vendredi 24 juillet 2015

Les hommes et la violence

" Scarcely a human being in the course of history has fallen to a woman's rifle ; the vast majority of birds and beasts have been killed by you, not by us ; it is difficult to judge what we do not share. " *
Virginia Woolf - Trois Guinées - 1938

Kim Stallwood est un activiste professionnel de la cause animale. Je l'ai déjà cité dans le billet précédent sur la conférence de Rennes. Il est aussi végane**, par compassion envers les animaux. Je vous propose la traduction de trois pages de son livre Growl, sorte de biographie et de conseils en stratégie d'un avocat de la cause animale où il aborde le sujet de la violence masculine. L'ouvrage est disponible seulement en anglais.

What is non violence ?  
" Un aspect final de l'engagement à la non-violence doit être mentionné : le rôle de la masculinité. J'espère avoir illustré à travers ce livre qu'être végane ne fait pas automatiquement de vous une "bonne personne", parce que vous pouvez adopter ce régime pour un certain nombre de raisons (telles qu'un bizarre désir de pureté corporelle, en couverture d'un désordre alimentaire, ou pour vous faire vous sentir supérieur) qui n'ont rien à voir avec le fait de vivre en montrant plus de compassion [...]. Dans un trope aussi éculé qu'il est faux (Berry, 2004, 33-34), plusieurs mangeurs de viande observent qu’Adolphe Hitler était végétarien, comme si, de quelque manière que ce soit, ce commentaire était une analyse pertinente de l'engagement des personnes végétariennes pour la santé des animaux, celle de la planète, et la leur.

Un autre fréquent et tenace même -ce serait lui donner trop de crédibilité que de l'appeler une ligne de pensée- est que ne pas manger de viande est de quelque façon un signe de féminité, de passivité et de faiblesse, et que, au contraire, manger la chair des animaux est un symbole de masculinité et de force. Dans ses écrits, Carol J Adams a exploré cette sexualisation de la consommation de viande et son parallèle, l'animalisation du corps des femmes et de ses parties, dans la pornographie et la publicité (1990). Avec d'autres auteures féministes, elle a aussi observé la violence masculine contre les femmes et les animaux -particulièrement, comme je l'ai noté, dans le contexte de menace ou de violences réelles envers les enfants et les compagnons animaux, pour contrôler et terroriser l'épouse.

Naturellement, les femmes aussi mangent de la viande et quelques femmes blessent leurs êtres aimés (hommes et femmes) mais l'évidence que rapportent journaux et différentes études suggèrent que la plupart des actes violents sont commis par les hommes : que ce soit contre d'autres êtres humains ou contre les compagnons animaux à la maison, en tuant des animaux sauvages, ou encore en tuant des taureaux sur un ring... Etc. Pour Adams et les autres, ces actes de violence sont des fonctions de la société patriarcale où les hommes sont définis par leur manque d'empathie ou d'intérêt pour les autres animaux, notamment les animaux domestiques.

"Les hommes dans nos sociétés patriarcales, écrit le vétérinaire Michael W Fox, peuvent parfaitement montrer de la cruauté envers les animaux, ou la justifier, car, plus que les femmes, ils empêchent leur empathie de se manifester quand ils font face au dénuement et la souffrance des autres". Il continue : "Leur capacité d'empathie est empêchée par les religions et idéologies politiques égoïstes et intéressées, telles la domination qui leur est accordée par Dieu sur toutes les autres créatures (les femmes, les animaux et la nature).

Au commencement de son livre "Brutal : Manhood and the exploitation of animals ", Brian Luke demande au lecteur d' "imaginer une chasse, un piégeage, une vivisection, un abattage ou un sacrifice animal. Imaginez les concrètement en détail, y compris en attachant des noms et des visages à ceux qui tuent des animaux. Maintenant, imaginez une manifestation contre une des institutions précédentes, de nouveau en mettant des noms et des visages sur les manifestants. Qu'est ce que vous voyez ?". 
Sa réponse ? "Plus que probablement, vous aurez vu des hommes tuer, et des femmes protester".

Comme moi, Luke s'intéresse non pas tant à la raison pour laquelle les femmes s'opposent à l'exploitation animale, qu'au fait que les hommes la soutiennent. Pour autant que je sois concerné, la compassion n'est pas un attribut basé sur le genre. Elle est en nous, innée -nourrie par l'éducation que nous recevons, les valeurs instillées par la famille et la société, et les choix que nous faisons dans nos vies. Aussi, pourquoi les membres de mon genre sont-ils apparemment aussi amoureux de la violence ?

Une raison est sûrement que nous sommes habitués à être en position de contrôle et de pouvoir. Le corollaire est que si ce contrôle et ce pouvoir sont menacés, ceux habitués à l'exercer se vengent contre les plus faibles qu'eux. En tant que gay, je suis conscient de la façon dont je suis perçu par les hétéro-sexistes : féminisé, donc moins puissant. En tant qu'homme, je suis trop conscient de mes propres attentes à être le boss, à commander naturellement l'attention et le respect, simplement parce que mon genre a, pendant des siècles, été habitué à la position métaphorique et réelle d'hôte présidant la table.

