vendredi 25 mars 2022

Le coût de la virilité de Vladimir Poutine

 

Vladimir Vladimirovitch Poutine : la dictature de la virilité.

" Que ça te plaise ou non, ma jolie, faudra supporter " (Sud Ouest)

C'est avec cette phrase de violeur, tirée d'une comptine et adressée à l'Ukraine, que Vladimir Poutine a annoncé sa guerre, fin février. 

Quel est le coût de la virilité de Poutine à Marioupol, à Kharkiv, Kiev, villes assiégées ? Pendant les guerres, les villes sont femellisées, traitées comme ils traitent les femmes : elles sont d'abord assiégées, puis "prises" par la force, elles "succombent" "sous les assauts des hommes violents et guerriers, tombent aux mains des agresseurs, sont "anéanties" comme le font certains tueurs et auteurs de féminicides qui s'acharnent sur leurs victimes. D'ailleurs, elles ne sont pas les seules : on a abondamment entendu les commentateurs et spécialistes expliquer la haine de l'Europe que porte le nouveau tsar russe : femelle, ravagée par les lobbies LGBT, toutes ces "tapettes" qui dévirilisent les hommes. D'autant que pas mal sont dirigées par des femmes. Nostalgique d'empire, revanchard sans doute maltraité à cause de sa petite taille par ses camarades de classe dans une époque brutale, c'est en tout cas ce que prétend Marc Dugain dans Une exécution ordinaire, et nationaliste. Sans égard pour la vie humaine, son premier exploit en arrivant au pouvoir a été de condamner les marins du Koursk à mourir à bout d'oxygène dans leur cercueil sous-marin ravagé par une explosion alors que la zone (Mer de Barents) était truffée de sous-marins, et que les Norvégiens avaient proposé leur aide. Il y eut d'autres "exploits" de ce type. L'attaque par des séparatistes Tchétchènes et la "libération" par les forces spéciales russes de l'école de Beslan en 2004 qui se solda par plusieurs centaines de morts dont 186 enfants brûlés vifs. Ce fut sa réponse d'une brutalité féroce à la violence des preneurs d'otages. C'est une tradition des tyrans russes, de leurs empereurs cautionnant le servage, à Staline qui déportait arbitrairement ses compatriotes opposants ou supposés tels dans des camps en Sibérie où ils mouraient de faim, de froid, et d'épuisement.  

Poutine est un nationaliste, un fasciste rouge, nostalgique de l'Empire russe et de l'époque soviétique qui l'a formé. Il a commencé sa carrière d'espion au KGB. Le nationalisme est une croyance obscurantiste, une fiction présentée par les chefferies généralement masculines pour mieux dissimuler les échecs de leur politique, ici la Russie, "puissance pauvre" ai-je entendu, richesses minières et pétrolières sous la coupe d'une oligarchie kleptocrate qui vole littéralement les Russes, les spolie des richesses de leur pays. Poutine a un contrat "social" avec les oligarques qu'il a mis au pas, plumez le pays à votre guise mais laissez-moi gouverner comme je l'entends. Les peuples ne veulent pas la guerre, donc pour les contraindre à y aller, leurs dirigeants inventent une fiction nationale, une histoire épique sanglante à base de héros et de martyrs, ils y rajoutent un bouc émissaire (les Juifs pour Hitler, les"nazis" ukrainiens pour Poutine), et les peuples vont ensuite mourir pour des marchands de canons. Parce que toutes ces armes accumulées durant des décennies, il faut bien les utiliser ne serait-ce que pour renouveler le stock et tester grandeur nature ce qu'on a petitement mis au point en laboratoire. 

Où sont les femmes ? Elles se prennent les bombes sur la tronche et pleurent. Un classique, les hommes font la guerre et les femmes pleurent. Elles subissent, elles endurent, elles et leurs enfants. Regardez bien les plateaux de télé ici, et surtout les ministres et stratèges qui entourent Poutine là-bas : c'est carrément la fête de la saucisse, boys' club crapuleux, et syndrome des couilles de cristal. Ils sont installés, cuisses écartées sur leurs fauteuils, tant chez eux, qu'en visite à l'étranger. Mais me direz-vous, où étaient-elles avant la guerre, tandis qu'on ne les voyait jamais ? Je suppose qu'elles se contentaient de "traîner dans le coin"*, assurant l'intendance, le secrétariat, les communiqués de presse, les repas, le service des cafés et la vaisselle quand ils quittent la table. Laissons les choses sérieuses aux gars. Et la guerre est une chose sérieuse, pas un truc de gonzesse. Elles produisent les oppresseurs, elles les élèvent, et dès l'adolescence ils se retournent contre elles, sortent du camp des femmes pour aller dans celui des hommes, achetant leur passeport pour la virilité. Ils deviennent des tueurs et retournent leurs armes, auxquelles les femmes n'ont jamais accès, contre elles. Des siècles que ça dure. 

Je tente une prospective et je pense ne pas prendre de risques : au moment des négociations de paix, car forcément le temps arrivera de se mettre autour d'une table et de discuter (entre hommes, la paix est chose trop sérieuse pour la laisser aux bonnes femmes), quand Poutine aura assez répandu de sang et de tapis de bombes, elles en seront absentes. Après des milliers de morts militaires et civils, ils négocieront une sortie du conflit entre hommes, un mauvais traité de paix pour une Ukraine en charpie. Ensuite, ils extrairont encore plus de sable pour faire du béton et reconstruire leurs villes tentaculaires, cela nourrira la Mégamachine et fera du PIB (Produit Intérieur Brut) puisqu'aussi bien, ils font de l'or avec la destruction. Ce sera le coût de la virilité du Président Poutine, chiffrable en milliards, externalités négatives non incluses puisqu'ils se sont déclarés saigneurs, maîtres et possesseurs de tout ce qui vit et bouge, mettant le feu encore un peu plus à la Maison Terre. Les femmes s'en  retourneront produire des miliciens pour le camp mâle, avec un peu de pas de chance, d'autres méchants, menteurs et retors Poutine. 

Une bonne nouvelle tout de même, les Russes ont le plus grand pays du monde mais ils ne sont "que" 150 millions, natalité en berne (les femmes ont enfin compris que leurs efforts étaient remerciés au mieux par la condescendance sociale, la pauvreté économique, l'abnégation forcée, au pire par le tapis de bombes, c'est ça la bonne nouvelle) et un PIB du niveau de celui de l'Espagne. Mais le permafrost de Sibérie fond, une aubaine après les restrictions de guerre. Il leur reste à détruire ce qui reste de climat à peu près supportable pour extraire avec leurs gros engins phalliques ce que la Terre peut encore cracher de pétrole et de métaux pour alimenter leur/notre goinfrerie incontinente, leur hybris de saigneurs. Mais il faut faire vite. Avant les 50 °c invivables et là, un Vladimir, celui-ci ou un autre, appuiera cette fois sur le bouton (il n'est pas exclu du tout qu'il le fasse cette fois-ci). Pour accaparer les dernières ressources et garder un espace vital. 

Cela va sans dire que je suis solidaire des femmes russes, autres victimes de cette sale guerre, qui réceptionnent déjà les corps de leurs pères, compagnons et frères dans des cercueils plombés.

Mary Daly

* " Le génie absolu des hommes. Veux tu savoir ce que c'est ? Les hommes veulent. Les femmes se contentent de traîner dans le coin. Les femmes croient qu'elles font une carrière de tonnerre de Dieu. Tut tut. Rien, elles ne vont nulle part, je peux te le dire. Les hommes veulent. L'impact, nom de Dieu. Les hommes veulent tellement. Ca nous étourdit un peu, nous fait perdre les pédales. Que sommes nous devant cet énorme désir, ce besoin universel et buveur de sang qui les tient ainsi ? " 

" Ils sont fous, c'est leur génie secondaire. Ils sont totalement fous. Fous furieux. Réfléchis. Pense un peu. Ils sont dingues. Et nous sommes leurs femmes. Nous vivons avec eux. "

Don de Lillo - Chien galeux (Running dog) - 1978, 1993 pour la traduction en français

dimanche 6 mars 2022

Le mépris des bêtes : un lexique de la ségrégation animale

J'ai lu ce petit ouvrage écrit par Marie-Claude Marsolier, biologiste, ancienne élève de l'Ecole Normale Supérieure, chercheuse au CEA. Elle publie aussi sur la linguistique. 


" Le dictionnaire est une création idéologique. Il reflète la société et l'idéologie dominante. En tant qu'autorité indiscutable, en tant qu'outil culturel, le dictionnaire joue un rôle de fixation et de conservation, non seulement de la langue mais aussi des mentalités et de l'idéologie. Toute révolution devrait s'accompagner d'une réforme du dictionnaire, comme le disait Hugo. 

Marina Yaguello, Les mots et les femmes.

Nous avons tué le loup avec des mots "

" La misothérie de notre langage légitime l'oppression des non-humains "

Dinde, chienne, truie, bécasse, pie (bavarde), buse (stupide), oie (blanche, niaise), ces vocables présentent l'avantage d'être méprisants à la fois pour les animaux et pour les femmes ; à la misothérie, mot créé par Marie-Claude Marsolier à partir de deux racines grecques (miso : haine) et ther (bête), zoôn incluant tous les êtres animés, l'humanité est dedans vu que l'humanité fait partie du règne animal, désolée pour l'ego de certain-es, sur le modèle de misogyne (gynè : femme, haine des femmes) il faut donc rajouter la misogynie. Mais aussi, butor (un peu désuet, homme grossier), chacal, pieuvre, requin, crabe (panier de), corbeau (écrit des lettres sans signature), autruche (politique peureuse de), porc (balance ton), âne (qu'on ne présente plus), dindon (de la farce), loup (voir le loup, l'homme est un loup pour l'homme). Pigeon et mouton, qui ont même donné "mougeon" être hybride, sorte de chimère cumulant le crédule et le grégaire, la créativité humaine est sans limites. Fourmiller, fourmilière : ils sont nuisibles et pullulent, il faut donc les "réguler", verbe très prisé des chasseurs pour justifier leurs tueries insatiables. Et en ces temps de retour de guerre froide, un twitto me souffle "vipère lubrique", "crapaud venimeux", " rat visqueux", "chien courant de l'impérialisme yankee"... utilisés par les marxistes et maoïstes des seventies pour désigner l'ennemi de classe. Comme on le voit notre lexique est pétri de haine des bêtes. 

