jeudi 2 février 2012

Mâlebouffe

Euterpe m'a soufflé ce mot-valise, je le réemploie parce que je le trouve bien vu : mâlebouffe, à base de pavés de viande au centre de l'assiette et trois légumes ciselés en décoration autour, perdus sur un étalement de sauce au beurre en dessous, style feue la "nouvelle cuisine" des années 80, comme nous l'a encore montré la nouvelle saison de Topchef ce lundi. Mais ici, il s'agit de hamburgers. Jacques Borel est le promoteur en 1961, en France, de la restauration rapide dite "fast food", en copiant un concept américain. Il a ouvert le marché, et 20 ans plus tard, les chaînes américaines de restauration rapide et pas chère n'ont plus eu qu'à s'installer massivement.

On le voit ci-dessous dans un extrait d'un film qui sort cette semaine et dont Rue89 fait la promotion, film que je n'ai pas encore vu donc je ne vais pas lui faire de procès d'intention, mais j'en ai vu tant d'autres et j'ai peur que le concept de malbouffe (mâlebouffe) dénonce, mais ne propose jamais une (r)évolution dans nos façons de manger.
Vous êtes prévenues, c'est du brut de fonderie :


Le hamburger selon Jacques Borel, extrait de "La... par rue89

Sédentaires, chauffés, travaillant assis devant des écrans ou assistés en permanence par des machines, voyageant en voiture ou transports en commun motorisés, à 7 milliards (chiffre croissant) sur une planète aux ressources inévitablement limitées, on ne peut pas compter sur ces bons apôtres pour nous dire que c'est suicidaire à deux titres au moins :
1) utiliser les terres cultivables pour nourrir des telles quantités d'animaux avec des protéines végétales que nous pouvons manger nous-mêmes, parce que les animaux qui ne mangent et n'existent que pour eux-mêmes sont de mauvais transformateurs, c'est en réalité un gaspillage sans nom,
et 2) que nos modes de vie ayant dramatiquement changé, manger autant de viande et autant de graisses, c'est la porte ouverte à une épidémie planétaire d'obésité et de maladies dites de "civilisation". (Le mot civilisation me fait mourir de rire).
Mais puisque tout ça, c'est au fond "la faute des femmes qui n'ont plus le temps de cuisiner puisqu'elles travaillent" -dans le secteur marchand, sous-entendu : faire à manger pour sa famille n'a jamais été un travail pour Borel et ses semblables, ça compte pour des prunes puisque ce non-travail (selon lui) est inclus gratuitement dans le contrat de mariage !-  je ne crois pas un instant que ces promoteurs de la "bonne-bouffe-des-familles-quand-maman-faisait-la-cuisine-du-ménage" soient des progressistes, ils cherchent juste à préserver leur privilèges de mâles conservateurs. Ça tombe on ne peut mieux en ce moment : il n'y a pas de boulot pour tout le monde dans le secteur marchand ! Aussi bien, le développement du travail marchand des femmes contre salaire, créant de fait un besoin de restauration hors foyer, aurait pu déboucher sur la création de restaurants végétariens en franchise, ou sur une chaîne de sandwicherie végane ? Quelque chose me dit que Monsieur Borel n'y a pas pensé !

Il faut aussi mentionner le malheur animal dans les élevages hors-sol, transportés sur des milliers de kilomètres, puis abattus industriellement par milliards dans des abattoirs, et celui des ouvriers d'abattoirs, sale boulot que plus personne ne veut faire, donc délégué aux moins mobiles et moins diplômés de nos sociétés non solidaires. Quand on est à court de main-d’œuvre, on peut même aller en chercher en Afrique en ventant une intégration effectivement réussie puisque nous allons les chercher au gré des besoins, pour faire les sales boulots dont nous ne voulons plus ! Notez l'indispensable mention du "Père Eternel" et l'allusion au boeuf, en réalité "une vieille vache qui à fait 8 veaux", ce qui est techniquement faux ; elle est essorée et épuisée par les vêlages mais très jeune, car elle part à l'abattoir à 3 ans et demi environ (au bout de 8 vêlages), mais l'espérance de vie d'une vache qui ne serait pas considérée comme un objet industriel à produire du ROI (Return On Investment = retour sur investissement) est d'environ 30 ans !
Tout est relatif, Monsieur Borel.

