samedi 27 septembre 2014

La fin du monde : prophétie patriarcale auto-réalisatrice ?

Je vous propose la traduction d'un texte de Mary Daly, extrait de
GYN / ECOLOGY publié en 1979 - Mary Daly (1928-2010) est une philosophe, théologienne et féministe radicale américaine.
J'ai mis, en illustration, quelques titres de romans (ou film) contemporains post-apocalypse, tous écrits par des hommes, tous traitant de l'apocalypse nucléaire réelle ou métaphorique (Stalker), tous romans épiques où il n'y a que des Élus mâles, et jamais une femme dans le scénario ! Devant une telle cécité, l'Apocalypse, une affaire patriarcale ?


"Puisque les mythes fonctionnent comme des prophéties auto-réalisatrices, il est spécialement intéressant de considérer le fait que les mythes chrétiens promettent ce qui a été popularisé comme « la fin du monde ». Une source commune d'information sur cet événement à venir est le Livre des Révélations. Dans ce dernier livre de la Bible, Jean décrit quelques-unes des merveilles de sa vision de ce qui doit advenir dans le futur. Parmi ces phénomènes, il y a les tremblements de terre, les sécheresses, des horreurs dans les cieux (chutes d'étoiles, soleil noircissant, éclairs de lumière aveuglante), et des maladies causant des calamités dégoûtantes et virulentes. Les chrétiens ont interprété cette prophétie de « la fin » en y prédisant la conversion des juifs. Finalement, une des caractéristiques principale de cette vision panoramique est la punition de la célèbre prostituée (supposément la grande et maléfique cité de Babylone), laquelle est mise à nu puis mangée, et dont les restes sont jetés dans le feu, selon l'intention de Dieu.

A toutes les époques, il y a eu des chrétiens convaincus qu'ils vivaient les temps de l'Apocalypse, une supposition raisonnable pour un vrai croyant, puisque l'histoire doit se réaliser à un moment et puisque le patriarcat est à la fin auto-destructeur. Le développement des technologies modernes cependant, a facilité le mouvement, passant d'une simple attente passive, à une promulgation active du « horror show » prédit. Robert Jungk décrit ainsi la première explosion atomique (en 1945) et les réactions des scientifiques qui l'ont créée et vue :

Il est un fait frappant qu'aucun de ceux présents ne réagirent au phénomène aussi professionnellement qu'on l'aurait supposé. Tous, même ceux -qui étaient la majorité- qui n'avaient aucune foi religieuse ni aucune inclination en ce sens, racontaient leur expérience en des termes dérivés des champs linguistiques du mythe et de la théologie.

Il continue en citant le Général Farrell, qui parlait du «  terrifiant rugissement soutenu qui nous avertissait du Jour du Jugement et nous faisait sentir que, nous, choses insignifiantes, nous blasphémions en osant interférer avec des forces jusqu'ici réservées au Tout-Puissant ». Pendant que Robert Oppenheimer regardait, un passage du Bhagavad-Gita, le texte sacré des Hindous traversait son esprit. Comme le gigantesque nuage de destruction se levait au-dessus du « Point Zéro », il se rappelait la ligne supposément proférée par Sri Krishna, l'Exalté : « Je suis devenu la Mort, le secoueur de mondes ». 

Metro 2033 - Dmitry Glukhovsky - 2003, 2010 pour la traduction française - La population moscovite se terre dans le métro sans électricité et sans remonter à la surface, à cause de radiations mortelles provoquées par une guerre nucléaire. Dystopie russe avec un soupçon de fantastique.

Nous voyons ici le mythe chrétien fusionner avec le langage de cette autre secte religieuse qu'est le Patriarcat. Le message est une procession nécrophile vers Nulle Part / Rien. Le point de la religion patriarcale est le Point Zéro. Les technos héritiers de la culture chrétienne ont ouvert la voie à l'accomplissement du mythe de l'Apocalypse, fabriquant le magique nuage du champignon atomique, enfantant les feux d'artifices. Les membres et descendants des autres corps / familles religieuses suivent automatiquement la procession / marche funéraire de la mort atomique. Les scientifiques sont les prêtres du Patriarcat, accomplissant les derniers rites. Typiquement, la justification de la bombe atomique des années 40 était « mettre fin à la guerre ». Traduit, cela signifie «mettre fin au monde ».

