Je ne cache pas que certains passages sont filandreux et difficiles à lire, mais d'autres sont lumineux : ceux sur la terreur "hordique" des mâles devant le pouvoir féminin d'engendrer, c'est la thèse de Françoise d'Eaubonne, et le recours à la mythologie : Atalante est plus rapide qu' Hippomène, elle le bat à chaque fois à la course, horreur, sacrilège, être doublé par une bonne femme ! Du coup, le malhonnête mauvais perdant et tricheur Hippomène sème des pommes d'or sur le parcours et cette pauvre Atalante, voulant ramasser ce trésor, se laisse distancer, Hippomène gagne enfin la course. Ainsi la virilité est sauve. Les pommes d'or d'Hippomène deviendront la pomme de cette pauvre Eve toujours tentée par le diable. Françoise d'Eaubonne ose le parallèle, l'analogie entre les deux mythes des pommes. Mus par le ressentiment, la jalousie, les hommes se garderont les "grandes chasses" et "les grandes pêches", la femme devient l'ancilla domini, "Ecce ancilla hominis", la servante du seigneur et maître, la servante de l'homme. Mais les choses n'étant pas simples, et la terreur ne se laissant pas aussi facilement distancer, Hippomène / Prospero reste terrorisé par Caliban, la "créature" qu'il a asservie. Tous les maîtres sont terrorisés par leurs esclaves. Ils ne sont jamais à l'abri d'une révolte, la Créature peut se révolter, vouloir se venger, les femmes peuvent développer un ressentiment, un complexe de Diane, chasseresse et guerrière ! Si seulement ça se pouvait, je n'en ai personnellement pas trop vu de manifestations virulentes pour ma part.
Les femmes sont-elles masochistes se demandent Simone de Beauvoir et Françoise d'Eaubonne ? Lien entre plaisir et douleur (premier coït et défloration, enfantement), acceptation de la passivité érotique dans la pénétration (femme passive, homme actif), et mécanisme de complexe de culpabilité, autopunition chez les mystiques, évoquées par Françoise d'Eaubonne. L'érotisme féminin vu par Simone de Beauvoir est calamiteux : elle présente le premier contact sexuel, la nuit de noces, comme un viol. Ce que conteste Françoise d'Eaubonne, qui est plus jeune. La perception du sexe par Simone de Beauvoir est celui d'une femme des années 30 et 40 où les femmes étaient éduquées dans une pruderie maladive et où elles portaient sans aide, et généralement sans pouvoir l'éviter, le fardeau de la maternité. Masochistes les femmes ? Razziées, violées, arrachées à leurs familles et conduites les yeux bandés chez l'époux pour ne pas retrouver le chemin du retour, vendues, mises en gage comme des marchandises, échangées, propriétés du clan, de la famille, des époux, traitées de "trou avec quelque chose autour", dégradées dans la prostitution, voilà notre conditionnement millénaire. Cela laisse forcément des traces et des séquelles dans la psyché, séquelles qui se transmettent de génération en génération. Notre prétendue passivité est construite : on nous a seriné que nous étions des êtres fragiles, on nous éduque à avoir peur, non pas des hommes qui peuvent se révéler dangereux pour nous et nos enfants, mais des activités de garçons, courir, grimper, nous battre. Pire que tout, on nous interdit de nous défendre, tabou anthropologique quasi universel. A tel point qu'il nous faut faire des efforts surhumains pour dépasser cette éducation basée sur la crainte et des injonctions stupides. Françoise d'Eaubonne réfute cette idée, scie de la psychanalyse, que nos prétendues passivité et masochisme seraient innées, génétiques, immanentes.
Complexe de Diane, vraiment ?
Dans la dernière partie, le danger planerait pour les hommes : à la lecture des évènements, Françoise d'Eaubonne agite le chiffon rouge. Et si les femmes se retournaient contre les hommes ? Si elles étaient atteintes du "complexe de Diane", du nom de cette redoutable déesse de la guerre armée qui ne se laisse pas compter fleurette ? Peur que seules les femmes éprouvent d'ailleurs, les mecs s'en cognent, ils vaquent à leurs occupations, à leurs affaires, chasse, pêche et traditions antédiluviennes, vu qu'ils n'ont à peu près aucune imagination et qu'ils ne voient jamais le monde changer -c'est le sort des tyrans, ils sont conservateurs, car fossilisés dans leurs habitudes, pas du tout effrayés par l'hypothétique danger ! Illustration utilisée par Françoise d'Eaubonne pour étayer sa démonstration : la redoutable "mom" étasunienne qui aurait définitivement castré son mâle, une Diane casquée, plutôt chez le coiffeur à coups de laque comme dans les années 50, mais qui sait faire raquer John au moment du divorce. Mom qui mène à la baguette ses gars, la redoutable "soccer mom" qu'on voit sur les terrains de foot et de baseball, infatigable supportrice des activités patriarcales, au fond. Je crois que c'était une crainte infondée quand on voit le retour du viril étasunien avec son gros gun phallique qui dégomme tout ce qui bouge, ses incels (involuntary celibates) frustrés d'être moches et de ne pas pécho comme si c'était un droit de l'homme -littéral- à l'ONU ; les années 50 ça ne pouvait pas être pire. Il faut vraiment que les féministes arrêtent d'être timorées. Il faut savoir : ou ils nous avilissent, nous calomnient, nous oppriment, nous cognent... et on est mieux sans eux, ou on se laisse rattraper par notre vieux fond de masochisme pour le coup, ou surtout on est des irréalistes qui veulent tout tout tout, comme écrivent les magazines féminins. Inculquer et cultiver un bon complexe de Diane est une solution à court et moyen terme pour arrêter de se laisser taper sur la tête comme ça sur des durées invraisemblables.
Le complexe de Diane est un livre de jeunesse écrit à l'impétuosité, dans l'enthousiasme du moment, celui de la parution du Deuxième sexe. Erudit, magnifiquement écrit avec un vocabulaire élégant et une inventivité dans les formules et les mots, qui sont la marque de Françoise d'Eaubonne, à tel point que plusieurs me resserviront. Julliard vient de rééditer l'ouvrage dans sa Collection permanente, qui permet de redécouvrir le patrimoine des éditions Julliard. Tant mieux. A lire par les fans de Françoise d'Eaubonne. Et pour sa belle écriture, pour son érudition et son enthousiasme.
" Les fils de Dieu, les filles des hommes. "
En un octosyllabe, tout est dit.
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