"Dans la légende de Sophie Ménade, il est question d'un verger planté d'arbres de toutes les couleurs. Une femme nue y marche. Son beau corps est noir et brillant. Ses cheveux sont des serpents fins et mobiles qui produisent une musique à chacun de ses mouvements. C'est la chevelure conseillère. On l'appelle ainsi parce qu'elle communique par la bouche de ses cent mille serpents avec la femme porteuse de la chevelure.
Orphée, le serpent préféré de la femme qui marche dans le jardin, sans cesse lui conseille de manger du fruit de l'arbre du milieu du jardin. La femme goûte du fruit de chacun des arbres en demandant à Orphée le serpent comment reconnaître le bon. Il lui est répondu qu'il est étincelant, qu'à le regarder simplement on a la joie au cœur. Ou bien il lui est répondu que, dès qu'elle aura mangé le fruit, sa taille se développera, elle grandira, ses pieds ne quitteront pas le sol tandis que son front touchera les étoiles. Et lui Orphée et les cent mille serpents de sa chevelure s'étendront de part et d'autre de son visage, ils lui feront une couronne brillante, ses yeux deviendront pâles comme des lunes, elle aura la connaissance. Elles alors pressent Sophie Ménade de questions. Sophie Ménade dit que la femme du verger aura la vraie connaissance du mythe solaire que tous les textes ont a dessein obscurci. Elles alors la pressent de questions. Sophie Ménade dit, soleil qui épouvante et ravit / insecte multicolore, chatoyant / tu te consumes dans la mémoire nocturne / sexe qui flamboie / le cercle est ton symbole / de toute éternité tu es / de toute éternité tu seras. Elles, à ces paroles se mettent à danser, en frappant la terre de leurs pieds. Elles commencent une danse circulaire, en battant des mains, en faisant entendre un chant dont il ne sort pas une phrase logique."
Photo de Monique Wittig en 1964
Copyright : Peinture ci-dessus chez : Woaki
"Elle disent qu'elles ne pourraient pas manger du lièvre du veau ou de l'oiseau, elles disent que des animaux elles ne pourraient pas en manger, mais que de l'homme oui, elles peuvent. Il leur dit en redressant la tête avec orgueil, pauvres malheureuses, si vous le mangez, qui ira travailler dans les champs, qui produira la nourriture les biens de consommation, qui fera des avions, qui les pilotera, qui fournira les spermatozoïdes, qui écrira les livres, qui gouvernera enfin ? Elles alors rient en découvrant leurs dents le plus qu'elles peuvent. "
Extraits de Les guérillères Monique Wittig 1969
Les Éditions de Minuit
Le serpent symbolisant l'énergie de vie (le Kundalini en sankrit), si Eve écoute cette énergie de vie en elle et autour d'elle et que Dieu la punit c'est bien que cette entité désignée sous l'appelation "L'Éternel" n'est rien qu'un dieu morbide qui privilégie l'énergie de mort !
RépondreSupprimerLe serpent qui pond des oeufs et auquel Wittig rend ici sa place, est effectivement symbole de fécondité dans les mythologies premières. Les représentations de Marie avec des serpents sous les pieds ne sont pas la Vierge écrasant le mal comme on veut nous le faire croire, mais au contraire le symbole de la vie. Les féminaires -livres des actes des femmes- inventés par M Wittig tentent de contrebalancer les effets désastreux pour les femmes de la narration biblique.
RépondreSupprimerEn effet. Et puis pour les égyptien.ne.s, l'uræus est un cobra femelle qui protège pharaons et pharaonnes contre leurs ennemis. Ils/elles le portent sur le front !
RépondreSupprimerDans la mythologie égyptienne, l'uræus est aussi l'œil de Rê (et sa fille), soit une déesse solaire...
C'est fou ce qu'en ont fait les chrétiens !
Le texte de Monique Wittig est très beau mais les machos peuvent y voir la confirmation de la complicité entre la "femelle" et le "mal" (au lieu du "mâle" (quelle paranoïa !).
Je t'ai taguée si par hasard tu souhaites participer...
Dans le texte épique de Wittig, Eve est seule dans le Jardin avec un animal, le serpent ; pas de mec à l'horizon, donc pas d'anathème ni de condamnation, ni de paroles d'homme, juste la libération de la parole des femmes pour une fois ! C'est ça Les Guérillères, une tentative de créer un livre (féminaire) des femmes.
SupprimerJe suis allée voir, il est drôlement érudit ton questionnaire ! J'ai peur de ne pas avoir tout compris. Si je comprends bien, il faut répondre aux questions et poser soi-même 11 autres questions ? Je vais laisser mijoter, voir si mon cerveau produit, c'est ma façon d'écrire : je n'y pense plus et puis c'est comme une grossesse, ça vient ! :-)) Ou pas d'ailleurs.
"qui écrira les livres, qui gouvernera enfin ?" ...
RépondreSupprimerComme si ces deux activités étaient définitivement hors de nos capacités. Cet archarnement ridicule à se faire passer pour irremplaçables.
Elles ont raison de rire de toutes leurs dents.
Très beau texte comme toujours chez Wittig, merci !
Et question très angoissante : "qui fournira les spermatoïdes ?" Oui, là on serait morts, quoique...avec ce qu'ils appellent les "progrès de la science" de la reproduction contrôlée par eux, on pourrait se passer d'eux ?
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