mardi 21 septembre 2010

SPACE 2010 : une conférence de Luc Ferry...







SPACE, Salon international de l'Elevage, est un salon de 4 jours réservé aux professionnels. Autant le Salon de l'agriculture est une vitrine de l'agriculture française avec des journées réservées au grand public, autant le SPACE montre l'arrière boutique et l'envers (l'enfer ?) du décor. Il ne représente qu'un seul mode d'élevage : l'intensif hors-sol. Je dois m'y rendre pour des raisons professionnelles. Je sélectionne deux conférences qui m'intéressent : une sur le bien-être animal, quelle approche pour les acteurs économiques (Il faut savoir que les aides européennes de la PAC* sont désormais conditionnées au bien être des animaux d'élevage selon des critères stricts) et l'autre sur l'évolution récente de la consommation de produits carnés par les ménages et en restauration hors foyer (RHF). Entre les deux conférences je projette de visiter l'exposition. Ca tombe le jeudi où l'horizon est à peu près dégagé : le ministre Bruno Lemaire et Jean-Michel Le Métayer se sont rencontrés dès le mardi jour d'ouverture, et les producteurs de lait en colère ont eu le temps de faire du petit bois avec les stands de la FNSEA* et de CNIEL*. Ils sont sur les nerfs et on les comprend : dérégulation, surproduction, abandon par la FNSEA et la grande distribution. Le SPACE de Rennes, c'est plus de 20 000 visiteurs régionaux, nationaux et internationaux.

L'ouverture de la première conférence est assurée par Luc Ferry, philosophe qui traite entre autres sujets d'environnement, et "droit" des animaux. Il sera suivi d'une ingénieure-chercheuse de l'INRA*, du président d'une association de protection animale l'OABA*, et de l'inévitable CIV* : comité interprofessionnel des viandes, véritable lobby de la viande.

Je vais tenter un résumé de l'intervention de Luc Ferry sur l'approche du droit de l'animal, auquel il est farouchement opposé.

Il introduit sa conférence en soulignant trois fondamentaux qui caractérisent notre époque : la disparition de la paysannerie (6 millions de paysans en 1950, et 400 000 aujourd'hui), l'avènement des femmes (!!! je verrai lors de la visite de l'exposition qu'en fait d'avènement des fâââmes, elles servent les cafés et les petits fours sur les stands), et la prolifération des peurs.

Luc Ferry voit trois traditions dans la protection des animaux :
- l'approche française avec DESCARTES : sa théorie de l'animal machine (commme une pendule ou une horloge, l'animal est un robot parfait) influence encore 80 % des éthologues contemporains selon Dominique Lestel.

En second on trouve Charles Grammont, premier député à proposer en 1850 une loi protégeant les animaux domestiques : Charles Grammont est cadre noir à Saumur, il passe sa vie avec des chevaux et il ne supporte plus de voir en pleines rues la façon dont on débite vivants les chevaux épuisés et fourbus qui s'effondrent sous les voitures et diligences dans les villes françaises ! La loi Grammont prévoit donc une peine d'amende à toute personne qui inflige publiquement  et abusivement des mauvais traitements aux animaux domestiques.

Luc Ferry cite également Rousseau et ses deux pages du début de "L'Origine de l'inégalité entre les hommes" : la différence entre les animaux et les humains selon Rousseau, c'est la liberté ; les animaux sont dominés par la nature ; les humains ont une histoire politique et cognitive, les animaux, eux n'ont pas d'histoire, ils n'évoluent pas, la preuve, la termitière est immuable (alors que nos villes et nos maisons à nous évoluent avec le temps et les époques et ne sont jamais construites pareil). L'histoire humaine est anti-naturelle.

- La tradition allemande privilégie elle l'animal sauvage contre l'animal domestique. La nature sauvage est pure de toute contamination : Hitler (nous y voilà !) se fait photographier caressant des biches, il promulgue une loi sur la chasse et une loi protégeant la nature. (Je me suis levée à pas d'heure, ai déjeuné debout dans la cuisine, fait une centaine de kilomètres, affronté une demi-heure de bouchons, je ne sais plus où j'ai rangé ma voiture parmi des centaines sur un site gigantesque, tout cela pour me faire traiter d'hitlérienne : c'est vachement agréable !). Romantisme allemand : retour au paradis perdu, à la wilderness, à la pureté raciale, l'animal devient sujet de droit (???), avec une prédilection pour les animaux sauvages. Voilà les écologistes allemands habillés chaudement pour l'automne. Évidemment, il va citer trois fois le nom de Brigitte Bardot, qualifiée d'écologiste d'extrême-droite, aimant mieux les animaux que les humains, "ce qui est incontestable". Je suis d'accord, Bardot ferait mieux de se taire, elle dit des énormités, des faussetés, mais on pourrait aussi bien citer Jane Goodall qui aime et défend les animaux (sauvages pour le coup, ce sont des chimpanzés) et construit des écoles pour les garçons ET filles dans les régions où elle défend les singes ! Mais Jane Goodall est anglo-saxonne (beurk !),ce qui m'amène en trois à :

