mardi 12 décembre 2017

Le mythe de la virilité



J'ai lu Le mythe de la virilité, sous-titre Un piège pour les deux sexes, d'Olivia Gazalé, Robert Lafont Editeur, paru il y a quelques semaines. Olivia Gazalé est philosophe : elle écrit en première partie de son livre, une histoire de la condition des femmes où elle cite les anthropologues (Héritier, Mathieu, Tabet, entre autres...), les études des féministes politiques (Beauvoir, Wittig, Dworkin, Marie-Jo Bonnet...), une histoire de l'asservissement, de "l'arraisonnement des femmes" aurait dit NC Mathieu, avec une abondance de documentation et de citations qui laisse un peu étourdie et surtout désespérée, tellement c'est concentré sur une centaine de pages. Certaines pages sur les règles, la maternité, l'accouchement qui ont été instrumentalisés pour inférioriser les femmes sont toutefois carrément hilarantes -on est au bord de la crise de nerfs-, tellement l'accumulation et la mauvaise foi patriarcales sont évidentes. Mais pourquoi tant de haine sinon pour réaliser une prise de pouvoir totale par le sexe mâle ? Bref, c'est érudit, argumenté et ... concentré. Tous les sujets sont abordés sans tabous : règles, viol, voile, prostitution. Et tout ça pèse sur les comportements et la psyché des femmes. Résumé.

Au commencement sans doute :

" Se pourrait-il que tout ait commencé par la stupéfaction mâle du prodige de la maternité ? Les femmes semblent beaucoup moins résistantes physiquement, et pourtant ce sont elles, et elles seules, qui, un beau matin, on ne sait très bien ni comment ni pourquoi, vont se pendre à un arbre, écartent les cuisses et expulsent un minuscule être humain entièrement équipé pour la vie. Jamais de mémoire d'homme aucun d'entre eux n'a été capable d'un tel miracle. "

Mais comme les bonnes choses ont une fin, ça va finir par se payer cher :

"... des discriminations aux origines tellement lointaines qu'elles passent pour des évidences naturelles ".

Exogamie, tabou de l'inceste :
" Au lieu de s'entretuer, les hommes troquent leurs filles et leurs sœurs et gagnent ainsi des gendres et des beaux-frères qui deviendront des partenaires de chasse " - Claude Lévi-Strauss. L'échange des femmes (après, ça évoluera en échange de chèvres) substitue l'hostilité entre mâles en alliance et coopération. On fait société aux dépens des femmes.

Haine des femmes :
" Allah ne tolèrera pas l'idolâtrie, ni les païens qui adorent les femelles ". Allusion sans doute aux cultes des déesses mères primordiales qu'ils ont éradiqués.
" La violence envers les femmes semble un fait structurel, une matrice anthropologique, un invariant, une donnée universelle. " Françoise Héritier.

Viol :
" Passer en quelques minutes du statut de marchandise échangeable, parfois de grande valeur, à celui de denrée avariée ". Filles perdues, victimes de viol.

Voile :
" Quels sont en effet les individus qui, d'ordinaire, portent un masque ? Tous ceux qui incarnent le mal, la violence et la mort : les bourreaux, les kamikazes, les cambrioleurs et autres membres du Ku-Klux-Klan. " Le mal n'a pas de visage, et " le visage est ce qui révèle la pure humanité d'autrui ", selon Emmanuel Lévinas. Pourquoi ensevelir les femmes sous un linceul de honte et de mépris, demande Olivia Gazalé ?

Quand céder n'est pas consentir : son interprétation de la thèse de NC Mathieu :
" Le prétendu consentement de nombreuses femmes à leur propre servitude est une supercherie puisque leur état de dominées leur interdit précisément de voir qu'elles le sont ".

