mercredi 16 mai 2012

Cannes, festival de stéréotypes !


Le 65ème festival de Cannes s'ouvre sur une sélection uniquement masculine, je ne vais pas y revenir, d'autres ont déjà traité le sujet. Je vais juste rappeler que le cinéma, comme tout autre production culturelle est une fabrique de normes sexuées et sociales. Les normes sociales sont non naturelles, elles fonctionnent par imprégnation, et modèlent les rôles masculins et féminins.

Le cinéma français, y inclus le cinéma d'auteur, est extrêmement misogyne sans que cela gène quiconque. Pour l'essentiel de la production des films dirigés par des metteurs en scène hommes, il est habituel de voir un vieil acteur de 58 ans en tête d'affiche avec une jeunette de 25, filant tous deux le parfait amour. Différence d'âge : 29  ans couramment. Tout le monde a l'air de trouver cela normal, alors que ce ne l'est pas dans la vie courante. Ces rôles au cinéma permettent aux hommes de conforter leur statut de mâles dominants sans s'embêter avec la concurrence de femmes mûres, plus challenging, à personnalité et caractère formés, réputées par la misogynie ambiante être des emmerdeuses et surtout des concurrentes, et ils n'aiment pas la concurrence ! Après 40 ans, la carrière d'une actrice stagne : on ne lui propose plus de rôles, car de jeunes actrices à la chair fraîche arrivent : le cinéma est une industrie anthropophage et carnassière qui mange de la chair fraîche, comme les vampires elle a besoin de sang neuf pour se renouveler, ceci dans une perspective masculine évidemment. Une des dernières arrivées est Léa Seydoux, fille et petite-fille-de, puisque décidément, il n'y a plus que cette façon d'y arriver désormais.

En revanche les mâles, eux se bonifient avec le temps comme le vin en fût de chêne : les vieux acteurs sont tous des Châteaux Margaux, plus ils vieillissent en cave, meilleurs ils sont. Qui emploie Chantal Lauby, Zabou Breitman, Anémone, Josiane Balasko, Muriel Robin, Nathalie Baye, Charlotte Rampling, Nicole Garcia, etc... sinon elles-mêmes, car elles sont obligées de se mettre en scène dans leurs propres films pour continuer à travailler ? En revanche, les Gérard Depardieu (64 ans), André Dussolier (66 ans), Daniel Auteuil (62 ans), Jean-Pierre Bacri (61 ans), Pierre Arditi (68 ans), Christian Clavier (60 ans), continuent leur carrière, pour certains d'entre eux, une carrière de séducteurs malgré la soixantaine bien tassée. Je rappelle qu'Alain Resnais, dans la sélection officielle 2012 a, lui, 90 ans cette année. Vivement qu'on voie une femme de 90 ans, après une vie de mise en scène dans le cinéma, à l'affiche d'une sélection à Cannes !

En attendant, nous avons Bérénice Béjo qui présente la cérémonie d'ouverture du 16 mai avec "une robe de princesse" et qui ne comprend rien "à la polémique" sur la sélection, comme le démontre le fichier sonore ci-dessous :

  Bérénice Béjo by franceinter

Des progrès restent à faire, et comme vous l'avez entendu, on n'en a pas fini avec les greluches. Aussi, vous pouvez aller signer la tribune de La Barbe demandant la parité dans le cinéma en suivant ce lien.

L'affiche de ce festival avec Marilyn Monroe est parfaitement choisie : Marilyn, un des destins maudits de Hollywood (avec Frances Farmer, Judy Garland et d'autres), a payé le prix fort pour atteindre l'immortalité figée dans une éternelle jeunesse. Incapable de faire face à l'âge dans une industrie qui consomme la beauté et la jeunesse des femmes, malgré les trois heures de préparation qu'il lui fallait pour devenir Marilyn, se donner la mort lui a paru préférable à vieillir.

Actualisation : j'ai trouvé de la documentation pour celleux intéressé-e-s par le sujet, notamment les travaux de Geneviève Sellier qui travaille sur le genre dans les films populaires et les séries télé : La nouvelle vague - Un cinéma au masculin et La drôle de guerre des sexes du cinéma français, ouvrage collaboratif. Et pour les spécialistes qui voudraient approfondir le sujet, une vidéo-conférence de Geneviève Sellier du 13 novembre 2012. Elle est venue donner à Rennes une conférence à laquelle j'ai assisté le 26 avril 2012.

Pop culture : et un lien vers le blog Chantier politique : une critique féministe de la série Buffy et du film The avengers.

