dimanche 1 novembre 2020

L'éléphant dans la pièce (Buveurs de sang)

The elephant in the room : ou comment ne pas voir ce qui est pourtant énorme, les désastres provoqués par la violence et la frustration masculines. Dans un silence assourdissant.

Après un attentat terroriste de plus, incessant défilé de frustrés enragés "faisant effraction dans le réel" pour nous terroriser, sidérer la société, et tenter de provoquer une guerre civile, on a une fois de plus le même déluge de commentaires, analyses, contre-analyses de spécialistes, généralement tous des hommes, suroccupant les plateaux télé, les colonnes de journaux et les médias sociaux, proposant leurs solutions devant des animateurs et animatrices s'arrachant les cheveux pour ceux qui en ont encore : que faire pour lutter contre la violence de ces "individus" "loups solitaires" (vraiment on l'entend encore !) et "personnes radicalisées" (une personne, c'est personne disait un de mes clients se trouvant spirituel), après des micro-trottoirs déplorant que la religion qui est tout amour, conduise certains à de telles actions déviantes. Mais jamais personne ne fera remarquer ce qui crève pourtant les yeux : les terroristes sont des hommes à 99 % ! 

Il y a bien eu les trois femmes aux bouteilles de gaz aux abords de Notre-Dame en plein cœur de Paris en 2016, pourtant téléguidées par les combattants de l'EIL au Cham, mais elles avaient été sans doute mal briefées, elles avaient arrosé les 6 bonbonnes de fuel au lieu d'essence "parce que c'est moins cher" SIC, du coup le fuel étant moins inflammable, elles ont raté leur coup. Elles ont été jugées, et elles ont pris cher, 30 ans, pour la principale accusée Ines Madani. 

" L'homme a une préférence marquée pour les objectifs "virils", la guerre et la mort

Mettez-vous en tête mesdames que dans les religions du Livre, issues de la proto-histoire, narrations épiques transmises oralement par des éleveurs de moutons du Néolithique, les femmes ont pour destin de reproduire l'espèce ; nous avons même été domestiquées pour ça. Les hommes font la guerre, les femmes fournissent les soldats pour leurs guerres, c'est ainsi que ça fonctionne. Dans les territoires conquis par Daech, pour ne citer que cet exemple récent, les femmes converties ou radicalisées arrivant au Cham étaient mariées immédiatement à un combattant, ou le lendemain de leur veuvage quand le premier, voire deuxième, troisième mari tombait au front, et elles étaient parquées dans le quartier des femmes à Raqqa, (une "ferme" aurait dit Dworkin) la capitale de l'EIL. Source Le jihadisme français de Hugo Micheron. Celles, occidentales, élevées dans l'égalité avec les garçons, qui étaient venues pour combattre aux côtés des "frères" en ont été pour leurs frais : on ne va quand même pas donner une arme à une femme, elle pourrait être tentée de la retourner contre son oppresseur ! Pour domestiquer les femmes, les rendre à merci, il a fallu leur imposer le tabou des armes

" Le système de compensation le plus courant du mâle, à savoir dégainer son gros calibre, se révélant notoirement inefficace, puisqu'il ne peut le sortir qu'un nombre limité de fois, il dégaine sur une échelle franchement massive, donc sublime, prouvant ainsi au monde entier qu'il est un "Homme". "

Tenter d'expliquer ces passages à l'acte violents, comme le font certain-es par la frustration sociale et la désocialisation de "laissés pour compte", lumpen prolétaires relégués dans des banlieues tristes, ne résiste pas à l'examen. D'abord parce que pas mal s'en sortent et fournissent même des député-es à la République, et puis surtout parce que les plus mal loties dans ces quartiers, ce sont les femmes ! Mal traitées par la société patriarcale, elles peuvent l'être en plus par leurs familles, leurs frères, pères et maris, les voisins, tous les membres de la famille ou du clan. Exemple entre cent, une jeune femme tondue par sa famille parce qu'elle ne fréquentait par un garçon "acceptable" par le clan. Elles ne se saisissent pourtant pas de kalashnikovs ni même des couteaux qui ne manquent pas dans leurs cuisines pour foncer dans le tas. Alors ?  

" Notre société n'est pas une communauté, c'est un entassement de cellules familiales. Miné par son sentiment d'insécurité, l'homme est persuadé que sa femme va le quitter si elle s'expose aux autres hommes et à tout ce qui peut présenter une lointaine ressemblance avec la vie. Aussi cherche-t-il à l'isoler de ses rivaux et de cette faible agitation qu'on nomme civilisation, en l'emmenant en banlieue pour la caser dans une rangée de pavillons où s'enferment dans une contemplation mutuelle des couples et leurs enfants "

Notre classe sociale femmes est maudite : au mieux, nous sommes diffamées par la société misogyne, au pire, nous sommes passées sous silence, nos actes de bravoure (ailleurs que sur des champs de bataille, il faut du courage pour affronter le quotidien, pas mal d'hommes n'y arrivent pas) et notre grand calme inclus. Taxez-moi d'essentialisme, je m'en moque. Les femmes ne sont pas élevées, construites socialement comme les hommes, et malgré un siècle de féminisme, côté actions malveillantes (mâleveillantes ?) nous sommes toujours sous le plafond de verre : meurtres, braquages de banques, viols, délinquance sexuelle, terrorisme, tueries de masse. Ils tiennent toujours massivement les statistiques de la délinquance : 97 % de la population carcérale française ce sont des mecs. C'est qu'il y a des raisons à notre stagnation : on ne vient pas en un siècle à bout de 6 000 ans de domestication, de conditionnement par la peur, de castration psychique et métaphysique et même physique (sexes coupés, mutilations génitales diverses, pieds déformés...) à coups de pieds et de poings, de viols laissant des traces dans la psyché, de traumas se transmettant de générations en générations ! A l'inverse des autres opprimé-es, ouvrièr-es, femelles animales, nous sommes impliquées émotivement, affectivement, physiquement avec nos oppresseurs, pire, nous leurs fournissons leurs troupes et leurs soldats. Nous sommes mithridatisées, isolées les unes des autres à dessein depuis 6000 ans.

" Même chez les femmes à la coule, les amitiés profondes sont rares à l'âge adulte car elles sont presque toutes ligotées à un homme afin de survivre économiquement, ou bien elles essaient de se tailler un chemin dans la jungle et de se maintenir à la surface des masses amorphes. "

" Aucune véritable révolution sociale ne peut être réalisée par les hommes, car ceux qui sont en haut de l'échelle veulent y rester et ceux qui sont en bas n'ont qu'une idée, c'est d'être en haut. La "révolte" chez les hommes n'est qu'une farce. Nous sommes dans une société masculine, faite par l'homme pour satisfaire ses besoins. S'il n'est jamais satisfait, c'est qu'il lui est impossible de l'être.

Si l'on fait l'inventaire de 6 millénaires de pouvoir masculin prédateur et sans partage, que constatons-nous ? Une population planétaire provoquant des effractions incessantes dans les espaces des autres terriens avec les risques inhérents, la guerre avec les autres espèces pour l'espace vital, le vidage, l'épuisement et la dégradation du biotope terrestre et marin par extractivisme à coups de gros engins phalliques ; débordements d'ordures non dégradables, surpêche, braconnage -dans pas mal de cas pour soutenir leur virilité défaillante, que paient aussi bien les espèces animales que les espèces végétales ; guerres de haute et basse intensité à cause de leurs systèmes de croyances délétères, obscurantistes, aliénantes, concurrence entre eux pour des "terres vierges" restant à saccager, la compétition sans cesse promue au détriment de la coopération qu'il laissent aux "femmelettes", la course en avant au "progrès" privilégiant toujours le curatif au préventif ; la détérioration du climat qu'ils promettent, ces forcenés, de régler par la géo-ingénierie voire la colonisation hypothétique d'autres planètes, "Big Bang, Big Phallus" (Federici), et même si quelques-uns arrivent à se carapater vers les étoiles, l'humanité, celle qui n'a pas été "augmentée", restera dans les décombres de ce qui fut notre havre. Car ces nouvelles colonies ne seront pas peuplées comme les précédentes, de voleurs, outcasts, bagnards-lie de la société, mais d'hommes et de femmes technologiquement et biologiquement transformés. On le voit, le tableau des bénéfices n'est pas brillant, même si les services de recherche et développement sont littéralement capables de miracles d'inventivité et de créativité. On peut même se demander s'ils ne favorisent pas leur hybris chronique, leur sentiment de toute puissance. Mais ils pourraient bien trouver leur Némésis ! 

Et nous, les femmes, voulons-nous du rôle de " co-gérantes de la merde ambiante ", laissant faire et regardant passivement le ravage se commettre ? N'est-ce pas notre tour, à nous qui gérons leur quotidien pendant qu'ils vont prétendument à la chasse ou à la guerre, ce qui revient désormais au même ? Peut-être ne ferons-nous pas mieux, mais au moins essayons ce qui n'a jamais été fait, le pouvoir aux femmes ! Qu'est-ce qu'on a à perdre, nous les femmes, quand on voit le résultats de leurs contre-exploits et de leurs méfaits ? Préférons-nous rester des " Filles à son Papa, gentilles, passives, consentantes, 'cultivées', subjuguées, apeurées, ternes, angoissées, avides d'approbation, déconcertées par l'inconnu, " ou au contraire des "grisantes", des SCUM, des " femmes dominatrices, à l'aise, sûres d'elles, méchantes, violentes, égoïstes, indépendantes, fières, aventureuses, sans gêne, arrogantes, qui se considèrent aptes à gouverner l'univers, qui ont bourlingué jusqu'aux limites de cette société... " ? Les adjectifs de la précédente phrase, n'oubliez pas, ont été forgés, stigmatisés, par le patriarcat et ses allié-es pour nous tenir dans l'aliénation, la peur et la dépendance. Ils ne sont pas péjoratifs mais valorisants, ils sont destinés à briser nos chaînes. 

Les citations en caractère gras et rouge retranscrites dans ce billet sont extraites de SCUM Manifesto, pamphlet écrit en 1967 par Valerie Solanas. Il garde 50 ans après toute sa verve, tout son pouvoir subversif et révolutionnaire. Malgré quelques errances essentialistes, et références douteuses, ce texte est un dazibao, un coup de gueule, plus hurlé qu'écrit : Valerie Solanas survivait en marge, comme pas mal de femmes, en faisant la manche et en se prostituant, elle avait donc quelques raisons d'être dans une colère noire. Texte fun, accrocheur, avec un sens inégalé de la punchline, texte assertif et empouvoirant, texte salutaire donc.  La colère, ce sentiment si réprimé chez les femmes : avec Valerie Solanas, affirmons notre droit d'être en colère, une colère motrice, pulsion de vie, refusant le statu quo et l'abattement devant leurs perpétuelles pulsions de mort.