La tradition anglaise : L'utilitarisme de Bentham ou conséquentialisme. En un mot, une action est bonne, elle augmente le bonheur, une action est mauvaise, elle augmente le malheur. Cette doctrine (le pragmatisme britannique) devient une doctrine du droit des animaux (il cite le nom de Peter Singer), un modèle de la libération animale copié sur le modèle de la libération de noirs et des femmes. On procède par inclusion progressive de sujets de droit : noirs, femmes, animaux.

Il conclut en disant que bien qu'on reproche sans arrêt aux amis des animaux leur anthropomorphisme, il s'agit en fait au contraire selon lui de zoomorphisme : "les humains sont des animaux comme les autres", vision biologisante de l'humain. Selon Luc Ferry, le monde anglo-saxon règne sur le monde en général, la question du bien-être animal est une victoire de l'hégémonie américaine ; le lobby des amis des animaux communique très bien, le monde paysan lui, communique très mal -c'est normal précise-t-il, il a autre chose à faire que passer à la télévision (d'ailleurs il les félicite pour cela). Les pro-animaux obtiennent des victoires qui vont d'ailleurs dans le "bon sens", qu'on en juge, L'Oréal invente une peau synthétique pour faire ses expérimentations, pas pour épargner des vies animales -ce qui serait un bien- MAIS sous la pression du "lobby pro-animaux", ce qui est mal selon Luc Ferry ! De la même manière pour illustrer les exagérations des pro-animaux dans le "monde anglo-saxon" il cite "l'exemple extrême" des hôpitaux canadiens qui ont un comité d'éthique sur les animaux de laboratoire. Là j'avoue avoir du mal à suivre : mon pragmatisme s'oppose aux procès comme ceux-ci.

Luc Ferry reconnaît que le sadisme règne dans les cuisines : "le lapin demande à être dépecé vivant" disait un livre de cuisine de sa mère ! Tout comme les chinois qui mangent du chien le dépècent vivant, ça donne meilleur goût ! Luc Ferry qui "a eu trois chats" n'a "aucun respect pour les animaux", mais il ne veut pas qu'on leur fasse de mal. J'apprécie vraiment tout de même qu'il emploie durant toute sa conférence le mot humain pour désigner l'espèce humaine. Ce que ne fera pas la chercheuse ingénieure de l'INRA* qui lui succède : "bien sûr que l'homme est un animal" dit-elle, confirmant la vision biologisante que reproche Luc Ferry à l'époque !
Elle rappelle la loi : l'article L 214 du code rural français et le Traité d'Amsterdam de 1999 qui reconnaît "l'être sensible" qu'est l'animal, l'instauration par le Conseil de l'Europe d'une commission de protection animale qui dépend de la DG SANCO (Direction Générale de la Santé et des Consommateurs) qui protège le consommateur via l'EFSA -agence européenne de sécurité alimentaire-. C'est bien la sécurité alimentaire qui préside à tout cela. Jean-Pierre Kieffer de l'OABA qui intervient dans les abattoirs et tente d'humaniser l'abattage des animaux délevage, rappelle que chaque animal de rapport a sa directive, celle de la poule pondeuse datant de 1999. Même le CIV s'enorgueillit d'avoir un comité d'éthique !