19 commentaires:

  1. Dans dix ans Bérénice Béjo tiendra probablement un autre discours. A sa place une autre "petite princesse" fera sa toute gentille qui "ne comprend pas" alors qu'elle est vachement féministe, en fait (qu'elle dira). Et Bérénice Béjo pensera "j'étais aussi bécasse qu'elle à son âge". De cette facon, le cirque peut continuer...

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    1. J'ai bien peur que les idées de Bérénice Béjo, ci-devant épouse de Michel Hazanavicius, ne sortent tout droit de l'époque du muet ! C'est en effet un film muet -The Artist- qui l'a définitivement propulsée ! Je lui souhaite de se trouver des rôles de grand-mère au cinéma quand elle en aura l'âge :))

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    2. Oui c'est pour cela que j'ai écrit "dix ans" sachant que cette "petite princesse" est déjà âgée de 36 ans. Elle ne lui reste donc plus tellement de temps pour faire sa petite princesse.

      Merci pour la vidéo-conférence ! Elle est très longue mais très intéressante. Elle fait un résumé historique exhaustif du traitement du féminin dans le cinéma par époque et par genre en comparant la France et les E-U. Il en ressort (bien sûr) que le sexisme est plus fort en France que dans les pays saxons. Même si on le sait déjà c'est toujours intéressant de savoir où il se loge et comment, en se servant de l'art, il est maintenu.

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    3. Je n'ai regardé que des bouts de la vidéo, très prometteurs, aussi il va falloir que je regarde mieux. Sellier est très calée en cinéma populaire et séries télé, je m'en suis rendue compte pendant sa conf à Rennes. Et en plus, c'est une féministe, une vraie, pas une à moitié. Ce soir 17/5/12, j'ai regardé sur France 3 un film de Claude Miller (Le secret -2007). Starring : Patrick Bruel 51 ans avec Ludivine Sagnier, sa 1ère femme dans le film, 31 ans (20 ans d'écart) et Cécile de France sa 2ème femme dans le film, 37 ans, soit 14 ans d'écart ! Ca se confirme que la chair fraîche, côté femmes, ça va tout de suite mieux. Ou alors, il fallait absolument caser Bruel ?

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  2. Merci d'avoir précisé la réalité de ce que devait faire marylin pour présenter son personnage: 3 h de prépa, c'est vrai.Au point que lorsqu'elle se baladait dans la rue, si elle n'était pas 'en marylin' personne ne la reconnaissait.
    Pour Cannes, tout pareil, aucun intérêt, d'ailleurs, le chambard qui est fait autour me laisse de marbre.

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    1. Oui, c'est Geneviève Sellier que j'ai entendu dire cela (j'ai actualisé en rajoutant une documentation sur ses livres, elle fait un travail passionnant sur le cinéma populaire et les séries télé au prisme du genre) lors d'une conférence : Marilyn se "fabriquait" pendant 3 heures avant d'entrer en scène ou en interview ! Merci de ton commentaire ;))

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  3. Je ne suis pas une spécialiste (du tout) mais j'ai entendu dire que Marylin avait eu une vie très difficile et qu'elle avait notamment subi un viol. Du coup je ne suis pas sure que l'on puisse réduire sa fin tragique à : "se donner la mort lui a paru préférable à vieillir." Mais enfin je suis tout de même d'accord que c'est une victime du patriarcat.

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    1. C'est absolument certain que la vie de Marilyn Monroe est une succession d'abus : j'ai lu Blonde de Joyce Carol Oates, c'est un roman, mais tout de même inspiré de la vie de Marilyn. Relations sexuelles forcées avec des producteurs tout puissants pour réussir à travailler, manipulations par des hommes à qui elle ne sait pas dire non, mal payée quand elle leur fait gagner des dizaines de millions (et ça dure !), réduite à être une poupée blonde alors qu'elle aspire à autre chose, objet sexuel que les frères Kennedy (des voyous) s'échangent, etc, etc... Cela ne facilite pas l'approche de la vieillesse ni une vie sereine d'être considérée sans recours possible comme un objet sexuel ! Et en ce sens, elle est bien une victime des hommes et du patriarcat.

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    2. "Et en ce sens, elle est bien une victime des hommes et du patriarcat."

      Tout à fait d'accord avec vous, c'est juste que je trouvais que ça ne se "réduisait" pas à la simple peur de vieillir.