" Si les femmes ne se remuent pas le cul en vitesse, nous risquons de crever tous

mardi 20 octobre 2020

Billet sur la culture de l'effacement et des petites compromissions politiques

Tandis que la France en état de sidération pleure la mort d'un de ses professeurs assassiné par le fanatisme religieux obscurantiste, que l'enquête révèle une chaîne d'événements, et dans doute de complicités, de corruption même (donner 300 € à des mômes de 12 à 14 ans pour qu'ils désignent une victime !), se catalysant pour aboutir à cet acte horrible, la mise à mort d'un professeur de collège attaqué puis décapité sur le chemin de retour de son travail, on découvre le pouvoir de nuisance des medias sociaux quand ils sont utilisés par une secte de fanatiques (je parle de l'Islamisme et de son projet politique totalitaire) prétendant par la censure et le meurtre faire régner l'ignorance, tenter d'instaurer le fascisme, d'éteindre les lumières en France, mais aussi partout dans le monde. 

Depuis quelques mois ou années, certains medias sociaux arrivés à maturité (ayant fait le plein d'adhérents) se transforment sous nos yeux en déversoirs de torrents de haine, où les mêmes perpétuelles victimes de différentes "offenses" jettent l'anathème sur leurs prétendus oppresseurs, chacun défendant sa petite ou grande cause, obligeant les plus modérés d'entre nous soit à prendre parti sous peine d'être "annulé-es" -cancel culture ou culture de l'annulation en français- si on n'est pas d'accord avec eux/elles. Leur poids est tel que ces medias tendent à censurer tout propos non conforme à la grande plainte des perpétuels offensés. Ils sont de tous ordres, s'estimant offensés en tant que groupe sociaux. Rajoutez le puritanisme étasunien d'où viennent ces plates-forme, cela donne les errances et bourdes que l'on sait désormais : sur Facebook, on ne peut pas publier l'Origine du Monde, le tableau de Gustave Courbet, ni sans doute non plus la réponse de l'artiste performeuse Orlan au même Courbet un siècle plus tard, L'Origine de la Guerre, les deux oeuvres représentant respectivement un sexe féminin et un sexe masculin en premier plan dans les deux tableaux. J'ai moi-même fait les frais de la publication de ces oeuvres "blasphématrices" durant les 4 mois où j'ai été sur ce réseau. De même, rapporte Alice Coffin dans Le génie lesbien, le mot "lesbienne" qui a toujours été stigmatisant et mal porté de tous temps, est très mal vu sur Twitter. Que Twitter ait mis pas loin de 24 heures à suspendre définitivement le compte de l'assaillant de Samuel Paty le professeur assassiné, où était publiée l'image de sa tête coupée, en dit long sur leur définition de l'obscénité : deux sexes humains sont obscènes MAIS PAS les images d'un homme supplicié. Pas plus que ne l'étaient les simulacres ou réelles décapitations propagandistes de L'Etat Islamique. Habituelle inversion patriarcale. Pendant que chez les mêmes on nous restreint ou suspend définitivement des comptes peut-être un peu énervés, mais certainement pas appelant au meurtre. Je pense à deux abonnées dont une blogueuse qui en ont fait les frais, mais c'est tous les jours. 

Sur mon compte Twitter, le seul emploi du mot voile, pour ne citer que celui-là, me vaut d'être mise à l'index par les féministes libérales adeptes du choix de l'aliénation par consentement individuel : mon corps, mon choix, mon voile. Emettez-vous la moindre objection ou contestation au choix individuel de certaines à s'envelopper de kilomètres de tissu ? Elles se désabonnent, voire vous bloquent. Ce qui ne les empêche pas de venir lire ce que vous écrivez après, ou même à vous faire des emprunts non crédités : je retrouve régulièrement mes phrases, mots valises et jeux de mots que j'ai inventés, repris dans des tweets, des textes, voire des livres, sans être citée ou créditée, par des internautes qui n'ont même jamais été abonnées ou qui m'ont bloquée ! 

Les "féministes véganes" et antispécistes sont les plus rapides à dégainer leur aversion pour quelques-uns de mes tweets. Jamais un mot de solidarité avec eux ou leurs avocates, au nom d'une solidarité avec des opprimé-es fantasmé-es, pour les animaux abattus dérogatoirement dans les abattoirs de la République selon les deux rites juif mais surtout halal, puisque désormais les "musulmans" ou fantasmés tels sont les "persécutés" qui concentrent toute l'attention. Les plus hardies, à leur maximum, se contentent d'un favori de temps en temps. On se dit antispéciste, mais le racisme mou du différentialisme culturel l'emporte : le sujet étant accaparé par la seule extrême-droite, les autres sont donc assimilé-es à cette idéologie délétère. Les animaux ? Mais what the fuck, c'est que des bêtes. Un comble.

Revenons au voile : c'est un linceul, un stigmate, puisqu'il est imposé aux seules femmes. Il permet le contrôle des femmes dans l'espace public, parce que c'est dans l'espace public qu'il est obligatoire. Ainsi habillées, les hommes peuvent exercer leur contrôle sur les déplacements des femmes, plus facilement repérables puisque l'uniforme est de rigueur. Eux, par tous les temps, et surtout les temps chauds d'été, sont en polos, shorts, chemisettes et nu-pieds, personne n'objecte. L'espace public est le lieu des hommes, eux seuls y ont accès ; les femmes peuvent toutefois l'emprunter mais à des heures décentes, dans la journée, les heures ouvrables de préférence, ce qui rétrécit encore les plages horaires, et pour de bonnes raisons utilitaires : aller conduire et chercher les mômes à l'école, les conduire chez le médecin, faire les courses ; bien entendu, pas question d'aller se détendre dans un bar ou un café, mule étant quand même la principale utilisation des femmes par les hommes, leur reproduction perpétuation venant immédiatement après. Bonniche et mule : le destin promis par les patriarcaux. 

Que des femmes dans des régimes religieux totalitaires se battent collectivement pour sortir de l'ensevelissement imposé par des barbus haineux de tout ce qui est féminin et surtout de notre autodétermination, luttent en prenant tous les risques, de l'embastillement pendant des années jusqu'à la peine de mort, n'émeut pas nos censeures adeptes du choix individuel aliénant ; elles mettent même en parallèle les deux situations : dans ces pays, des femmes prennent collectivement tous les risques pour se dévoiler, ici dans nos pays démocratiques très tolérants à toutes les inepties présentées sous le label "mon choix", elles ne prennent aucun risque ou tellement minimal que leur seule option est de se poser en victimes offensées quand on émet une (faible) protestation. 

Oui mesdames, vous avez le droit de vous empaqueter dans des kilomètres de tissus, vous avez le droit de vous laisser mettre des menottes et des boulets au pieds dans le mariage et la maternité, vous avez même le droit de vous faire tatouer, puisque vous aimez les choix indélébiles et définitifs, "Dieu est mon droit" sur le décolleté, et il y a même des chances que cette bonne fille qu'est la Sécurité Sociale vous remboursera le détatouage quand vous voudrez balancer par dessus les moulins vos choix faits à une époque, choix que vous renierez à une autre, une fois redevenues lucides. Mais, par pitié, ne venez pas nous expliquer que vos choix sont incontestables et doivent être incontestés. Assumez, comme nous les férales assumons les nôtres, en les payant cher et sans nous plaindre, puisque responsables nous estimons être de nos choix. 

J'ai eu à une époque un collègue de travail catholique pratiquant qui allait à la messe tous les dimanches, qui avait 4 enfants dont des filles, et qui, très lucide et prouvant que les Lumières sont accessibles aux croyants, me disait "nos filles, on les enseigne de façon à ce qu'elles s'autodéterminent quand elles seront adultes, mais si elles choisissent après tout d'être esclaves, elles feront comme elles voudront, nous n'aurons rien à nous reprocher. Voilà, faites vos choix et ne venez rien reprocher aux autres. 

"Le féminisme est une épistémologie", ( disait Catharine MacKinnon qui rajoutait : "à chaque fois que je dis cette phrase, on me taxe de pédanterie, mais pourtant c'est vrai !"), pas une adhésion, ni un compromis aux dogmes patriarcaux.

Donc, en conclusion, vous n'êtes pas obligées de suivre aveuglément les suggestions d'abonnements de Twitter ou Facebook, lisez mon profil, je me casse le derrière à en écrire un c'est pour qu'il soit lu. Personnellement, je ne suis pas offensée et je ne me désabonne pas quand je vois passer un tweet excessif du genre "Macron dictateur", ou "racisme d'état" en parlant de l'administration française, excès de langage avec lesquels je ne suis pas d'accord. Essayez l'Iran ou le Corée du Nord en point de comparaison. Je sais que nous serons d'accord sur d'autres sujets à d'autres moments. Et surtout je ne suis pas susceptible ni adepte de cette culture de l'effacement de l'autre dès qu'on n'est pas d'accord avec elle ou lui. C'est pathétique ces caprices de sauteuses annulatrices de ce qui ne leur convient pas. 

Je suis blogueuse depuis dix ans, je me souviens parfaitement sur quelle idée initiale j'ai décidé de le devenir, alors que je lisais les blogs des autres depuis 2003 : "j'ai moi aussi des choses à dire, je vais les dire à ma façon, je ne me censurerai pas. Pas question d'édulcorer ni de tenter de plaire". J'espère avoir tenu ma promesse. En qualité de blogueuse, je soutiens la liberté d'expression, je suis professeure, je suis Samuel Paty, je suis toujours Charlie ! La liberté d'expression ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. Vive les blasphématrices, vive toutes celles qui ne se soumettent pas. 



dimanche 4 octobre 2020

La misandrie n'existe pas

Cette semaine la sortie d'un livre a bien excité les medias main stream et sociaux : une blogueuse autrice a fait le buzz (bzzzz, les abeilles crèvent, l'humanité prend la relève) : je ne cite pas de nom, je ne fais pas la publicité des libérales, elles n'ont pas besoin de moi pour ça. Si vous avez loupé le truc c'est que vous vivez dans une chambre anéchoïque, heureuse que vous êtes. Je résume le début de l'action : la petite maison d'édition de Martin Page, tire l'ouvrage à 500 exemplaires, un obscur fonctionnaire du Secrétariat aux droits des femmes fait une ruade en voyant le titre, menace de porter plainte pour incitation à la haine (les mecs ne doutent de rien), scandale sur les medias sociaux, gros bzzzz donc. Le Seuil se dit qu'il y a un coup éditorial à faire, rachète les droits à Monstrograph et tire à 30 000 ! En réalité, l'autrice dite misandre, qui écrit moi les hommes, je les déteste, vit en couple avec un homme. Elle le disait en tous cas dans l'article que j'ai lu dans Libération cette semaine, journal jamais en retard quand il s'agit de promouvoir le libéralisme. Et puis, comment dire, le stigmate infamant de la "vieille fille" plane toujours. Normalement dans ma rationalité, quand on se prétend misandre, qu'on pond un livre pour expliquer que "men are trash", on applique. Sinon, c'est de la schizophrénie. On nous a fait le même coup avec l'autrice de No Kids qui a fait en son temps un tabac en librairie sur la non maternité tout en ayant mis au monde ses quatre enfants ! La protestation contre une injonction à laquelle on s'est empressée d'obéir, sujet gagnant en librairies.