Les animaux (du latin anima, âme) et bêtes (de bestia, brute) désignent selon la taxonomie humaine un tout indifférencié incluant aussi bien les mammifères, poissons, insectes et arthropodes, lesquels n'ont absolument rien à voir les uns avec les autres. Ce sont des termes purement négatifs, au sens de "non-humains" qui ne renvoient jamais à des individus, mais qui sont destinés à séparer les humains des autres animaux. Le mépris des bêtes est inscrit dans nos classifications à base de fautes de logique. Platon déjà dans La République, et Montaigne dans ses essais, relevaient cette misothérie et sa fonction spéciste (préjugé raciste mais appliqué aux autres espèces) qui consiste en réalité à séparer radicalement les humains des non-humains, alors que nous faisons tous partie du même règne animal.

Marie-Claude Marsolier écrit que "animal" ou "bête" renvoie à un statut social, à un statut d'individus sans droit moral, sur lesquels les humains ont tout pouvoir, individus que nous avons réduits à notre merci, sur lesquels nous avons sans discussion droit de vie et de mort. Individus à" réguler" car décidément ils "pullulent", à "euthanasier", mettre à mort rituellement ou "artistiquement" dans les corridas, exploiter jusqu'au trognon dans les courses de chevaux pour envoyer impitoyablement les perdants à l'abattoir, enchaîner en mode forçats au Salon de l'agriculture, encager, enfermer dans des lieux concentrationnaires, transporter dans des conditions sordides, et finalement mettre à mort dans des abattoirs. 

Le mot abattoir est apparu en 1806, en même temps que la réorganisation napoléonienne qui expulse des villes les "tueries" et "écorcheries", anciens noms plus explicites des lieux d'abattage des bêtes. Abattre précise Marie-Claude Marsolier, " met en avant l'effort puissant, massif d'une activité qui s'exerce sur un ensemble, une masse indéterminée (des arbres, des bêtes, de la besogne -des clients, pour les prostituées dont on dit qu'elles vont à l'abattage quand elles reçoivent 30 clients par jour), sans aucune place pour la notion d'individu au sein de la masse mise à mort ". Après, on ne parle plus que de tonnages sortant des abattoirs (terrestres, ou flottants pour la pêche) d'où mes difficultés pour retrouver dans les tableaux d'Agreste Bretagne par exemple, le nombre d'individus tués pour notre insatiable consommation de viande. Il va de soi qu'une tonne de carcasses de bœufs, de dindes et de poulets ne contient pas le même nombre d'individus. Il me faut donc fouiller dans des masses de chiffres et parfois faire des divisions à partir du poids d'après les données que je connais, un bœuf fait 800 kg et un poulet deux kilos, pour trouver leur nombre. Tout cela est bien entendu voulu, pour cacher l'étendue du massacre. 

À tout cela s'ajoutent l'euphémisation et le déni des pratiques de boucherie par ce que Marie-Claude Marsolier appelle "la disjonction lexicale" : en anglais par exemple, l'animal n'a pas le même nom que la viande correspondante. Pig, swine devient pork sur leur table ; cow, ox, calf (veau), devient beef et veal dans les assiettes ; sheep devient mutton, et deer devient venison. En français, la disjonction lexicale s'opère non pas sur l'animal mais sur la désignation des morceaux de viande qui n'ont aucun rapport et donc effacent la bête. Sélection non exhaustive : filet, faux-filet, rond de gîte, gîte à la noix, bavette d'aloyau, macreuse, merlan, poire, etc. 

La consommation de viande s'entoure également d'idées fausses sans arrêt répétées qui finissent par former un corpus de contre-vérités sur ce qu'est une bonne alimentation. Il faut bien, vu qu'on ne ramasse toujours pas les végétariens ni les véganes par pleines ambulances, comateux effondré-es dans les rues, au grand dam des carnistes qui nous font avaler leurs bobards avant de nous enfourner, enfants sans défenses que nous sommes, et sans avoir même la possibilité de dire non, du cadavre d'animal dans la bouche ! Ainsi du discours sur les féculents toujours opposés aux nobles, car viriles protéines animales, taxonomie (classement) occultant aussi des fautes de logique. Les "féculents" sont une classe d'aliments d'origines très différentes (riz, maïs, céréales et leurs dérivés), pommes de terre (solanacées comme les tomates), blé noir (polygonacée), légumineuses (graines dans des cosses), châtaignes et toutes les noix. Ils sont abondants en amidon et glucides complexes mais aussi en protéines (gluten, protéine du blé) tous les pois, haricots, notamment le haricot mungo (soja) qu'on donne aux herbivores et aux oiseaux pour faire du muscle. S'ils font du muscle aux bêtes, pourquoi n'en feraient-ils pas aussi aux humains qui font partie du règne animal ? Le tour de passe est complet. Les graines sont quasi éternelles, on en a fait germer qui ont été trouvées dans les pyramides d'Egypte, dans la panse d'animaux congelés dans le permafrost : elles sont des protéines, ces briques de la vie encapsulées sous une coque bouclier, avec pour la durée du voyage dans le temps, des graisses et des glucides nourriciers. Indestructibles. Eternelles. " Je suis orge, je ne péris point ", dit la déesse Isis. 

Ce livre est un bijou de lexique spéciste et de sa mauvaise foi, de fautes de logique, destiné à opposer radicalement les animaux humains et non-humains, à nous faire accepter toutes les violences que nous infligeons aux bêtes. Un lexique du mépris, de la cruauté, justifiant l'implacable exploitation que nous leur faisons subir. D'ailleurs, l'animal n'a jamais le statut de victime précise l'autrice : ce qui donne les titres dans la presse relayant les incendies d'élevages, ou les accidents routiers où périssent aussi les bêtes " 40 000 poussins brûlés vifs dans un bâtiment d'élevage dont les pompiers ont mis 4 heures pour venir à bout : aucune victime n'est à déplorer " SIC. Les victimes sont toujours les animaux humains. Ce que moi je relaie par la phrase corrigée, et renvoyée à l'émetteur : " Incendie dans un tunnel à poulets : on déplore 40 000 victimes brûlées vives". 

Il est temps de prendre conscience, que notre regard évolue pour que cessent ces violences contre les autres terriens, nos frères et sœurs en animalité ayant des droits moraux, ils sont dignes de notre considération. Pour cela, il faut revoir notre champ lexical de fond en comble. C'est ce que proposent après analyse cet ouvrage de 170 pages et son dernier chapitre, Pour une évolution de notre langage.

En bonus, je mets le lien vers l'inénarrable publicité que la RATP avait commise en 2012 contre l'incivilité dans son métro parisien : deux avantages, continuer à diffamer les bêtes, et éviter de nommer le problème, l'incivilité en majorité masculine, les porcs, phacochères et ânes reprenant du service à leur place. Le spécisme et la misothérie ne font jamais relâche. 

mardi 15 février 2022

Utilisateurs de la gestation pour autrui : souffrants ou égoïstes ?

Mercredi 9 février, France 2 télévision de service public, diffusait en première partie de soirée un téléfilm faisant la promotion de la GPA (gestation pour autrui) au scénario adapté du récit de Marc-Olivier Fogiel sur son parcours de couple ayant eu recours à cette technique aux USA pour avoir deux filles. Rappelons que cette pratique est illégale en France, qu'il est donc étrange qu'une chaîne de service public en fasse la promotion avec l'argent de notre redevance. J'avoue ne pas avoir regardé, ni le téléfilm, ni le débat qui suivait : à lire les critiques et les interviews, comme à chaque fois, cela donne un scénario bourré de pathos ; le débat devait être un alibi mettant face à face deux camps à jamais irréconciliables, procédé dont la télévision raffole. Je suis tout de même tombée sur quelques tweets et vidéos confirmant ce que je craignais. 

Sofia Essaïdi, actrice principale, dans cet article du Figaro parle d'amour (ah l'amour, comment aller contre ?) et surtout s'exprime dans cette phrase, titre d'article : "La gestation pour autrui, c'est une histoire de gens qui souffrent". De ne pas pouvoir enfanter, et ensuite du regard des autres, quand surmontant la réticence de la société, ils décident malgré tout de braver la loi. Peut-on rappeler à Sofia Essaïdi que la maternité, cette "affaire de femmes" a longtemps été un océan de souffrance pour les femmes ? En cinquante ans, on est passées de la maternité malédiction à la maternité à tout prix. De l'enfant malheur à l'enfant-roi, puis à l'enfant à tout prix. Allez juste jeter un œil sur le bouleversant film de Claude Chabrol sur la seule femme Marie-Louise Giraud, condamnée à mort et guillotinée en France en 1943 pour avoir pratiqué 27 avortements : les arguments des femmes qui ont recours à elle sont déchirants. Ma propre enfance a été bercée de témoignages de femmes du voisinage, et de mes aïeules se lâchant quand elles étaient entre elles sur leurs grossesses (pas souvent désirées) et leurs accouchements (la plupart du temps décrits comme des boucheries). J'aurais un souvenir de récit d'un parcours de roses, promis, j'en ferais état, mais je n'en ai pas. Rajoutons que la longue période de l'histoire où l'espérance de vie de l'humanité ne dépassait pas 25 ou 30 ans, était majoritairement due aux mortes lors de la grossesse et de l'accouchement. Les femmes mouraient en couche, les femmes souffraient, les femmes payaient de leur vie ce douteux privilège de donner la vie. Ne parlons même pas des comportements masculins irresponsables, semant à tout vent et n'endossant que rarement leur paternité ni même une quelconque responsabilité, les femmes portaient seules la charge et souvent l'opprobre de la société. Donc, désolée, je ne partage pas cette idée de souffrance, je préfère vivre au XXe et XXIe siècles dans un pays où la GPA désirable par quelques couples, en majorité hétérosexuels d'ailleurs, est interdite pour des raisons d'éthique. Et surtout, où les moyens de contraception sont accessibles, bon marché voire gratuits, et l'IVG légale. 

