dimanche 26 février 2012

Guérillères 3


"Dans la légende de Sophie Ménade, il est question d'un verger planté d'arbres de toutes les couleurs. Une femme nue y marche. Son beau corps est noir et brillant. Ses cheveux sont des serpents fins et mobiles qui produisent une musique à chacun de ses mouvements. C'est la chevelure conseillère. On l'appelle ainsi parce qu'elle communique par la bouche de ses cent mille serpents avec la femme porteuse de la chevelure.
Orphée, le serpent préféré de la femme qui marche dans le jardin, sans cesse lui conseille de manger du fruit de l'arbre du milieu du jardin. La femme goûte du fruit de chacun des arbres en demandant à Orphée le serpent comment reconnaître le bon. Il lui est répondu qu'il est étincelant, qu'à le regarder simplement on a la joie au cœur. Ou bien il lui est répondu que, dès qu'elle aura mangé le fruit, sa taille se développera, elle grandira, ses pieds ne quitteront pas le sol tandis que son front touchera les étoiles. Et lui Orphée et les cent mille serpents de sa chevelure s'étendront de part et d'autre de son visage, ils lui feront une couronne brillante, ses yeux deviendront pâles comme des lunes, elle aura la connaissance. Elles alors pressent Sophie Ménade de questions. Sophie Ménade dit que la femme du verger aura la vraie connaissance du mythe solaire que tous les textes ont a dessein obscurci. Elles alors la pressent de questions. Sophie Ménade dit, soleil qui épouvante et ravit / insecte multicolore, chatoyant / tu te consumes dans la mémoire nocturne / sexe qui flamboie / le cercle est ton symbole / de toute éternité tu es / de toute éternité tu seras. Elles, à ces paroles se mettent à danser, en frappant la terre de leurs pieds. Elles commencent une danse circulaire, en battant des mains, en faisant entendre un chant dont il ne sort pas une phrase logique."


















Photo de Monique Wittig en 1964
Copyright : Peinture ci-dessus chez : Woaki

"Elle disent qu'elles ne pourraient pas manger du lièvre du veau ou de l'oiseau, elles disent que des animaux elles ne pourraient pas en manger, mais que de l'homme oui, elles peuvent. Il leur dit en redressant la tête avec orgueil, pauvres malheureuses, si vous le mangez, qui ira travailler dans les champs, qui produira la nourriture les biens de consommation, qui fera des avions, qui les pilotera, qui fournira les spermatozoïdes, qui écrira les livres, qui gouvernera enfin ? Elles alors rient en découvrant leurs dents le plus qu'elles peuvent.

Extraits de Les guérillères Monique Wittig 1969 
Les Éditions de Minuit

mardi 21 février 2012

Women only

Je suis plutôt habituellement une citoyenne du village global à la Mac Luhan et je ne souffre d'aucune crispation identitaire, mais pour une fois, je vais faire une promotion locale, puisqu'il s'agit d'un  festival de femmes artistes chanteuses et musiciennes, et que la programmation me paraît vraiment tentante !
So let's get parochial -soyons clocher : ça se passe à Rennes et Rennes Métropole début mars prochain.

























La bande-annonce avec la désormais traditionnelle faute, c'est Journée Internationale des Femmes qu'il faut entendre - et le site Jazz 35 :



A l'attention des rennaises, il y a toutes sortes de tarifs et quelques concerts gratuits.

Audio : Sunny de Elizabeth Kontomanou, une des artistes du festival : elle parle d'amour, mais dans le genre, c'est inévitable.

mercredi 15 février 2012

Pornographie de la viande... et des concombres ?

Une moisson de publicités aperçues ici ou là sur le Réseau :
La saucisse de Morteau, produit du terroir français, symbole phallique apparemment (quoique 20 centimètres c'est tout de même très exagéré !) fait sa pub : gaudriole et vantardise.

























