jeudi 5 septembre 2024

Refuser d'être un homme. Pour en finir avec la virilité - John Stoltenberg

 " Le sexe masculin a besoin de l'injustice pour exister. " 


Pro-féministe radical, matérialiste et universaliste, John Stoltenberg propose sa dissection au scalpel de la société patriarcale, geôle des femmes depuis des millénaires, objectifiant leur corps, érotisant la haine misogyne (érotisme sado-masochiste) dans laquelle elles se laissent piéger, pour ensuite subir les trahisons quotidiennes petites et grandes des hommes, maris, pères, frères... 

Propriété privée des vieux pères, les femmes furent les premières esclaves, leur corps fut le premier capital. John Stoltenberg livre ici le point de vue d'un homme sur la sujétion des femmes, ce qui est intéressant. Lui-même ne correspond pas au sacro-saint standard de la masculinité, car il est gay dans une société hétérosexuelle de fer, il a donc forcément subi les menaces et injonctions masculines à montrer tous les signes d'appartenance à la classe sociale des hommes, maîtres et possesseurs qui n'hésitent pas, tous les moyens d'infiltration et d'attrition étant bons à prendre, à " confisquer les rares ressources encore concédées aux femmes, quitte à se prétendre transgenre ". Son texte est aussi un plaidoyer pour un pas des hommes vers les femmes, pour leur lâcher prise de dominants, pour un compagnonnage débarrassé de leur virilité encombrante, cause tant de maux et de coûts sociaux. 

John Stoltenberg est dramaturge : ses textes ont été écrits pour être dits sous forme de conférences, d'adresses, à des publics d'hommes. Un peu à la manière d'Andrea Dworkin, dont il fut le compagnon, laquelle s'estimait elle écrivaine, mais qui, ne trouvant pas d'éditeur, devait déclamer ses écrits sous forme de conférences devant des publics d'étudiantes. Un entier chapitre documentaire est consacré à l'élaboration de l'ordonnance de Minneapolis, puis à l'amendement antipornographie sur lesquels avaient travaillé Andrea Dworkin avec Katharine MacKinnon, juriste féministe, amendement soutenu en 1982 devant la Cour Suprême des USA. Sans résultat. La trivialisation, la dégradation, la torture, le viol de corps de femmes dans la pornographie ont été justifiées, défendues, au nom du Premier amendement sur la liberté d'expression. 

Egalement manuel à usage des hommes, l'ouvrage comporte des passages de conseils à ces derniers. Décapant, sans concession ni tentation réformiste, comme les ouvrages de Dworkin, il est indispensable dans toute bonne bibliothèque féministe. L'ouvrage traduit en français et publié en 2013 est épuisé chez les éditeurs ; espérons qu'il sera réédité rapidement. En attendant, on le trouve dans les bibliothèques publiques.
 
CITATIONS
 
Sur l'arrière-plan historique : " Nous savons que les femmes ont été les premières esclaves et que leurs corps ont été le premier capital. Nous savons que la propriété masculine des enfants est antérieure à la compréhension par les hommes de la relation entre coït et grossesse. Nous ne savons pas ce que les mères savaient, parce que leur savoir a été effacé. Mais nous savons que le premier père savait qu'il était un père du fait d'être un propriétaire ; c'était le paterfamilias, ce qui signifie littéralement 'maître d'esclaves.' "

Sur l'identité sexuelle masculine : " Je soutiens que l'identité sexuelle masculine est une construction de toutes pièces, politique et éthique, et que la masculinité n'a de sens personnel que du fait d'être créée par certains actes, choix et stratégies -qui ont des conséquences dévastatrices pour la société humaine. " 

L'objectification sexuelle (des femmes) est considérée en elle-même comme la norme de la sexualité masculine. 

Sur le contrôle social de la procréation : Pourquoi les hommes s'intéressent-ils plus aux fœtus, enfants à naître, alors qu'ils se fichent généralement de ceux qui sont nés, laissant la charge de leur éducation aux femmes, après les avoir la plupart du temps abandonnées après le coït ? Leur position politique et historique sur l'avortement, remis en cause sous n'importe quel prétexte ou caprice de rédacteurs de la loi s'explique par : "le fœtus est le prolongement du phallus qu'ils ont introduit dans un vagin, avorter consiste donc à le leur couper, en d'autres termes avorter équivaut à une castration." On est toujours dans la femme objectifiée, propriété asservie à leurs buts et fins, pas un être libre de ses choix. 

Sur l'arrière plan politique : " La droite défend la propriété privée des femmes (dans le mariage), la gauche (partageuse) défend la propriété collective et sérielle des femmes " (dans la pornographie, la prostitution, la gestation pour autrui). 

Sur le militaire " Les hommes grandissent pénétrés de la terreur d'offenser des hommes plus violents et d'être attaqués par eux. Entre hommes de pays différents, la dissuasion armée (phallique) contre toute violation du territoire qu'ils possèdent est la première ligne de défense des hommes contre une agression masculine. Les comportements militaires des pays patriarcaux ont pour modèle précis les besoins psychosociaux de défense des hommes contre les agressions personnelles entre hommes. [...] L'agression que craignent les hommes -et la peur sur laquelle est basée leur 'défense nationale', est l'agression venant d'autres hommes, c'est à dire l'attaque homosexuelle. 
Les armes nucléaires sont une extension de la capacité du sadisme des hommes; elles représentent l'ultime capacité de baise, comme attestation de la masculinité. La course aux armements nucléaires ne peut être démantelée sans démanteler les structures psycho-sexuelles de la masculinité elle-même. " 

L'ouvrage chez Syllepse comporte quatre avant-propos : un premier de Christine Delphy, les trois autres des trois traducteurs hommes : Martin Dufresne, habituel traducteur en français d'Andrea Dworkin, Mickaël Merlet, et Yeun L-Y. J'espère que ce billet donnera envie de lire John Stoltenberg et aux éditeurs de le rééditer. C'est un ouvrage indispensable, écrit par un allié. Avec Léo Thiers-Vidal, je n'en connais pas d'autres.