samedi 30 avril 2022

Tant qu'il y aura des abattoirs...

Charniers d'ici et d'ailleurs. 

Trois semaines après mon article du 25 mars, (mais c'est certainement pure coïncidence !) une très compétente anthropologue reprend à peu près le thème de la virilité de Vladimir Poutine pour un article de La Croix daté du 11 avril 2022, " Chez Poutine, la cruauté et la virilité vont ensemble ". Pour l'instant, c'est encore le seul Poutine (bouffi de suffisance, de testostérone et de haine contre la démocratie et les peuples qui entendent l'essayer, c'est vrai que ce pauvre garçon charge particulièrement la barque) qui est désigné. Ne nous fâchons pas avec nos tyrans familiaux. Poutine se conduit avec l'Ukraine comme un amoureux éconduit, un mari fichu à la porte par sa femme : "Poutine tue le même", celui, CELLE de sa famille qui tente de reprendre son autodétermination et sa liberté en dehors du cercle vicieux de la famille, et bien entendu, c'est intolérable. Poutine pourrait même, dans un moment de folie se laisser aspirer comme dans les meurtres familiaux (maritaux) par un délire de furieux considérant que ses droits acquis sont lésés, comme dans ces cas courants de tueurs de masse et familiaux qui préfèrent tuer tout le monde et se tuer après, plutôt que de composer avec la frustrante réalité : les êtres autour de nous sont libres de leurs choix, n'en déplaise au pater familias infatué par ses supposées prérogatives de Maître et Possesseur. 

Sur les plateaux télé, les "experts" et autres "spécialistes de la guerre" quasi tous mâles, comparent la taille des fusées, leur rayon de destruction de quelques kilomètres à 10 000, comme l'essai fructueux le 20 avril (qui "a dû lui coûter un bras et une jambe" selon un expert) du missile intercontinental Sarmat II envoyé par les Russes dans la presqu'île du Kamtchatka, choisie pour son isolement. Concours de bite réussi, ça a fait parler ; ça sème la destruction dans les endroits "isolés" et dans des villes surpeuplées -sachant que les "endroits isolés" sont tout de même peuplés de biodiversité. Dès le retrait des troupes Russes des zones occupées, les femmes ukrainiennes se relèvent blessées, violées en réunion, les dents cassées, dépouillées... par la soldatesque poutinienne, habituelles "dommages collatéraux" de leurs guerres stupides. Femmes ayant côtoyé la mort de trop près pour ne plus tout à fait appartenir aux vivants. Les Ukrainiens enterrent dans des fosses communes, en les recouvrant de chaux, leurs civils tombés sous les bombes de la guerre aérienne russe, la seule qu'ils maîtrisent apparemment, leurs chars tombant en panne ou à court de carburant, ou simplement arrêtés par les populations civiles ! 

Pendant que le "dernier tsar rouge" (je ne parierai pas un kopeck dessus, il a dû se reproduire plus que de raison c'est leur travers habituel, et leur hubris, leur malfaisance sont inarrêtables, un meurt, un autre prend le relais) fait peur à tout le monde, ici les journaux télévisés, magnétophones choraux, ouvrent sempiternellement sur des rayons d'huile vides, des automobilistes s'arrachant les cheveux à la pompe, et des rayons boucherie étalant complaisamment leur morceaux de cadavres. Nous servant la mélopée du "pouvoir d'achat" qui baisse inexorablement, des inciviques qui thésaurisent et, malheur de malheur, "on ne trouve plus de poulets dans les boucheries !" Mais que va-t-on devenir ? 

Plus de 20 millions de volailles en 6 mois (entre grosso merdo novembre 2021 et aujourd'hui, et ce n'est pas fini) ont été gazées, ou simplement laissées asphyxier en coupant la ventilation de leur bâtiment tunnel, pour cause de dissémination de la grippe aviaire aussi appelée peste aviaire, une zoonose mortelle particulièrement virulente pour les oiseaux. Il a donc fallu "euthanasier" SIC les oiseaux des élevages touchés ou ceux à proximité, même lorsqu'il n'y avait que quelques oiseaux malades, pour éviter la dissémination entre élevages surpeuplés, quasiment tous dans les mêmes secteurs, sud-ouest, Vendée, Pays de Loire et Ille et Vilaine. Tous envoyés à la benne, poussins comme adultes, cannetons, dindonneaux, poulets de chair, canards à foie gras. En pleine crise des matières premières (pétrole, gaz pour les chauffer, intrants et céréales* pour les nourrir) tout a été envoyé à la benne

Enfin, la benne, c'est un euphémisme : les éleveurs industriels ont été comme d'habitude laissés livrés à eux-mêmes, obligés de faire face, les usines d'équarrissage étant depuis longtemps débordées par la catastrophe. On a donc creusé, en désespoir de cause, sur réquisition préfectorale, des fosses géantes auprès d'un chantier d'autoroute pour entasser ces millions de victimes de la peste aviaire. En en perdant d'ailleurs pendant le trajet vers le centre d'équarrissage ou la fosse commune, ce qui avouez, pour une zoonose particulièrement virulente, est le comble de l'inepte. Ainsi vont les gribouilles cruels et irresponsables de l'élevage. Sans que le plus pour longtemps ministre de l'Agriculture (mais la nouvelle équipe va sûrement trouver à employer ses talents de médiocre, n'en doutons pas) Julien Denormandie, thuriféraire de la FNSEA et de l'élevage industriel mortifère, n'en pipe mot sur son pourtant actif compte Twitter. Un peu comme certaines femmes sempiternellement en conflit de loyauté avec l'ennemi de classe, il a du mal à parler des choses qui fâchent. 

