Il y a 16 mois, ma vaillante 205, 450 000 km au compteur, 20 ans de bons et loyaux services, me lâche dans un (gigantesque) rond-point, de retour de mon club de lectrices : en rétrogradant, le levier de vitesse me reste quasiment dans la main ! Je suis rentrée en 3ème, redémarrages aux feux rouges inclus. Brave voiture : même subclaquante, elle a mis son point d'honneur à me ramener chez moi ! Les signes de fatigue étaient de fraîche date : jamais en panne, sauf quand Peugeot s'arrangeait pour me la rendre cassée après une révision, c'est arrivé deux fois. Je ne vous dis pas comme ça avait bardé !
Bref, je me retrouve piétonne, moi, l'embagnolée, mais ayant de solides excuses professionnelles. Après une heure d'affolement, j'ai décidé de le prendre avec philosophie. To-morrow is another day. Donc je l'ai laissée dans mon garage. Quatre mois exactement. Je trouvais que le garagiste m'avait assez vue, et surtout que moi je l'avais assez vu, lui aussi, avec sa tête de corporation que je déteste. Je suis allée, à pied, voir les loueurs de voiture, histoire de me faire peur avec leurs tarifs, au cas où je déciderai de louer au lieu d'acheter. Ou d'avoir à faire face à un déplacement intempestif. Et puis, j'ai sorti mon trolley pour aller faire les courses une fois par semaine.
Et là, j'ai compris : le malheur d'être mère de famille ou nounou à poussette, handicapée en fauteuil roulant, et ménagère de plus de 80 ans survivant dans un monde masculin hostile. Travaux, barrages, fondrières, panneaux (comme dans tomber dans le panneau), chausse-trappes, gros engins partout ! Emprise sur les trottoirs, les rues, vous passez sous des lests de grues, des tracto-pelles, des échafaudages (échafauds) branlants, des nacelles élévatrices avec un mec qui stimule le joystick sans vous regarder, d'ailleurs, ils vous ignorent, ils vous méprisent, poussez vos culs les dindes, nous on travaille. Les femmes, c'est connu, ne travaillent pas, elle se contentent de tenir la boutique bénévolement pendant que les mecs défoncent le plancher des vaches, violent la Terre, et construisent des grosses merdes de plus en plus hautes. Ou enterrent des métros de plus en plus profond. Avec un gros tunnelier, plus c'est gros, meilleur c'est, proverbe virilo-patriarcal. La moindre "dent creuse" est vidée de ses occupants : un vieux ou une vieille généralement, dans un pavillon avec jardin, pommier et cerisier, des merles, un hérisson, un chat ou un chien. La cage à lapins prolifère sur la biodiversité, on est une région d'élevage industriel en cages, l'urbanisme moderne empile les cages : collèges, boîtes à bac, boîtes de-technicIENS-une-seule-tête-un-seul-T-shirt, centres d'affaires (?), palais des congrès, maisons de retraites sur des parcs arborés qu'on abat pour entasser des vieux ensemble, maternités industrielles privées et publiques à 300 lits, j'espère qu'ils y mettent les mêmes barrières et parkings payants que dans les hôpitaux de façon à prévenir que la place est limitée et qu'il faudrait enfin le comprendre !
Là je vous parle de l'occupation corporatiste, dans les boîtes de BTP et "Génie" civil, où on ne voit jamais une femme, ce qui valide la sur-occupation masculine et la fait paraitre légitime. Mais comme dit ma voisine, en soupirant à déraciner un chêne "il faut bien que ça se fasse" ! Sans jamais questionner ni discuter les modalité du "comment" ça se fait et du "comment" on traite les riverain-es. Vous l'aurez compris, ma voisine et moi, nous n'avons pas le même positionnement face aux emmerdements auxquels les patriarcaux nous soumettent. Elle soupire, et rase les murs avec son panier à provisions, moi je m'énerve et je représaille.
L'occupation individuelle. Dans mon quartier, dans un rayon de 800 mètres, trois streetparks gratuits, avec rien que des mecs dessus. Si vous ne me croyez pas, je peux faire des photos. Quand il pleut, comme eux et leurs planches sont en sucre, ils se réfugient sous les auvents et les passages de tout le monde ; malgré des terrains de foot avec pelouse en plastique (ça salit moins les maillots) partout pour tenter de calmer la frustration masculine, en pure perte d'ailleurs, ils jouent brutalement au ballon dans les squares, jardins publics, allées et trottoirs. Ou au volley, ou aux boules. Ils occupent les débords dont les architectes parent leur monuments : une de mes bibliothèques a dû rajouter des obstacles pentus et pointus pour éviter que les abonnées, dont je suis, soient traitée de "putes" dans le passage où stationnent les mâles, étalant leur vacuité existentielle en soutenant les murs et en jouant, là aussi, au ballon. Quand ils partent (ouf), les canettes et bouteilles de coca, les papiers gras jonchent le passage, voilà ce que c'est que de les habituer à nettoyer bénévolement derrière eux.