Un fou de hamburger "Jack in the box" (film en anglais, donc je traduis) annonce à sa mère qu'il va se marier, Maman excitée demande qui est la fille, il répond que ce n'est pas une fille mais du bacon ; voix off  "Si vous aimez le bacon, officialisez ! " Le curé après avoir marié l'homme et son sandwich au bacon (je n'y peux rien, c'est affligeant mais c'est le texte) dit "Vous pouvez maintenant manger la mariée - You may now eat the bride !". Bref, rien que de la consommation consensuelle dans une société de consommation, consommation sexuelle de femmes-objet, et cannibale de femmes-viande. Certains vont encore me dire que c'est marrant, et qu'y voir malice c'est vraiment avoir l'esprit mal tourné et surtout manquer de sens de l'humour ! Je l'admets, voir assimiler femme avec jambon, morceau de cadavre, viande froide et morte, ça m'énerve.



Dans le même ordre d'idée, voici la publicité d'un restaurant québécois pour la Saint-Valentin : Avez-vous déjà choisi votre viande ? (SIC). Avec femme à poil devant une côte de bœuf !
Critique d'un publicitaire et consultant en marketing ICI.


Des féministes espagnoles Ciudad de Mujeres ont lancé une pétition contre le restaurant La Campana qui propose en attraction des femmes pratiquant la lutte dans la boue et le nu intégral pour faire venir les clients.
Pour celleux qui lisent l'espagnol suivre le lien : Denuncia la práctica sexista del restaurante "La Campana" para captar clientes. (Dénoncez les pratiques sexistes du restaurant "La Campana" pour attirer les clients).
L'auteure y dénonce la chosification des femmes, induisant une apologie directe de la violence contre les femmes.

L'industrie publicitaire se renouvelle nettement et sa propagande sexiste se diffuse partout ! L'assommoir culturel et la péjoration des femmes continuent leurs ravages.

Actualisation :  Hélas, les carnistes n'ont pas le monopole du sexisme. Ce billet aussitôt posté, un lien arrive sur mon compte Twitter, lien renvoyant vers l'un des sites de PETA (People for Ethical Treatment of Animals) dont les provocations permanentes sont sensées sensibiliser le public aux souffrances réelles générées par l'exploitation animale et au véganisme ; le film de 36" montrant l'état dans lequel se retrouve une femme après des galipettes sexuelles avec son fiancé devenu vegan est irresponsable de sexisme et contre-productif. Le reste du site est à l'avenant. La cause animale est suffisamment noble pour qu'on change de paradigme ; ce n'est certainement pas en montrant une supposée puissance ou des pulsion sexuelles irrépressibles des hommes décuplée par une alimentation prenant en compte l'exploitation des animaux référents absents dans la viande, en abimant l'image des femmes réceptacle à pulsions, qu'on sert la cause de ceux qui n'ont pas de voix parce qu'ils n'ont pas accès à notre langage ! Je veux croire que le mouvement végétarien et les défenseurs des animaux sont avant tout compatissants, non violents, refusant toute forme d'oppression et d'exploitation au motif de la différence. Illes pensent que le spécisme, le racisme et le sexisme sont de la même essence, car ils stigmatisent la différence. C'est la raison pour laquelle la campagne PETA est irrecevable, choquante et contre-productive. A preuve, cette image qui n'a rien à envier aux précédentes dans l'inacceptable (et la vulgarité).

mercredi 8 février 2012

Le test de Bechdel

Si vous êtes comme moi cinéphiles et que vous pensez que Hollywood nous offre les plus grands metteurs en scène vivants, (je vais aussi voir des films roumains, bulgares, israéliens et palestiniens...), c'est décevant de constater la place qu'il laisse aux femmes et de voir la façon dont elles y sont traitées : en mère de famille-repos du guerrier-gage de stabilité et d'honorabilité, éternelles secondes comme dans Lord of war, ou assurant une présence minimum comme petites amies valorisant les délinquants des films de Scorsese, de Ford Coppola, de Cimino ou de Ferrara ! Tous ces metteurs en scène, c'est vrai, racontent des histoires vraies ou fictionnelles de mauvais garçons : mafieux, délinquants, hommes de main, trafiquants, avocats véreux, et les femmes ne se sont jamais encore rendues coupables de "massacres de la Saint-Valentin" entre gangs de mafieux. Ceci explique peut-être cela ? Et la légende (violente) des hommes prospère-t-elle sur les sagas des Parrains, des Scarface des Baby Face, des Al Capone ?
J'ai trouvé la description de ce test et sa vidéo sur le site espagnol Heroinas, présence active de personnage féminins dans les films. Le blog est espagnol et la vidéo en anglais.