" Un enfant si je veux ", le slogan radical des militantes féministes des décennies 60 /70 luttant pour la contraception et l'avortement, hélas tempéré par sa subordonnée " quand je veux " se retourne contre nous : "mon corps, mon choix, mon droit" est désormais invoqué par les libéraux et libérales pour justifier les pires exploitations du corps des femmes dans la pornographie, la prostitution rebaptisée "travail du sexe", et dans la reproduction sous couvert d'altruisme et d'empowerment des femmes dans la GPA. Le patriarcat, jamais défait, toujours renaissant, toujours diviseur, après avoir été chassé par la porte revient par la fenêtre en détournant à ses fins -l'accès au corps des femmes et à leur fonction reproductive-, invoquant le libre choix individuel et le libéralisme, et détournant à son profit les slogans des féministes et de leurs acquis collectifs.  

Comment être contre l'altruisme ? Comment dire que oui, il y a des couples stériles physiquement (hétéros) et socialement (gays et lesbiennes) que je comprends que cela les met à l'épreuve, mais que ce n'est pas aux femmes d'aliéner leur corps pour leur servir de pansement sans passer pour une égoïste ? Au contraire n'est-ce pas eux les égoïstes, louant un corps de femme, achetant un enfant, qui aura toutes les peines à acquérir la nationalité française puisqu'acheté / né à l'étranger, ce que la loi française condamne. N'est-ce pas imposer son égotisme en mettant les autorités d'un pays devant le fait accompli en créant des précédents, en imposant leurs enfants et exigeant du législateur la reconnaissance de leur action illégale en le mettant en demeure de considérer l'intérêt de leur enfant, intérêt dont eux ont fait bon marché pour commencer ? 

Dans cette vidéo Youtube de C à vous sur la chaîne France 5, on voit Marc Olivier Fogiel (MOF) "raconter son combat pour la GPA" en face d'Anne-Elizabeth Lemoine : la télé invite la télé, et notion toujours floue pour les Français, on frôle le conflit d'intérêts puisque MOF est le puissant patron du groupe de télévision RMC /BFM TV et qu'Anne-Elizabeth Lemoine peut avoir de bonnes raisons de ne pas insulter son avenir face à un futur éventuel employeur. Je ne dis pas qu'elle le ferait, je dis seulement qu'elle se met dans une position délicate et qu'on peut poser la question. Outre cette première remarque, le verbatim de la vidéo est orienté don de soi, amour, générosité des femmes porteuses, quasi incompréhensible pour les féministes "qui n'ont jamais parlé avec elles", donc seraient incompétentes sur la question, et le slogan libéral est dit par MOF citant une femme porteuse sans doute étasunienne "ma plus grande liberté c'est de faire ce que je veux de mon corps". Aliéner sa liberté au moins pendant neuf mois, ce serait poser un acte de liberté suprême, discours habituel des libéraux, dès lors qu'il s'agit d'un choix individuel qui, du fait, ne serait pas critiquable. Tout cela baigne dans une émotion et une émotivité bourbeuse qu'on reprocherait ailleurs, par exemple à une défenseure des animaux sur le même genre de plateau, comme un travers de femmelette pleureuse, tout comme on lui reprocherait de projeter ses affects et sensations sur les autres. Evidemment, "l'insécurité des enfants non reconnus par l'état" -refus de nationalité- est totalement à charge contre notre vilaine société, certainement pas des parents qui bravent la loi votée par le collectif social, alors qu'ils imposent leurs choix individuels qu'on peut, dans un cadre normal, qualifier d'égoïstes, en mettant la société devant le fait accompli en rentrant avec un enfant "illégal" et en intentant ensuite des actions en justice. 

Alors oui, j'avoue, je n'ai jamais parlé avec une mère porteuse, ce qui me disqualifierait pour avoir une idée sensée et surtout des principes sur le sujet, à cause de mon ignorance profonde ? Si je rencontrais une mère porteuse je l'écouterais parler de son choix en espérant seulement qu'elle l'a fait en auto-détermination, sans pression sociale ni économique, ni due à son éducation. Je pourrais aussi croire à sa sincérité. Ce qui me m'empêcherait pas d'avoir et d'être ferme sur les principes selon ce que je sais du statut social des femmes : les femmes ont toujours été considérées comme devant des services domestiques, sexuels et reproductifs aux hommes et à la société ; les femmes constituent l'énorme masse des économiquement faibles partout dans le monde. Le risque est donc immense de céder à la tentation de gagner de l'argent -ce que je ne condamne pas non plus en soi- en aliénant une partie de leur temps et de leur corps, en le louant ou le vendant au plus offrant pour accéder à plus de confort personnel pour elles et surtout pour les leurs, l'expérience nous montrant que les femmes dépensent leur argent pour le confort des autres. Ceci en se faisant appliquer des techniques d'élevage au préalable expérimentées sur les corps des femelles animales (ce qui me révulse également !) surexploitées jusqu'au trognon par notre arrogante et capricieuse espèce. Le ver est dans le fruit, le modèle est délétère.

Donc, oui, rationnellement et j'insiste sur la démarche rationnelle : je défends que le corps humain est incessible, inaliénable, donc qu'on ne le vend ni ne le loue, en totalité dans l'esclavage, ni à la découpe, en pièces détachées, comme dans la prostitution commodément rebaptisée "travail du sexe", dans la pornographie, ou dans la fonction de mère porteuse. On ne vend ni n'achète pas non plus un enfant. Je soutiens aussi que la loi précède en force les choix individuels aliénants, car pour citer Lacordaire, "entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit. " Je défends aussi que les lois dont nous nous sommes dotés démocratiquement, voulues collectivement après une longue exigence et parfois de durs combats, sont d'essence supérieure à tous les choix fussent-ils individuels, fussent-ils affublés de la notion de "libre-choix". On sait les inversions, les détournements de notions dont se rendent régulièrement coupables les patriarcaux pour nous faire admettre leur agenda politique. Donc, prudence. Que des gens fassent du militantisme, je le comprends aussi, mais dans ce cas-là disons-le nettement, ces émissions ouvrent leurs micros à des militant-es qui ont un projet politique, faire admettre qu'une femme porte un enfant dont elle n'est pas légalement la mère parce que l'ovocyte fécondé vient d'autres qui veulent être parents à tout prix contre paiement et annexion de sa liberté pendant neuf mois, parce que par contrat on exigera qu'elle se soumette entièrement à des techniques invasives et hormonales avant et pendant sa grossesse pour qu'elle livre  son "produit", enfant auquel elle a renoncé, conformément au contrat qu'elle a signé. C'est cela la réalité de la gestation pour autrui. 

Lien pour aller plus loin : Un article publié en mars 2019 sur le livre Tristes grossesses, l'affaire des époux Bac qui fera prendre conscience à la France nataliste des années 50 du sort des femmes accablées de grossesses, prise de conscience qui débouchera sur la loi Neuwirth en 1967. 

samedi 29 janvier 2022

Auto-défense *

Le 31 décembre 2021, un tweet d'un collectif de femmes africaines auquel je suis abonnée nous envoie un gentil message de joyeuse Saint-Sylvestre en recommandant toutefois d'être prudentes, mettant les femmes en garde contre la drogue du violeur avec une illustration ; j'ai bien aimé, aussi j'ai partagé. Hélas le lendemain, le tweet était repartagé par une avocate de femmes battues avec en commentaire au-dessus : Il faut dire aux hommes de ne pas violer !, désamorçant le conseil aux femmes d'être prudentes. Et quand on a dit aux hommes de ne pas violer, qu'est-ce qu'on fait après ? On va en soirée, et on leur fait confiance, en laissant traîner nos verres ? Sur le moment, j'ai été choquée, et ensuite carrément indignée. Le tabou de se défendre est toujours d'actualité, suspendu sur la tête des femmes. C'est bien plus sexy pour nous, pauvres filles sans défense, de finir à l'équarrissage plutôt que d'être prudente et de se défendre avec ce qu'on a sous la main, une grosse barre de fer par exemple ! La prostituée n'agresse pas (notez la teneur patriarcale du titre), elle se défend contre un mauvais payeur qui lui crache dessus en pleine pandémie. 

Interdiction de se défendre, le vieux tabou anthropologique, un tabou patriarcal construit, fabriqué, les outils et les armes sont aux hommes. Gagner en productivité (outils) et se défendre (armes) sont toujours leurs privilèges exclusifs. Nous femmes, devons faire dévolution de notre sécurité aux hommes de la famille, c'est une idée tenace, ancrée dans notre psyché, une idée toxique car elle nous rend impuissantes et nous met à leur merci, alors qu'on sait la violence masculine endémique, violence spécifique destinée à nous faire tenir à carreau, à se garder une femme à leur service. Il faut crever de peur, sortir désarmée physiquement et psychiquement, et compter en soirée sur leur éducation dont on sait ce qu'elle vaut, pour rester en sécurité et en vie. Quelques féministes cautionnent, c'est dire la puissance de l'injonction, sa persistance dans le temps. 

Il ne manque pourtant pas de feu, de brandons, d'eau bouillante et de couteaux dans "nos" cuisines, comme soulignent les anthropologues femmes, mais curieusement ils se retournent toujours contre nous, la cuisine est la pièce la plus dangereuse pour les femmes à leur propre domicile. L'anthropologie et l'histoire nous enseignent que les femmes sont un bien meuble des hommes de la famille : elles ne s'appartiennent pas, elles sont la propriété des mâles, qui nous défendent comme on défend un bien. Les premières lois criminalisant le viol disposaient que le lésé était l'homme, père ou mari, dont le violeur avait dégradé le bien, la victime c'étaient eux, la femme n'ayant servi que de moyen pour les atteindre. Je vous laisse imaginer les traces que cela laisse dans la culture et la psyché. Nous avons été dressées "à trouver le Grand Fromage légendaire au bout du labyrinthe piégé, après avoir subi des chocs électriques" (la formule est d'Andrea Dworkin), toutes ces avanies que les femmes subissent avant de tomber dans le piège patriarcal. Eux n'ont qu'à poser quelques lignes et attendre que ça morde sans faire trop d'efforts, puisque nous devons nous en trouver un et le garder, sans quoi nous aurions raté notre vie de femme, selon la scie sociétale.