Le passage sur la prostitution "La putain ou le mal nécessaire" est nettement plus discutable : selon l'auteure, le fait que la prostitution est indigne et qu'il faudrait l'interdire serait le mantra des féministes. Les femmes ne choisissent pas de se prostituer, ou alors seulement une infime minorité sans valeur statistique ; les féministes ne sont pas pour l'interdiction de la prostitution mais pour son abolition, ce qui n'est pas du tout pareil : la prostituée est une victime, le proxénétisme est un crime et le client se trouve enfin en situation de rendre des comptes à la société. Rien à voir avec l'interdiction, en revanche tout à voir avec la prostituée victime. Olivia Gazalé utilise aussi le vieux mythe patriarcal justifiant socialement la prostitution par la diminution du nombre de viols, ce qui n'est pas démontré. Pas plus que les bordels à soldats ne démontrent leur efficacité en limitant les viols de guerre. Tout le monde sait que cela ne se passe pas comme cela. Les viols de guerre sont une arme contre les peuples, les bordels à soldats n'y peuvent rien. Et puis, ce serait féministe et humanitaire d'accepter que des femmes soient dégradées dans la prostitution pour que la majorité des autres soient épargnées ? On se pince.

Enfin, les féministes avec leur combat contre la pornographie seraient coupables de tuer l'érotisme ; pas du tout d'accord, dans le privé, entre adultes égaux consentants, il n'y a pas d'interdits.

La virilité : injonctions aux hommes 
AVOIR DES COUILLES

Les pauvres petits trinquent aussi : la virilité est une séparation d'avec les femmes, la mère, un parcours initiatique (la littérature en est pleine, à commencer par l'Odyssée), une construction sociale.

Coups, taloches, férule :
On les bat,
on leur met des claques,
on les met dans des camps et on les abuse sexuellement comme dans la Sparte antique,
on les humilie "pour leur bien", et finalement,
ON LEUR APPREND A MOURIR.

Et ce n'est pas fini : ils doivent prouver leur virilité !
Non seulement, ils ont obligation de bander, mais il doivent aussi
La rentrer
La rentrer au bon endroit (obsession de l'onanisme et homosexisme)
Et surtout ne pas se la faire rentrer ! " Un homme est pénétrant, jamais pénétré ". Sous peine d'être déchu en tapette, efféminé, tafiole... les qualificatifs insultants ne manquent pas.

Mais c'est comme pour les femmes, il y a de quoi devenir fou : les doubles injonctions paradoxales sont ce qui manque le moins. On est quand même tellement mieux entre mecs, à voir toutes les sociétés homosexuelles à strict apartheid des sexes où on les trouve. Et puis ils adorent les fanfreluches.
Paradoxes des représentations viriles : Louis XIV, roi-père de ses sujets, toujours en guerre et qui, lui, la rentrait toujours aux bons endroits, ci-dessous en costume de sacre, peint par Hyacinthe Rigaud :


emperruqué, popotin à l'air, mollets gainés d'un collant, et sandales à talons orange de 6 centimètres à brides et nœuds !

Ou alors les couilles au vent du Garde, par Arno Breker, phallus symbolisé par un glaive, Arno Breker qui illustre aussi, avec Le blessé, la couverture du livre d'Olivia Gazalé. Pure iconographie nazie exaltant la virilité.


