lundi 27 juillet 2020

A armes égales - Les femmes armées dans les romans policiers contemporains

C'est l'été, c'est polars, lecture faciles et divertissantes, mais tout de même à haute teneur politique. Cette semaine, j'ai lu ça :


Vous en avez assez de Maigret et de sa femme pot-au-feu, ange du foyer ? De Philip Marlowe, de sa virilité en bandoulière et de ses conquêtes féminines quasi à son corps défendant ? De Simenon, l'homme aux vingt coups par jour, et son amour immodéré pour les femmes abîmées (soubrettes, prostituées au grand cœur, illusion patriarcale) propagande destinée à enrôler les femmes au service sexuel et domestique des mecs ? Vous en avez assez de l'implacable misogynie de Manchette ? 


Elles s'appellent Kay Scarpetta, Lisbeth Salander, Lucy Farinelli, Junko Go ou Lorraine Conner, DD Warren ; elles sont de toutes nationalités car le phénomène touche tous les pays : ce sont les femmes détectives, enquêtrices, profileuses, journalistes, médecins légistes, policières, agentes du FBI ou fonctionnaires au Quai des Orfèvres..., toutes traquant le meurtrier, exerçant la violence légale ou non, en payant souvent de leur personne, les femmes armées des nouveaux romans policiers. On peut dire qu'elles ont renouvelé un genre passablement essoufflé, et qu'elles font un tabac dans les librairies. Elles poursuivent la tradition des Agatha Christie pour qui fut créée en France la Collection du Masque, et Mary Higgins Clarke, pour qui Albin Michel crée sa collection Suspense. Transgressives, elles jouent même les tueuses redresseuses de tort dans certains polars noirs "Rape and Revenge : j'avais consacré un billet à mes préférées en 2017 : Bella, Solün et Fuckwoman en oubliant hélas le roman fondateur et très trash (punk) de Virginie Despentes où deux filles sèment la mort après avoir été violées : Baise moi sorti en 1994, provoquant un scandale. Comment ? Une femme peut écrire des saloperies pareilles ?  

Hommes violents, femmes victimes.

Caroline Granier dans son ouvrage A armes égales : les femmes armées dans les romans policiers contemporains soutient la thèse que tout ceci est empowering. Le polar a longtemps été conditionné par les hommes et des représentations phallocrates où les femmes vont le plus souvent à l'équarrissage. 
" Les auteurs masculins produisent bien souvent une littérature en adéquation avec le système sexiste. L'aspect misogyne des textes fondateurs (en littérature comme en philosophie) ... n'est pas sans conséquences. La lecture de textes classiques quand on est une femme est une violence symbolique ". En effet, les femmes y sont toujours passives, valorisées dans les services domestiques ou sexuels aux mecs, ou victimes tuées, suppliciées dans les polars. Un cadavre de femme, même décrit comme mis en pièce dans une scène bouchère, est toujours plus beau à voir, et plus érotique que celui d'un mec ! " Une femme lisant les oeuvres classiques est comme un juif qui lirait partout et exclusivement des oeuvres antisémites " citation par l'autrice d'une analogie de Colette Audry. " Les hommes n'arrêtent pas d'assassiner des femmes à longueur de romans. C'est un de leurs fantasmes chéris. Une manière de se venger peut-être pour leurs privilèges usurpés...

"Au-delà des discours sur l'égalité des droits, les medias culturels véhiculent des images de femmes soumises, passives -images que nous intériorisons et qui nous empêchent de nous révolter. L'influence de la littérature est immense. " Selon Jean-Patrick Manchette (1942-1995), auteur de polars, proche de l'extrême-gauche et de l'internationale situationniste, le polar est " la littérature en crise, le polar cause d'un monde déséquilibré, donc labile, appelé à tomber et à passer ". Ce monde déséquilibré, c'est selon les féministes, celui des rapports sociaux de sexe, reconduisant l'oppression et la domination.". " Le néo-polar, issu de l'extrême-gauche (Manchette) reste finalement très réactionnaire dans sa présentation des rapports sociaux de sexe. " Aussi : " Le policier est donc peut-être le genre le plus adapté pour parler de politique ou de critique sociale.

