mardi 29 janvier 2013

Jessica Chastain - Kathryn Bigelow : Bechdel compatibles


Les protagonistes en présence (je parle du making du film) : donc, nous avons Hollywood, puissante première industrie à l'export des Etats-Unis, et la CIA, premier service de renseignements de la planète, toutes deux institutions "sévèrement burnées". En face, deux femmes : Kathryn Bigelow, rare metteuse en scène de la première, et Maya / Jessica Chastain, cheffe de département de la CIA, en charge de la traque de l'ennemi public numéro un : Ben Laden. Deux femmes dans des mondes radicalement masculins. Maya est le personnage réel qui a mené à bien la traque de Ben Laden pendant 10 ans, et qui identifiera son cadavre à la fin. Bigelow qui a tourné en 2008 le remarquable Démineurs (The hurt locker) filme la guerre comme aucun metteur en scène homme ne le fait : non comme un jeu vidéo survolté et stroboscopique, mais au raz des angoisses et des blessures, des shoots d'adrénaline qui rendent le retour à la vie civile quasi impossible. Elle n'a pas son pareil pour filmer des mecs mal rasés à gros muscles, avec des zip, des poches et des gadgets partout, nourris à la viande américaine, engraissée au soja transgénique !

Maya, recrutée à 15 ans dans son collège pour une raison qu'elle refusera de donner au Directeur de la CIA quand il lui posera la question, se persuade tout au long de sa traque que, contrairement à ce que pense sa hiérarchie, Ben Laden ne se cache pas dans une grotte en Afghanistan, mais qu'il ne peut transmettre ses ordres à ses partisans qu'en vivant caché dans l'anonymat d'une ville au milieu de la population. Il faut dire aussi que le souvenir des "preuves d'armes de destruction massive" trafiquées pour prétexte à la guerre d'Irak ont laissé des traces douloureuses dans les services. Maya doit user de tout son pouvoir de conviction envers ces chats échaudés pour infiltrer en territoire pakistanais le présumé compound fortifié de Ben Laden (évaluation à 60 % de chances que ce soit lui) avec hélicoptères furtifs prototypes et troupes d'élites.

Quelques pisse-vinaigre de critiques trouvent que Maya est décidément bien seule (film sex free, pas de mari, pas le moindre fiancé, donc pas de roulages de pelles, et quelle horreur, pas de têtes blondes à assister dans leurs devoirs à la maison !) et que sa mission tourne fortement à la fixette. Le film concentre en 2 H 30, 10 ans de recherches obstinées, depuis le 11 septembre 2001 jusqu'au 2 mai 2011, recherche avec ses doutes et ses errances, notamment des interrogatoires sous la torture (ou la "contrainte" comme disent pudiquement les officiers) pendant la première demi-heure du film, pour finalement opter pour les moyens conventionnels du renseignement : recrutement d'agents du cru, réveil des dormants, écoutes, filatures, etc.. qui au final portent leurs fruits. Le film et son résultat démontrent que la torture ne marche pas.

Ce beau film d'auteur-e sans effets jeux vidéo, sans l’esbroufe des films de guerre des metteurs en scène hommes, film purement factuel et clinique, avec un final hypnotique est, de plus, totalement Bechdel compatible, test de Bechdel dont je rappelle les trois conditions (Maya a des collègues femmes dans son service) :

1) Y a-t-il une ou plusieurs femmes ? Ont-elles des noms ? 
2) Se parlent-elles entre elles ?
3) Parlent-elles d'autres choses que d'hommes ?

Le film est d'autre part produit par une femme (Megan Ellison), distribué par une femme (Amy Pascal, co-présidente de Sony Pictures) et, selon Michael Moore dans le lien ci-dessous en anglais, "c'est un film qui dit que dans les sociétés d'hommes, il est difficile de faire entendre une voix de femme, même dans une époque éclairée comme la nôtre !".

Je n'aime pas les films de guerre, à l'exception de deux chefs-d'oeuvre : Les sentiers de la Gloire de Stanley Kubrick (Paths of glory -1957, sorti en France en 1975) et La Ligne rouge (The thin red line - 1998) de Terrence Malik, contant la bataille de Guadalcanal en 1942 dans le Pacifique, chef d’œuvre panthéiste, comme toute l’œuvre remarquable de ce metteur en scène. Et, des deux derniers films de Kathryn Bigelow.


Zero Dark Thirty - Bande-Annonce / Trailer #2... par Lyricis

Un lien où Michael Moore défend le film et s'oppose à la torture (en anglais) : In defense of Zero Dark Thirty

2 commentaires:

  1. "Nourris à la viande et au soja transgénique" : je pense toujours à cela moi aussi quand je vois des films qui sont censés montrer le passé : la guerre de Troie, les grandes batailles médiévales dans les Highlands et autres croisades, que sais-je, et on voit des types gavés jusqu'aux yeux, des vrais poulets de batterie version homo hominis, faire semblant de se battre comme des vrais guerriers qui n'auraient fait que cela dans leur vie alors qu'ils sont lourds de mauvaise graisse entretenu au quotidien à coups de steaks argentins et autre tartare et que cela se voit à dix kilomètres. Je ne peux vraiment pas prendre ces films au sérieux.
    Bon ben sinon j'irais voir le film s'il n'est pas traumatisant (j'espère).

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    1. Les femmes et les hommes américains - ceux montrés par Hollywood dans les films et les séries- sont tous des créatures étranges qu'on ne voit nulle part ailleurs.

      Le film est un pur produit hollywoodien, avec gros moyens, mais c'est en même temps un très beau film, l'un n'empêchant pas l'autre. Il n'y a pas de scènes traumatisantes, -Bigelow n'est pas Spielberg, elle tourne à l'économie d'effets- on sursaute juste lors des attendats (Londres, Marriot...) sans exposition de blessures de guerre, et les scènes de torture du début (30 minutes) sont plus de l'humiliation quoique qu'il y ait un supplice avec de l'eau, que visiblement la patronne réprouve : l'idée même de torture est révulsante de toutes façons. Normalement, il devrait te plaire. Lis quelques critiques allemands avant, c'est toujours ce que je fais. Je recommande vivement ce film, il fait du bien à la tête, même si le féminisme français préfère s'attarder sur les analyses de l'oppression des femmes. Des femmes successful de temps en temps, ça ne se refuse pas ! J'ai entendu des témoignages de femmes qui disent avoir été sauvées de la dépression par ce genre d’œuvres.

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