L'anthropologie est malheureusement contre nous. Les femmes ne travailleraient pas ? Vous avez toutes entendu comme moi, l'ouvrier du bâtiment à qui vous reprochez son gros engin garé sur le trottoir "je travaille moi, Madame !" Sous-entendu, viens pas m'emmerder, feignasse de bonne femme. Les femmes ne travaillent pas, elles "s'occupent" et dépensent le pognon durement gagné par Kévin ? Avant un billet plus complet sur Le mythe de la virilité d'Olivia Gazalé (avec les thèses de laquelle je ne suis pas totalement d'accord, mais j'y reviendrais, donc), voici ce qu'elle écrit :
" Hier comme aujourd'hui, des millions de femmes -libres ou esclaves- accomplissent des besognes requérant les vertus viriles de force, d'endurance et de persévérance, comme d'aller chercher de l'eau, seules, à des kilomètres de chez elles, la tirer du puits et la rapporter par dizaines de litres sur la tête, en bravant le vent, le sable ou la tempête. Comme les hommes (mais bien souvent avec, en plus, un enfant sur le dos, sur le ventre ou dans le ventre), les femmes partout à travers le monde, effectuent des tâches harassantes, sèment, piochent, taillent, récoltent, pilent, écrasent, pétrissent, transportent au prix de la même "sueur" que celle dont Dieu avait fait la punition d'Adam lors de la Chute. "
Il faut donc distinguer deux notions abusivement confondues : le travail ET l'emploi -posté masculin. EUX sont payés pour travailler, c'est la seule différence (de taille) avec le travail sans salaire au sein du foyer accompli par les femmes en quasi totalité. Ils louent leur force de travail contre rémunération/salaire. Ils peuvent même adhérer à un syndicat pour défendre leurs intérêts menacés par la toute puissance du patron (père). Force de travail, main d’œuvre, manpower en anglais, d'où découlent les différentiels de salaire, à emploi équivalent quand c'est une femme qu'ils tolèrent au même poste, généralement après une longue lutte, et quand la main d’œuvre masculine vient à manquer. Emploi féminin supplétif du travail masculin : saisonnier, précaire, à salaire descendu de 20 à 40 %, survivance de l'idée tenace que la productivité des femmes serait moindre à cause d'une carence en force physique, que dément bien sûr la citation ci-dessus.
Quand je travaillais avec l'industrie pharmaceutique, alors que je prestais des pharmaciennes officinales sans aucun problème, les dirigeants de Sandoz (désormais Novartis), de Boiron, de Pfizer, et d'autres me serinaient "pas de femmes, chez nous il faut soulever des sacs de 50 kg !" Outre le fait que l'ordre est illégal, ils me prenaient pour une bille bien sûr, depuis Charlie Chaplin dans Les temps Modernes, toutes les usines sont des ateliers d'assemblage où un convoyeur amène les pièces, ou les ingrédients pour les usines pharmaceutiques, devant l'agent sur la chaîne. Je ne vous raconte même pas pour les pharmacien.nes qui ne font que vérifier les formules et la galénique. Sexisme bon teint : l'industrie, c'est des bonhommes !
Évidemment, tous les corps intermédiaires ont adopté ce point de vue, notamment les syndicats. Dans la récente campagne #MeToo des femmes dénoncent le harcèlement dont elles sont victimes dans ces organisations. Tout est bon pour que ces endroits masculins restent leur chasse gardée. Les Inspections du travail, selon mon expérience, instruisent en priorité les plaintes masculines : peu ou pas du tout les "problèmes de femmes" : discriminations à l'embauche y compris dans la rédaction des offres d'emploi, différentiels de salaire et de promotions de carrière, harcèlement, alors qu'ils sont évidemment dans leurs attributions. Il y a tellement de gars qui tombent de toits, et de caristes en danger d'écrasement sous leur charge ! Tiens, à ce propos, j'ai eu un DRH qui me disait revenir faire des rondes à l'improviste pour vérifier que ses caristes ne faisaient pas des "courses de chariots élévateurs" dans les ateliers de ses équipes de nuit ! Tenter le diable, transgresser, se mettre en danger : engagez des femmes caristes, elles ne casseront pas le matériel, elles.