A nous les flingues, guys ! 

La terreur change de camp : on coupe les nouilles au sécateur ! * (Contrepèterie, mais vous l'aviez trouvée bien sûr ;))

Héros et héroïne : les deux termes ne sont évidemment pas symétriques. J'ai entendu Marie Darrieussecq comparer les deux récemment : le héros est actif, il court dans la montagne, il coupe des ronces, toujours en mouvement il combat ; l'héroïne, elle se contente d'attendre passivement, voire elle pionce carrément durant 100 ans ! Donc, le héros qui " suit un schéma narratif initiatique au cours duquel il active des capacités hors du commun, est le principal personnage du récit, il accomplit des actes extraordinaires qui impliquent l'usage de la violence, il est autosuffisant en terme de quête à accomplir, il agit pour des motifs moraux supérieurs en mettant au second plan les aspects relationnels (amicaux, amoureux) de son existence. " C'est bien cette définition qu'utilise Caroline Granier pour sélectionner ses héros au féminin, elles ouvrent une brèche dans un univers fortement masculin. Elles sont donc transgressives. Elles ne sont pas nécessairement féministes, ce qui ne les empêche pas d'influencer nos représentations.Elles sont capables de se battre, de se passer de l'aide des hommes. 

 Elles sont dures à cuire (hard-boiled) : " elles encaissent aussi bien les coups et l'alcool que Philip Marlowe " ! Elles sont " divorcées, sans enfants ni autres emmerdeurs à charge " SIC (Kinsey Milhone) 
Elles peuvent éventuellement avoir un chien -d'extrême gauche, dans un cas ; elles " ne se privent pas de torturer psychologiquement un suspect en lui faisant baisser son pantalon en guise d'humiliation ". Elles peuvent même être " née dans un parking, sans connaître leur mère morte avant d'arriver à l'hôpital ". Sans antécédents, et avec un tel livret de famille, elles s'engendrent quasiment elles-mêmes ! Elles peuvent être riches comme Crésus : Kay Scarpetta, Lisbeth Salander sont indépendantes des hommes, célibataires ; Hanna Wolfe a " un faible pour les corps masculins vus de dos : j'éprouve du plaisir à voir les hommes s'éloigner de moi !" Kay Scarpetta (Patricia Cornwell) par exemple, elle, a un ami de cœur, agent du FBI comme elle, beau comme le jour, attentionné, et, qualité suprême, il n'est jamais là ! Sa nièce Lucy Farinelli est, elle, lesbienne et hackeuse informatique, aucun système aussi verrouillé soit-il, fût-il d'une banque ou d'un état ne lui résiste, tout comme Lisbeth Salander, leur seul partenaire est leur ordinateur. On est dans la fiction et dans la fiction on fait ce qu'on veut. Ce n'est pas plus invraisemblable que les aventures d'Ulysse, héros de la mythologie grecque. Elle portent toujours sur elles un gros calibre qu'elles n'hésitent pas à utiliser pour se défendre elles-mêmes, ou la société. Leurs talons aiguille, quand elles en portent, peuvent même devenir une arme. Elles boivent, (elles ont le whisky thérapeutique), elles fument et elles mangent. 

Ce sont mes préférées : les femmes d'acier dédiées à une seule chose dans la vie, et qui la font excellemment. La dispersion est l'ennemie de la qualité du travail. Il y a toutefois toutes sortes d'enquêtrices dans les polars de femmes : les mariées pourvues d'enfants par exemple. C'est le cas de DD Warren, la blonde policière récurrente de Lisa Gardner : elle a un mari aimant qui prend en charge leur fils, lui fait des purées de légumes qu'il cuit et mouline lui-même, mais quand elle rentre à la maison, elle doit se taper toute la lessive, il ne voit juste pas les montagnes de linge sale ! Il y a celles qui mènent l'enquête enceintes, et qui doivent sortir pisser pendant une autopsie. Elles peuvent aussi mener l'enquête en fauteuil roulant, avoir charge de parents âgés, être carrément autistes ou sourdes, aveugles et muettes ! Etre policière, épouse, amoureuse et mère est toutefois compliqué : l'une se fait rappeler à l'ordre par son adjointe :" L'amour, c'est pour ça que les féministes ont brûlé leurs soutifs dans les années 70, pour avoir le droit de bêler, telles des chèvres en chaleur ? "

Fascination masculine pour la femme ouverte.