Evidemment, les femmes ne sont JAMAIS responsables des saloperies commises à leur détriment. Mais comme c'est toujours nous qui avons porté la honte des méfaits commis par l'adversaire de classe, cela devrait nous inciter à être aux commandes de notre propre sauvegarde et sécurité. Ou on continue à élever une pauvre future victime sans défense parce qu'on lui a expliqué que c'est cuit, que de toutes façons elle ne s'en sortira pas seule sans un preux chevalier à ses côtés, ou on en fait une femme avertie, affirmée, qui pense à elle en premier et commence par s'armer la tête en garnissant son sac d'un spray au poivre ou d'un argument frappant : entre les deux il y a toute l'épaisseur de l'assertivité, ce qui n'est pas rien, cela change le comportement, l'attaquant ayant l'œil pour repérer la boiteuse, celle pas très affermie sur ses guiboles. 

Qu'une féministe relaie ainsi les tabous patriarcaux auprès des femmes en dit long sur les ravages laissés par une telle histoire. Je comprends très bien que tout le monde veuille garder ses sources de revenus, notez.  Car s'il y avait la volonté de lutter efficacement, puis d'éradiquer les pratiques toxiques de la virilité, les PIB diminueraient, vu qu'on y intègre les réparations des dommages et souffrances par les assurances. On diminuerait drastiquement les budgets de la police et de la justice, on aurait beaucoup moins besoin de policiers, d'avocats, de magistrats, de greffières, et on n'aurait pratiquement plus besoin de prisons ! Le bâtiment qui les construit et les sociétés d'hôtellerie qui les gèrent en pâtiraient, ce serait un vrai mauvais coup pour leurs chiffres d'affaires. Rappel : 97 % des places de prison en France sont occupées par des hommes. Les assureurs n'auraient plus à régler que les dommages liés aux catastrophes naturelles ! Pas mal mettraient la clé sous la porte, et leurs salariés en reconversion professionnelle. Sans la délinquance masculine, leurs guerres incessantes, leur capacité à détruire, les reconstructions et "rebonds économiques" qui suivent, ce serait le marasme. C'est sans doute une bonne  raison pour que personne ne dénonce leur comportement. La croissance économique est basée, comptabilisée sur leurs destructions envers la nature, les femmes, et la société en général. Les externalités négatives ne sont jamais décomptées en moins. Les PIB sont des additions et rien que des additions !

Alors oui, trois fois oui, il faut dire aux hommes d'arrêter de violer et d'agresser, mais une fois qu'on a fait ça, on continue à les élever comme des ayants-droit incapables de résister à la frustration, des futurs lésés réglant leurs comptes à coup de couteaux et de fusil ? On continue à valoriser les pratiques dites viriles ? Pas mal d'entre eux savent qu'il est facile d'agresser les femmes parce qu'ils savent qu'en face il n'y aura aucun répondant. Et parce que la "civilisation"** dont ils se targuent, et que nous mettrions à mal en revendiquant nos simples droits à l'équité, à l'égalité et à la reconnaissance pleine de notre statut d'êtres humains entiers sans moitié à trouver,  la civilisation donc n'a chez eux que l'épaisseur d'un cheveu ; après 5 bières et l'effet d'entraînement de la horde, ils retournent très facilement à la sauvagerie. Aussi, exiger un couvercle sur nos verres en boîte, même si c'est blasphémer contre leur ordre, c'est juste faire preuve de prudence et de sagesse, rien de plus, et c'est parfaitement légitime. Moins de pudeur, eux n'en ont pas, et vive les femmes prudentes qui préfèrent prendre le volant que de se laisser conduire, celles qui surveillent leurs abords et possessions, qu'elles ne confondent pas avec celles des hommes (j'ai beaucoup de mal avec les femmes oblates qui font kibboutz avec les hommes de leur famille, toujours en train d'affirmer leur loyauté indéfectible, voire qui les défendent quand on ose une remarque qui ne va pas dans leur sens !), et vive les femmes averties qui ne s'en laissent pas conter et qui se prennent en main. 

* Légitime défense en titre aurait aussi convenu, mais j'ai préféré auto-défense, parce que Andrea Dworkin emploie cette expression plus forte dans Notre sang. 

** Ils font un abus du mot "civilisation" : ils sont toujours en train de sauver la civilisation (Zemmour, toutes les trois phrases) sans cesse menacée par des hordes de barbares, les mêmes qu'eux d'ailleurs, avec les mêmes habitudes délétères, alors qu'ils sont antagonistes à tout ce qui n'est pas eux, au sexe opposé, à la nature, aux animaux, franchement, les entendre parler de civilisation c'est à mourir de rire. L'habituelle grandiosité, la pompe masculine. 

mercredi 19 janvier 2022

Le monstre est parmi nous - Pandémies et autres fléaux du capitalisme

 The monster at our door - The global threat of avian flu - 2006 par Mike Davis 

The monster enters, nouvelle édition 2021, enrichie d'une préface écrite en avril 2021 en plein confinement aux Etats-Unis et partout ailleurs, préface dédiée bien sûr au SARS-Cov2.


Mike Davis est historien de l'urbanisme. J'ai eu l'occasion de citer sur ce blog un de ses textes (en fin de billet) sur le bidonville global ; son oeuvre décrit des villes mortes (Dead Cities), des villes de quartz (City of quartz / Los Angeles) et "le stade Dubaï de capitalisme" dans un style inimitable, maniant la métaphore avec intelligence et érudition. Ses ouvrages se lisent comme des romans. Mike Davis est marxiste. Le marxisme propose encore une critique acceptable du stade global du capitalisme que nous vivons actuellement. Dans Le monstre est parmi nous, Mike Davis annonce que la prochaine pandémie de grippe, le monstre c'est l'influenza -flu- du même type que celle de 1918-1920 dont le nombre de victimes, toujours non parfaitement dénombrées, a été évalué entre 14 millions à 100 millions de morts. En cas de "monstre" comparable (le SARS-COV2 est une promenade de santé à côté de la grippe HxNy) présentant la même virulence, vu que la population mondiale a sextuplé (X 6) en un siècle, on obtiendrait un nombre de morts entre 325 millions à 1 milliard pour les projections les plus pessimistes. Sachant que les taudis du début du XXème siècle, comme le manque d'hygiène dans les tranchées de la Grande Guerre, sont avantageusement remplacés et surmultipliés par les bidonvilles où s'entassent actuellement pratiquement 2 milliards d'humains. Humains déracinés, paysans sans terres, ruinés par l'agro-industrie intensive intégrée, paysans éleveurs extensifs, par exemple thaïlandais, clochardisés, dont "les filles peuplent désormais les bordels de Bangkok". Tandis que la grippe aviaire court dans les élevages d'Asie et dans le Sud-Ouest de la France, que nos désespérées "nuits des longs couteaux" (abattages massifs d'animaux) n'éradiquent plus, qu'elle flambe de plus belle ailleurs, sachant que la grippe porcine est dans les élevages des Côtes d'Armor, inspirée par l'ouvrage, voici la recette de la prochaine grippe, comme il y a un siècle.

MANUEL D'APOCALYPSE EN 11 ETAPES 

Poursuivre le peuplement humain incontinent, envahissant les espaces sauvages, à base de déforestation, de destruction de la biodiversité, de braconnage pour vendre de la viande de brousse (Afrique) et sur les wet markets (marchés humides vendant toutes sortes de bêtes vivantes en Asie) aux classes moyennes ;

Pour avoir de la viande à tous les repas, élever une mégafaune d'animaux entassés et serrés par dizaines de milliers dans des hangars ou des bâtiments à étages, avec la mortelle combinaison porcs / poulets concentrés sur des régions entières, animaux au système immunitaire déficient, affaibli par leurs conditions de vie, aggravé par l'uniformité des races cultivées / élevées ; 

S'aveugler sur la capacité de nuisance des capitalistes avides et corrupteurs qui ne croient qu'à la rentabilité immédiate, en jetant des millions de paysans familiaux et extensifs dans des mégalopoles et les bidonvilles du tiers-monde ; 

Pratiquer le tourisme de masse, les transhumances massives, les voyages en avion, lors des "fêtes traditionnelles" (Nouvel an Chinois, pèlerinages, tourisme...), et le vagabondage sexuel ;

Externaliser dans des pays à faible coût de main d'oeuvre la production industrielle de masques, respirateurs, seringues, aiguilles, de médicaments, de vaccins dont la fabrication est jugée peu rentable ; pour la prochaine, on ressortira les sacs poubelles en guise de surblouse pour les soignants. S'il en reste, ils seront les premiers à mourir en soignant leurs patients. 

Privilégier la recherche de molécules pour les maladies cardio-vasculaires, le diabète et les cancers, les troubles de l'érection des hommes (l'inénarrable Viagra et son marché de riches), et hystériser la menace bioterroriste ; l'assassin bioterroriste à notre porte, c'est la grippe notamment d'origine aviaire H5N1 et ses grandes capacités recombinantes ; virus à ARN se cherchant en permanence des hôtes pour se perpétuer, il cherche en permanence la clé d'entrée de nos cellules, en mode essai erreur, il va finir par la trouver ; 

Pratiquer l'austérité financière à l'hôpital et vis à vis du système de santé en vidant les stocks stratégiques pour faire des économies, de la gestion à flux tendus ; fermer des services de recherche et d'excellence ; privilégier les intérêts économiques aux questions de santé publique dont l'actuelle pandémie a démontré que sans services de santé agiles, il n'y a plus d'activité économique ;

Continuer l'égoïste politique vaccinale et de vente de médicaments (Tamiflu) "America and Europe first, Africa last" : nous sommes, en matière de pandémies, interdépendants ; entasser des pauvres dans des bidonvilles surpeuplés avec une seule toilette pour 2000 habitants ;

Continuer à saturer l'air de polluants (fumées, substances chimiques…) ; évidemment, ne rien faire pour combattre la crise climatique ni l'effondrement de la biodiversité. La diversité des espèces nous protège des virus, en leur opposant des systèmes immunitaires différents et robustes. Or nous privilégions uniformément la "culture de la betterave", pour paraphraser Claude Lévi-Strauss.  