Du coup, on se déchire de plus belle sur Twitter : "La misandrie n'existerait pas s'il n'y avait pas le patriarcat" ai-je lu dans un tweet de supportrice. Mais la misandrie n'existe pas ! Le patriarcat brille de mille feux, il reçoit même le secours, inattendu il y a encore quelques années, des religions. Les femmes continuent d'être blessées ou meurent sous les coups dans le conjugo ou dans les faits divers. La misandrie, elle, n'a jamais tué personne. Les femmes subissent tout sans moufter ou presque, pavé sur la langue, la chappe de silence est en béton renforcé, possiblement résistant à une charge nucléaire. Même quand il se produit un "crime imprévu" -Le Parisien-, mais comment peut-on écrire des biteries pareilles, c'est à se cogner la tête contre les murs, 'tiens je n'avais pas prévu de crime ce soir, mais comme l'occasion se présente, euh allons-y' ? Quelqu'un les relit ou bien ? On organise des marches blanches qui n'ont jamais rien arrêté, protestations consensuelles sans jamais dénoncer l'agresseur, déni sociétal, consensus mou, zéro affichage de conscience politique ! 

Juste la même semaine, la préfecture des Vosges faisait tirer sur un loup "particulièrement agressif" (Sud-Ouest) qui s'attaquait aux sacrées vaches à traire des éleveurs, il serait même rentré dans les étables (toujours Sud-Ouest). Même remarque : qui relit leurs articles ? Non parce qu'un loup qui ouvre la porte d'une étable quand même, c'est un surdoué. Ou alors il est porteur d'une mutation génétique ! Je ne peux pas m'empêcher de faire la comparaison tant c'est frappant : le loup leur sert de défausse, toujours décrit comme méchant, toujours calomnié, toujours persécuté, exécuté sans états d'âme par des préfets alors qu'il est une espèce protégée ; du "loup solitaire" djihadiste, au loup dévoreur de brebis qui "entre dans les étables", non mais ils se sont bien regardés les mecs ? Les vaches patriarcales symboliques sont bien gardées, les autres restent dans les champs, non gardées la nuit sauf par des clôtures, écornées, sans défense, ainsi fonctionne l'élevage, métaphorique de ce qu'ils font à toutes les exploitables qui passent.  

Pour l'instant le loup "solitaire" fantasmatique, c'est ZERO enfant et ZERO femme tuées. Pour les hommes, suivez le décompte de Féminicidespar compagnons ou ex

La misogynie elle, infeste partout la vie des femmes. Elle est universelle. Même les femmes s'y mettent : "mon dieu qu'elle horreur" lit-on chez une twitteuse généralement mieux inspirée, commentant le livre scandaleux, ou "nous on les aime, nos bonhommes" SIC. Notez que j'espère pour elle, car, tant qu'à en avoir un en résidence permanente à la maison, autant que ce ne soit pas le pensum intégral. C'est peut-être aussi le syndrome "moi, j'ai tiré le bon numéro à la loterie"? Quoique, quand même. C'est dingue de se précipiter cornes en avant pour défendre la classe sociale opprimante. D'autant que, sur mes medias sociaux, les mecs restent de marbre, aucune protestation. A moins qu'ils sont assurés que la sous-traitance va fonctionner, et de fait, elle fonctionne. Même pas besoin d'appuyer sur un bouton. 

Tout ça, c'est noyage de poisson. Tant qu'on parle de fantasmes, on n'aborde par les vrais sujets. Oui sujets, vous avez remarqué, il y a fort longtemps, on disait problème, puis on a glissé insensiblement vers souci (pas de souci à toutes les fins de phrases), puis enfin on est arrivées à "sujet", complètement neutre, zéro malveillance ou réputée telle. Le sujet donc, c'est la misogynie rarement dénoncée, bien portée dans tous les milieux ; destinée à nous couper les jarrets, à freiner nos élans, à nous tenir dans leurs rets et sous leurs plafonds de verre. Message reçu, le terrorisme masculine fonctionne bien, chaque femme massacrée est un message pour toutes les autres. Tenez-vous à carreau ; après la découverte du cadavre de Victorine, les femmes de la région évitent de sortir la nuit. C'est le but, nous forcer à rester au gynécée, la place qui nous serait assignée de toute éternité. 

Et pourquoi on laisserait ses "semelles de vent" à ce "vagabond" mauvais garçon fugueur de Rimbaud ? Tout de même, quand il lui arrivait des crosses, pas fou, il rentrait à la ferme, chez sa mère et sa sœur, à Charleville-Mézières. J'ai certainement moins de talent que Rimbaud, je ne vais par me comparer, mais je ne rentre pas chez ma mère et mes sœurs quand il m'arrive un fort coup de vent, je fais face. Ainsi se perpétuent les légendes urbaines masculines. Nous aussi, les femmes, nous pouvons refuser la lourdeur matrimoniale pour adopter des semelles de vent, on peut choisir l'autodétermination, choisir de vivre une vie non pas "par procuration" comme le dit faussement Jean-Jacques Goldman (la pop culture distille aussi très bien les diktats patriarcaux), mais une vie de décisions et de choix en autonomie ; moi je prends mes décisions et fais mes choix seule sans en référer à Valentin, debout, devant, pas trois pas derrière. La société peut aussi bien me traiter de misandre si ça lui chante. Le conformisme hétérocentré, reproductif, grégaire, m'a toujours gonflée. J'ai toujours préféré les minorités aux majorités. Au fond, dé-domestiquons-nous, devenons des férales* ! 


* Un animal dit féral a été domestiqué puis est retourné à l'état sauvage. 

lundi 28 septembre 2020

Carnage : Pour en finir avec l'anthropocentrisme

Egorgés, abattus au fusil après une course épuisante, piégés, étranglés dans des collets, braconnés, trafiqués, enlevés à leurs parents et transportés enfants hors de leur biotope (la folie des guépards en Arabie saoudite), butés par des gendarmes ou des officiers de louveterie parce qu'ils ont tenté d'échapper à l'abattoir, ou parce qu'ils "prolifèrent", peu importe qu'ils soient "protégés" par deux conventions internationales (loups) ; esclavagisés dans des zoos et des cirques, battus avec des pioches et des pinces, éviscérés vivants, étouffés, remontés des fonds abyssaux, organes éclatés par la différence de pression, nassés, empoisonnés au cyanure, retournés sur le dos et égorgés dans des pièges à l'abattoir, noyés dans leur sang giclant jusqu'au plafond et sur les murs, mal étourdis électrodes dans l'œil quand ils sont des porcs, ébouillantés et dépecés vivants à la scie pour les vaches, porcs, volailles, chassés pour leur ailerons puis rejetés vivants à la baille pour les requins, expérimentés dans les laboratoires pharmaceutiques (chiens, rats, souris, macaques), encagés dans des cirques, incarcérés donc rendus fous dans des zoos, accablés de charges aussi lourdes qu'eux qu'ils portent jusqu'à épuisement, assassinés dans des chasses-loisirs par des gros tas américains s'exhibant ensuite sur leurs cadavres ; envoyés à la mort dans nos incessantes guerres stupides, envoyés en troupeaux sur des champs de mines pour les faire exploser en explosant eux-mêmes (moutons sur les plages du Débarquement), traversant des champs de bataille avec le courrier accroché au cou (pigeons), porcs vivants utilisés comme matériel de crash test dans l'industrie automobile ou utilisés comme matériel d'expérimentation militaire ; modifiés génétiquement pour produire toujours plus de muscle ou de lait, confinés dans des élevages où règne une telle promiscuité qu'ils en deviennent fous, tripotés par des touristes, ces plaies invasives, dépouillés de leur fourrures et peaux pour en faire des manteaux et des sacs, jamais en paix, et avant tout calomniés par l'espèce humaine, rejetés dans une altérité radicale, pour mieux les exploiter dans toutes sortes d'industries lucratives et puissantes ; butés sur les bords des routes parce que les quadrillages de nos voies routières, ferrées et maritimes de leurs territoires les font prendre tous les risques pour se rencontrer, s'accoupler ou simplement se nourrir ; étouffés avec des sacs plastiques en mer et sur terre, la gueule arrachée par un piège bourré d'engins explosifs comme les éléphants en Inde... 


La première moitié du livre tente un recensement du malheur infligé aux animaux par l'espèce humaine. C'est accablant. Tant et si bien d'ailleurs que le vivant est en train de s'effondrer autour de nous, dans l'apathie repue générale. Le spécisme -action de considérer qu'une espèce est plus importante qu'une autre et que les autres espèces sont des moyens pour les fins humaines- continue ses ravages : pas une journée ne se passe sans que nous en soyons témoins ! Ainsi ce matin, sur France info, chronique de l'histoire édifiante d'un "rat mignon, oubliez le vilain rat en bas de chez vous" SIC qui a été médaillé pour avoir détecté des mines au cambodge. Sous-texte pour les mal-comprenant : quand ils nous rendent des services, les animaux sont utiles et l'espèce humaine les tolère et peut même les trouver "mignons" ! Evidemment, ça ne tient pas une minute, allez voir la photo, c'est un rat, de l'espèce rat, et si vous trouvez les rats moches, surtout comparés à la magnifaïque, bellissime, hors-concours espèce humaine, en face de la bête, vous allez monter sur une chaise ou vous évanouir. A l'instar de sa cruauté, la mauvais foi humaine n'a pas de fond. 

La deuxième partie du livre se demande s'il y a des justifications à un tel massacre d'être vivants : "l'espèce humaine tue consciemment volontairement chaque minute dans le monde, plus de 2 millions d'animaux". Ils sont généralement décomptés en tonnages, les abattoirs affichant rarement le nombre d'individus (sentients, éprouvants des émotions, détenant un savoir qu'ils transmettent à leur jeunes, mères maternelles) ; c'est notamment le cas des pêcheurs qui ne savent, ne comptent pas individuellement leurs prises, ils raisonnent systématiquement en "stocks", "ressources" et "tonnages", cela aboutit à  vider les océans et les mers sans états d'âmes en utilisant des technologies de guerre (sonars, radars détecteurs de bans, grenades, harpons..). Car c'est bien d'une guerre dont on parle. Une guerre d'extermination. 