La thèse d'Olivia Gazalé est que les hommes seraient comme les femmes pris dans le piège de la virilité. C'est indiscutable. Sa démonstration est parfaite. On peut toutefois se demander où sont leurs analyses, aux hommes, si c'est à ce point insupportable. Le corpus des études féministes est inégalé : de la part des hommes, pas une analyse, pas une dénonciation de leurs privilèges de classe, rien. Pire même, les fragiles victoires des féministes sont sans cesse menacées, voire annulées à chaque fois que ça les arrange et que les circonstances s'y prêtent. Ils ont bien écrit des histoires de la sexualité (Foucault), de la virilité (Vigarello et ses deux coauteurs), mais c'est tout, travaux d'historiens, aucune dénonciation politique. Alors ? Déduction plausible : ils sont bien comme ça ! Il y a tant d'avantages à passer de la prise en charge par leur mère à la prise en charge par leur épouse, à trouver la maison propre et rangée, le repas prêt, les enfants élevés, la stabilité sexuelle, sociale, et émotionnelle du foyer, le tout sans débourser un salaire, ni aucune charges sociales, ni aucun investissement personnel. Ils y sont comme des coqs en pâte, ils le savent. Alors, que tout ce confort soit payé par quelques sacrifices somme toute valorisants, parce que la virilité est valorisée, je pense qu'ils y trouvent un bon compromis. Bref, je n'adhère pas, je reste l’œil sec, ma pitié je la garde pour mes sœurs d'oppression, je n'en ai pas de reste.

D'autant que la virilité est aussi une "injonction à la transgression" un des piliers de la construction masculine. Punis quatre fois plus que les filles, ils représentent 80 %  des sanctions pour indiscipline. Quand à la violence routière, ils y sont surreprésentés à raison de 83 % des cas ! Ils constituent 97 % de la population carcérale.

Fourmillant de références et de documentation, le Mythe de la virilité est un bon raccourci pour celles et ceux qui n'ont pas lu l'abondant corpus des études féministes. A condition toutefois de piocher dans la documentation d'Olivia Gazalé, d'en sélectionner quelques titres, et d'en faire la lecture. C'est pas mal aussi de se référer aux textes féministes, c'est même indispensable.

La fin des hommes ?

Toujours annoncée, toujours reportée ! Le déclin de la virilité une conférence de Georges Vigarello et Claudine Haroche aux Champs Libres en 2011, à laquelle j'avais assisté et dont j'avais fait un billet.
Et plus radicale, cette référence "Menace sur les mâles" : un scientifique, Bryan Sykes, se penche sur la fragilité du chromosome Y dans La malédiction d'Adam - Un futur sans hommes. 
Toutes ces fables et constructions sociales sur la prétendue supériorité virile, pour leur trouver un chromosome Y tout riquiqui et bien seul ! Mais, bon, je rassure mon audience qui aurait besoin d'être rassurée, ce n'est qu'une hypothèse de travail. On sera toutes mortes avant l'avènement de ce jour béni :D

Les références d'Olivia Gazalé sur la virilité sont nombreuses : je vous ai sélectionné deux titres (enfin, 4 en tout) de sa bibliographie :

Le Bidule de Dieu de Tom Hickman avec cette citation entrée en matière qui annonce la couleur :

" La taille du pénis n'a pas vraiment d'importance. Comme on dit, ce n'est pas la longueur du bateau qui compte, c'est celle du mât divisée par la surface de la grand-voile et soustraite de la circonférence de la pompe d'assèchement. Ou un truc comme ça ". Donna Untrael.
 

 et les trois tomes de L'histoire de la virilité de Vigarello, Corbin, Courtine
1 - L'invention de la virilité
2 - Le triomphe de la virilité
3 - La virilité en crise ?
On les trouve à prix plus doux dans la collection Points Seuil. 


Les citations sont en caractères gras et rouge.

2 commentaires:

  1. J'avais entendu une itw de cette dame, et si,dans un 1er temps j'avais adhéré, une fois arrivé le côté: pov'zhoms malheureux, j'ai un peu craqué.Ok il est des hommes qui ne se reconnaissent aps dans le modèle qu'on leur propose mais qu'ils s'y reconnaissent ou pas, ils font quand même partie du groupe dominant avec les avantages associés. Donc leur chouinage permanent me laisse de glace, quant à prendre leur défense, ben merdalors, il y a bien plus de femmes en malheur à défendre.

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    1. On est bien d'accord ! Le féminisme néo-libéral à la sauce Hollywood #HeForShe ne mène nulle part, sauf à vouloir noyer le poisson. Elles vont en être pour leurs frais :(

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