Cacher ou minimiser une épidémie, mentir à l'OMS pour des raisons économiques et de prestige, menacer les lanceurs d'alerte comme en 2019 en Chine, et avant, en Thaïlande, lors d'une épidémie de IHAP Influenza Aviaire Hautement Pathogène où des gens, des enfants, sont morts en même temps que de millions d'oiseaux étaient enterrés vivants ou éliminés par le gaz ; 

Continuer la concentration de la production de nourriture, notamment de viande, aux mains de quelques industriels tout-puissants, souvent corrompus et opaques.  

La voilà la recette du désastre. Le pire n'est pas forcément sûr, Mike Davis rapporte en toute équité que la grippe espagnole (appelée ainsi parce que ce sont des journaux espagnols libres qui l'ont annoncée les premiers) serait selon un épidémiologiste un accident unique dans l'histoire humaine. On peut espérer. Mais il est tout de même prudent de prendre des précautions. Il est incontestable que le rythme des épidémies s'accélère. Les deux SRAS (2003 et 2019) ne sont peut-être que des émissaires. Tenons compte de l'avertissement. La lecture de cet ouvrage est informative et salutaire.

" Le SRAS comme le VIH est un dérivé effroyable du commerce international d'animaux vivants, commerce le plus souvent illégal et étroitement corrélé à l'exploitation forestière et la déforestation. Mike Davis

mardi 4 janvier 2022

Notre sang - Andrea Dworkin

 Paru aux Etats-Unis en 1976, sous le titre Our blood : Prophecies and Discourses on Sexual Politics, réédité avec une nouvelle préface en 1981, il est pour la première fois traduit et publié en français par les Editions des femmes en 2021. 


Ne trouvant plus d'éditeur pour ses textes après la parution de Woman Hating que l'éditeur n'avait pas aimé, quelle idée aussi d'écrire noir sur blanc "les femmes sont violées" !, Andrea Dworkin, qui a quand même besoin de gagner sa vie, et ne veut rien faire d'autre qu'écrire, a alors l'idée de se lancer dans une tournée de conférences pour lire sa prose devant un public universitaire. Elle fait des kilomètres accompagnée de sa chienne berger allemand, et elle parle devant une majorité de femmes qui reconnaissant dans ce qu'elle dit ce qu'elles vivent et affrontent quasi quotidiennement, l'ovationnent, l'attendent en pleurant à la sortie. Cet ouvrage reproduit neuf conférences : c'est du Dworkin, chirurgical, elle dissèque l'oppression à l'os, la construction sociale de la féminité cette impuissance, et de la masculinité cette toute-puissance. C'est puissant, c'est magnifique et c'est une oeuvre d'écrivaine, ce qu'elle voulait être. Cet ouvrage est indispensable pour se constituer une culture féministe. Je vous propose ci-dessous deux extraits de sa prose : un sur les mères, et un sur la crainte qui nous fait toutes nous tenir à carreau. 

LES MÈRES 

" C'est le premier devoir des mères sous le patriarcat de former des fils héroïques et de faire en sorte que leurs filles soient disposées à s'adapter à ce qui a été décrit à juste titre comme "une demi-vie". Toute femme est censée dénigrer n'importe laquelle de ses pareilles qui dévie des normes acceptées de la féminité, et la plupart le font. Ce qui est remarquable, ce n'est pas que la plupart le font, mais que certaines ne le font pas. 

La position de la mère, surtout, dans une société suprémaciste masculine, est absolument intenable. Freud, dans encore un autre élan stupéfiant de perspicacité, a affirmé : "Seule la relation avec le fils apporte à la mère une satisfaction illimitée : c'est, d'une manière générale, la plus parfaite et la plus dénuée d'ambivalence de toutes les relations humaines." Le fait est qu'il est bien plus facile pour une femme d'élever un fils qu'une fille. D'abord, on la récompense pour avoir porté un fils -elle atteint par là l'apogée de la réussite possible de sa vie, selon la culture des hommes. On pourrait dire qu'en portant un fils, elle a possédé un phallus pendant neuf mois dans son espace vide, et cela lui assure une approbation qu'elle ne pouvait remporter d'aucune autre façon. On attend d'elle ensuite qu'elle investisse tout le reste de sa vie à entretenir, à nourrir, à soigner et à sacraliser ce fils. Mais le fait est que ce fils bénéficie d'un droit de naissance à l'identité qui, à elle, lui est dénié. Il bénéficie d'un droit à incarner de vraies qualités, à développer des talents, à agir, à devenir -à devenir qui ou ce qu'elle ne pouvait pas devenir. Il est impossible d'imaginer que cette relation ne soit pas saturée d'ambivalence pour la mère, d'ambivalence et de franche amertume. Cette ambivalence, cette amertume, est inhérente à la relation mère-fils parce que le fils finira inévitablement par trahir la mère en devenant un homme -c'est à dire en acceptant son droit de naissance au pouvoir sur et contre elle, et celles de sa sorte. Mais pour la mère, le projet d'élever un fils est le projet le plus gratifiant qu'elle puisse espérer. Elle peut l'observer, en tant qu'enfant, jouer aux jeux qui lui étaient interdits ; elle peut l'investir de ses propres idées, aspirations, ambitions et valeurs  -ou tout ce qu'il en reste ; elle peut observer son fils qui est né de sa chair et a été maintenu en vie grâce à son travail et à son dévouement, l'incarner, elle dans le monde. Ainsi, bien que le projet d'élever un fils soit chargé d'ambivalence et mène à une inévitable amertume, il s'agit du seul projet qui permette à une femme d'être -d'être à travers son fils, de vivre à travers son fils. 

Le projet d'élever une fille, d'autre part, est crucifiant. La mère doit réussir à apprendre à sa fille à ne pas être ; elle doit contraindre sa fille à développer le manque de qualités qui lui permettra de passer pour une femme. la mère est la principale missionnaire de la culture des hommes dans la famille, et elle doit contraindre sa fille à se plier aux exigences de cette culture. Elle doit faire à sa fille ce qu'on lui a fait à elle. Le fait que nous sommes toutes entraînées à être mères depuis la prime enfance signifie que nous sommes toutes entraînées à consacrer notre vie aux hommes, qu'ils soient nos fils ou non ; que nous sommes toutes entraînées à contraindre les autres femmes à illustrer le manque de qualités qui caractérise la construction culturelle de la féminité. " 

LES FEMMES ET LA PEUR

" Qu'y a-t-il dans la crainte qui fait qu'elle oblige si efficacement les femmes à être de bonnes soldates dans le camp de l'ennemi ?

" La crainte consolide ce système. La crainte est la glu qui fait tenir chaque élément à sa place. On apprend à avoir peur de la punition, inévitable lorsque l'on transgresse le code de la féminité imposée

On apprend que certaines craintes sont en elles-mêmes féminines -par exemple, les filles sont censées avoir peur des insectes et des souris. En tant qu'enfants, on nous récompense pour avoir intégré ces craintes. On apprend aux filles à avoir peur de toutes les activités estampillées comme le territoire masculin -la course, l'escalade, les jeux de ballon ; les mathématiques et la science ; la composition musicale, gagner de l'argent, être chef. Quelle que soit la liste, elle pourrait ne jamais s'arrêter -parce que le fait est que l'on apprend aux filles à avoir peur de tout sauf du travail domestique et d'élever des enfants. Avant même que nous soyons femme, la crainte nous est aussi familière que l'air. C'est notre élément. On vit dedans, on l'inspire, on l'expire, et la plupart du temps on ne la remarque même pas. Au lieu de dire "J'ai peur", on dit "je ne veux pas", ou "Je ne sais pas comment", ou "Je ne peux pas". La crainte, donc, est une réaction acquise. Il ne s'agit pas d'un instinct humain qui se manifeste de façon différente chez les femmes et chez les hommes. Toute la question de l'instinct versus la réaction acquise  chez les êtres humains est spécieuse. [il faut par exemple, selon Margaret Mead, apprendre aux enfants à redouter le feu que les animaux fuient instinctivement].

Nous sommes séparées de nos instincts, quels qu'ils fussent, par des milliers d'années de culture patriarcale. Ce que nous savons et la façon dont nous réagissons est ce que l'on nous a appris. On a appris aux femmes la crainte comme corollaire de la féminité, tout comme on a appris aux hommes le courage comme corollaire de la masculinité. 

Qu'est-ce que la crainte, alors ? Quelles en sont les caractéristiques ? Qu'y a-t-il dans la crainte qui fait qu'elle oblige si efficacement les femmes à être de bonnes soldates dans le camp de l'ennemi ? La crainte, comme les femmes en font l'expérience, a trois effets principaux : elle isole, elle embrouille, elle affaiblit. 

Lorsqu'une femme transgresse une règle qui énonce clairement quel comportement lui est approprié en tant que membre du sexe féminin, elle est repérée par les hommes, leurs missionnaires et leur culture comme une fauteuse de troubles. La mise à l'écart de la rebelle est réelle en ce qu'on l'évite, on l'ignore, on la punit, on la dénonce. Sa réacceptation dans la communauté des hommes, la seule communauté viable et approuvée, dépend de sa renonciation et de la répudiation de son comportement déviant

Chaque fille fait l'expérience en grandissant de la forme et de la réalité de cette mise à l'écart. Elle apprend qu'elle est l'inévitable conséquence de toute rébellion, aussi infime soit-elle. Avant même qu'elle soit femme, la crainte et la mise à l'écart sont enchevêtrées en un solide nœud intérieur et elle ne peut pas faire l'expérience de l'une sans l'autre. La terreur qui assaille les femmes ne serait-ce qu'à la pensée de finir leur vie "toute seule" est la conséquence directe de ce conditionnement. S'il y a une "forme féminine de la perdition" sous le patriarcat, c'est sans nul doute cette peur de la mise à l'écart -une peur qui croît à partir de ces faits réels.

La confusion, aussi, fait partie intégrante de la crainte. Il est déroutant d'être punie parce que l'on réussit à grimper à un arbre, à exceller en mathématiques. Il est impossible de répondre à la question, "Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?". En raison de la punition qui est inévitable quand elle réussit, la fille apprend à associer la crainte à la confusion et la confusion à la crainte. Avant même qu'elle soit femme, la crainte et la confusion sont déclenchées simultanément par les mêmes stimuli et il est impossible de les distinguer l'une de l'autre. 