J'en entends d'ici au fond, qui trouvent un peu too much ma comparaison entre les fosses communes d'Ukraine et celles du chantier de l'autoroute A83 en Maine-et-Loire. Mais croyez-vous réellement que tout cela ne relève pas des mêmes imprudences, incurie, intempérance, incontinence, désastre, goût pour la destruction ? Apparemment, nous sommes une espèce destructrice incapable de s'amender, incapable d'apprendre de ses échecs répétés à travers les âges. Quand le mur climatique, la surpopulation, la destruction des terres par l'usure des sols et la pollution, des températures à plus de 40 °c, la raréfaction de l'eau douce, l'effondrement de la vie animale vont frapper, comment notre désastreuse et égoïste espèce toujours accusant les autres d'être des "nuisibles", incapable de se priver en affrontant un petit inconvénient pour en éviter un plus grand, va-t-elle réagir ? Le plus probablement par la guerre, parce que lorsqu'il n'y plus à manger ni à boire, plus d'espace vital, avec toujours les mêmes excités au pouvoir, je ne vois pas comment on peut s'en tirer autrement. Ils ont suffisamment d'arsenaux qui n'attendent que de servir. La guerre en Ukraine, j'en ai peur, donne en avant-goût de ce qui nous attend. Il n'est même pas exclu que cette fois-ci, cet excité de Poutine appuie sur le bouton. Mais bon, la catastrophe d'aujourd'hui, c'est quand même qu'il n'y a plus de poulets dans les boucheries !

" Tant qu'il y aura des abattoirs, il y aura des champs de bataille. " 

La phrase est de Tolstoï, auteur russe, mais surtout universel. Et visionnaire. 

* Céréales que nous pouvons manger nous-mêmes, dans ce cas il en faut cinq fois moins ! Une bonne façon de faire baisser la pression haussière. Et d'en garder pour les pays qui sont étranglés par les cours mondiaux. 

lundi 11 avril 2022

Mystique de la guerre - Les hommes enfantent des monstres

" Les hommes jouent et le jeu suprême, c'est la guerre  ". Pierre Bourdieu

Même si j'ai quelques lectrices habituées qui, elles (eux), connaissent mes idiosyncrasies lexicales et savent que lorsque j'écris homme il s'agit bien sûr d'andros pas d'anthropos, je reprécise pour les lectrices de passage car j'en ai aussi, envoyées par Google et surtout par des agrégateurs de contenus que je remercie au passage. Les hommes : andros donc.

Quand nous voyons depuis le début de la guerre en Ukraine, sur nos écrans, la destruction dont ils se rendent coupables, des grandes villes rendues à l'état de gravats, villes totalement détruites, dont pas un immeuble ne tient debout après le retrait des troupes et supplétifs russes, sans parler des morts, on est secouées par ce pouvoir de destruction qu'ont les hommes, cette rage et cette efficacité qu'ils mettent à détruire. 

Les femmes enfantent les hommes, les hommes enfantent des monstres. 

Sans doute traumatisés par la puissance des grandes déesses primitives qui donnaient et entretenaient la vie sur Terre, après les avoir abattues et remplacées par des cultes sanglants et des sacrifices humains puis animaux, les hommes ont adopté le langage d'initiés des anciens grands prêtres afin de tenir les non initiés dans le mystère, l'ignorance et l'effroi de leur toute-puissance. Aussi emploient-ils un vocabulaire empreint de religiosité ; à l'origine, la science nucléaire des applications militaires est remplie de mystique religieuse. Ainsi le nom de code du premier essai nucléaire d'Alamogordo (Nouveau Mexique) le 16 juillet 1945 était-il Trinity d'après la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, les "forces mâles de la Création" ; quand les hommes engendrent, ils le font entre eux, sans passer par les femmes. Déjà Jupiter tirait ses enfants de sa cuisse ou de sa tête, jamais de son ventre, organe de la reproduction, trop femelle certainement.  D'ailleurs pour continuer dans l'hybris et se prenant pour Dieu, Oppenheimer voyant les exploits de son "bébé" (c'est ainsi que les scientifiques appelaient la bombe atomique) prononce les mots de la Bhagavad Gita, écrit fondamental de l''hindouisme : " Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes ". Vertige de toute-puissance. Dans le même ordre d'idées, la bombe H ou bombe thermonucléaire sera appelée le "bébé de Teller" du nom de son père, l'américano-hongrois Edward Teller. 

