jeudi 16 juillet 2015

Le mouvement pro-animaux : croisade morale ou mouvement social ?

Fin mai 2015, j'ai assisté au colloque international "La libération animale 40 ans après" organisé par le laboratoire de langues de l'Université de 
Rennes 2. L'invité d'honneur était Peter Singer, philosophe australien utilitariste dont le livre succès mondial en librairie paru en 1975 " La libération animale" (page Wikipedia ici avec résumé de l'argument) fête ses 40 ans : le moment de faire le point sur le combat pour changer le statut de l'animal dans nos sociétés.


Je n'ai pas assisté à toutes les conférences qui ont duré deux jours : j'ai entendu celle de Peter Singer qui a introduit le cycle, celle de Kim Stallwood qui donne son nom à mon billet, et celle de Anne Zielinska, professeure de philosophie morale à l'Université Paris1- Panthéon Sorbonne.

Peter Singer rappelle d'où nous venons :
La Genèse : Dieu crée l'homme à son image et lui donne tous pouvoirs sur les animaux. Après la Genèse, Aristote : les plantes vont aux animaux et les animaux aux humains ; Thomas d'Aquin : It doesn't matter how humans treat animals because God has subjected  all THINGS to man's power (Peu importe comment les humains traitent les animaux puisque Dieu a soumis toutes CHOSES au pouvoir de l'homme) ; puis arrive l'animal automate de Descartes ; Kant : "Nous n'avons aucun devoir envers les animaux car ils n'ont pas conscience d'être" ; comparer humains et animaux est offensif aux humains, idée encore très prégnante aujourd'hui, à preuve les remarques que nous nous attirons régulièrement quand nous plaidons la compassion envers les animaux ! Égalité dans la souffrance, égalité en considération, professe Peter Singer, philosophe utilitariste.
" Le spécisme est un préjugé, une attitude ou un biais envers les intérêts des membres de notre propre espèce, contre les membres des autres espèces ".

Puis Peter Singer rappelle les données suivantes : par an, 100 millions de vertébrés sont tués pour la recherche, 60 milliards (Chiffres FAO) d'animaux vertébrés sont tués pour l'alimentation humaine, non inclus les poissons : 1,3 trillions hors bycatch (les prises accessoires qui sont considérables !). Notre tolérance à la maltraitance animale baisse régulièrement : le public ne veut plus voir d'animaux maltraités dans les films. Ne mangeant ni viande, ni poisson, ni poulet, le nombre de végétariens / véganes augmente de façon régulière, et la consommation de viande baisse, sauf en Asie. Les recherches sur les mots vegan, végétarisme sont en hausse constante sur Google. Puis il y a une prise de conscience environnementale et climatique. Des directives européennes ont été promulguées contre les cages à truies, veaux, poules pondeuses, et les tortures infligées dans les labos de recherche sont désormais punies par la loi, grâce à l'activisme des défenseurs des animaux. Les chimpanzés et les grands singes seront bientôt reconnus comme des personnes juridiques. Selon Peter Singer, le statut des animaux et la cause animale avancent.

Kim Stallwood est activiste britannique de la cause animale, auteur de Growl, ex directeur exécutif, notamment de BUAV devenu Cruelty free International, et de PETA USA, lorsqu'ils étaient encore une association locale. Kim Stallwood rappelle les trois écoles du mouvement de protection animale : l'utilitarisme de Peter Singer, les droits naturels de Tom Regan (The case for animal rights), philosophe abolitionniste, théoricien du droit des animaux, "les animaux non humains ont des droits moraux", et les écoféministes : Carol Adams, Josephine Donovan, Lori Gruen, et Marti Kheel pour citer les plus notables. Je rappelle que même s'il est quasiment inconnu en France, le mot "écoféminisme" a été inventé par la féministe française Françoise d'Eaubonne dans Le féminisme ou la mort publié en 1974 !
" L'écoféminisme est une philosophie et un mouvement politique qui combine les problématiques écologistes et féministes, en regardant les deux comme les résultantes de la domination des hommes sur la société ".

Citation de Marti Kheel (Fondatrice de FAR : Feminists for Animal Rights) dans cet article de Françoise Stéréo : "Au début des années 80, Adrienne Rich soutenait que dans une société patriarcale, l’hétérosexualité n’est pas un choix ou une préférence ; c’est une norme institutionnelle destinée à maintenir les femmes dans un rapport de sujétion physique, économique et émotionnelle. Il en va de même avec l’alimentation carnée. Celles et ceux qui rejettent la norme dominante en adoptant un mode de vie végane se heurtent à des obstacles très similaires à celles qui remettent en question la norme hétérosexuelle. Marti Kheel résume ainsi l’intrication des luttes : « Tout comme une femme est considérée comme incomplète sans un homme, les aliments végétariens sont considérés comme incomplets sans l’ajout de chair.".