La crainte, pour les femmes, les isole et les plonge dans la confusion. Elle les affaiblit sans relâche et petit à petit. Tout acte hors de la sphère autorisée d'une femme provoque une punition -cette punition tombe aussi inévitablement que la nuit. Chaque punition inculque la crainte. Comme un rat, une femme va toujours essayer d'éviter ces électrocutions à haute tension qui semblent miner le labyrinthe. Elle veut aussi trouver le Grand Fromage légendaire au bout. 

Mais pour elle, le labyrinthe n'a jamais de fin. ".

Andrea Dworkin - Notre sang - Discours et prophéties sur la politique sexuelle. 1976

 Aux éditions Des femmes. 2021 

Je dédie ce billet et ce texte d'Andrea Dworkin à Chahinez Daoud, femme blessée aux jambes par balles puis immolée, anéantie par le feu pour avoir voulu reprendre de façon intrépide sa liberté d'être humain, en quittant un conjoint maltraitant. Elle a eu le tort de croire que la police et la justice l'aideraient dans cette entreprise : c'est aussi l'indifférence à son courage et la solidarité objective de la police et de la justice avec un milicien du patriarcat qui ont permis qu'elle perde la vie. Nous retiendrons qu'elle a préféré les affronter plutôt que de subir une vie de non-être femme. Et nous célébrerons son courage. 

RIP Chahinez. 

Les caractères en gras sont de mon fait. 

jeudi 16 décembre 2021

Et si les femmes refusaient toutes ces micro-agressions que leur infligent les hommes ?

Les matins, midis et soirs, je vois les secrétaires du centre d'affaires à côté de chez moi descendre dans le parking souterrain pour regagner leur voiture : apprêtées, petit sac à main, clés de voitures, talons aiguilles, manteau chic, elles louvoient parmi les ordures, en fait l'entrée de leur parking souterrain est une décharge à ciel ouvert, les mecs quasiment exclusifs de la boîte qui les emploie laissent sur place les traces de leurs consommations (ils vont fumer là quand il pleut, ces supermen sont en sucre) ; selon une habitude multimillénaire, eux salissent et Bobonne nettoie et endure entre deux nettoyages (éloignés, vu qu'ils sont confiés à la collectivité et que tout le monde s'en branle, donc les ordures s'empilent et s'accumulent), Bobonne ayant différents avatars, femmes de ménage des entreprises de sous-traitance, ou concierges, généralement mâles et qui du coup, rechignent à passer le balai, cet engin de bonnes femmes. Donc, ces dames évitent sur leurs talons aiguilles les masques usagés, les gobelets de café en carton et touillettes, les boîtes de soda et bouteilles de bière jetées après consommation contre les murs pour les casser, et pire, les pissats, crachats, voire plus, bref, c'est immonde. La crasse attire la crasse comme les comportements méprisants et incivils attirent d'autres mauvais garçons (pléonasme !). 

Croyez-vous qu'elles iraient se plaindre ou élever au moins la voix en disant que ce n'est plus possible de traverser un tel tas de déjections pour aller et revenir trois fois par jour du travail, et quel travail : double journée pour un demi salaire comme écrit justement Christine Delphy qui ne s'embarrassait pas de "charge mentale" pour euphémiser son propos et ne pas chagriner l'ennemi principal, et si mi-temps, c'est aussi demi-chômage et finalement demi-retraite, ne nous lassons jamais de le rappeler. 

Mais non, jamais un mot plus haut que l'autre, d'ailleurs, celles qui hausseraient le ton seraient perçues comme des trublionnes, des femmes refusant le sort commun, paillassons endurant les agressions des gars, ancillae domini, le sort des femmes en virilistan ou masculinistan. Pondez, nettoyez, servez la soupe de vos saigneurs, maître et possesseurs, et les vaches seront bien gardées comme en Afghanistan, cet état phare témoignant que les mecs tiennent le monde et les femmes d'une pogne de fer.

De fait, ce sont des micro-agressions, la stratégie des mille coupures : refuser de les voir c'est minimiser et pour certaines qui excusent sous divers prétextes ou cautionnent, c'est collaborer. Subir toute la journée sans broncher cette masse d'incivilités style crachats symboliques dans la figure, c'est s'entraîner, s'endurcir à subir davantage. Les micro-blessures infligées à longueur de journée par ces miliciens du Patriarcat ne sont pas sans conséquences, un haussement d'épaules n'est pas suffisant pour annuler les dommages produits. Etre traitée de "grosse pute" dès 12 ans par un camarade d'école à ses "potes" filles comme j'ai entendu il n'y a pas longtemps dans la rue, durant 200 pénibles mètres avant que j'intervienne pour expliquer que ce n'est pas possible, et d'être renvoyée à la méconnaissance des mœurs de la présente génération, frappée d'obsolescence, renvoyée à la ringardise de celle qui ne comprend décidément rien ! Toutes ces insultes sont destinées à saper la confiance en soi des filles, déjà flageolante vu l'éducation que leur donnent leurs familles et la société, aussi comment voulez-vous qu'elles se défendent en cas d'attaque majeure comme une main au cul, une agression sexuelle, une langue dans la bouche, un doigt dans le vagin... après qu'un  homme les ait coincées dans l'ascenseur ou dans son bureau après avoir fermé la porte à clé ? Certaines ne savent même pas de façon certaine ce qu'est une agression sexuelle ni un viol, tant elles sont habituées à la maltraitance. 

Revenons à mes secrétaires : vu la structure non pyramidale de la société, elles sont secrétaires de direction, donc font partie intégrante de la direction. Il me semble que c'est suffisant pour désigner, dénoncer puis sanctionner les mâlefaisances et manquements à la civilité commune, aucune femme ni personne n'est à leur disposition pour nettoyer derrière eux, et tant pis si leurs mères leur ont, par gestes subliminaux, distillé le contraire, il va falloir désormais s'assumer sans moman. Je ne vois pas en quoi c'est difficile à dire, sauf à vouloir faire durer par tous moyens leurs privilèges indus, surtout ne pas toucher aux coui.lles des gars, ce serait un crime de lèse-masculinité. C'est fou le nombre de femmes terrorisées à cette simple idée de les rembarrer, de les mettre face à leurs comportements turpides. "Ce sont des enfants", ai-je entendu une employée municipale insister quand je me plaignais que je devais enjamber les crachats et pissats de mecs de 15 à 18 ans, 1 m 95, 80 kg (mais avec quoi leurs parents les nourrissent-ils, des tourteaux de soja transgénique ?) pour rentrer dans sa boîte. J'ai fini par arrêter d'y aller. Il y a des limites à la tolérance et à la collaboration. On ne peut pas se répandre en plaintes d'un côté, pour ensuite tolérer toutes les humiliations de l'autre, au nom de je ne sais quel consensus baveux. 

L'assertivité est un muscle, comme la mémoire ou le sens de l'orientation : elle se travaille par entraînement tous les jours. Chaque petit exercice compte. Ne rien laisser passer. Jamais. Que ce soit pour soi, pour une collègue, une amie, ou une passante dans la rue. Ça ne vous rend pas populaire ? Attendez un peu, avec le temps, les choses peuvent changer. Et puis Hanouna est populaire, franchement ça ne fait pas envie ! En tous cas, au moins, ça leur ferait remonter leur niveau d'estime de soi, ce qui n'est pas du luxe, ni secondaire. Le féminisme ce ne sont pas que de grandes et belles idées dans des livres, c'est aussi l'application dans la vie de tous les jours, dans la non tolérance aux micro-agressions. 

Il n'y a pas de fatalité à ce que les hommes soient agresseurs et les femmes agressées, les hommes du côté des emmerdeurs et les femmes toujours du côté des emmerdées. Alors un peu d'assurance ne nuirait pas. Toutes les occasions d'empowerment doivent être saisies, et celles-ci sont à la portée de chacune. Etre capable de dire à des mecs de son entourage professionnel de nettoyer ou mieux de ne pas salir les endroits que vous fréquentez plusieurs fois par jour ne me paraît pas insurmontable. Sauf à avoir perdu tout sens de son propre intérêt ou a être totalement annihilée par le pouvoir masculin alors qu'ils ne sont que des colosses au pieds d'argile. 

" Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux.

Etienne de la Boétie 

lundi 6 décembre 2021

La terre au carré : l'écoféminisme de Françoise d'Eaubonne

Choquée par la lecture du Rapport Meadows commandé par le Massachusetts Institute of Technology, approuvé par le Club de Rome, The limits to Growth (Les limites de la croissance) paru en 1972, Françoise d'Eaubonne écrit à l'inspiration radicale et dans la foulée Le féminisme ou la mort paru en 1974. Manifestement, avant que l'expression contemporaine soit inventée, elle souffrait d'éco-anxiété. 

Je relaie sur mon blog l'émission La terre au carré diffusée sur France Inter le 22 novembre 2021 et aimablement signalée par une twitta : l'écoféminisme ou comment lier écocide et patriarcat. Pour une fois, la philosophe Jeanne Burgart-Goutal rend à Françoise d'Eaubonne, féministe radicale, son universalisme et répudie l'idée d'essentialisme, dont on accuse les écoféministes, comme étant un contresens. Vincent d'Eaubonne, le fils 'dégoupilleur de matriarcat' selon ses mots, est également dans le studio et parle des idées de sa mère, qui soulignait comme dans Les limites de la croissance, le hiatus entre les limites de notre biotope, la Terre, et la "cadence de la démographie" ; tout cela s'est fait sous l'empire des hommes depuis le début de  l'histoire. Epistémologie féministe. Françoise d'Eaubonne fait le lien entre toutes les oppressions (nature, animaux, colonisés, femmes) sous le joug des mâles, et invente l'éco-féminisme en 1974 en publiant Le féminisme ou la mort. Dans l'émission, on entend deux fois la voix de Françoise d'Eaubonne, dont une fois où elle évoque la "suppression des hommes" devant un Bernard Pivot tétanisé. C'est passionnant et pas du tout "woke", ni surtout revisité ni renommé selon le vocabulaire actuel. Aussi, elle me paraît intéressante à relayer. 