Liens :
République de la malbouffe  
Le dossier de Rue89
Illustré avec un corps de femme en barquette de viande : mettre un corps d'homme à la place ne leur vient pas plus à l'idée que de proposer des sandwicheries véganes, à ces carnistes.
Bande annonce du film

Liens végétariens :
Végébon
Biogourmand
Mangez végétarien

15 commentaires:

  1. On ne mange des telles quantités de viande que depuis peu. Traditionnellement, l'alimentation de presque tous les peuples de la terre (je ne parle évidemment pas des puissants) se constituait d'une base céréales (riz, blé, pain, millet) qui subsistait seule en période de restriction, d'une certaine quantité et variété de légumes locaux (choux, poireaux, carottes navets chez nous en hiver), et d'une petite quantité de légumineuses: pois chiches, lentilles, haricots. La viande venait par surcroît, quand il y en avait, et en petites quantités.

    Bien sûr, on ne parle pas là des festins dont les seigneurs et les rois se faisaient péter la sous ventrière pendant que le peuple élevait un cochon qui fournissait une année de viande à une famille nombreuse.

    Ce n'est qu'à la moitié du siècle dernier, les 30 glorieuses, que la viande est devenu un must, un signe distinctif, et qu'on l'a fait passer pour une nécessité. Quant à la viande hachée, elle est venue plus tard, après la généralisation du frigo, avant, ç'aurait été de la folie pure, un vrai bouillon de culture.

    Alors, les élucubrations du monsieur, par ailleurs fort distrayantes, sont dénuées de tout fondement historique, sociologique, diététique et hygiéniste.

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  2. @ cultive ton jardin : C'est encore vrai dans les pays en développement où on mange frugalement et où il n'y a pas d'obèses. Mais cet accès quotidien à la viande n'est jamais évoqué dans les campagnes de sensibilisation : on préfère y parler des glucides lents qui entourent les protéines de légumineuses et de céréales, quand ces protéines de bonne qualité sont même mentionnées ! Alors qu'il suffit juste de ne pas remplacer la viande, la charcuterie ou le poisson ce qui réduit immédiatement la ration des végéta*iens tout en mangeant à sa faim ! Et puis, le CIV -lobby de la viande veille. Il ne va pas se tirer une balle dans le pied tout de même.

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    1. (Désolée de passer par "réponse" mais je suis de nouveau sur mon ordi) merci pour le lien :) Oui cette vidéo est une excellente illustration de la mâlebouffe. Trouver moyen de prendre les femmes pour chèvres émissaires responsables des hamburgers, fallait le faire. Comment ? La femme qui est née pour poireauter trois heures devant le pot-de-feu de boeuf déserte le fourneau et se dérobe à son devoir ? Quel sacrilège ! Le mâle est obligé de se faire des sandwichs comme à la guerre sur le front (ce que mange la femelle on s'en fout, elle ne mange pas d'ailleurs). On dirait un slogan nazi .
      "Les femmes au fourneau, les hommes au front".
      Comme quoi la ringardise absolu et la malbouffe sont parfaitement assortis.

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  3. J'ai entendu parler de ce documentaire sur France Inter avant-hier ("Comme on nous parle", je crois). Un extrait sonore, le passage où Borel s'en prend aux femmes qui travaillent, a été diffusé. Ce type s'est certainement enrichi en développant une nourriture industrielle carnée et toxique et il s'arrange pour rendre les femmes coupables d'avoir engendré la malbouffe (elles n'ont plus le temps de faire cuire des pièces de viande qui réclament 3h de cuisson ...) On croit rêver !

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  4. @ Euterpe : Je trouve aussi assez culotté de faire porter le chapeau aux femmes sur ce coup-là ! S'ils y tenaient à leurs pièces de bœuf, personne ne les empêchait de se coller aux fourneaux, tout en s'occupant autrement pendant les trois heures de cuisson.

    @ Héloïse : d'après ce que j'ai potassé sur ce film,j'ai regardé tout ce qui est diponible, je crois comprendre que c'est un machin anti-sarkozy et sa baisse de la TVA-effet d'aubaine qui n'a créé aucun emploi mais qui a en revanche permis aux restaurants de remonter leurs marges. Quoi qu'il en soit, mettre les femmes "qui travaillent" dans le coup pour nous fourguer un commerce de viande hachée c'est quand même trop.

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  5. Aucun rapport avec le sujet: j'ai emprunté pour ma fille "Hypatia" d'Arnulf Zitelmann que j'ai lu moi aussi pensant y trouver des infos sur cette femme étonnante. La postface évoque l'invisibilté des femmes dans l'Histoire et, de fait, la difficulté de rassembler des éléments les concernant. Le récit est donc largement romancé ... mais autour de son assistant, Thonis, dont on suit les déboires, les doutes et l'évolution intellectuelle auprès d'Hypatia. Déplorer l'invisibilité des femmes et construire la narration autour de l'un des hommes qui l'aurait côtoyée de près, c'est fort ! Hypatia y apparaît si peu ou de manière si lointaine que le livre aurait mieux fait de s'appeler "Thonis" par honnêteté envers les lectrices et lecteurs ...