" Une plainte continue monte des fermes, des laboratoires, des arènes, des cuisines, des abattoirs, des niches, des cages ou des bois, de toutes les parcelles de la Terre. Le cri des bêtes nous assourdit. Leur sang nous inonde. Ceux à qui on laisse la vie sauve ne connaissent pas un sort plus enviable. Captifs ou dressés, ils offriront toujours une image de vaincus dans un monde entièrement gouverné par des rapports de force d'autant plus admirables qu'inutiles, arbitraires et gratuits. " *

Pour Jean-Marc Gancille, le réformisme, le welfarisme (agrandissement des cages, libre-parcours, cameras dans les abattoirs pour surveiller les "bonnes pratiques d'abattage" SIC, les abattages à la ferme sensés supprimer les transports sur de longues distances, la défense de petits pêcheurs artisanaux contre les chalutiers industriels, en démontrant, chiffres à l'appui, que la Méditerranée a été vidée par des pêcheurs à bateaux de moins de 12 mètres..., toutes ces bonnes intentions ne font que masquer que, finalement, c'est toujours à la mort de l'animal qu'on aboutit. Pour RIEN. Nous n'avons aucun besoin de viande ni de poisson pour nous nourrir : les végétariens et véganes actuels, ou venant du fond de l'histoire, car ce mouvement de libération animale existe depuis que les humains arpentent la planète, en sont la preuve vivante et en bonne santé sous nos yeux, le contester fait montre d'une obstination dans la mauvaise foi. Le réformisme ne fait que, au final, justifier le système, le cautionner, le faire durer. Ce que font les désespérants écologistes actuels, type EELV, avec leurs oxymores "développement durable, viande éthique, pêche artisanale, gestion de la ressource"... : le malheur et l'arnaque se perpétuent. La façon dont l'humanité traite les animaux, notamment dans l'industrie de l'élevage, par caprice de riches, est un naufrage moral. 

Les animaux sont, comme nous, l'aboutissement d'une longue évolution, comme nous le résultat d'une longue adaptation parsemée d'écueils surmontés, d'apprentissages et de transmission de ces apprentissages. Mieux même, nous sommes tous interdépendants : l'humanité ne survivra pas au dépeuplement et à l'acidification des océans, à des températures moyennes de 45° C à l'ombre, à l'expansion des déserts, à l'effondrement de la diversité des insectes, arthropodes, et vers de terre (la majorité de la biomasse de la planète alors que l'humanité n'en représente que 0,01 % !) qui aèrent, cultivent et rendent nos sols féconds, à l'effondrement des mammifères terrestres par nos élevages et cultures agricoles pour nourrir surtout des animaux, qui concurrencent la place des espèces sauvages : l'auteur préconise l'arrêt total et immédiat de l'élevage, de reconnaître un statut juridique aux animaux, la végétalisation totale de l'alimentation humaine, la fermeture des zoos, l'arrêt définitif de la chasse et de la pêche, le ré-ensauvagement de 50 % des terres et océans de la planète, où les espèces sauvages exerceraient leurs droits à l'autodétermination sans que nous y intervenions et y mettions notre grain de sel ; vu la façon à la gribouille dont nous nous y prenons, dont nous nous y sommes pris jusqu'à maintenant, nos gros sabots de suprémacistes piétinant la porcelaine de l'équilibre fragile de notre biotope, cela me paraît de bon sens. Rien ne peut être pire que la perpétuelle et désastreuse intervention humaine. Nous n'avons de toutes façons plus le choix : nous sommes au pied du mur, acculés. Où nous changerons RADICALEMENT nos comportements de tueurs anthropocentristes ou nous périssons. L'humanité ne survivra pas à la déforestation, à l'avancée des déserts, à des températures de 58° C dues à l'effet de piégeage du carbone dont l'élevage est un puissant pourvoyeur, à la pollution qui suit toutes ses colonisations des territoires des autres, à la surpopulation sur une planète désolée où les autres terriens ne seront que quelques espèces élevées à grand frais environnemental pour nos mythiques protéines animales. Les milliards de poulets que nous torturons et confinons dans des tunnels sont déjà les plus nombreux habitants de la planète. Nous vivons sur la planète du poulet d'élevage. Nous ne survivrons pas dans un désert déforesté, brûlé, à l'air irrespirable, à la montée des eaux, à la cueillette sur des tas d'ordures, comme c'est déjà le cas pour la partie la plus défavorisée de l'humanité. Nous allons devoir tourner le dos au mauvais chemin où l'humanité s'est engagée lors de la "révolution" du Néolithique selon Yuval Harari, en espérant qu'il ne soit pas trop tard. Ca va être dur, notre déni freinant nos prises de conscience, il va nous falloir être la Terre qui se défend contre la prédation humaine. Courage les défenseurs des animaux, soyons radicaux. 

CARNAGE : nom masculin, action de tuer un grand nombre d'animaux ou d'humains.

" Par la faute de l'anthropocentrisme, nous sommes devenus ce primate nu gonflé d'orgueil, qui s'est auto-persuadé d'être une légende épique. " Paul Watson, pour la préface. 

Charles Patterson, universitaire, historien, s'interrogeant sur les torts terribles que nous infligeons aux animaux, écrit en 2002 Un éternel Treblinka. Isaac Bashevis Singer, écrivain juif d'expression Yiddish, Nobel de littérature, ayant vu sa famille engloutie dans la Shoah écrira : "pour ces créatures (animales), tous les humains sont des nazis". 

" On sait que la grande majorité de ceux qui, descendant des trains, se retrouvaient sur les rampes des camps d'extermination ne parlaient pas allemand, ne comprenaient rien à ces mots qui ne leur étaient pas adressés comme une parole humaine, mais qui s'abattaient sur eux dans la rage et les hurlements. Or, subir une langue qui n'est pas faite de mots mais seulement de cris de haine et qui n'exprime rien d'autre que le pouvoir infini de la terreur, le paroxysme de l'intelligibilité meurtrière, n'est-ce pas précisément le sort que connaissent tant et tant d'animaux ? " Elizabeth de Fontenay, philosophe, Le silence des bêtes, la philosophie à l'épreuve de l'animalité, 1998, chez Fayard.

* Citation de Armand Farrachi Les ennemis de la terre

vendredi 18 septembre 2020

Crachons sur Hegel ? Une révolte féministe

Cette semaine je vous propose un court texte de Carla Lonzi, tiré de son manifeste Crachons sur Hegel, publié à l'été 70. C'est un texte radical, que d'aucunes seront tentées d'accuser d'essentialisme. Hegel, dans sa Phénoménologie de l'esprit, théorise la dialectique maître-esclave ; mais bien entendu, il ne parle pas des femmes, car il ne les voit pas. 

Les femmes, comme le "nègre prélogique" ne sont pas dans l'histoire. Illustration : rappelez-vous de la phrase de Sarkozy lors de son discours de Dakar en 2012, qui avait fait scandale, prétendant, tout en reconnaissant que la colonisation fut une faute, que "l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire". Elle relève de cette même logique. La femme, écrit Carla Lonzi, est essentialisée dans la différence, une différence présentée comme naturelle. Le pouvoir masculin est un pouvoir colonial

Les hommes agissent, exercent leur transcendance sur le monde, les femmes, elles, seraient dans l'immanence, elles seraient sujet anhistorique, toute de nature, dédiées au service domestique et sexuel des hommes, et à la reproduction humaine, alors que les hommes (mâles) FONT l'histoire. Les femmes, elles, font des histoires, pour rien, généralement. Et l'histoire pour les hommes est une téléologie : elle avance dans un sens, en cahotant, avec des convulsions, des guerres, des révolutions, mais elle avance vers le progrès qui est forcément positif. Je vous renvoie au régressif  "retour à la bougie", phrase de Macron illustrant ce propos, qui a eu un grand succès cette semaine ! 

Selon Carla Lonzi, le féminisme est un système qui instaure une hiérarchie, il vise à atteindre un modèle forcément placé au-dessus de la condition actuelle des femmes : un idéal universel, mais malheureusement le modèle universel est masculin. Le féminisme vise la parité avec les hommes, mais où, dans quoi ? La guerre ? La tauromachie ? La chasse ? Les bullshit jobs ? Le braquage de banques ? Les prisons côté détenus ? Le forage pétrolier ? Tous ces systèmes sont antagonistes de quelqu'un ou de quelque chose d'autre, et largement nuisibles. Evidemment, Carla Lonzi se débat dans des contradictions insolubles : je crois que de toutes façons le problème est insoluble, les femmes étant les seuls opprimés à coucher avec leur oppresseur. Ou à être au moins impliquées affectivement avec lui. Ce n'est pas le cas des ouvriers, ni des esclaves. 

" Toute la structure de la civilisation, comme une seule grande battue de chasse, pousse la proie vers les lieux où elle sera capturée : le mariage est le moment où s'accomplit sa captivité. La femme est, toute sa vie, économiquement dépendante : d'abord de la famille du père, ensuite de celle du mari. Pourtant, la libération ne consiste pas à accéder à l'indépendance économique, mais à démolir l'institution qui a rendu la femme plus esclave que les esclaves et pour plus longtemps qu'eux. 

Chaque penseur qui a embrassé du regard la situation humaine a réaffirmé depuis son propre point de vue l'infériorité de la femme. Même Freud a avancé la thèse de la malédiction féminine ayant pour cause le désir d'une complétude qui se confondrait avec l'envie d'avoir un pénis. Nous affirmons notre incrédulité à l'égard du dogme psychanalytique qui prétend que la femme serait prise, dès son plus jeune âge, par un sentiment de partir perdante, par une angoisse métaphysique liée à sa différence. 

Dans toutes les familles, le pénis de l'enfant est une sorte de fils dans le fils, auquel on fait allusion avec complaisance et sans inhibition. Le sexe de la petite fille est ignoré : il n'a pas de nom, pas de diminutif, pas de caractère, pas de littérature. On profite de sa discrétion physiologique pour en taire l'existence : le rapport entre hommes et femmes n'est donc pas un rapport entre deux sexes, mais entre un sexe et son absence. 

On lit dans la correspondance de Freud à sa fiancée : "Cher trésor, pendant que tu te dédies avec bonheur à tes activités domestiques, je suis tout au plaisir de résoudre l'énigme de la structure du cerveau humain." 