Rétrolien vers le site de France Inter en cliquant dessus. 

 
" La société mâle et industrielle a détruit l'environnement. Je suis à fond pour que les hommes perdent le pouvoir ". 

" La terre fait 40 000 km de tour et toute la science humaine n'en rajoutera pas un de plus

" J'ai eu une vie quelque peu ratée mais joyeuse. Je ne regrette pas de quitter ce monde compte tenu de ce qui va vous arriver, si ce n'est que j'aurais souhaité vous le laisser dans un meilleur état.
Françoise d'Eaubonne - 2005 année de sa disparition. 

De tous temps, les femmes qui luttaient -et qui luttent toujours- pour leur autodétermination ont été accusées d'être anti-hommes, le procès intenté à Alice Coffin ces jours-ci, à qui on reproche de ne plus vouloir lire ou voir d'oeuvres masculines, ce qui est parfaitement son droit, n'est qu'une resucée des mêmes reproches qu'on faisait aux féministes du MLF, et même aux suffragistes de la fin du XIXème et du début de XXème siècle ! À partir du moment où nous revendiquons nos choix en nous passant de leur avis, ou même en faisant abstraction ou en nous passant de leur personne, c'est pour eux forcément un sacrilège commis contre eux. Toutes nos luttes et nos victoires ont été vues par eux comme des spoliations : le droit de vote comme une spoliation du privilège à décider de tout pour toutes, le droit à la contraception et à l'avortement comme une spoliation de leur droit à contrôler la fécondité des femmes (qu'ils s'étaient adjugé sans l'aval des concernées, et qu'ils gardent sur une large portion de la planète), désormais c'est leur droit divin d'accès aux assemblées où se décide la politique, y compris celle des entreprises, assemblées, où les places sont limitées.

Les féministes (réformistes libérales) qui prétendent que "sans eux on n'y arrivera pas", et qui les appellent à l'aide (#HeForShe par exemple, pour ne parler que de cette campagne) ou qui prétendent que les hommes peuvent trouver pour eux un bénéfice aux acquis féministes se trompent lourdement : ils ont tout à perdre de l'autonomisation des femmes, à commencer par la domestique bénévole à la maison qu'ils reçoivent par mariage et qui ne leur coûte rien, mais dont ils attendent tout, services domestiques, sexuels et reproductifs, un être à leur service, d'où découlent certainement les meurtres de femmes qui veulent partir, crimes paroxystiques commis par des terroristes de la masculinité, mais qui servent d'avertissement pour toutes les autres. Toutes nos avancées ont été obtenues après de longues luttes contre leur farouche opposition menée à base d'insultes, de cris effarouchés, de tentatives d'intimidation contre notre supposé séparatisme, cela peut même aller jusqu'aux coups et au meurtre. Et franchement, pour rester dans le matérialisme, la lutte des classes, puisque Françoise d'Eaubonne avait une formation marxiste, est-ce qu'il viendrait à l'idée de la classe ouvrière d'appeler à l'aide la classe sociale patronale en prétendant que sans eux, les ouvrièr-e-s n'arriveraient pas à défendre leurs droits ? 

mercredi 24 novembre 2021

Le complexe de Diane - Françoise d'Eaubonne

Dans la foulée de la sortie tonitruante et scandaleuse de l'énorme succès de librairie que fut Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir en 1949, lequel agit comme une révélation sur Françoise d'Eaubonne, Le complexe de Diane paraît en 1951 (Françoise d'Eaubonne a 31 ans) chez Julliard "à peine relu" selon la préfacière de l'ouvrage. Françoise d'Eaubonne qui a reçu Le deuxième sexe comme une révélation, mais n'est pas d'accord avec tout, livre ici sa propre analyse. Critique "foutraque", toujours selon la préface, des écrits et dits de Lénine, du marxisme, puis de l'existentialisme sartrien, de la psychanalyse freudienne qui renvoie la femme à son immanence, sa passivité, son "envie du pénis", et enfin de Simone de Beauvoir herself, entre autres de son chapitre sur l'érotisme féminin avec lequel Françoise d'Eaubonne n'est pas d'accord. 

Je ne cache pas que certains passages sont filandreux et difficiles à lire, mais d'autres sont lumineux : ceux sur la terreur "hordique" des mâles devant le pouvoir féminin d'engendrer, c'est la thèse de Françoise d'Eaubonne, et le recours à la mythologie : Atalante est plus rapide qu' Hippomène, elle le bat à chaque fois à la course, horreur, sacrilège, être doublé par une bonne femme ! Du coup, le malhonnête mauvais perdant et tricheur Hippomène sème des pommes d'or sur le parcours et cette pauvre Atalante, voulant ramasser ce trésor, se laisse distancer, Hippomène gagne enfin la course. Ainsi la virilité est sauve. Les pommes d'or d'Hippomène deviendront la pomme de cette pauvre Eve toujours tentée par le diable. Françoise d'Eaubonne ose le parallèle, l'analogie entre les deux mythes des pommes. Mus par le ressentiment, la jalousie, les hommes se garderont les "grandes chasses" et "les grandes pêches", la femme devient l'ancilla domini, "Ecce ancilla hominis", la servante du seigneur et maître, la servante de l'homme. Mais les choses n'étant pas simples, et la terreur ne se laissant pas aussi facilement distancer, Hippomène / Prospero reste terrorisé par Caliban, la "créature" qu'il a asservie. Tous les maîtres sont terrorisés par leurs esclaves. Ils ne sont jamais à l'abri d'une révolte, la Créature peut se révolter, vouloir se venger, les femmes peuvent développer un ressentiment, un complexe de Diane, chasseresse et guerrière ! Si seulement ça se pouvait, je n'en ai personnellement pas trop vu de manifestations virulentes pour ma part.

Les femmes sont-elles masochistes se demandent Simone de Beauvoir et Françoise d'Eaubonne ? Lien entre plaisir et douleur (premier coït et défloration, enfantement), acceptation de la passivité érotique dans la pénétration (femme passive, homme actif), et mécanisme de complexe de culpabilité, autopunition chez les mystiques, évoquées par Françoise d'Eaubonne. L'érotisme féminin vu par Simone de Beauvoir est calamiteux : elle présente le premier contact sexuel, la nuit de noces, comme un viol. Ce que conteste Françoise d'Eaubonne, qui est plus jeune. La perception du sexe par Simone de Beauvoir est celui d'une femme des années 30 et 40 où les femmes étaient éduquées dans une pruderie maladive et où elles portaient sans aide, et généralement sans pouvoir l'éviter, le fardeau de la maternité. Masochistes les femmes ? Razziées, violées, arrachées à leurs familles et conduites les yeux bandés chez l'époux pour ne pas retrouver le chemin du retour, vendues, mises en gage comme des marchandises, échangées, propriétés du clan, de la famille, des époux, traitées de "trou avec quelque chose autour",  dégradées dans la prostitution, voilà notre conditionnement millénaire. Cela laisse forcément des traces et des séquelles dans la psyché, séquelles qui se transmettent de génération en génération. Notre prétendue passivité est construite : on nous a seriné que nous étions des êtres fragiles, on nous éduque à avoir peur, non pas des hommes qui peuvent se révéler dangereux pour nous et nos enfants, mais des activités de garçons, courir, grimper, nous battre. Pire que tout, on nous interdit de nous défendre, tabou anthropologique quasi universel. A tel point qu'il nous faut faire des efforts surhumains pour dépasser cette éducation basée sur la crainte et des injonctions stupides. Françoise d'Eaubonne réfute cette idée, scie de la psychanalyse, que nos prétendues passivité et masochisme seraient innées, génétiques, immanentes. 

Complexe de Diane, vraiment ? 

Dans la dernière partie, le danger planerait pour les hommes : à la lecture des évènements, Françoise d'Eaubonne agite le chiffon rouge. Et si les femmes se retournaient contre les hommes ? Si elles étaient atteintes du "complexe de Diane", du nom de cette redoutable déesse de la guerre armée qui ne se laisse pas compter fleurette ? Peur que seules les femmes éprouvent d'ailleurs, les mecs s'en cognent, ils vaquent à leurs occupations, à leurs affaires, chasse, pêche et traditions antédiluviennes, vu qu'ils n'ont à peu près aucune imagination et qu'ils ne voient jamais le monde changer -c'est le sort des tyrans, ils sont conservateurs, car fossilisés dans leurs habitudes, pas du tout effrayés par l'hypothétique danger ! Illustration utilisée par Françoise d'Eaubonne pour étayer sa démonstration : la redoutable "mom" étasunienne qui aurait définitivement castré son mâle, une Diane casquée, plutôt chez le coiffeur à coups de laque comme dans les années 50, mais qui sait faire raquer John au moment du divorce. Mom qui mène à la baguette ses gars, la redoutable "soccer mom" qu'on voit sur les terrains de foot et de baseball, infatigable supportrice des activités patriarcales, au fond. Je crois que c'était une crainte infondée quand on voit le retour du viril étasunien avec son gros gun phallique qui dégomme tout ce qui bouge, ses incels (involuntary celibates) frustrés d'être moches et de ne pas pécho comme si c'était un droit de l'homme -littéral- à l'ONU ; les années 50 ça ne pouvait pas être pire. Il faut vraiment que les féministes arrêtent d'être timorées. Il faut savoir : ou ils nous avilissent, nous calomnient, nous oppriment, nous cognent... et on est mieux sans eux, ou on se laisse rattraper par notre vieux fond de masochisme pour le coup, ou surtout on est des irréalistes qui veulent tout tout tout, comme écrivent les magazines féminins. Inculquer et cultiver un bon complexe de Diane est une solution à court et moyen terme pour arrêter de se laisser taper sur la tête comme ça sur des durées invraisemblables. 

Le complexe de Diane est un livre de jeunesse écrit à l'impétuosité, dans l'enthousiasme du moment, celui de la parution du Deuxième sexe. Erudit, magnifiquement écrit avec un vocabulaire élégant et une inventivité dans les formules et les mots, qui sont la marque de Françoise d'Eaubonne, à tel point que plusieurs me resserviront. Julliard vient de rééditer l'ouvrage dans sa Collection permanente, qui permet de redécouvrir le patrimoine des éditions Julliard. Tant mieux. A lire par les fans de Françoise d'Eaubonne. Et pour sa belle écriture, pour son érudition et son enthousiasme.