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  6. @ Héloïse : je suis allée lire les premières pages sur amazon, car je ne connais pas ce roman ; effectivement, on ne voit et n'entend que lui pendant les 5 premières pages visibles ! C'était à peu près pareil sur la BD consacrée à cette mathématicienne philosophe du début de notre ère : une jolie histoire d'amour (hétéro) ! Vulgarisation, je veux bien, mais c'est toujours la même chose : le même discours assommant sur le rôle des femmes, c a d amoureuse et secondes ! Mathématicienne et philosophe passe, mais c'est mieux derrière un mec (inconnu ou inventé) et glamourisée, bien sûr, que vous soyez une personnage historique (Hypathie) ou romanesque (Lisbeth Salander). J'étais vraiment fane de David Fincher depuis Seven : il a perdu ma clientèle avec "The girl with the dragon tattoo" :-\

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  7. Lorsque tu parles de mâlebouffe...

    Mon expérience de mère qui m'interpelle. Moi même, je ne suis pas végétarienne, même si j'essaie de privilégier les sources "animales" qui correspondent à des conditions d'élevage plus "humaines"... En revanche, spontanément, je mange extrêmement rarement de la viande rouge, et suis loin de manger viande ou poisson tous les jours ... Mon truc c'est plutôt légumes, pâtes et fruits ... (et chocolat, hélas)
    Or, mes fils, à l'adolescence, subissent une sorte de transformation où pour eux, un repas, c'est de la viande, et encore de la viande, et toujours de la viande ... D'ailleurs mon ainé, en ce moment, ne mange plus que ça (après il se plaint d'avoir des boutons). J'observe ça ailleurs ... des goûts masculins et féminins différents en ce qui concerne l'alimentation. A la maison, ces goûts se sont affirmés à la puberté ...
    Je me demande s'il y a une origine innée ... ou si elle est acquise ...

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  8. J'ai oublié de te remercier pour l'hommage :) En effet la mâle-bouffe...je viens de recevoir le périodique des Amis de la Terre et il publie les statistiques de consommation de viande pour l'Allemagne par an, par Land et par sexe. Les hommes engouffrent presque le double de viande par rapport aux femmes. Tous sexes confondus les gens mangent 61,3 % de viande de porc (le boeuf seulement 14,1 %) soit pour la seule année 2010 : 58,3 millions de porcs bouffés en Allemagne ! Par Länder, si on sépare les sexes, les 16 premières places en consommation de viande de porc reviennent exclusivement aux hommes : 1er les thuringeois, 2e les saxons, 3e les bavarois. Les saxonnes par exemple n'arrivent qu'en 17e position ! Bien la preuve que ce sont très majoritairement les hommes qui massacrent les animaux.
    Après on peut faire un tableau du cholestérol et des maladies cardiovasculaires par Land et par sexe et on devrait obtenir les mêmes résultats, je pense.
    A propos du poulet, l'association a effectué des prélèvements sur celui qui est vendu dans les chaînes Lidl, Netto, Rewe, Edeka et Penny et ils révèlent que la moitié des bêtes contiennent des germes de staphyloccoque et autres. Responsables en sont les auntibiotiques injectés aux animaux qui sinon ne survivraient pas jusqu'à l'abattage. Ce sont toutes des bactéries devenues résistantes aux antibiotiques et ce que souligne le journal c'est que ces bactéries se répandent dans l'eau potable quand on nettoie la volaille avant de la cuire. Cela veut dire que même en ne mangeant pas de viande on est exposé à ces bactéries résistantes aux antibiotiques à cause des non végétariens.