En revanche, le care, c'est bien bon pour les femmes ! Toujours d'Olivia Gazalé parlant d'anthropologie :
"... tout ce qui a trait au sale -les excréments des enfants, le ménage, la vaisselle, la lessive, les ordures... - est le royaume "naturel" de la femme. Le père a en charge le "symbolique", la mère, le "réel"...
"... la vie quotidienne de l'enfant : la bouillie, les fesses sales, le vomi, ce n'était pas le domaine de l'homme. L'organique, la vérité du corps, la matière et les matières, -l'odeur des couches, le sang des plaies, la crasse du linge-, c'était le royaume naturel des femmes, en vertu de leur lien ontologique avec l'impur, le sang, la mort et les profondeurs. Plutôt que d'avouer leur répugnance à accomplir toutes ces tâches ingrates, les hommes ont postulé que l'"instinct maternel" servait à rendre leur exécution parfaitement naturelle pour les femmes. "
Comme ça tombe bien : les 12 ou 13 professions où nous sommes cantonnées sont des professions où on prend soin des autres (care en anglais): infirmière, aide-soignante, nounou, femme de ménage, cuisinière (sauf dans la prestigieuse gastronomie qui ne nourrit pas !), secrétariat... Ils ne veulent surtout pas y aller, pas de danger qu'ils nous y fassent concurrence. Et comme ces métiers sont dérivés du soin féminin, ils sont abonnés aux bas salaires et à la précarité, on n'en sort pas.
" Les discriminations que subissent les femmes ont des origines tellement lointaines qu'elles passent pour des évidences naturelles " - Olivia Gazalé toujours. Voilà. A suivre, donc.
Attention hommes au travail - (Les femmes travaillent tout le temps. Les hommes doivent mettre des panneaux quand ils en font autant).
Merci Hypathie, j'ai écrit un article un jour que j'ai intitulé "Pour un monde sans pitié"
RépondreSupprimeren voici un extrait :"Pour dédouaner la personne qui a besoin de façon provisoire ou plus chronique de la compassion et de la douloureuse humiliation de la pitié, il faut changer de paradigmes et leur substituer la solidarité fondée sur la réciprocité. Chacun a eu et aura affaire aux soins prodigués par un autre (et plus encore les puissants suffisamment privilégiés pour oublier à quel point ils dépendent de dispensateurs de soins). Il s'agit donc de re modéliser un art du vivre ensemble qui distribue entre les sexes la prise en charge nécessaire de ceux qui n'ont pas encore ou n'ont plus l'autonomie pour le faire. On peut en constater les prémisses dans un début de partage du soin des enfants entre les parents, qui a beaucoup progressé dans les deux dernières décennies.
Il s'agit aussi de revoir les échelles de l'utilité sociale pour que cette fonction recouvre le niveau d'importance qu'elle a de fait et lorsqu'elle donne lieu à une activité rétribuée, le salaire devrait être décent."
Bien à vous
Effectivement, il faut aborder, et je l'ai déjà fait dans d'autres articles, l'utilité sociale des activités humaines rémunérées ou non : les hommes sont surreprésentés dans les emplois payés mais présentant peu d'utilité sociale, voire carrément nuisibles,
Supprimercomme toutes les activités liées à la guerre et à sa préparation, pendant que les femmes elles assurent le quotidien dans ce qu'il a de plus utile et sans lequel les sociétés humaines ne survivraient pas. Sur une planète surpeuplée il va en effet devenir vital de redéfinir ce qui est utile de ce qui l'est moins. Il va falloir faire des révisions déchirantes. Je suis toutefois pessimiste, les mauvaises habitudes sont très ancrées.
Hélas oui, les prédateurs assurent leur descendance.
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