Puisque le patriarcat est l'Etat de Guerre, il est intéressant de considérer la propagande persistante sur les « usages pacifiques de l'énergie nucléaire ». Dans les années 70, the Union of Concerned Scientists fit une tentative de coopération contre les processions funéraires conduites par les plus fanatiques de leurs collègues. En 1977, ils envoyèrent des lettres à quelques « camarades citoyens » pointant les dangers des usines nucléaires, et plaidant pour obtenir leur aide pour mettre celles-ci sous contrôle « pendant qu'il en est encore temps ». Ils expliquèrent qu'une centrale nucléaire typique contient l'équivalent en matériel radioactif des retombées de mille Hiroshimas, et ils notaient que dans les 25 prochaines années, l'industrie nucléaire projetait la construction d'un millier de centrales. Leur crainte n'était pas l'explosion, mais plutôt que leur matériel radioactif serait accidentellement dispersé. De fait, aucun moyen n'a pour l'instant été trouvé pour nous débarrasser de milliers de tonnes de déchets nucléaires mortels. En outre, une centrale nucléaire produit des centaines de kilos de plutonium chaque année. Si elle est inhalée, une particule de plutonium provoque un cancer du poumon, et il faut un million d'années pour que le plutonium perde son pouvoir mortel. Les Scientifiques Concernés remarquent qu'il n'y a aucun moyen d'empêcher que des terroristes s'emparent de ce plutonium. Et de plus, ils peuvent l'utiliser pour fabriquer d'autres bombes. 


La Route - Cormac Mc Carthy – 2006 - SF dystopique : un père et son fils survivent à peine sur les routes après la destruction. On ne voit même plus le soleil. Noir, noir, no future.

Les gouvernements plus civilisés du Patriarcat, cependant, sont dirigés par des terroristes. Le plutonium donc, a déjà été détourné. Les Trinités Impies s'en occupent. Les hommes au pouvoir sont possédés par le mythe patriarcal, et ils suivent fidèlement le plan d'action du Livre de La Révélation.

Dans les années 40, de respectés professeurs d'universités, des scientifiques, des docteurs et des industriels de l'Allemagne nazie planifièrent et exécutèrent soigneusement « la conversion des Juifs » en savons, fertilisants, feutres et autres sous-produits. Dans la même décennie, leurs respectés collègues scientifiques en Amérique construisaient la Bombe A et la lançaient pour « mettre fin à la guerre », créant ainsi des signes et des merveilles dans les cieux, l'horreur d'Hiroshima. Dans les décennies qui suivirent, d'encore plus respectés collègues et leurs fils ont industrieusement pavé le chemin pour les tremblements de terre et les sécheresses à venir. A travers « l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire » et d'autres formes de pure pollution, ils ont pavé la voie à des calamités causant de dégoûtantes et virulentes maladies -maladie des radiations et différentes formes de cancers.

Stalker Pirque-nique au bord du chemin – Arkadi et Boris Strougatski – 1972 - Science fiction prémonitoire : une Zone mystérieuse et dangereuse laissée par de mystérieux visiteurs est confinée mais explorée par des arpenteurs. 14 ans plus tard, accident nucléaire majeur à Tchernobyl, dont les alentours contaminés et vidés de leur population humaine sont désormais appelés La Zone.