Revenons à Kim Stallwood : le mouvement pour les animaux, croisade morale ou mouvement social ? Alors que la croisade morale (stade où en sont encore pas mal de militants de la cause animale) est une option individuelle, un choix de vie personnel, capable pour les plus convaincants d'"évangéliser" quelques autres, le mouvement social agrège des individus de plus en plus nombreux qui, ensemble, exigent des gouvernements des politiques publiques, des lois, et l'application sans faille de ces dernières. A l'instar du mouvement d'abolition de l'esclavage, des mouvements ouvriers au XIXè siècle, du mouvements des noirs américains pour leurs droits civiques, des féministes suffragistes obtenant le droit de vote pour les femmes, ou du mouvement des gays et lesbiennes pour obtenir les mêmes droits à l'union civile que les autres membres (hétérosexuels) de la société. Kim Stallwood y voit 5 phases de progression de l'influence du mouvement :
- L'éducation du public,
- Les politiques publiques,
- Le vote de lois,
- L'application de ces lois,
- L'acceptation par la société.
Donc, le mouvement pour les animaux doit devenir plus adulte, plus organisé et complexe, plus politisé. Il rappelle que les élections sont des opportunités pour soulever la question animale. La plupart des politiciens ne s'intéressent pas aux animaux, ils pensent qu'il s'agit d'un sujet sans importance. Oubliant que le "complexe industriel animal", autrement dit les industriels de l'agro-alimentaire, sont une force politique puissante faisant constamment pression sur les politiques pour que surtout l'actuel non statut de l'animal reste la norme, afin qu'ils puissent continuer leurs activités -de vivisection pour les laboratoires, d'élevage concentrationnaire maltraitant pour les éleveurs abatteurs, leur "spectacles" pour les zoos, delphinariums, cirques... Le mouvement pour les animaux doit briser ce cercle d'influence unilatéral en mettant les animaux dans la politique.
"Put animals into politics ".

Anne Zielinska  - Quels droits pour les animaux ?
Invoquant la Magna Carta, première charte des droits humains du monde anglo-saxon, imposée par ses sujets à Jean sans terre au XIIIème siècle, Anne Zielinska rappelle que le droit est accordé après une lutte et une exigence, pas sur des considérations morales ni philosophiques. On accorde un droit à celui qui sait le réclamer. Le droit est entièrement construit, non basé sur la morale, il se revendique : c'est une volonté commune exprimée et organisée socialement. Il n'y a pas de droits "naturels", tout est socialement construit, revendiqué, milité, organisé. "Le travail critique et reconstructif fait sur la notion des droits de l'homme ne s'appuie pas sur les prétendus droits moraux ou naturels, il n'a pas été fait dans ce contexte".
Anne Zielinska rappelle que les animaux subissent une triple 
exploitation : dans le travail (comme les ouvriers), la reproduction (comme les femmes) et enfin pour leur viande, quand ils sont à bout de force. Les patrons et les capitalistes ne mangent pas leurs ouvriers (ni les maris leurs femmes) quand leurs corps sont épuisés. "On ne devrait pas avoir le choix entre œufs de batterie (de cages) et œufs de plein air, il devrait y avoir une loi qui interdise les conditions d'élevage inacceptables".

Les textes de ces deux jours de conférence seront publiés et disponibles en décembre 2015 aux Presses Universitaires de Rennes.

"... la violence que nous infligeons aux animaux partage les mêmes racines que la dévastation que nous causons à l'environnement et la misère que nous infligeons à notre propre espèce -celle du corpus des idéologies (philosophiques, politiques et spirituelles) qui encadre les gens à la marge, incluant les femmes et les enfants, les animaux et la nature, que nous instrumentalisons pour notre usage- cette violence nous a conduits à plus d'aliénation pour nos familles, les autres espèces, notre maison planétaire, et finalement nous-mêmes.
Kim Stallwood - Growl - 2014

En conclusion, j'aimerais citer un autre paragraphe de Growl, où Kim Stallwood jette les bases d'une théorie politique de la citoyenneté animale en citant les deux auteurs de Zoopolis, Donaldson et Kymlicka :
" Certains animaux devraient être vus comme formant des communautés séparées, souveraines sur leurs propres territoires (les animaux sauvages, vulnérables à l'invasion humaine et à la 
colonisation) ; d'autres animaux sont comparables aux migrants et aux habitants qui choisissent de venir s'installer près des zones d'habitation humaine (les animaux opportunistes) ; et enfin, ces animaux qui devraient être considérés comme citoyens à part entière de la polis (cité), à cause de la façon dont ils ont été élevés à travers les générations, et de leur interdépendance avec les humains (les animaux domestiques) ".  

2 commentaires:

  1. Passionnant article et qui donne de l'espoir. Je suis contente d'apprendre que les choses avancent ! Oui, je suis absolument pour les communautés séparées et les animaux citoyens !
    En revanche j'observe que bcp de gens ne voient pas du tout l'intérêt de l'imbrication des luttes. En Allemagne, le magazine "Das Vegan" montre des seins en bikini sans tête en couverture. (Donc vend grâce au sexisme comme n'importe quel torchon réac) Et le parti "Tierschutzpartei" = pour la protection des animaux est pro-prostitution !

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    1. C'est dramatique. Quand je milite avec des féministes, elles sont toutes végétariennes, en tous cas, les plus engagées. En revanche, le mouvement pro-animaux et les VG (même les femmes !) ne sont jamais féministes. PETA, la grosse ONG internationale, est sexiste au possible. Résultat je ne partage pas leurs happenings : qu'ils y mette des mecs à poil, et ça s'arrangera de mon côté. Mais, il y a tout de même les écoféministes anglo-saxonnes et américaines, heureusement. Elles sauvent le mouvement. Et en lui donnant une colonne vertébrale politique et sociale en plus !

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