Examinons la vie privée des grands hommes : la proximité d'un être humain tranquillement considéré comme inférieur a fait de leurs gestes les plus communs une aberration qui n'épargne personne. "

" Dans la conception hégélienne, le Travail et la Lutte sont des actions qui initient le monde humain en tant qu'histoire masculine. L'étude des populations primitives offre plutôt le constat que ce sont les femmes qui sont affectées au travail, tandis que la guerre demeure une activité propre au mâle. A tel point que si, vaincu ou n'ayant pas de guerre à mener, l'homme est assigné au travail, il proclame qu'il ne se sent plus être un homme, qu'il se sent devenu une femme. La guerre apparaît donc, dès les origines, strictement liée, pour l'homme, à la possibilité de s'identifier et d'être identifié à un sexe. L'homme dépasse ainsi, par une épreuve tournée vers l'extérieur, son anxiété intérieure due à l'échec de sa propre virilité. Mais nous nous demandons quelle est cette angoisse de l'homme qui parcourt funèbrement toute l'histoire du genre humain et qui renvoie toujours à un point insoluble, lorsqu'il faut choisir ou non de recourir à la violence. L'espèce masculine s'est exprimée en tuant, l'espèce féminine en travaillant et en protégeant la vie : la psychanalyse s'attache à décrire les raisons pour lesquelles la guerre fut considérée par l'homme comme un tâche virile, mais ne nous dit rien de l'oppression parallèle qu'a subie la femme. Et les raisons qui ont amené l'homme à faire de la guerre une soupape de sécurité institutionnelle pour ses conflits intérieurs nous laissent croire que de tels conflits sont inéluctables chez l'homme, et constituent une donnée première de la condition humaine. Mais la condition humaine de la femme ne rend pas compte des mêmes exigences : au contraire, la femme pleure le destin de ses fils envoyés à l'abattoir et, au sein même de sa passivité pieuse, elle distingue son rôle de celui de l'homme. Nous avons aujourd'hui l'intuition d'une solution à la guerre bien plus réaliste que celles offertes par les savants : la rupture d'avec le système patriarcal, à travers la dissolution, opérée par la femme, de l'institution familiale. Ici s'ouvre la possibilité d'un processus de renouvellement de l'humanité depuis la base, renouvellement jusqu'alors invoqué à maintes reprises sans que ne soit mentionné par quel miracle une réconciliation de l'humanité pourrait avoir lieu. 

Le veto contre la femme est la première règle dont les hommes de Dieu tirent la conscience d'appartenir à l'armée du Père. L'attitude de l'homme à l'égard de la femme s'institutionnalise dans le célibat de l'Eglise catholique et dans l'angoisse qui l'accompagne. La femme a été pourchassée dans raison, au cours des siècles, à travers conciles, disputes, censures, lois et violences. 

La femme est l'autre face de la terre. "

" La pensée masculine a ratifié le mécanisme qui a fait apparaître comme nécessaires la guerre, le condottiere, l'héroïsme, le défi entre générations. L'inconscient masculin est un réceptacle de sang et de peur. Puisque nous voyons que le monde est rempli de ces fantasmes de mort, et que la pitié est un rôle imposé à la femme, nous abandonnons l'homme pour qu'il touche le fond de la solitude. "

Carla Lonzi.  

samedi 5 septembre 2020

La peste soit des mangeurs de viande !

Nos économies et nos vies sont plombées depuis 7 mois par un virus très contagieux : arrêt de l'économie de la planète pour confiner les gens à domicile ou à l'intérieur des frontières, pour arrêter la propagation, préserver les services de santé. Chute consécutive des sacro-saints PIB (Produits Intérieurs Bruts) donc chômage et récession en vue, peut-être pire qu'en 2008-2010, et, dans les pays où il n'y a pas de filets sociaux, des gens se retrouvent expulsés de chez eux, toutes leurs possessions sur le trottoir. Vous remarquez comme moi qu'on ne parle plus que masques, relocalisation de la production, recherche frénétique de médicaments et d'un vaccin. Toujours le nez sur l'événement, aucune anticipation, crise puis remèdes à la crise. Ca tombe bien, ça fait du PIB : investissements lourds sur la recherche et l'industrie, commissariat au plan comme dans les années 50 du siècle dernier, et l'inévitable concours de bites qui va avec comme d'habitude : Professeur Raoult contre l'establishment parisien chez nous, et qui va trouver un vaccin le premier : Poutine ou Trump ? On est sur des charbons ardents. 

Depuis des décennies, on avertit que l'élevage est porteur d'une bombe à retardement, que le braconnage est un danger qui nous met face à des contaminants inconnus voire mutants, et qu'une crise sanitaire menace ; il y a bien eu quelques avertissements où il n'y avait que les animaux qui trinquaient (les épizooties qu'on a connues depuis 20 ans), avec l'avertissement sérieux tout de même en 2003 du SRAS qu'on s'est empressés d'oublier, aidés par la grippe porcine H1N1 qui fit long feu en 2011. Les chinois, dont les comportements égoïstes envers les animaux et la vie sauvage ne sont jamais questionnés, les caprices de leur classe moyenne naissante de nouveaux-riches participant à leur croissance à deux chiffres, provoquant le pillage des ressources naturelles de la planète, mais puisque le mythe de la croissance infinie est inamendable, ils procèdent à la destruction de la scène de crime à Wuhan où l'épidémie a démarré. Plus de scène de crime, plus de crime. Non lieu. Je ne suis évidemment pas contre le fait qu'il faille lutter contre les virus et les crises qu'ils provoquent, mais un peu d'anticipation et de prudence, ne parlons pas du déni, nous éviterait ces apnées économiques que tout le monde va payer au prix fort. 

" La viande est puissante ", " manger de la viande est une affirmation féroce de pouvoir " écrivait Martin Caparros dans La faim, son ouvrage de 2015 que j'avais chroniqué ici même

Et la viande est violente. Sa violence contamine tout le reste de la société. La peste soit des mangeurs de viande !

J'ai lu ce polar noir de Frédéric Paulin, paru en 2017 à La manufacture du livre, polar qui tombe à pic en ces moments de pandémie globale. J'ai commencé à lire l'oeuvre de Paulin par sa trilogie sur le terrorisme islamique qui rencontre un grand succès : La guerre est une ruse, Prémices ce la chute et La fabrique de la terreur, ce troisième tome récemment paru. Ca m'a donné envie d'en lire plus. Frédéric Paulin est breton d'adoption, rennais même, et la plupart de ses premiers romans policiers se passent à Rennes. Je ne fait bien entendu aucune crispation identitaire, je lis Paulin parce que je lis des polars, que son style est alerte, qu'il est drôle malgré sa noirceur, qu'il décrit bien notre époque, et qu'au final, dans ce dernier roman noir de 2017, il écrit une charge contre la viande et ses barons industriels. Scène de crime du début du roman : un flic est trouvé au petit matin, saigné, égorgé, dans un abattoir. On va immédiatement soupçonner un petit groupe d'antispécistes qui évoluent dans le coin. Ce polar est prétexte pour le végétarien Paulin à une charge contre la violence de la société, à commencer par celle infligée industriellement aux bêtes dites de boucherie, qui contamine littéralement tout le reste. L'antispéciste créateur de La mort est dans le pré (SIC), un groupe clandestin qui prétend défendre activement les animaux après une infiltration dans un abattoir où il vont découvrir le sort abominable des cochons dès la descente du camion, est de fait un violent, obligé d'aller chercher à s'armer auprès de groupes islamistes d'Europe centrale (ex yougoslavie) ; une protagoniste capitaine de police est une femme battue qui va finir par retourner la violence de son conjoint, bref une épidémie de violence, une véritable contamination. Le seul qui gagne à la fin, c'est le Président du Syndicat des producteurs de viande, un cynique absolu, anticipant la défection occidentale, mais surtout escomptant les gains de parts de marché de l'Asie et de l'Afrique !

La peste soit donc des mangeurs de viande. De la misère sociale qu'elle induit : une partie de l'action se passe lors du conflit social des abattoirs GAD à Lampaul Guimiliau (Finistère) désormais fermés, mais où, souvenez-vous un certain Emmanuel Macron était allé, puis revenu, en disant qu'il y avait des "illettrés" parmi le personnel (ce qui lui fut reproché par les bien-pensants de gauche qui ne veulent rien savoir des conditions de production de leurs steaks) constatant ainsi la sociologie des damnés de la viande dont personne ne veut jamais rien entendre, surtout à gauche ! Je rappelle au passage que partout dans le monde, au moins le monde libre où ces choses se disent et s'écrivent, les ouvrier-es d'abattoirs ont payé un très lourd tribut au coronavirus SarsCov2, y compris dans nos régions. En Mayenne, Sarthe et Finistère notamment. Ces ouvriers, tâcherons pour la plupart, parlent même à peine français : ils sont roumains ou maliens dans les abattoirs bretons. Ils peuvent donc à peine se défendre, ça tombe bien, c'est la garantie de la viande à bas coût. 

On n'en a pas fini avec ce virus, il va sans doute nous empêcher de vivre normalement pendant quelques temps encore. Espérons qu'il ne va pas en ressortir une génération de crétins qui n'auront pas pu aller à l'école et à l'université normalement, et que surtout, l'après coronavirus sera différent du "monde d'avant". Je suis pessimiste, les industriels de la viande ont en effet constaté une progression de leurs ventes de steaks hachés durant le confinement. Personne n'apprend rien décidément. En attendant, comme écrit Paulin, le marché chinois "fait bander" les industriels bretons. 

Je laisse le dernier mot à des artistes : ils sont toujours aux avant-gardes, ils voient ce que nous ne voyons pas avant tout le monde : Patrick Morrissey, The Smiths, qui figurent en exergue du roman de Frédéric Paulin.

it's not natural, normal or kind 

the flesh you so fancifully fry, 

the meat in your mouth 

as you savour the flavour

of murder 

no, no, no, it's murder 

no, no, no, it's murder 

who hears when animals cry ? 

The Smiths - Patrick Morrissey 


vendredi 21 août 2020

La ville, à hauteur de qui, au fait ?

Dans ma ville, une adjointe issue des élections municipales de mars, mère d'un nouveau-né, que ce billet va forcément énerver si jamais elle passe par ici mais tant pis, décide de dédier son mandat à donner la priorité aux jeunes enfants ; nom du projet "ville à hauteur d'enfants". Qui serait contre ? C'est un peu comme les plates-formes qui me dérangent à la maison, juste parce que je suis une femme et inscrite sur les Pages Jaunes de l'annuaire, qui veulent que j'allonge un chèque pour les enfants qui meurent de faim dans le monde. Qui aurait le culot de refuser ? C'est effectivement leur pari : personne. Sauf que si : ces bonnes intentions occultent une réalité, un angle mort ou un point aveugle comme on veut ; si on veut une ville à hauteur d'enfants, c'est qu'elle ne l'est pas à leur hauteur. Alors à hauteur de qui est-elle ? Des adultes certainement, des femmes entre autres ? Pensez-vous ? 

Comme ici, on n'est pas dans la glorification de l'impuissance féminine, ni dans la sidération face à la toute-puissance masculine, ni non plus craignant les jugements brutaux des hommes (ah mon dieu, on va m'accuser d'être misandre, anti-mecs, l'opprobre absolu :( qui terrorise la plupart des femmes, y compris les féministes, je vais répondre. 