Traduction.
"Le test de Bechdel évalue la présence des femmes dans les films. Son origine vient d'une bande dessinée de 1985 "Dykes to watch out for" d'Alice Bechdel. Voici comment il marche : un film doit répondre à trois questions :
1) Y a -t-il deux femmes ou plus, et ont-elles des noms, 
2) Se parlent-elles entre elles,
3) Parlent-elles entre elles d'autre chose que d'hommes ?
Il est extraordinaire de voir comme les films ne réussissent pas ce test. Ce test ne montre pas s'il s'agit de films féministes ou si ce sont de bons films, il montre juste qu'il y a des femmes dans le film et qu'elles s'engagent sur des sujets autres que le sujet des hommes. Pour prouver que c'est un problème systémique et pas seulement le fait d'un ou deux films par-ci par-là, je vais juste montrer des films qui ne réussissent pas le test."

Suit une série impressionnante de films caricaturaux dont les pires dans le genre sont District 9, Lord of War, Blood diamonds, même Démineurs de Kathryn Bigelow, une metteuse en scène, bref presque toute la production hollywoodienne.

"Il n'y a que quelques films minoritaires qui réussissent le test de Bechdel. Ce que j'appelle un problème systémique, c'est que ce ne sont pas quelques personnes ici ou là qui n'aiment pas les femmes ou ne veulent pas qu'on leur raconte d'histoires de femmes, mais plutôt que l'industrie entière est bâtie sur la création de films qui se nourrissent d'histoires d'hommes ! La prochaine fois que vous allez au cinéma posez-vous ces trois questions : y a-t-il deux ou plusieurs femmes dedans, ont-elles des noms, se parlent-elles entre elles, et parlent-elles d'autres sujets que d'hommes ?".

Lien : Feminist Frequency

Le deuxième film adaptant le premier épisode de la trilogie Millenium de Stieg Larsson, Les hommes qui n'aimaient pas les femmes (The girl with the dragon tattoo), à propos d'un journaliste engagé pour enquêter sur une disparition familiale, confirme que les femmes et Hollywood c'est une histoire compliquée. Dans Millenium de Larsson, le héros journaliste est vite rattrapé au milieu du premier roman par la vraie héroïne de la trilogie, héroïne cathartique pour Stieg Larsson, témoin impuissant lorsqu'il avait 17 ans d'un viol collectif d'une camarade nommée aussi Lisbeth (lien en anglais) : Lisbeth Salander, le personnage fictif est bisexuelle, asociale car autiste, génie de l'informatique et hackeuse, et surtout vengeresse des malheurs que lui ont causé son père et les différents pères de substitution abuseurs qui lui ont été imposés par la société et un corps médical aveugle. Elle est glamourisée et sexualisée, et finalement désamorcée, affaiblie (less empowered en anglais) dans le film de David Fincher, film par ailleurs illustration plutôt pesante du roman (peut-être non transposable au cinéma), mais surtout trahison de la volonté de l'auteur qui, mort à 50 ans après avoir déposé ses romans chez son éditeur, n'est plus là pour rectifier ni donner son point de vue.  Cette affiche du film en est la caricature.






jeudi 2 février 2012

Mâlebouffe

Euterpe m'a soufflé ce mot-valise, je le réemploie parce que je le trouve bien vu : mâlebouffe, à base de pavés de viande au centre de l'assiette et trois légumes ciselés en décoration autour, perdus sur un étalement de sauce au beurre en dessous, style feue la "nouvelle cuisine" des années 80, comme nous l'a encore montré la nouvelle saison de Topchef ce lundi. Mais ici, il s'agit de hamburgers. Jacques Borel est le promoteur en 1961, en France, de la restauration rapide dite "fast food", en copiant un concept américain. Il a ouvert le marché, et 20 ans plus tard, les chaînes américaines de restauration rapide et pas chère n'ont plus eu qu'à s'installer massivement.