Selon moi, si le véganisme et la non violence doivent dire quelque chose au-delà d'une simple préférence de régime, et d'un noble et inaccessible idéal, alors nous devons saisir que nos tendances - aussi bien masculines qu'humaines- sont de nous imposer aux autres, et de tenter de les manipuler pour atteindre nos buts. Nous devons rester ouverts à la possibilité que nous n'avons pas toutes les réponses, que l'humilité et l'attention inspirent les autres à travers nos comportements, qu'elles sont aussi expressivement valides en terme de leadership que les postures, le bruit ou ou les jugements hâtifs sous couvert d'autorité.

En fait, tout engagement au véganisme et à la non violence doit être enraciné dans une complète humilité, simplement parce que l'ahimsa (non-violence) est impossible. "Les humains ne peuvent, même pour un moment, vivre consciemment ou inconsciemment sans commettre l'himsa (violence), disait Gandhi. "Le fait est que vivre -manger, boire, se mouvoir- implique nécessairement la destruction de la vie, à chaque minute." (Borman, 1988, 185). Aussi, être un authentique végane, c'est reconnaître le fait qu'on ne peut jamais être végane ; s'engager à la non-violence est reconnaître combien nous sommes, en qualité d'êtres humains, en colère, déçus, frustrés, ou simplement irrités - et continuer néanmoins à poursuivre la non violence. Comme Gandhi, j'aime l'idée que la réconciliation paradoxale et pragmatique d'être végane dans un monde de mangeurs de viande est impossible, et en même temps qu'elle est idéale pour créer un monde fondé sur la compassion, la vérité, la non violence et la justice. "

Traduction des pages 166, 167, 168 de GROWL par Kim Stallwood. Chapitre What is non violence ?


* Traduction libre de la citation de Virginia Woolf en début de billet :
"Rarement un être humain au cours de l'histoire est tombé sous les balles d'une femme ; la vaste majorité des oiseaux et des bêtes a été tuée par vous, pas par nous ; il est difficile de juger ce que nous ne partageons pas".
** Dans ma traduction, j'ai préféré le français épicène végane au terme anglais vegan. On peut aussi écrire végétalien.

4 commentaires:

  1. Au secours il y a de dangereuses idiotes qui sévissent dans l'univers féministe allemand. On n'a plus le droit de dire que ce sont les hommes qui tuent majoritairement tout ce qui vit parce que... il y a des collaboratrices. Alors on ne nomme plus l'ennemi.
    Finalement "L'ennemi principal" de Christine Delphy fait défaut par ici.

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    1. Delphy n'est pas traduite en allemand ? L'ennemi principal, c'est le patriarcat, dans l'esprit de Delphy. Mais ce sont les hommes qui le gouvernent, en profitent, et on intérêt à le maintenir.
      Ceci dit, en France, la violence masculine ne se dit pas non plus, chut ! Voir tous les artifices déployés par les gendarmes, policiers, journalistes... pour ne pas nommer l'agresseur : individu, jeunes, voyous, "monstres", et "animaux", bien sûr ! Alors que les animaux me font moins peur que n'importe quel mec.

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  2. Non elle n'est pas traduite. Mais je viens de me rendre compte (en lisant le dernier article de Christine le Doaré) que Delphy est encore pire que Christina Thürmer-Rohr question relativisme féminisme. Ce qui les rapproche, elles ont été parmi les leadeuses des premiers mouvements de libération des femmes (CTR est née en 1936 et CD en 1941) et se sont acquis une petite réputaiton comme théoriciennes de la cause des femmes. Résultat : elles ont perdu de vue ce qu'est le féminisme et soigne leur narcissime (CTR se prend carrément pour Hannah Arendt).
    Malheureusement elles font beaucoup d'émules et de tort au féminisme, du coup, et ça devient difficile de désigner l'ennemi qui comme tu le dis très bien, avec des exemples concrets, est déshumanisé.
    Sans doute pour donner l'impression qu'il s'agit d'exceptions et pas de la règle.

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    1. Ce n'est pas nouveau, en 2007, quand j'étais dans mon asso féministe (et que j'ai donc lu l'ennemi principal tome 2, j'ai lu le tome 1 des années après) avec d'autres, qui ont d'ailleurs publié des livres depuis, nous parlions déjà de la déception d'entendre Delphy défendre les femmes voilées musulmanes contre les féministes françaises. Apparemment, elle a récidivé dans la presse anglaise :
      https://christineld75.wordpress.com/2015/07/24/christine-delphy-la-supercherie/
      Evidemment, le relativisme culturel est un racisme mou et post-colonaliste qui ne dit pas son nom, c'est une tournure d'esprit lamentable à laquelle je n'adhère pas du tout et qui est destinée à nous destabiliser. Le féminisme est un humanisme et il est universel. Pensons aux femmes du Moyen-Orient (Ayan Irsi Ali, Taslima Nasreen, Chahdorrt Djavann... ou même Whaleed al Husseini) qui ont fui leur pays pour éviter la torture, l'emprisonnement et la mort qui arrivent chez nous, qu'on fait loger dans des quartiers où il y a majoritairement ce qu'elles/il ont fui, et entendent certains relativiser, c'est juste horrible.
      Il n'empêche que les deux tomes de Christine Delphy, L'ennemi principal, recueils de textes parus dans les années 70 à 90, pour les derniers, sont incontournables. Ce sont les bases du féminisme matérialiste. Que Delphy depuis (elle a 74 ans) ait "mal tourné", c'est évident et c'est dommage. Ses années productives sont derrière elle. C'est évidemment condamnable et assez incompréhensible qu'elle ait pris ce tournant.

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