La ville n'est pas à hauteur d'enfants, ni de femmes d'ailleurs. Elle est à hauteur d'hommes, valides qui plus est. Des géographes et des urbanistes (ces derniers tous des hommes) s'échinent sur le sujet, tous proposant leurs analyses et solutions. Tant que ce seront des hommes les urbanistes, et les utilisateurs en situation de monopole, il n'y a aucune raison que cela change. Ni non plus tant que ce seront des femmes qui ne voudront pas frontalement nommer le problème et se réfugieront derrière des stratégies de diversion. Les travaux perpétuels où ne "travaillent" qu'eux amplifient le phénomène : camionnettes d'artisans et de groupes d'intérimaires garées n'importe comment, n'importe où (ils déterrent les piquets d'interdiction de passer !), leurs engins et chantiers à large emprise sur les rues, places, espaces de tout le monde, font que les femmes chargées d'enfants, de poussettes, de paniers à provisions, les vieilles, les handicapé-es, ne peuvent généralement pas passer. En tous cas, moi qui n'ait pas tous ces chargements, et qui marche encore correctement, je ne passe pas. Ni à pied ni en voiture. Si je proteste, les mâles me répondent (quand ils répondent, car généralement on affronte leur phobie sociale) c'est "je travaille moua" ! Et moi alors, je me baguenaude ? On dirait bien, vu qu'il n'y a qu'eux qui travaillent. 

De fait, les villes sont conçues pour favoriser la présence des garçons : comme ils sont réputés inéducables et incorrigibles tout en ne le disant jamais ouvertement, le bœuf sur la langue des femmes pèse de tout son poids des fois qu'elles seraient accusées de misandrie, d'être des ennemies des hommes, d'être des furies, bref, c'est terrorisme patriarcal à plein tubes. Ils nous discriminent à l'embauche, nous traitent en bonniches dans le mariage, nous mettent des gnons, nous tuent carrément, histoire de terroriser les récalcitrantes, nous violent pour nous faire sentir la férule patriarcale, MAIS il faudrait faire comme si rien de tout cela n'existait ? Ne comptez pas sur moi. Les femmes maires viennent même à leur rescousse : bétonnages et artificialisations à coups de street parks où on ne voit qu'eux, du coup, ça déborde sur les environs, et à coups de stades de foot dans le but de calmer ces enragés. Et là aussi, il y a des débordements comme mardi 18 août, retour de victoire du PSG

Résumé : les villes sont dangereuses pour les femmes et certains hommes, notamment lors des fins de soirées de foot, les femmes crevant de trouille et changeant leurs trajets, faisant des détours pour rentrer chez elles, mais le foot et le rugby sont de l'avis commun des summums de convivialité et de fêêêête ; d'ailleurs on peut même tenter de vous faire prendre des vessies pour des lanternes en vous persuadant que les femmes "aussi aiment le foot". 

Invasion de l'espace terrestre, mais pas que. D'autres stratégies maintiennent les femmes à distance par la peur et la suroccupation : le bruit

" La rue, les cafés, les espaces publics sont des espaces bruyants. Ils le sont par les activités qui s'y déroulent, circulation, travaux, mais ils sont par ailleurs le lieu de déploiement volontaire de bruits déclenchés ou émis par les individus mâles . L'usage des sirènes professionnelles par exemple (police , services de secours, voitures gouvernementales...) n'est pas d'absolue nécessité, et le plaisir visible que prennent leurs déclencheurs à ce qui manifeste non seulement leur droit prioritaire à l'espace mais également leur présence fait partie de la quotidienneté urbaine. ". [...] " Dans les lieux fermés (cafés, restaurants, bars...), les conversations masculines rendent impossibles le plus souvent par leur volume, les conversations voisines, qu'il s'agisse de tablées d'hommes d'âge mur en repas d'affaires, de simples camarades qui se retrouvent, ou de groupes d'adolescents rassemblés autour de flippers ou d'autres jeux pratiqués par eux dans les lieux publics. " 

Les cris, appels, glapissements divers quand passe une femme devant un groupe d'hommes font partie de cette appropriation de l'espace et ils ont l'avantage de terroriser. " Le contrôle du volume de la voix est imposé fortement, et tôt, aux filles. Dans les espaces publics extérieurs, la voix des femmes ne devient forte et ne s'impose qu'en situation d'urgence ou de danger. " A condition bien entendu qu'elles arrivent à dominer le boucan. Quand les mec arrivent, généralement l'environnement se dégrade et devient inhospitalier. Il suffit de travailler avec eux pour prendre conscience, les univers féminins, n'en déplaise aux médisant-e-s misogynes, sont infiniment plus confortables et hospitaliers. 

Feux de poubelles déclenchant l'incendie d'un pavillon ou d'une pharmacie et d'une épicerie dans la Zup Sud, rixes de sortie de bar au petit matin avec un mort à la clé, tirs à l'arme de poing ou au fusil de guerre de trafiquants se disputant un territoire, bandes de "jeunes" qui vous assaillent et vous font les poches... toutes ces "incivilités" (vocabulaire anesthésiant typique de l'époque, tout comme "jeunes" permettant l'omerta et l'invisibilisation des délétères mauvaises actions à 98% masculines) font que les femmes, filles, "préfèrent" rester à la maison, abandonnant l'espace public à ces enragés. La boucle est bouclée. Ils ont définitivement gagné. Avec la complicité active des maires femmes qui leur offrent obligeamment en plus des pissotières pour tenter de canaliser leur incontinence irrépressible dans les rues où nous passons toutes. Alors oui, définitivement, les villes sont à hauteur d'hommes. Occupons-nous de la rendre accueillante et hospitalière aux femmes, et la ville sera à hauteur d'enfants, je n'ai aucun doute là-dessus. La question des enfants est une question féministe. 

Pendant l'écriture de ce billet, qui a pris quelques heures à divers moments dans la journée et des soirées (corrections et relecture comprises), des gars ont tapé dans des ballons dans une allée privée d'immeuble, le soir, et des gars du bâtiment ont actionné une grue avec signal d'alarme, une toupie motorisée a déversé son béton dans le chantier d'à côté durant les heures ouvrables. "Il faut bien que ça se fasse" soupirent les femmes sans conscience politique de mon voisinage. Sachez Mesdames, qu'il est possible d'assourdir les outils, les moteurs et les machines : j'ai suffisamment travaillé dans et pour des services de R&D (Recherche et Développement) pour le savoir, il suffit de volonté et d'y mettre des moyens. Ils préfèrent faire du potin, et voler la paix des autres, des femmes notamment. Il est temps d'interdire aussi les jeux de ballons de foot dans les espaces autres que ceux dédiés, les terrains d'entraînement au foot ne manquent pas, il suffit de faire un peu de marche, qui est aussi du sport. Et les mères de famille qui trouvent commode de se débarrasser de leurs garçons dans l'espace public pour avoir la paix, pendant que leurs filles s'affairent en cuisine ou font leurs devoirs au calme, il serait temps de montrer un peu de responsabilité et de solidarité avec les autres femmes.

Dernier point : quand une plateforme tente de me soutirer un don pour les enfants qui meurent de faim, je réponds que ma situation économique personnelle ne permet pas se soulager la misère du monde et que si les femmes, dont pas moins d'un milliard consacre 90 % de son temps à trouver à manger pour elles et leurs enfants, n'étaient pas maintenues volontairement dans la pauvreté, la dépendance économique, la contrainte à l'hétérosexualité et à la reproduction forcée, il y aurait moins d'enfants en situation de détresse, alimentaire et scolaire. Connecting the dots. Les femmes s'occupent des enfants, si on développe l'autonomie, l'agentivité, l'empouvoirement des femmes sur leur propre vie, 99% de la détresse des enfants est jugulée. Il s'agit indiscutablement d'une question féministe. Il suffit de la volonté politique de faire. Mais le veulent-illes ? 

Les citations en gras et rouge sont de Colette Guillaumin : Sexe, race et pratique du pouvoir.

Liens : Une ville faite pour les garçons - Article par Yves Raibaud, géographe chercheur au CNRS 

Les filles, grandes oubliées des loisirs publics par le même Yves Raibaud. Comme ma référence est un homme, ça cautionne mon propos, en effet les femmes sont plombées par la malédiction de Cassandre, quand elles témoignent et disent la vérité personne ne les croit. Un homme, lui, bien sûr, c'est différent. 

lundi 27 juillet 2020

A armes égales - Les femmes armées dans les romans policiers contemporains

C'est l'été, c'est polars, lecture faciles et divertissantes, mais tout de même à haute teneur politique. Cette semaine, j'ai lu ça :


Vous en avez assez de Maigret et de sa femme pot-au-feu, ange du foyer ? De Philip Marlowe, de sa virilité en bandoulière et de ses conquêtes féminines quasi à son corps défendant ? De Simenon, l'homme aux vingt coups par jour, et son amour immodéré pour les femmes abîmées (soubrettes, prostituées au grand cœur, illusion patriarcale) propagande destinée à enrôler les femmes au service sexuel et domestique des mecs ? Vous en avez assez de l'implacable misogynie de Manchette ? 


Elles s'appellent Kay Scarpetta, Lisbeth Salander, Lucy Farinelli, Junko Go ou Lorraine Conner, DD Warren ; elles sont de toutes nationalités car le phénomène touche tous les pays : ce sont les femmes détectives, enquêtrices, profileuses, journalistes, médecins légistes, policières, agentes du FBI ou fonctionnaires au Quai des Orfèvres..., toutes traquant le meurtrier, exerçant la violence légale ou non, en payant souvent de leur personne, les femmes armées des nouveaux romans policiers. On peut dire qu'elles ont renouvelé un genre passablement essoufflé, et qu'elles font un tabac dans les librairies. Elles poursuivent la tradition des Agatha Christie pour qui fut créée en France la Collection du Masque, et Mary Higgins Clarke, pour qui Albin Michel crée sa collection Suspense. Transgressives, elles jouent même les tueuses redresseuses de tort dans certains polars noirs "Rape and Revenge : j'avais consacré un billet à mes préférées en 2017 : Bella, Solün et Fuckwoman en oubliant hélas le roman fondateur et très trash (punk) de Virginie Despentes où deux filles sèment la mort après avoir été violées : Baise moi sorti en 1994, provoquant un scandale. Comment ? Une femme peut écrire des saloperies pareilles ?  

Hommes violents, femmes victimes.

Caroline Granier dans son ouvrage A armes égales : les femmes armées dans les romans policiers contemporains soutient la thèse que tout ceci est empowering. Le polar a longtemps été conditionné par les hommes et des représentations phallocrates où les femmes vont le plus souvent à l'équarrissage. 
" Les auteurs masculins produisent bien souvent une littérature en adéquation avec le système sexiste. L'aspect misogyne des textes fondateurs (en littérature comme en philosophie) ... n'est pas sans conséquences. La lecture de textes classiques quand on est une femme est une violence symbolique ". En effet, les femmes y sont toujours passives, valorisées dans les services domestiques ou sexuels aux mecs, ou victimes tuées, suppliciées dans les polars. Un cadavre de femme, même décrit comme mis en pièce dans une scène bouchère, est toujours plus beau à voir, et plus érotique que celui d'un mec ! " Une femme lisant les oeuvres classiques est comme un juif qui lirait partout et exclusivement des oeuvres antisémites " citation par l'autrice d'une analogie de Colette Audry. " Les hommes n'arrêtent pas d'assassiner des femmes à longueur de romans. C'est un de leurs fantasmes chéris. Une manière de se venger peut-être pour leurs privilèges usurpés...