On le voit ci-dessous dans un extrait d'un film qui sort cette semaine et dont Rue89 fait la promotion, film que je n'ai pas encore vu donc je ne vais pas lui faire de procès d'intention, mais j'en ai vu tant d'autres et j'ai peur que le concept de malbouffe (mâlebouffe) dénonce, mais ne propose jamais une (r)évolution dans nos façons de manger.
Vous êtes prévenues, c'est du brut de fonderie :


Le hamburger selon Jacques Borel, extrait de "La... par rue89

Sédentaires, chauffés, travaillant assis devant des écrans ou assistés en permanence par des machines, voyageant en voiture ou transports en commun motorisés, à 7 milliards (chiffre croissant) sur une planète aux ressources inévitablement limitées, on ne peut pas compter sur ces bons apôtres pour nous dire que c'est suicidaire à deux titres au moins :
1) utiliser les terres cultivables pour nourrir des telles quantités d'animaux avec des protéines végétales que nous pouvons manger nous-mêmes, parce que les animaux qui ne mangent et n'existent que pour eux-mêmes sont de mauvais transformateurs, c'est en réalité un gaspillage sans nom,
et 2) que nos modes de vie ayant dramatiquement changé, manger autant de viande et autant de graisses, c'est la porte ouverte à une épidémie planétaire d'obésité et de maladies dites de "civilisation". (Le mot civilisation me fait mourir de rire).
Mais puisque tout ça, c'est au fond "la faute des femmes qui n'ont plus le temps de cuisiner puisqu'elles travaillent" -dans le secteur marchand, sous-entendu : faire à manger pour sa famille n'a jamais été un travail pour Borel et ses semblables, ça compte pour des prunes puisque ce non-travail (selon lui) est inclus gratuitement dans le contrat de mariage !-  je ne crois pas un instant que ces promoteurs de la "bonne-bouffe-des-familles-quand-maman-faisait-la-cuisine-du-ménage" soient des progressistes, ils cherchent juste à préserver leur privilèges de mâles conservateurs. Ça tombe on ne peut mieux en ce moment : il n'y a pas de boulot pour tout le monde dans le secteur marchand ! Aussi bien, le développement du travail marchand des femmes contre salaire, créant de fait un besoin de restauration hors foyer, aurait pu déboucher sur la création de restaurants végétariens en franchise, ou sur une chaîne de sandwicherie végane ? Quelque chose me dit que Monsieur Borel n'y a pas pensé !

Il faut aussi mentionner le malheur animal dans les élevages hors-sol, transportés sur des milliers de kilomètres, puis abattus industriellement par milliards dans des abattoirs, et celui des ouvriers d'abattoirs, sale boulot que plus personne ne veut faire, donc délégué aux moins mobiles et moins diplômés de nos sociétés non solidaires. Quand on est à court de main-d’œuvre, on peut même aller en chercher en Afrique en ventant une intégration effectivement réussie puisque nous allons les chercher au gré des besoins, pour faire les sales boulots dont nous ne voulons plus ! Notez l'indispensable mention du "Père Eternel" et l'allusion au boeuf, en réalité "une vieille vache qui à fait 8 veaux", ce qui est techniquement faux ; elle est essorée et épuisée par les vêlages mais très jeune, car elle part à l'abattoir à 3 ans et demi environ (au bout de 8 vêlages), mais l'espérance de vie d'une vache qui ne serait pas considérée comme un objet industriel à produire du ROI (Return On Investment = retour sur investissement) est d'environ 30 ans !
Tout est relatif, Monsieur Borel.

Liens :
République de la malbouffe  
Le dossier de Rue89
Illustré avec un corps de femme en barquette de viande : mettre un corps d'homme à la place ne leur vient pas plus à l'idée que de proposer des sandwicheries véganes, à ces carnistes.
Bande annonce du film

Liens végétariens :
Végébon
Biogourmand
Mangez végétarien