" Dans la mort, le corps d'un homme présente toujours mieux que celui d'une femme. En principe, les vêtements sont tous là, et il n'y a pas de traces de sévices : pas de seins ou de mamelons en moins, pas de petits cadeaux dans les parties intimes.

 La femme victime n'est pas une fatalité, c'est ce que nous dit cette littérature "puissance d'agir" (empowering) : on y voit des femmes puissantes, capables de se défendre, et qui se définissent sans référence aux hommes. Politiquement incorrecte, la violence des femmes est souvent vue comme illégitime, y compris par des féministes ! Il n'y a qu'à lire et entendre leurs contradictions concernant les femmes violentées, toujours sommées de ne pas se défendre, car c'est susceptible de leur revenir en boomerang. No future, laissez vous tabasser, Mesdames. On a compris, c'est un business, ça permet de faire entrer l'argent dans les caisses des associations. La dépendance au financement patriarcal est un puissant garant du maintien du système, les patriarcaux l'ont bien compris. Cependant " avoir accès à la violence n'implique pas d'y céder " écrit Caroline Granier.  

Décolonisons notre imaginaire : provoquons une rupture anthropologique
 
" Une entreprise politique ancestrale, implacable, apprend aux filles à ne pas se défendre " Virginie Despentes. 

" Comment ça se fait qu'on n'entende jamais parler d'armées de filles avec des grands couteaux qui éventreraient des mecs, juste pour rétablir l'équilibre ? " Toujours Virginie Despentes 

" Il y a bien une guerre des sexes et les femmes l'ont toujours perdue. C'est à peine si les femmes le remarquent parce qu'elles considèrent comme accordé le fait de perdre, tout comme les hommes considèrent comme accordé le fait de gagner. " Phyllis Chesler.

" La colère représente un tabou individuel et social chez la plupart des femmes. Le recours à la colère ne leur est consenti que lorsqu'elles défendent AUTRUI, mais pas pour se défendre elles-mêmes. "

Les femmes ont besoin de ces personnages pour pouvoir prendre confiance en elles, selon Nicole Décuré ; " la colère est notre amie ; la colère a un potentiel révolutionnaire dans un contexte d"oppression.

"... laisser aux hommes le contrôle exclusif des instruments de violence cautionne la division entre protecteur et protégée, met les femmes en danger et, ironiquement, alimente aussi bien l'idéologie militaire que l'idéologie masculiniste. " Sarah Ruddick, activiste qui se définit comme anti-militariste.  

Vous avez compris, j'ai adoré lire cet ouvrage. A la fin vous trouverez tous ces héros femmes classées par ordre alphabétique, avec les noms de leurs autrices, et un ou deux titres marquants, sachant qu'il y a des séries. Cahier des charges de Caroline Granier : elle ne parle que de femmes armées dans des romans policiers écrits par des femmes autrices. Ainsi, Lisbeth Salander est nommée et décrite, mais ne figure pas dans le dictionnaire des enquêtrices citées, car son auteur est Stieg Larsson, un homme. En effet, quelques hommes, ayant compris leur potentiel subversif, écrivent aussi des romans avec des femmes héros armées. Tant mieux. Vous pourrez donc piocher dans cette liste une bonne sélection de polars à rechercher dans votre librairie ou votre bibliothèque favorite. Une vraie mine. Bonnes lectures ! Ne vous laissez pas marcher sur les pieds, qui sont les seuls organes que vous avez de fragiles. 

* Contrepèterie célèbre de Mersonne ne m'aime, polar féministe parodique de 1978, par Cardot et Bernheim. Désopilant ! 
Les citations tirées de l'ouvrage sont en caractères gras et rouge

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