Jeudi matin 5 janvier, sur France Info dans la Matinale, Marc Fauvelle avait invité Dominique Simonnot, Contrôleur (SIC) Général des prisons. Son prénom étant épicène, je précise que c'est une dame, ancienne journaliste, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté ; son organisme est une autorité indépendante dont vous trouverez sur ce lien le site Internet. J'ai fait un fil de tweets immédiatement après sur le sujet, mais il me semble intéressant de le développer, sur mon blog, autrement que par le format aphorisme de Twitter.
Il y a, en France, 72 000 détenus pour 60 000 places de prison. Madame Simonnot se battait donc les flancs en parlant de surpopulation carcérale, à raison car tout ceci est parfaitement anormal. Mais elle a fait toute l'interview et le journaliste avec elle, sans jamais préciser que 97 % de la fameuse (sur)population carcérale dont elle parle ce sont des hommes. Sur 72000 sous écrous, on a environ 3000 femmes incarcérées ! Surpopulation masculine délinquante, ça va mieux en le disant, mais motus, ne nous fâchons pas avec l'adversaire de classe.
D'où déploration sur le mode : ils sont serrés "comme des poulets de batterie" re SIC: alors là, je ne supporte pas ! Utiliser ce genre de métaphore pour cautionner à posteriori en le banalisant le traitement indigne que nous réservons aux animaux d'élevage pour déplorer à priori le sort fait à des détenus, comme si les saloperies qu'on inflige aux bêtes ne devaient pas à un moment ou un autre servir de modèle au cheptel humain, c'est de l'inconscience ou de la mauvaise foi. "Ils nous ont traités comme des bêtes", "il va crever comme un chien", tellement entendus : on ne traite pas les bêtes et on ne laisse pas crever les chiens en premier lieu, sans se déshumaniser, avis aux bonnes âmes qui placent l'humanité au-dessus du reste. D'autant qu'apparemment, vu le sujet traité, il n'y a pas matière.
Comment résoudre un problème sans le nommer ?
C'est impossible. Les incivilités masculines, la délinquance, les crimes, les viols, la violence routière, les féminicides, les braquages de banques, les incendies de voitures ou de forêts, les agressions contre les forces de l'ordre..., tous ces faits sont en majorité commis par des hommes. Il ne sert à rien de débattre sur la nécessité ou non de l'incarcération, sur ses effets délétères, quand on ne peut pas / veut pas dire que ce sont les hommes qui commettent en majorité ces infractions, de la plus bénigne à la plus grave. Si on fait un calcul rapide, et si les hommes étaient incarcérés dans la même proportion que les femmes, c'est à dire si leur niveau de délinquance était symétrique à celui des femmes, on n'aurait besoin QUE de 6000 places de prison, soit 10 fois moins que l'offre actuelle, qui n'est même pas suffisante. Alors pourquoi continuer à considérer que les femmes en prison sont l'anomalie, et que les hommes en prison sont la norme ?
Le fait que les hommes sont surreprésentés dans une telle proportion dans la délinquance devrait être la première question à se poser : qu'est-ce qui ne va pas chez eux, qu'est-ce que la société rate dans leur éducation pour qu'ils soient à ce point antisociaux ?
Le reste de l'interview, partie sur de si mauvaises bases, a fait que les constats et les solutions proposées étaient du même acabit. Constat en forme de refrain et de scie : "la prison est l'école de la récidive", chez les hommes seulement, parce que les femmes, elles, ne récidivent jamais. Primauté là aussi du "modèle" masculin. Hors du modèle masculin point de salut. Pas de pensée possible.
Proposition, de la contrôleure donc, sachant qu'il n'est pas question de dire qu'on va construire de nouvelles prisons puisque le système carcéral qui donne de si mauvais résultats est en faillite : les faire travailler sans être payés ! Bravo, faire autant d'études pour dire des biteries pareilles ! C'est évidemment une idiotie, puisque cela introduit une concurrence délétère avec le travail salarié ; déjà que dans les ateliers carcéraux où on leur propose de travailler (en gros ils peuvent faire n'importe quel travail en distanciel, téléphoniste sur une plate-forme d'appels ou de dépannage en ligne par exemple), ils sont payés des clopinettes, travailler gratuitement est la pire des propositions possibles. Tout travail mérite salaire. Si travail il y a, il mérite le salaire de la branche professionnelle dans laquelle ils exercent leurs talents, ou minimum le SMIC, s'il n'y a pas d'accord de branche. Sauf à cautionner la non application du Code du travail et à introduire des lieux de non droit. Comme procédé de réinsertion, franchement, on fait mieux. En revanche, si vous cherchez à les dégoûter du travail et de la vie normale en société, allez-y, excellente idée.
En conclusion, comme on peut le constater, l'universalisme au masculin sert à cacher, à refuser de voir que le comportement des garçons et des hommes cloche. C'est l'éléphant dans la pièce. La société patriarcale tient à masquer le fait que les comportements virils, les pratiques de la virilité ont des effets délétères et nous coûtent "un pognon de dingue" selon qui vous savez, dans un autre contexte. Alors que l'autre moitié de l'humanité, elle, malgré les avanies, les mauvais traitements infligés (les filles et femmes sont les plus maltraitées par la société patriarcale et ceci à tous les âges de la vie, bien plus que les garçons alors que la société invoque leur misère sociale pour leur trouver des excuses), malgré les discriminations qu'elles subissent, et que leur calme et leur vertu ne sont jamais reconnues, ni gratifiées ni rétribuées. Le patriarcat et ses porteurs et porteuses d'encens ont bien l'intention de ne pas s'attaquer au statu quo. De fait on peut dire que c'est un programme politique. Même les femmes, éternelles ennemies de leur propre classe, refusent de voir la big picture ou acceptent de se leurrer, en réclamant des mesures réformistes qui ne modifient le système qu'à la marge, sans toucher à ses fondamentaux.
Boys are boys, boys will be boys. Le mantra de la démission.
Bonjour Hypathie, tu as sans doute entendu parler du livre de Lucile Peytavin "Le coût de la virilité". Plusieurs milliards pour maintenir les prisons, réparer les dégâts des détoriations , soutenir les femmes agressées (hélas mal et pas assez ) Etc. Sans compter que ce sont eux qui dévastent quand leur club, leur champion ou comme au Brésil dernièrement leur Président a perdu. Oui qu'est-ce qui ne va pas ? La culture du virilisme, c'est évident. Ca commence à bouger mais si lentement! Bonne année quand même
RépondreSupprimerMerci de ton commentaire : évidemment que j'ai entendu parler du livre de Peytavin, j'en ai même fait une chronique, vu que c'est dans mes sujets. Bonne année aussi ;)
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