Outre le fait qu'on peut reprocher à Luc Ferry son aversion pour le monde anglo-saxon : la "pensée anglo-saxonne" ne règne pas en France, pas plus que la langue anglaise ne menace la langue française, et l'hégémonisme culturel américain sévit plus sûrement au Mexique qu'en France où nous résistons bien, mais de tous temps, à chaque fois qu'on a voulu arracher de haute lutte et après des dizaines d'années de bataille, des droits pour les noirs, les femmes, les enfants et maintenant les animaux, on a obtenu le même argument : ce faisant on spolierait le dominant ! Tout se passe comme si donner aux uns/unes, ce serait retirer aux dominants ! Pas plus qu'en donnant le droit de vote aux noirs et aux femmes, on n'a privé les hommes blancs de ce même droit de vote, pas plus en donnant la libre disposition de leur corps aux femmes on n'a privé les hommes de la libre disposition du leur, il n'est pas plus question de priver les humains -sujets de droit- de la soi-disant "spécificité" humaine. Il s'agit de traiter de façon humaine des milliards d'animaux qui n'ont pas la parole, pas de bulletin de vote, qui ne nous ont rien demandé (animaux domestiques comme animaux sauvages sur lesquels nous nous sommes arrogés le droit de vie et de mort) et dont nous exploitons le travail et les facultés d'adaptation depuis toujours, et de façon devenue implacablement industrielle depuis les 60 dernières années dans des fermes-usines, des abattoirs et des laboratoires pharmaceutiques et de cosmétologie ; si des lois forcément imparfaites et souvent inappliquées (plaintes non instruites, dossiers classés sans suite la plupart du temps...) qui criminalisent les comportements maltraitants et violents peuvent tenir à distance les malfaisants et les criminels contre les femmes, les enfants et les animaux, on obtient tout de même me semble-t-il une société moins violente, plus apaisée et plus humaine. Tout le monde, y compris les dominants réactionnaires, y gagne ! Mais en disant cela, je démontre que je suis contaminée par l'utilitarisme anglo-saxon. DAMNED !
* PAC : Politique Agricole Commune ; FNSEA : Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles ; CNIEL :  Centre National Interprofessionnel de l'Economie Laitière ; INRA : Institut National de Recherche Agronomique ; CIV : Centre d'Information des Viandes ; OABA : Oeuvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoir.

(Suite de l'article sur la consommation de viande ci-dessous)

Ces deux images, dont une version du cri d'Edvard Munch figuraient dans le Powerpoint de l'ingénieure de l'INRA.

6 commentaires:

  1. Il est hallucinant ce discours de Luc Ferry. Alors que le seul argument valable est que les animaux sauvages ou domestiques (pourquoi les distinguer d'ailleurs ?) sont des êtres sensibles, pouvant éprouver de la souffrance COMME NOUS. Comme pour les femmes ou les Noir.e.s, l'argument de la similitude, le seul qui soit raisonné, est caché sous une tonne d'arguments plus ou moins farfelus visant à démontrer que non, décidément, elles/ils ne sont pas pareil.le.s et méritent un sort différent.

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  2. Et naturellement il ne cite pas les hollandais et son "Partij voor de Dieren" (Parti pour les animaux) ! Parti représenté au parlement avec 2 sièges obtenus aux législatives de 2006 + 1 siège aux sénatoriales de 2007 et qui ne les a pas perdus entre temps.
    Pour Ferry, ils sont sans doute pire que le reste des anglo-saxons : de véritables extraterrestres !

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  3. @ Héloïse : renvoyer "l'autre" à une altérité radicale, c'est toujours le même procédé pour justifier l'injustifiable !
    @ Euterpe : Je crois que pour lui, il y a "nous" versus le "monde anglo-saxon", qui englobe comme chacune le sait, en plus du Commonwealth et des USA, TOUT le nord de l'Europe, Hollandais compris, ce qui fait beaucoup de monde. Ça a un petit côté syndrome de l'assiégé !

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  4. @ Nemo : commentaires modérés le 25/10/10 : vous êtes ici sur un blog féministe, donc prochoix et anti raciste/anti-spéciste. Quand à savoir si je suis payée ou pas pour aller au Space, c'est privé ; je pense par ailleurs qu'on ne combat un système qu'en le connaissant de l'intérieur et en comprenant ses rouages. Donc, je vais au Space, je rentre dans des élevages hors-sol, et parfois des abattoirs. Merci toutefois de vous intéresser à mon blog et mes modestes billets.

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  5. Féministe, prochoix - dommage ; jusqu'à terme ?
    -, antiraciste, antispéciste et soigneusement censuré. C'est tellement plus agréable et utile de discuter entre convaincus en accord sur tout...

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  6. @ Nemo : Ceci est un blog d'opinion pas censuré du tout ! Prochoix : dans le cadre de la loi puisqu'il y a une loi voulue par la représentation nationale, mais loi pouvant être remise en cause à tous moments puisque ce qui est octroyé aux femmes peut à tout moment être repris ; anti-raciste : oui parce que la première différence qu'on a sous les yeux, c'est la différence sexuée, et que le premier racisme, ce sont les femmes qui l'expérimentent ; et anti-spéciste parce qu'ils n'ont pas de voix, comme les noirs et les femmes n'en avaient pas jusqu'au début du siècle dernier.

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