jeudi 15 octobre 2015

Obsolescence humaine

Une femme-machine démembrée comme publicité pour l'Obs "Supplément féminin" paraît-il, tenue par des courroies bondage, des techniciens autistes partout qu'on peut croiser sur des chantiers en bas de chez soi, ne croisant jamais le regard de personne, téléphone portable extension de leur oreille, machines en libre service partout et pour tout, caisse automatiques dans les supermarchés -les misanthropes peuvent passer une semaine entière sans interagir avec quiconque tout en couvrant leurs besoins vitaux- substitution du travail par le capital, donc des machines, aggravant le chômage de masse : notre environnement se transforme graduellement et sûrement en machine. Le nihilisme -sous couvert d'innovation et de performance- porté par les patriarcaux et leurs agents est en marche.


Cela m'a fait penser au magnifique texte de Gunther Anders, philosophe allemand, un des maris de Hannah Arendt moins connu et moins traduit qu'elle (pour une fois que c'est dans ce sens-là !), que j'ai découvert une première fois dans un roman de Dantec (Cosmos Incorporated) qui le citait. Puis j'ai lu "Nous, fils d'Eichmann " d'où il est tiré : deux lettres ouvertes de Günther Anders "au fils d'Adolf Eichmann, sur la condition humaine d'aujourd'hui, considérée sous l'angle de la catastrophe à répétition, qui entraîne l'obsolescence toujours croissante de l'humain lui-même", selon la quatrième de couverture. Lisez-le.

Citation tirée du chapitre Le rêve des machines : "notre monde actuel, dans son ensemble, se transforme en machine, [.] il est en passe de devenir machine.
Comme la raison d'être des machines réside dans la performance, et même dans la performance maximale, elles ont besoin, toutes autant qu'elles sont, d'environnements qui garantissent ce maximum. Et ce dont elles ont besoin, elles le conquièrent. Toute machine est expansionniste, pour ne pas dire "impérialiste" chacune crée son propre empire colonial de services (composé de transporteurs, d'équipes de fonctionnement, de consommateurs, etc.). Et de ces "empires coloniaux", elles exigent qu'ils se transforment à leur image (celle des machines) ; qu'ils "fassent leur jeu" en travaillant avec la même perfection et la même solidité qu'elles ; bref, qu'ils deviennent, bien que localisés à l'extérieur de la "terre maternelle" -notez ce terme, il deviendra pour nous un concept-clé- co-machiniques. La machine originelle s'élargit donc , elle devient "mégamachine" ; et cela non pas seulement par accident ni seulement de temps en temps ; inversement, si elle faiblissait à cet égard, elle cesserait de compter encore au royaume des machines. A cela vient s'ajouter le fait qu'aucune ne saurait se rassasier définitivement en s'incorporant un domaine de services, nécessairement toujours limité, si grand soit-il. S'applique bien plutôt à la "mégamachine" ce qui s'était appliqué à la machine initiale : elle aussi nécessite un monde extérieur, un "empire colonial" qui se soumet à elle et "fait son jeu" de manière optimale, avec une précision égale à celle avec laquelle elle-même fait son 
travail ; elle se crée cet "empire colonial" et se l'assimile si bien que celui-ci à son tour devient machine -bref : aucune limite ne s'impose à l'auto-expansion ; la soif d'accumulation des machines est inextinguible. [...]
"Le monde devient machine"
Et cela : le monde en tant que machine, c'est vraiment l'Etat techno-totalitaire vers lequel nous nous dirigeons. "

La poétesse féministe américaine Adrienne Rich l'a, elle, exprimé poétiquement dans ces quelques vers :

" A man's world. But finished.
They themselves have sold it to the machines."

in Walking in the dark - Diving into the wreck - Cité par Mary Daly dans
Gyn / Ecology

Pour une analyse féministe de la couv' de l'Obs, allez lire le billet de Patric Jean : La femme sex toy, une bouche, un sexe. Une femme machine -avec tous les stéréotypes aliénants du patriarcat triomphant à propos des femmes.

2 commentaires:

  1. Je ne savais pas qu'il y avait quelque part des caisses automatiques sans personne pour passer les produits !

    Texte super intéressant. Mais leur délire machinocratique va être arrêté net par la réalité environnementale.

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    1. Dans presque tous les supermarchés en France, il y a des caisses sans caissières où tu peux passer tes produits toi-même. En général, il faut quelqu'un pour assister les client.es mais un seul pour trois ou 4 caisses suffit. Un jour, il y aura des robots anthropomorphes dans les supermarchés, promis. Et des robots anthropomorphes pour assister les vieux et vieilles chez elles. Tu parles d'un futur.

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