Clairement, les municipalités, truffées d'élus prostatiques chauves (ou de femmes soucieuses de donner des gages pour chauffer, gagner et garder la place), bâtisseurs désireux de laisser une trace en béton dans l'HIStoire, trouvent que la place des femmes est à l'intérieur, mieux, à la cuisine. La soupe est prête quand ils rentrent, plus qu'à se mettre les pieds sous la table. Au contraire, moi quand je souhaite avoir accès aux bibliothèques de quartier pour trouver un livre que je veux lire, je dois payer une SURTAXE aux Champs Libres ! Deux poids, deux mesures, normal, moi je ne fais pas de boucan, mon travail est intellectuel et GRATUIT !
80 % des subventions vont aux garçons : même les maisons de quartiers sont sur-fréquentées par les garçons. Leurs loisirs coûtent plus cher que ceux des filles, et on leur en propose plus. Quand je vais marcher histoire de m'aérer les neurones et les poumons, au bout de 10 kilomètres, j'aimerais me trouver un banc pour m'asseoir, mais ceinture. Circulez, tout stationnement est suspect, sauf quand il s'agit des mecs. Une femme inoccupée dans la rue, faisant les cent pas, appuyée à un mur, c'est une prostituée, une péripatéticienne, les hommes sont fondés à lui demander "C'est combien ?". Les femmes, c'est OCCUPE, dans tous les sens du terme : busy, abeille ouvrière, pas une minute à soi, elles circulent de l'école au travail, du bureau au médecin, il n'y que des mecs pour glander dans les espaces publics ou les bars, en faisant le même boucan qu'au travail.
Des géographes ou des sociologues éminents abordent régulièrement le sujet, car on en parle à défaut d'agir. Mais les femmes se prennent en main. Des marches non mixtes s'organisent régulièrement pour "reprendre la rue", des campagnes contre le harcèlement voient le jour et sont relayées par les médias, et puis des femmes investissent les bars comme ce collectif de militantes féministes d'Aubervilliers "Place aux femmes" qui investit les bars une fois par quinze jours, et les labellisent après évaluation. Quand aux encombrants travaux conjoints de la corporation du BTP et des municipalités bâtisseuses qui auront bétonné toutes les terres cultivables qui les ceinturent, et au-delà, elles pourront toujours manger les briques et les parpaings des centres commerciaux et des palais de congrès qu'elles ont construit, il ne restera rien d'autre. Némésis aura son heure : l'hybris humaine provoque la colère des déesses et des éléments. L'orgueil et la démesure sont suicidaires sur une planète limitée où la mythique croissance reste l'alpha et l'oméga de la pensée économique.
Pendant tout le temps d'écriture de cet article, une nacelle élévatrice rouge, louée chez Loxam access, "l'érection en toute confiance", loueur d'engins phalliques, a émis un boucan insupportable de moteur, notamment pendant l'érection par action sur le joystick.
Les 2 premières illustrations sont des photos des dessins de Coco illustrant, dans Charlie Hebdo N° 1186 du 15 avril 2015, l'article "Le sexe des villes a deux boules".
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A la bibliothèque où je travaille en ce moment comme bénévole, dès l'âge de l'adolescence la ségrégation spatiale est stricte. On retrouve les garçons sur les marches à l'extérieur en train de discuter, une fois leurs livres empruntés, et les filles au club lecture ou sagement installées dans des fauteuils. Pour les bénévoles, c'est tout aussi caricatural, nous sommes une quinzaine de femmes pour un homme !
RépondreSupprimerJe profite de mon commentaire pour y laisser le lien d'une pétition parue aujourd'hui pour l'abolition de la GPA http://www.stopsurrogacynow.com/#sthash.2xKqNA3d.dpbs autre moyen de maintenir les femmes au foyer à produire les enfants des autres, à faire tourner !
Pareil dans la bibliothèque citée dans le billet, sauf que les mecs qui insultent les femmes dans le passage ne sont pas clients, ils ne doivent pas savoir lire. Quand je dis aux employéES (un mec parmi elles) qu'elles n'ont pas choisi ce métier par hasard car elles savaient intuitivement (tout en niant la ségrégation et la discrimination partout) que travailler avec des mecs c'est l'enfer, je passe pour l'ennemie du genre humain aka les hommes, puisque c'est eux le genre humain. Je suis clairement une féministe "extrémiste" à leurs yeux ; inutile de leur expliquer que moi je viens de l'industrie, cet univers mâle où les femmes sont à peine tolérées par des ENSAM chauves et prostatiques. Ou des SUPELEC suffisants et mous du genou. ;(((
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