es d'abattoirs, ces autres référents absents de la viande après les animaux : pas plus que nous ne voulons voir nos steaks comme des animaux morts, nous ne voulons voir la violence des abattoirs auprès des gens qui y travaillent et n'ont souvent pas d'autre choix (migrants mexicains sans papiers aux USA, immigrés en situation précaire en Bretagne, tâcherons détachés Bolkenstein roumains dans les abattoirs allemands...), mal payés, dévalorisés, stigmatisés, peu formés, donc peu mobiles socialement. La cause animale inclut aussi les humains puisqu'elle met l'accent sur les dommages causés au climat par l'industrie de la viande grosse pourvoyeuse de méthane, redoutable gaz à effet de serre ; les végétariens et véganes se tuent à dénoncer l'accaparement des terres -pour nourrir des animaux- qui chasse les peuples premiers et les paysans sans titre de propriété de leurs territoires et les clochardise dans des bidonvilles. De la même façon, les défenseurs des animaux ne doivent pas prioriser leur lutte en proclamant "les animaux d'abord", ils doivent au contraire se diversifier, coopérer avec les autres mouvements sociaux, apprendre des autres communautés opprimées. Nous avons, nous défenseurs des animaux, la responsabilité de développer une éthique animale, féministe, multiculturaliste et post-coloniale

Pour aller plus loin : traduit en français,  Zoopolis de Pimlicka - Donaldson


et en anglais : Animal rights, Human rights, Entanglements of Oppression and Liberation par David Nibert


Le blog de Frédéric Côté-Boudreau : philosophie et éthique animale
Le Facebook de Sentience Rennes
Le Parti animaliste, nouvellement créé afin de porter la voix des animaux dans la campagne présidentielle. 

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