"Au-delà des discours sur l'égalité des droits, les medias culturels véhiculent des images de femmes soumises, passives -images que nous intériorisons et qui nous empêchent de nous révolter. L'influence de la littérature est immense. " Selon Jean-Patrick Manchette (1942-1995), auteur de polars, proche de l'extrême-gauche et de l'internationale situationniste, le polar est " la littérature en crise, le polar cause d'un monde déséquilibré, donc labile, appelé à tomber et à passer ". Ce monde déséquilibré, c'est selon les féministes, celui des rapports sociaux de sexe, reconduisant l'oppression et la domination.". " Le néo-polar, issu de l'extrême-gauche (Manchette) reste finalement très réactionnaire dans sa présentation des rapports sociaux de sexe. " Aussi : " Le policier est donc peut-être le genre le plus adapté pour parler de politique ou de critique sociale.

A nous les flingues, guys ! 

La terreur change de camp : on coupe les nouilles au sécateur ! * (Contrepèterie, mais vous l'aviez trouvée bien sûr ;))

Héros et héroïne : les deux termes ne sont évidemment pas symétriques. J'ai entendu Marie Darrieussecq comparer les deux récemment : le héros est actif, il court dans la montagne, il coupe des ronces, toujours en mouvement il combat ; l'héroïne, elle se contente d'attendre passivement, voire elle pionce carrément durant 100 ans ! Donc, le héros qui " suit un schéma narratif initiatique au cours duquel il active des capacités hors du commun, est le principal personnage du récit, il accomplit des actes extraordinaires qui impliquent l'usage de la violence, il est autosuffisant en terme de quête à accomplir, il agit pour des motifs moraux supérieurs en mettant au second plan les aspects relationnels (amicaux, amoureux) de son existence. " C'est bien cette définition qu'utilise Caroline Granier pour sélectionner ses héros au féminin, elles ouvrent une brèche dans un univers fortement masculin. Elles sont donc transgressives. Elles ne sont pas nécessairement féministes, ce qui ne les empêche pas d'influencer nos représentations.Elles sont capables de se battre, de se passer de l'aide des hommes. 

 Elles sont dures à cuire (hard-boiled) : " elles encaissent aussi bien les coups et l'alcool que Philip Marlowe " ! Elles sont " divorcées, sans enfants ni autres emmerdeurs à charge " SIC (Kinsey Milhone) 
Elles peuvent éventuellement avoir un chien -d'extrême gauche, dans un cas ; elles " ne se privent pas de torturer psychologiquement un suspect en lui faisant baisser son pantalon en guise d'humiliation ". Elles peuvent même être " née dans un parking, sans connaître leur mère morte avant d'arriver à l'hôpital ". Sans antécédents, et avec un tel livret de famille, elles s'engendrent quasiment elles-mêmes ! Elles peuvent être riches comme Crésus : Kay Scarpetta, Lisbeth Salander sont indépendantes des hommes, célibataires ; Hanna Wolfe a " un faible pour les corps masculins vus de dos : j'éprouve du plaisir à voir les hommes s'éloigner de moi !" Kay Scarpetta (Patricia Cornwell) par exemple, elle, a un ami de cœur, agent du FBI comme elle, beau comme le jour, attentionné, et, qualité suprême, il n'est jamais là ! Sa nièce Lucy Farinelli est, elle, lesbienne et hackeuse informatique, aucun système aussi verrouillé soit-il, fût-il d'une banque ou d'un état ne lui résiste, tout comme Lisbeth Salander, leur seul partenaire est leur ordinateur. On est dans la fiction et dans la fiction on fait ce qu'on veut. Ce n'est pas plus invraisemblable que les aventures d'Ulysse, héros de la mythologie grecque. Elle portent toujours sur elles un gros calibre qu'elles n'hésitent pas à utiliser pour se défendre elles-mêmes, ou la société. Leurs talons aiguille, quand elles en portent, peuvent même devenir une arme. Elles boivent, (elles ont le whisky thérapeutique), elles fument et elles mangent. 

Ce sont mes préférées : les femmes d'acier dédiées à une seule chose dans la vie, et qui la font excellemment. La dispersion est l'ennemie de la qualité du travail. Il y a toutefois toutes sortes d'enquêtrices dans les polars de femmes : les mariées pourvues d'enfants par exemple. C'est le cas de DD Warren, la blonde policière récurrente de Lisa Gardner : elle a un mari aimant qui prend en charge leur fils, lui fait des purées de légumes qu'il cuit et mouline lui-même, mais quand elle rentre à la maison, elle doit se taper toute la lessive, il ne voit juste pas les montagnes de linge sale ! Il y a celles qui mènent l'enquête enceintes, et qui doivent sortir pisser pendant une autopsie. Elles peuvent aussi mener l'enquête en fauteuil roulant, avoir charge de parents âgés, être carrément autistes ou sourdes, aveugles et muettes ! Etre policière, épouse, amoureuse et mère est toutefois compliqué : l'une se fait rappeler à l'ordre par son adjointe :" L'amour, c'est pour ça que les féministes ont brûlé leurs soutifs dans les années 70, pour avoir le droit de bêler, telles des chèvres en chaleur ? "

Fascination masculine pour la femme ouverte.

" Dans la mort, le corps d'un homme présente toujours mieux que celui d'une femme. En principe, les vêtements sont tous là, et il n'y a pas de traces de sévices : pas de seins ou de mamelons en moins, pas de petits cadeaux dans les parties intimes.

 La femme victime n'est pas une fatalité, c'est ce que nous dit cette littérature "puissance d'agir" (empowering) : on y voit des femmes puissantes, capables de se défendre, et qui se définissent sans référence aux hommes. Politiquement incorrecte, la violence des femmes est souvent vue comme illégitime, y compris par des féministes ! Il n'y a qu'à lire et entendre leurs contradictions concernant les femmes violentées, toujours sommées de ne pas se défendre, car c'est susceptible de leur revenir en boomerang. No future, laissez vous tabasser, Mesdames. On a compris, c'est un business, ça permet de faire entrer l'argent dans les caisses des associations. La dépendance au financement patriarcal est un puissant garant du maintien du système, les patriarcaux l'ont bien compris. Cependant " avoir accès à la violence n'implique pas d'y céder " écrit Caroline Granier.  

Décolonisons notre imaginaire : provoquons une rupture anthropologique
 
" Une entreprise politique ancestrale, implacable, apprend aux filles à ne pas se défendre " Virginie Despentes. 

" Comment ça se fait qu'on n'entende jamais parler d'armées de filles avec des grands couteaux qui éventreraient des mecs, juste pour rétablir l'équilibre ? " Toujours Virginie Despentes 

" Il y a bien une guerre des sexes et les femmes l'ont toujours perdue. C'est à peine si les femmes le remarquent parce qu'elles considèrent comme accordé le fait de perdre, tout comme les hommes considèrent comme accordé le fait de gagner. " Phyllis Chesler.

" La colère représente un tabou individuel et social chez la plupart des femmes. Le recours à la colère ne leur est consenti que lorsqu'elles défendent AUTRUI, mais pas pour se défendre elles-mêmes. "

Les femmes ont besoin de ces personnages pour pouvoir prendre confiance en elles, selon Nicole Décuré ; " la colère est notre amie ; la colère a un potentiel révolutionnaire dans un contexte d"oppression.

"... laisser aux hommes le contrôle exclusif des instruments de violence cautionne la division entre protecteur et protégée, met les femmes en danger et, ironiquement, alimente aussi bien l'idéologie militaire que l'idéologie masculiniste. " Sarah Ruddick, activiste qui se définit comme anti-militariste.  

Vous avez compris, j'ai adoré lire cet ouvrage. A la fin vous trouverez tous ces héros femmes classées par ordre alphabétique, avec les noms de leurs autrices, et un ou deux titres marquants, sachant qu'il y a des séries. Cahier des charges de Caroline Granier : elle ne parle que de femmes armées dans des romans policiers écrits par des femmes autrices. Ainsi, Lisbeth Salander est nommée et décrite, mais ne figure pas dans le dictionnaire des enquêtrices citées, car son auteur est Stieg Larsson, un homme. En effet, quelques hommes, ayant compris leur potentiel subversif, écrivent aussi des romans avec des femmes héros armées. Tant mieux. Vous pourrez donc piocher dans cette liste une bonne sélection de polars à rechercher dans votre librairie ou votre bibliothèque favorite. Une vraie mine. Bonnes lectures ! Ne vous laissez pas marcher sur les pieds, qui sont les seuls organes que vous avez de fragiles. 

* Contrepèterie célèbre de Mersonne ne m'aime, polar féministe parodique de 1978, par Cardot et Bernheim. Désopilant ! 
Les citations tirées de l'ouvrage sont en caractères gras et rouge

mardi 14 juillet 2020

Nellie Bly - Première journaliste d'investigation





J'ai lu cette semaine cette excellente BD de 140 pages sur la vie professionnelle de Nellie Bly, nom de plume de Elizabeth Jane Cochrane (1864-1922), premier grand reporter et journaliste d'investigation, elle invente même le principe du journaliste embarqué (embedded), immergé dans son sujet. Elle est également la première femme correspondante de guerre envoyée pendant la Grande Guerre sur le front serbe. Une pionnière. 

Fille d'une mère mal mariée trois fois de suite, elle est le fruit du deuxième mariage de sa mère et d'un père qui battait tout le monde, mère et enfants, elle décide donc de travailler pour gagner sa vie et ne pas dépendre d'un mari, ni affectivement ni économiquement. 

A son époque les femmes journalistes sont cantonnées aux sujets ménagers, mode et potins mondains. 
En 1885, elle lit dans le Pittsburg Dispatch un "article répugnant" sur le travail des femmes : 

auquel elle répond par un courrier plein d'aigreur et de colère. Le rédacteur en chef, intrigué par son culot et ses arguments, la convoque et lui propose d'écrire un article sur la condition des femmes, qu'il promet de publier dans son journal. Elle accepte et sa carrière est lancée. Elle enchaîne sur une série de reportages sur le Mexique du tyran Porfirio Diaz en imposant à l'époque de voyager seule en train et en bateau, ce qui ne se faisait pas. Elle concèdera finalement de voyager accompagnée de sa mère. Puis elle se fait passer pour une ouvrière pour étudier de l'intérieur la condition ouvrière, une tradition journalistique qui a toujours cours : voir les embauches de Geoffrey Le Guilcher à l'abattoir Kermené de Collinée, ou de Florence Aubenas engagée comme femme de ménage à Ouistreham, qui donneront des témoignages sur la condition ouvrière. Ces journalistes ne font que s'inspirer de leur précurseure Nellie Bly. Ses reportages ont un grand retentissement dans l'opinion publique, ils déclenchent des scandales qui aboutissent à des réformes ; Nellie Bly, par son travail de journaliste, améliore la conditions des femmes. A tel point que, remarquée par Joseph Pullitzer, elle ira travailler pour son prestigieux journal Le New York World. Elle y vivra son "shock corridor" en se faisant passer pour malade mentale, infiltrant un centre d'aliénées où les femmes sont affreusement maltraitées, souvent internées pour des raisons futiles par des maris qui par exemple ne peuvent obtenir le divorce et trouvent ainsi un moyen de se débarrasser de leur femme ! 