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  9. @ Bombay Magic : Moi aussi, c'est pâtes, riz, légumes et fruits de saison ! Je ne crois pas à l'inné du tout ! A l'adolescence, les garçons éprouvent le besoin de se démarquer des femmes et filles, donc ils font le contraire d'elles dans ce domaine-là aussi. Manger de la viande, c'est sûr, c'est affirmer sa virilité. Mais il y a quelques changements tout de même : ayant fait une pub d'enfer pour le livre de Jonathan Safran Foer (Faut-il manger les animaux) auprès de ma bibliothèque, qui du coup l'a acheté, deux personnes de mon club de lecture l'ont lu, et sont devenues végétariennes, dont un mec !(Techniquement, je crois qu'une mange encore des huitres à Noël, mais franchement, je suis assez contente de moi sur ce coup-là :D !) Il faut préciser que je vis dans une région où il y a les plus gros abattoirs de France et je n'en peux plus des mauvaises vibrations ! Si tu vis à Bombay, tu es dans la capitale d'un pays en majorité végétarien qui mange peu de viande, et pas de viande rouge, normalement ?
    La consommation de viande rouge est en décroissance partout et c'est une tendance lourde, selon les syndicats de producteurs que je rencontre. Mais elle est malheureusement remplacée par le poulet et le porc, que les industriels mettent partout dans les plats cuisinés. Merci de ton commentaire :)

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  10. @ Euterpe : Merci pour ces statistiques allemandes, c'est très intéressant. Le bœuf en régression partout "bénéficie" de son statut de gros herbivore difficilement industrialisable" comme le porc et le poulet, sauf dans le cas des vaches laitières dont l'exploitation industrielle est selon moi insupportable ! Manger de la viande, malgré les progrès drastiques de l'hygiène ça suppose prendre des risques : épizooties / épidémies incontrôlables, utilisation d'antibiotiques pour les contrôler vu la concentration industrielle d'animaux avec des bonshommes au milieu pour s'en occuper a minima, donnant opportunité aux bactéries de franchir la barrière des espèces, développement de staphylocoques à la surface de la viande ce qui implique dans certains endroits comme aux USA, le lavage de la viande dans des bains chlorés (eau de Javel), etc, etc... Ne jamais recongeler ou manger cela au-delà de la date de péremption, en espérant que personne n'a reconditionné le paquet pour le remettre en vente ! Ne jamais rompre la chaîne de froid. Et cuire, surtout, et penser à autre chose que la bête en mangeant :)))

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  11. Je suis en pleine forme depuis que je suis végétarienne tendance végétalienne, je craque parfois pour un fromage mais de plus en plus rarement, je progresse. Pour moi, finie la viande (quand je pense à ce que veut dire ce mot étymologiquement et ce qu'on en a fait, ça me décoiffe dru!)

    Quant aux inepties de Borel, elles me faisaient déjà bondir quand j'étais ado! Mais mon pépé disait que le chômage c'était à cause des femmes... Fallait vraiment que je m'accroche au fauteuil pour pas ruer dans les brancards! C'était pépé quoi!
    Borel a eu du nez pour son créneau mâlebouffe (super le mot-valise) hyper tendu, excité ce type, mâle dans sa peau.

    Ce soir je pense surtout aux femmes célibataires ou avec enfant qui galèrent dans la rue même quand elles ont un job, car il n'y a guère de structures pour les accueillir, une gamine de 17 ans est morte avant hier.

    http://www.youtube.com/watch?v=mkv2mKpHddU&feature=related

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  12. @ Hébé : Tout pareil que toi sur ton premier paragraphe et bien d'accord sur ton analyse de Borel ! C'est toujours de la faute des femmes, de toutes façons, mais comme les hommes sont au pouvoir partout, elles paient un très lourd tribut aux "crises" systémiques masculines !
    http://www.egalite-infos.fr/2012/02/08/%C2%AB-les-femmes-sont-les-veritables-creancieres-de-la-dette-publique-%C2%BB/
    Et je partage ton lien Youtube (liens toujours pertinents) !

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  13. @ Hébé : Dire que les femmes sont responsables du chômage des hommes, c'est comme dire que les immigrés sont les responsables du chômage des autochtones, FAUX ! Les femmes sur le marché du travail sont comme les maliens de l'abattoir de Collinée : on les sollicite pour faire les boulots mal payés dont les hommes ou les autochtones ne veulent pas, et pour écrêter les pics d'activité, comme cela a toujours été le cas pour les femmes. Et ce sont des immigrés qu'on allait chercher qui on construit nos voitures et nos HLM dans l'immédiat après-guerre ! Mais quand survient une récession, il est commode de les traiter en boucs émissaires en ayant la mémoire courte, ce qui est proprement scandaleux !

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    1. oh! mais je suis tout à fait d'accord! C'était pépé et je discutais ferme, mais pas moyen qu'il entende raison! Il était plus têtu qu'un mur.
      Quant aux immigrés, hélas, il faut toujours des boucs émissaires, et j'ai bien peur que rien n'ait changé au royaume des nases. Et ce sont eux et les femmes qui aujourd'hui morflent le plus sur leur foutue crise qui n'est pas la nôtre mais bien celle de ces pourritures de financiers.

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