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  4. J'ai détesté 'Blonde' mais il y a du vrai dedans.
    En effet, Marylin a été violée,elle a dû avorter x fois dans des conditions pas drôles après elle a désespéré de ne pas pouvoir faire d'enfant, elle est passée par la case chirurgie parce que son image d'elle-même était bien amochée, elle a dû coucher pour 'arriver', en même temps comme elle l'a dit elle-même: si je ne le faisais pas, il y avait une file de filles derrière la porte prêtes à le faire.
    Elle a vraiment travaillé pour devenir une comédienne autre que la poupée qu'on lui demandait d'incarner, elle a monté une société, mais toujours le système autour la dézinguait.
    Je ne crois pas qu'elle se soit donné la mort, et si c'est le cas, pas non plus que ce soit pour la raison évoquée, mais bon, peu importe, il est clair qu'elle s'est autodétruite au fil du temps et tant qu'à la fin, elle ne se trouvait existante que dans des bras et des bars divers.
    J'ai bcp d'amitié pour cette femme là qui a tenté de refuser le stéréotype, tout en l'utilisant, parce qu'elle avait été déjà tellement démolie toute jeune et ne se faisait pas confiance, comment l'aurait-elle pu de toute façon.
    Bien des femmes vivent la même chose et qui n'ont pas sa plastique initiale.

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    1. Je ne crois pas à la théorie du complot mais sur l'ensemble, je suis d'accord. Cette femme s'est détruite car l'industrie l'a proprement phagocytée, bouffée, et qu'elle n'avait pas en elle les ressources pour dire non et s'imposer autrement. Rien à voir avec une Ida Lupino, ou plus près de nous, une Jodie Foster ou une Sigourney Weaver.

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  5. oh mais ne je crois pas forcément non plus à la théorie du complot, je penche plus pour l'accident.A force de mélanges et de surdosages, ça devait arriver.

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  6. Bonjour Hypathie,

    Restons optimistes, les choses sont en train de bouger. On voit de nombreuses jeunes réalisatrices émerger (je pense par exemple à Mélanie Laurent ou à Maïwenn) dont le travail est reconnu.

    Après, le festival de Cannes, c'est la tradition, les starlettes et tout le tralala, mais il faudra bien qu'il suive le mouvement.

    Quant à Bérénice Béjo, sa sortie est certes navrante, mais peut-on vraiment lui en vouloir d'avoir intériorisé la misogynie de notre culture ?

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    1. Bonjour Clumsybaby,
      Tu as raison d'être optimiste, les metteuses en scène françaises sont très talentueuses et on en a pas mal ! De plus, le financement du cinéma français grâce à une taxe sur les productions télévisuelles les favorise, au moins pour une première œuvre ! Et elles parlent d'autre chose que les hommes, elles mettent en scène des femmes de la vraie vie, pas des minettes faire-valoir comme les films de mecs. De plus, on peut se demander comme le fait Arrêt sur images si le festival de Cannes n'est pas mort, en tous cas, si on en juge par ses dernières affiches représentant des femmes qui surgissent du passé :
      http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=13834
      PS Bérénice Béjo est très représentative du backlash et du collaborationnisme de certaines femmes françaises. Comme elles ramassent les grosses miettes du gâteau, elles ont oublié que ce ne sont que des miettes.

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  7. Outre la misogynie récurrente de ce festival contre laquelle je me suis également manifestée en signant, il y a aussi cette débauche d'argent et de luxe qui donne la nausée. Certain.e.s diront que ça fait rêver la populace qui en a bien besoin. Mais ce que proposent ces champions de l'entre-soi est glauque, pue les coups-fourrés, les accointances intéressées et, au final, la trahison de l'Art.

    Oui, ce festival "de connes", pour reprendre la formule de M.Chedid, est en perte de vitesse, il fait un peu moins son petit effet et c'est tant mieux. Qu'on nous dégage l'espace médiatique de ces caricatures du viriarcat et de l'aristocratie auto-proclamée qui va avec !

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    1. J'ai revu dimanche soir (je l'avais vu en salle) Un prophète de Jacques Audiard. Il a eu le grand prix du jury de Cannes en 2009 ; typiquement le film de mecs, la saga des mauvais garçons, avec jamais une femme, sauf pour les rôles utilitaires habituels : mère de leurs enfants ou pute, et en arrière-plan, aucun rôle consistant. Mais pour eux, c'est ça un film de talent.

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  8. Sophie Aram en train de se moquer de notre nouvelle BB nationale : http://www.lesinrocks.com/inrocks.tv/o-sont-les-femmes-le-message-de-sophia-aram-brnice-bjo/

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    1. Oui, je l'ai vue cette vidéo de sa chronique. Pas mal du tout, elle reprend et se moque de Bérénice Béjo. Merci pour le lien.

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  9. En résumé Cannes c'est ça :

    http://lemarginalmagnifique.unblog.fr/2012/05/28/la-palme-endort-2/

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