En faisant cela, les vrais croyants technologiques du Livre de la Révélation font vivre leur foi fatale, la Foi des Pères. Connaissant leur rectitude morale inflexible, ils sont les observateurs participant à la mise à nu, la dévoration et la mise au bûcher de la « fameuse prostituée », la putain haïe de dieu et des rois leaders qu'il a inspirés. La Prostituée « mérite » d'être haïe et détruite, bien sûr, car elle symbolise l'incontrôlable Babylone, la cité du péché. Personne ne se demande qui sont les agents du péché. Il est suffisant d'avoir un bouc émissaire, une victime à démembrer. Tout le monde sait que c'est la faute des femmes : les pères du christianisme ont toujours fait passer le mot, en commençant par l'histoire de la « désobéissance » d'Eve, et le père Freud a prouvé que c'était vrai.

Cependant, l'ultime compétition a été faussement décrite dans le Livre de la Révélation. L'auteur de cette vision a failli dans sa tentative de remarquer la Guerre Sainte engagée par l'Inentamée Prostituée Sorcière rejetant les liens de la Malédiction. Ce sont toutes les sorcières rejetant les derniers restes de vagabondage et de prostitution qui nous ont été imposés, refusant d'être mangées et brûlées, foulant aux pieds les dégoûtants rois et bêtes, ainsi que le proclame Monique Wittig dans Guérillères :

« Elles disent, éprouvez au combat votre résistance légendaire. Elles disent, vous qui êtes invincibles, soyez invincibles. Elles disent, allez, répandez vous sur toute la surface de la terre. Elles disent, existe-t-il une arme qui peut prévaloir contre 
vous ? »

La constellation du chien - Peter Heller - 2013 - Dans le Colorado, 9 ans après la Fin de Toute Chose, survivre est devenu un sport extrême.

L'ultime Guerre Sainte trouve son centre dans la seule authentique « crise de l'énergie ». Son point est la déchirante libération de l'énergie des femmes, capturée et forcée en prostitution par le Patriarcat, dégradée en combustible pour continuer ses processions nécrophiliques. Quand la Sorcière brise ce lien, nous brisons le mauvais sort de la mortelle fraude. Nous brisons le mythe des Maîtres. [...] l'ultime assimilation par les Processeurs parasites, dont la Passion est focalisée sur le point Zéro, et qui désire profondément la mort. "
Mary Daly – Théologienne et professeure de philosophie - 
Gyn / Ecology – Métaéthique du féminisme radical - 1979 - The women's Press. Pages 102 103 104 et 105

Lien : Mon billet sur les processions masculines avec citations de Virginia Woolf - Trois Guinées.

La Jetée - Film de Chris Marker - 1962 - L'histoire d'un homme marqué par une image d'enfance : la seule femme du film n'est plus qu'un souvenir inaccessible, tandis que l'humanité (masculine) réfugiée dans des souterrains cherche désespérément un passage dans le temps pour corriger ses erreurs passées.

10 commentaires:

  1. Et "La jetée" a inspiré "L'armée des douze singes" ! Une chose m'interpelle avec les Femen elles se déclarent contre les religions et institutions patriarcales et en même temps leurs actions sont très ritualisées dans un sens proche, culte de la cheffe, symboles, etc. Je trouve bizarre de vouloir combattre des valeurs guerrières en mobilisant une telle imagerie.

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    1. Bravo ! Oui, la Jetée a inspiré Terry Gilliam qui en a fait L'armée des douze singes... qui ne vaut pas tripette à côté du film de Chris Marker, fait avec des bouts de ficelles et de scotch, je trouve. Des millions de dollars contre un film chef d’œuvre -succession de diapositives avec voix plate de narrateur hypnotique, étrange.
      On peut voir gratuitement La Jetée sur ce lien :
      http://vimeo.com/42460300
      J'ai mis le tweet de Femen arrivé cette semaine dans ma TL : pour moi, elles sont féministes radicales donc elles allaient parfaitement avec ce billet, et moi je trouve inspirant leur activisme.

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  2. Je ne dis pas que l'action des Femen est inutile, c'est juste que certains aspects de leur activisme me gênent, après c'est aussi sûrement culturel. Sinon j'avais déjà vu "La jetée" qui effectivement est une œuvre minimaliste plus intrigante que les "Douze singes" mais j'aime bien le personnage de Brad Pitt en fou furieux !