" Les fils de Dieu, les filles des hommes.

En un octosyllabe, tout est dit. 

jeudi 11 novembre 2021

Carnages familiaux

Mardi matin, je suis réveillée à 6 H par le journal de RFM : Rémi Gaillard s'est suicidé dans sa cellule de la prison de Vezin Le Coquet (Rennes) ; il était en pleine dépression et en grève de la faim pour obtenir que ses quatre enfants soient regroupés dans le même établissement d'accueil après le meurtre de leur mère. Rémi Gaillard c'est le mari de l'affaire Blandin, cette mère de famille victime de féminicide en février dernier, tuée à coups de batte de baseball par son mari dont elle était séparée. Le père tue la mère, le père se suicide en prison, la fratrie de 4 enfants est éclatée dans différentes familles d'accueil (la maltraitance de la société se surajoute à la maltraitance paternelle), le chien de la famille erre des jours devant la fermette, avant sans doute d'être mis dans un chenil. Ma compassion va aussi au chien n'en déplaise aux suprémacistes anthropocentrés, les animaux vivent les mêmes déchirements que la famille, puisqu'ils font partie de la famille. 

Évidemment, pas question dans les médias d'évoquer jamais ce qui ne serait pas arrivé et tant mieux, si ces deux ne s'étaient pas rencontrés, n'avaient pas obéi à cette injonction de faire famille à tout prix, de se trouver un mec et de le garder, même un immature incapable de vivre sans une "maman" à ses cotés. De faire quatre enfants, puisque le mariage est le lieu où on doit se reproduire, "perpétuer l'espèce" comme j'ai encore entendu ce mois-ci. Pas de questionnement sur l'incitation à mettre des enfants au monde sans se préoccuper de savoir si les parents ne seraient pas des maltraitants présents ou futurs, ou si ce ne serait pas exactement leur vocation, jamais de mise en garde. Quatre enfants et hop un chien, parce qu'il distraira les enfants. 

Il n'est pas question ici de dire aux femmes ce qu'elles doivent faire de leur vie, ni d'accuser qui que ce soit. Il est juste question de dénoncer la façon dont fonctionne la société à notre égard par le conditionnement : injonctions à se trouver un homme et le garder, injonction à la maternité sans quoi vous auriez raté votre vie de femme, injonction à l'hétérosexualité, présentée comme "naturelle". There is no alternative selon la doctrine TINA, célèbre dans un autre domaine, l'économie. Toute la littérature, tous les arts, toutes les chansons, toutes les productions cinématographiques et télévisuelles, des fictions aux émissions de plateaux et de coaching nous le rabâchent sans arrêt. Un exemple entre mille : il m'arrive de m'attarder pour des raisons d'observation sociologique, pas longtemps ni souvent parce mon poste de télé risque gros, sur "Ca commence aujourd'hui", émission sur le service public (!) présentée par Faustine Bollaert qui est l'une des plus représentatives et obsessionnelles de l'injonction à trouver l'aaaamourrr ! Sujets souvent racoleurs à base de témoignages lacrymaux, plateau occupé par des femmes à 90 % pour un public de retraitées femmes. On y traite aussi de harcèlement, d'abandon, d'inceste et de viol, toutes situations qui concernent en majorité les femmes. Il n'y a pas une émission sur ces sujets où la présentatrice ne rappelle l'ordre hétéro-patriarcal familial sur lequel est basé la société : les femmes doivent se trouver un mec et procréer. C'est du dressage social. Je suis tombée sur des fois hallucinantes où la question posée était "après trois viols, j'espère que vous avez réussi tout de même à trouver l'âme sœur et construire un foyer", ainsi que la question terriblement intrusive et personnelle (mais on est entre nous, n'est-ce pas ?), inévitable, de savoir si elles ont ou ont en projet d'avoir des enfants. Avec le sourire et la bouche en cœur pour faire passer l'injonction. On n'est pas des brutes. 

Pas une ne répond " heu si j'avoue, après trois viols, j'ai demandé l'asile politique aux Clarisses pendant 6 mois, carottes et poireaux bouillis à tous les repas, cellule non chauffée l'hiver, mais pas un mec à l'horizon, ça me change, rien que des femmes qui chantent toutes les heures, et surtout une clôture autour ! Pour la suite on verra, je n'ai rien arrêté, mais reconnaissez qu'il y a matière à réfléchir". J'ai vu une fois un homme renâcler avec un ténu mouvement d'épaule, on voyait que la question le gonflait, et une autre fois Maryse Wolinski de mauvais poil, en train de faire sur demande de son éditeur la promo d'un livre hommage à son mari assassiné. A 73 balais, question de la présentatrice : "pensez-vous refaire votre vie ?" On a vu assez clairement qu'elle se retenait de détruire le décor. Mais c'est tout, et c'est peu. 

Une aide-soignante ou une éducatrice spécialisée qui souhaite faire carrière peut faire des études d'infirmière, puis par le biais de l'avancement et de la promotion de carrière se retrouver à l'Ecole des Hautes études en Santé Publique (Rennes, décentralisation réussie, qui forme les cadres hospitaliers) et finir dans la peau d'une infirmière générale dirigeant un hôpital ! Ce n'est pas forcément courant mais je connais des cas. Une carrière professionnelle se bâtit avec des rencontres et des occasions. Mais pour ça, il faut être un peu disponible, ne pas être encombrée de mari et d'enfants, qui feront obstacle à un choix, surtout audacieux. C'est à se demander si à force de suivre tous ces commandements ineptes, on n'aboutit pas à un véritable gâchis de potentialités. Je ne crois pas à la "réalisation" totale par la maternité, quelques-unes peuvent y trouver leur compte au moins un moment, à force d'auto-persuasion et d'émissions de gavage de Faustine Bollaert, mais ce ne doit pas être le cas de la majorité, et ça ne vaut pas pour une vie entière. Je ne crois pas non plus satisfaisant de mener de front un emploi payé et une carrière familiale bénévole sans tomber dans l'aigrissement et l'insatisfaction à un moment ou un autre. Il faut renoncer à des choses auxquelles les hommes eux ne consentiraient pas et qu'on ne leur demande pas ! La maternité n'est qu'une potentialité parmi tant d'autres. Je ne crois pas au Père Noël. Or dans le cas du mariage et de la maternité, on nous fait gober un conte de Noël. 

Et puis peut-être faudrait-il commencer par concentrer nos ressources à ceux qui sont nés, qui sont ici (et ailleurs) et maintenant, et s'assurer que leurs besoins vitaux sont correctement couverts avant d'en mettre d'autres au monde : réfugiés promenés, encadrés par la police entre deux frontières comme en Pologne, ou bloqués à une, comme à Calais ; gens sans emplois et sans abri partout, femmes surchargées d'enfants ailleurs, dans la survie la plus immédiate, trouver à manger. La semaine dernière un homme est mort dans une rue de mon quartier, il a été retrouvé adossé à une porte, assis sur les trois marches du perron étroit d'une maison. Pas mal de gens ont dû passer devant sans le voir ou en tous cas sans faire attention. C'est par le message qu'a affiché sur le mur de sa maison la résidente qui l'a trouvé qu'on a appris la nouvelle, assortie de la recommandation de s'enquérir de la santé des personnes quand elles sont assises dans une position bizarre, et si ça ne va pas, ou sans réponse, d'appeler les pompiers. C'est juste du bon sens et de l'attention. Trouver le temps d'arrêter l'indifférence et de discerner la détresse dans la multitude. Multitude qui ne facilite pas les choses, personnellement j'évite les foules et suis très occupée en ville à éviter qu'on me marche dessus. On a l'impression que notre espèce maltraitante et inhumaine préfère toujours la quantité, jamais la qualité de vie des invités aux banquets des patriarcaux. Dieu y pourvoira, selon les slogans des clercs de toutes religions pousse-au-crime ? C'est surtout les femmes qui y pourvoient au détriment de leur santé psychique, physique, économique et sociale. Pour un faible retour sur investissement (ROI), à en juger par la teneur de l'article trouvé dans Ouest France : Françoise, 52 ans auxiliaire de vie à petit salaire et amplitude horaire infernale, emmerdée le soir quand elle rentre chez elle par les dealers de son quartier, des mecs bien sûr, exerçant leur parasitisme sur l'environnement. Dans la totale indifférence et ingratitude des femmes et hommes politiques locaux. Ou comment se faire ch.er dans les bottes par l'ennemi principal qu'on a mis au monde et élevé. Clairement le ROI (Return On Investement) condamne lui aussi ce choix : mépris, abandon politique, social et économique après avoir obéi à toutes leurs injonctions, c'est ainsi que les femmes sont éternellement sacrifiées sur l'autel de la sacro-sainte reproduction. 

Le conte de Noël fait long feu. J'essaie un travail de démystification et de prophylaxie, de faire entendre une parole différente, même si elle est discordante, je sais que ce n'est pas populaire, mais tant pis pour le syndrome de Stockholm et les conflits de loyauté de pas mal d'entre nous. Certaines féministes sont trop soucieuses de ménager les hommes qui eux ne nous ménagent pourtant jamais ! Je vois trop distinctement la Matrice pour arrêter. Et si ça peut faire des blessées et des mortes en moins, si je sauve une vie, ça vaut le coup. Et si jamais elle passe par ici, je souffle à Faustine Bollaert la bonne question à poser à ses femmes témoins évoquées plus haut : "Vous n'avez pas envie de leur faire bouffer leurs couilles ?" 

Rémi Gaillard a fracassé la tête de sa femme qui l'avait quitté pour réaffirmer son droit de propriété sur sa femme ; une femme ne s'appartient pas, elle est donnée aux hommes, à leur famille et à leur clan. L'assassinat de Magali Blandin, comme celui de toutes les autres, est là pour rappeler aux récalcitrantes ce qu'il peut en coûter à une femme de revendiquer son autonomie, son autodétermination. L'assassinat de Magali Blandin sert tous les hommes qui bénéficient des privilèges du patriarcat, même s'ils ne les revendiquent pas.