How quick can a woman go around the world ? 

Nellie Bly est également renommée pour avoir relevé le défi de battre le record de Phileas Fogg : Le tour du monde en 80 jours de Jules Verne. D'abord choqués par son audace (une femme voyageant seule autour de la planète, en bateau, oh my god, mais vous n'y pensez pas, son rédacteur en chef renâcle devant l'audace !) après une année d'obstination, elle finit par embarquer seule à Hoboken pour son tour du monde qu'elle achèvera en 72 jours. Reçue en héroïne à Amiens pas Jules Verne, puis par les japonais qui viennent la soutenir à Yokohama, elle n'en croit pas ses yeux : être connue au Japon ! Le manteau de voyage pratique et confortable qu'elle se fait faire pour l'occasion sera adopté par toutes les femmes, elle devient à son corps défendant une prescriptrice de mode. 


Sa vie personnelle est moins retentissante : échaudée par l'expérience de sa mère, elle refuse la demande en mariage d'un ami de cœur de son âge, et continue sa carrière. Elle fera toutefois une fin : elle finit par épouser un industriel millionnaire et quitte la carrière de journaliste. Puis Nellie Bly sombrera dans l'oubli, comme souvent les pionnières femmes, effacées de l'HIStoire par les hommes qui, tout en s'inspirant et copiant, se proclament ensuite les inventeurs, spoliant ainsi les pionnières avant de les effacer. Nellie Bly sera tirée de l'ombre par les féministes. Cette BD joliment écrite par Luciana Cimino, mise en scène et dessinée par Sergio Algozzino, qui s'explique en fin d'ouvrage sur ses recherches et son travail d'aquarelle, est un régal pour les yeux. N'hésitez pas à l'offrir aux filles dès qu'elle savent bien lire et comprendre la progression narrative d'une bande dessinée avec ses flash back et flash forward. Elle est empowering et peut créer des vocations. Il n'y a pas de fatalité à être destinée au malheur et à la position immuable de victime quand on a été maltraitée par son père ; au contraire, cela peut être l'occasion d'une prise de conscience et de refuser le sort commun des femmes. Une belle lecture pour les vacances et pour toute l'année. 

Portrait-photo de Nellie Bly.

La bande dessinée Chez Steinkis Editeur 


mercredi 1 juillet 2020

Les damnés : des ouvriers en abattoir.

Le 30 juin, France 2 diffusait des témoignages d'ouvriers et d'ouvrières d'abattoirs dans le documentaire qui donne le titre de mon article. Une femme, 30 ans de "carrière" dans un abattoir de poulets entiers (sans découpe) et, d'après mon décompte, 7 hommes, dont un anonyme encapuché. Parmi les hommes, Joseph Ponthus qui a quitté l'abattoir de bovins où il travaillait pour une carrière d'écrivain, et Mauricio Garcia Pereira, lanceur d'alerte de l'abattoir de Limoges qui a écrit ses mémoires chroniquées sur mon blog (lien ci-dessous), diagnostiqué souffrant à vie d'un grave PTSD, syndrome de stress post-traumatique, qui fait que les images de veaux à terme mourant en gigotant dans la matrice de leurs mères abattues continuent à le hanter. Veaux immédiatement jetés à la poubelle : il faut entendre ses sanglots quand il dit, en agitant son mobile, qu'il a tout effacé de son témoignage, mais que les images sont toujours dans sa tête, et qu'il sait par d'ex-collègues que jusqu'à 20 veaux non nés continuent à mourir à l'abattoir de Limoges chaque jour, que la pratique qu'il a dénoncée a toujours cours parce qu'aucune loi n'interdit l'abattage de vaches gestantes.

" Le mot qui définirait bien l'abattoir, c'est la folie : blouses blanches, murs blancs, néons blafards ".

" Vous m'avez physiquement, mais mentalement, vous ne m'avez pas ", témoigne la seule femme qui raconte ainsi la dissociation mentale qu'elle est obligée de s'imposer pour "tenir" toute la journée malgré la souffrance psychique et physique. Cela rappelle le témoignage des prostituées et des victimes de viol qui se dissocient en attendant que cela passe, ou en attente de mourir.

L'abattoir, dinosaure de l'industrie de masse, appliquant un taylorisme effréné : travail en miettes, cadences infernales. 

Parmi les témoins, un ex salarié de la DSV, Direction des Services Vétérinaires des préfectures, devenue depuis DDPP avec des attributions plus larges : Direction départementale de la Protection des Populations, sous le mandat présidentiel Sarkozy ; notez le glissement sémantique, on passe des services vétérinaires à la protection des populations. Les animaux ont disparu ! Aucune importance de toutes façons, d'après le témoin qui a quitté la fonction, car ses rapports sur l'état désastreux d'animaux arrivant à l'abattoir, vaches avec un œil crevé entre autres, déplaisaient en haut lieu. Il décrit les pratiques dérogatoires des abattages halal et casher auxquelles il a assisté, où les bovins sont piégés, attachés, dans une machine qui les immobilise puis les retourne sur le dos, une sangle venant parfois tendre le cou, puis l'ouvrier qui enfonce son coutelas dedans, les 12 litres de sang artériel giclant à 6, 7 mètres de haut, l'animal agonisant durant parfois 15 minutes, jusqu'à la noyade.

" Les vaches, je les vois pleurer dans le piège ".

Le matador, pistolet à tige perforante qui leur transperce le crâne (étourdissement avant saignée, rendu obligatoire par la loi Gilardoni de 1964) " rouge pour les bœufs, vert pour les vaches, bleu pour les veaux" qui les fait immédiatement s'effondrer dans le box " un outil qui n'a jamais été amélioré depuis le début " et " dont aucune étude ne prouve que l'animal ne sent rien des opérations suivantes ", à savoir découpe des sabots, le dépouillement du cuir / peau puis la découpe des membres, le tout effectué à la scie en quelques minutes, cadence infernale oblige. Rien ne prouve donc que la bête soit morte.
Le fonctionnaire témoigne de l'inefficacité des DDPP préfectures, des signalements impossibles, de la complicité des autorités sanitaires avec l'industrie.

Aucun salarié d'abattoir ne rentre dans cet endroit par vocation. Mauricio Garcia Pereira dormait dans sa voiture avant d'être embauché pour un premier court contrat d'intérim, car c'est l'entrée obligatoire dans la "carrière", " 8 intérimaires sur 10 ne reprennent pas leur poste après la pause de 10 H ou ne reviennent pas le lendemain ".

Classisme :

" On les fait rentrer en les persuadant qu'ils sont des idiots ". " c'est plus facile de se dire que les gens qui font ça sont des brutes épaisses, des sans cerveaux ".
" L'abattoir écrase les gens, s'ils sortent, c'est sans qualification, les promotions sont impossibles, il n'y a pas de porte de sortie ", témoigne toujours le vétérinaire fonctionnaire préfectoral. De fait, tous disent qu'ils y sont entrés au SMIC en intérim pour quelques semaines, et que 15 ans, 19 ans ou 30 ans après, ils y sont toujours et... au SMIC !

" L'abattoir, c'est la guerre. On sait que ça existe, mais on préfère fermer les yeux ".

La banalité du mal - Hannah Arendt 

" La segmentation, la compartimentation des tâches permet à l'ouvrier de s'insérer dans un système d'extermination ".

Filmés dans un sous-bois, cadre bucolique, avec deux fois des hurlements d'animaux en train de mourir, les témoignages sont proprement insoutenables, tous relatent une expérience inhumaine. Je ne garantis pas au mot près les citations prises à la volée, mais j'aurai du mal à le regarder une deuxième fois. Je suis allée me coucher en état de dépression et de stress moi aussi, et ça dure. Je ne vais sûrement pas me plaindre, ces ouvriers sans choix ni perspectives sont plus en droit de le faire que moi. En prenant ces notes, je pensais en faire un fil sur Twitter : finalement, j'y renonce au profit de mon blog. Sur Twitter sévissent toutes sortes de relativistes culturel-les pratiquant un racisme mou, qu'illes pensent être une générosité "inclusive", une compréhension des "cultures différentes des nôtres" prétendant là à un relativisme historique. Nous ne serions pas tous au même stade de l'histoire, et serions des citoyens différents devant la loi. Tant que ce sont des bêtes ou des femmes qui en font les frais, what the fuck ?

Deux des témoins se plaignent de la virilité de l'abattoir : tu subis, tu morfles, mais tu tiens debout, t'es un homme, pas un pédé, pas une mauviette. C'est le refrain que la hiérarchie leur assène au début, puis qui continue en perpétuel bruit de fond. Je ne fais pas partie des féministes qui considèrent que les luttes féministes sont secondaires à celles des ouvriers, je laisse ça à celles qui ont le cœur large et qui se considèrent éternelles secondes, club dont je ne fais pas partie. Je ne défends pas non plus la virilité, cette vache sacrée tellement prisée, même des femmes. Mais j'ai bien entendu les sanglots de Mauricio Garcia Pereira, et je me dis que les mecs paient cher, très cher, le maintien de leur position fantasmée de guerriers valeureux, dominant le monde et tout ce qui y vit.

Que les viandards qui trouvent "naturel" et indiscutable leur droit de manger de la viande aillent tous passer une semaine à tous les postes d'un abattoir. Un de ces jours, tôt ou tard, le sang de ces 80 milliards d'animaux massacrés par année pour que 5 à 6 milliards d'humains sur 8 y trouvent un plaisir de table égoïste, devenu un droit que ne justifie aucune nécessité, nous retombera dessus. Le coronavirus, originaire d'un marché aux animaux sauvages pour la consommation et le caprice de nouveaux riches n'était qu'un préambule.

Liens :
Le replay d'Infrarouge sur le site de France 2, lien disponible jusqu'au 30 août 2020, date après laquelle il se corrompra.
Le site de production du documentaire.
L'article du Monde sur les damnés des abattoirs : quand le travail rend fou.
Ma vie toute crue : mon billet sur le livre souvenirs de Mauricio Garcia Pereira
Steak Machine de Geoffrey Le Guilcher, journaliste infiltré à l'abattoir Kermené de Collinée.