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    1. Du coup, j'ai revu La Jetée sur Vimeo: bon, bref, somptueux :))
      Même remarque pour Stalker de Tarkovsky, adaptation du dernier chapitre du roman des Strougastki, sans aucun effets spéciaux, qui dure trois heures et qui tient malgré tout en haleine, filmant des paysages menaçants pour les humains. Chef d’œuvre aussi.

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  3. L'inconscient collectif , entièrement dominé par les représentations patriarcales , impose au monde réel de n'exister qu'entre deux polarités : L'âge d'or du jardin d'Eden (c'est à dire l'eternel regret qui est fondamentalement réactionnaire) et le mythe du Paradis (l'âge fusionnel vers lequel est sensé nous guider le mythe du progrès technologique) ...... Entre ces deux polarités le monde se voit alors soumis au roman patriarcal qui a un début (le bonheur innocent créé par dieu le père) un développement (la chute due à la faute de la femme infame et satanique) le développement du roman est donc en permanence l'âge du châtiment , du pécher , de la faute à réparer et du travail forcé .... Et puis la fin du monde qui voit la déstruction des "méchants" et la récompense des "bons" et l'avénement du Paradis voulu par dieu le père ......... Bien sûr tout cela se paye en réalité par la soumission et l'anéantissement des êtres par le systhème sado masochiste qui sous tend tout cela ......
    Voila ce que j'en pense , résumé au maximum .......

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    1. On est d'accord. Tout cela est de l'enfantillage pur : distribution de bons points aux méritants, le ciel et le bon dieu en haut et les enfers en bas. C'est d'un ridicule. Mais malgré tout ça marche. Et c'est mortifère.

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  4. A noter que dans les premières religions, la représentation du temps était surtout circulaire et cyclique, ce n'est que plus tard qu'elle est devenue eschatologique, avec une finalité devant advenir plutôt tard que tôt ! Sur la division de l'univers en concepts dualistes, je vous laisse ce texte qui devrait plaire à Stéphanie.
    http://mondesfrancophones.com/espaces/psyches/la-violence-initiale/

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  5. Le temps cyclique, c'est celui de la nature, du paganisme : le retour éternel des saisons. Les religions patriarcales fixent une fin au temps, avec distribution de bons et mauvais points, on peut se demander si c'est un progrès :ce que fait Mary Daly dans son texte.
    A propos du lien psy ci-dessus je rappelle que le sujet de Daly est mythologique et théologique, pas psychologique ni psychanalytique, deux disciplines dont elle ne pense et dit pas de bien, notamment à propos de leur discours sur les femmes, discours qu'elle juge asphyxiant et mortifère.
    J'ai publié en août 2013 un de ses textes sur le sujet ici : http://hypathie.blogspot.fr/2013/08/du-bucher-des-sorcieres-la-lobotomie.html

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  6. Ce n'est pas faux, j'ai tendance à faire du hors-sujet, le lien était à destination de Stéphanie lorsqu'elle évoquait la représentation duelle qui est souvent à l'œuvre dans l'imaginaire des communautés patriarcales et qui selon cet auteur aurait été créé à partir de la dissociation traumatique que subissent de plein fouet les enfants dans nos sociétés. Pour en revenir à la fin du monde c'est aussi un sujet qui a particulièrement obsédé les américains, New-York a été détruite je ne sais combien de fois dans les films catastrophe, de manière réaliste ou complètement fantaisiste comme avec le fantôme géant de "Ghostbuster". Peut-être à cause de l'histoire très violente de leur nation ? Comme le Japon et ses monstres nucléaires depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

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    1. L'imaginaire collectif est travaillé par la "catastrophe à répétition".
      Je viens de tomber par hasard sur un lien vers un film qui dit la même chose que Daly, mais apparemment, on n'y voit que des hommes ! Comme d'habitude, une femme met au jour une idée juste, et les bonshommes la font fructifier, c'est vraiment des vampires !
      http://vimeo.com/33536358
      (en anglais sous-titré en espagnol)

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