Dans la mystique religieuse masculine, les mâles ne produisent que des mâles. Le bébé d'Oppenheimer et celui de Teller sont donc des garçons. Après les premiers tests, les généraux télégraphient en langage codé au secrétaire à la Défense US que "les bébés sont nés de façon satisfaisante" et que ce sont de "gros garçons". La première bombe à hydrogène en 1952 s'appelle Mike : "c'est un garçon" est le langage codé par lequel on transmet que l'essai est couronné de succès. Les deux bombes atomiques larguées sur Hiroshima le 6 août 1945 et trois jours plus tard, le 9 août 1945 sur Nagasaki, s'appellent respectivement "Little Boy" et "Fat man". L'histoire entière du projet de la bombe semble imprégnée de l'imagerie que le stupéfiant pouvoir technologique des hommes confond le pouvoir de création avec le pouvoir de destruction de la Nature.

De plus, il semble que dans l'imaginaire de la guerre, seul le pouvoir compte, que la vie n'a aucune valeur. Les scientifiques du nucléaire se référant aux tueries provoquées par la bombe parlent de "dommages collatéraux" pour désigner les morts du camp adverse. L'expression a fait une belle carrière depuis, notamment lors de la guerre du Golfe de 1990-1991 dont le nombre de morts n'est toujours pas exactement connu. Les "frappes chirurgicales" suggèrent qu'il n'y a que des installations militaires sous les bombes, pas des gens ; les ennemis chacun à leur endroit du monde s'envoyant des roquettes (rockets en anglais, fusées) depuis leurs centres de commandement semblent se livrer à un jeu vidéo. Les bombes "sales" suggèrent qu'il y en aurait de propres. Les acronymes des Etasuniens évoquent des copains, PAL en anglais (Permissive Action Link, un système de sécurité nucléaire) ou de sympathiques héros de Disney, tel le système balistique antimissile BAMBI (BAllistic Missile Boost Intercept). On peut d'ailleurs se poser la question de leur degré de maturité d'adulte quand on évoque ce champ lexical de garçonnets. 

Le désarmement est vécu comme une émasculation. Je ne vais pas vous montrer de dessins, allez voir vous-mêmes et ouvrez bien les yeux : des roquettes aux lanceurs, propulseurs, canons, chars de combat de toutes sortes, tous ressemblent furieusement à des bites soutenues par deux couilles. Force de pénétration, vitesse, tailles des cratères, missiles des sous-marins nucléaires attachés au bâtiment par un filin de plusieurs kilomètres, l'imagerie phallique et séminale imprègne tout. Lors des essais nucléaires menés à Mururoa entre 1960 et 1996, à la fin (les premiers tirs avaient lieu en plein air), les français logeaient leurs têtes nucléaires dans des trous du volcan (l'atoll est un chapeau de corail sur un immense volcan éteint) puis les rebouchaient avec du ciment à prise rapide avant d'appuyer sur le bouton. Ils leur donnaient aussi paraît-il des noms de femmes, mais après recherche, je n'ai rien trouvé. Quand l'Inde réussit son premier essai nucléaire lui permettant d'entrer dans le club des nations qui avaient la bombe, les journalistes titrèrent que "l'Inde a(vait) perdu sa virginité nucléaire". 

Avec une telle perversité de langage et le champ lexical qui l'illustre, il est évident que ce ne sont pas les vies humaines ni la sécurité des populations qui les occupent au premier chef, mais bel et bien le pouvoir, l'exploit militaire, l'arsenal d'armes qui leur permet de jouer à la guerre, leur occupation favorite. C'est sans doute la raison de l'indignation des consultants et experts qui commentent sur les plateaux de télévision la guerre de Poutine (agresseur) contre l'Ukraine (agressée), guerre sale, guerre du XXème siècle, guerre où sont engagées des milices supplétives syriennes, tchétchènes et un groupe privé, le désormais célèbre Groupe Wagner que notre ministre des Affaires Etrangères n'a pas de mots assez forts pour stigmatiser. En effet, ces gens frustes n'ont que faire des Conventions de Genève et des "lois de la guerre". La guerre, c'est sale, malgré leurs tentatives de la rendre sexy, ce sont des tripes à l'air, du sang, et des corps en décomposition dans des body bags, quand on en a en stock ! Et leurs guerres se font aussi sur le corps des femmes. 

 " Les témoignages s'accumulent que le viol est utilisé comme arme de guerre en Ukraine ".

 Source LCI - 8 avril 2022.

Parce que tout cela à un moment ou un autre se retourne contre les femmes, ils nous ont commodément sous la main chez eux, ou devant les roues de leurs chars, à portée de leurs canons, de leurs kalachnikovs. Ils n'aiment pas les femmes ni la vie tout en la multipliant fanatiquement, ça marche ensemble, elle devient ainsi dispensable, expandable comme disent les anglophones. Ils comptent sur nous, après des accords de paix où il n'y aura qu'EUX, où ils s'entendront entre EUX, pour retourner dans nos gynécées produire de nouveaux soldats pour leurs prochaines guerres. Par la contrainte s'il le faut. 

Le texte de ce billet a largement été inspiré par The War Against Women de Marilyn French paru en 1992, non traduit en français, notamment son sous-chapitre War against women as revealed in military language. 

Fuck war and fuck warmongers !