lundi 2 août 2010

Verbatim 4

On a tué le loup avec des mots avant de le massacrer et de l'éradiquer de nos forêts européennes.

Le vocabulaire stigmatise les animaux pour mieux les rejeter dans une altérité radicale : loup (féroce, prédateur), âne (ignorant, bête comme un âne), linotte (petite tête à petit contenant), pie (bavarde), truie (sale, comportement sexuel répréhensible) chienne (insatiable sexuellement), cochon (dégoûtant, avide), ours (infréquentable), thon (moche), requin (forcément dans la finance), taupe (espion russe), pigeon (gogo), bourrin (peu raffiné) ou boeuf (lourdaud) : prononcez beu que vous l'employiez au féminin ou a masculin, au singulier ou au pluriel. "Il m'a vraiment prise pour un boeuf !". Peut être avantageusement remplacé par bouseux ou crotteux en cas de nécessité absolue.

Les élevages intensifs hors-sol emploient un vocabulaire de manufacture et d'usinage : "Dans la fabrication de mon cochon..." ai-je entendu un jour un éleveur dire. Il ne s'agit plus d'élevage, lequel implique une relation entre l'éleveur et ses animaux, mais de fabrication, de manufacturing d'un produit comme un autre, destiné à la consommation courante : animal machine.
Merci Descartes, sans toi, on n'aurait jamais pu descendre à de telles extrémités dans la négation de l'autre. Un de ces jours derniers sur France Info, une éleveuse de vaches sollicitée sur la sécheresse et donc le manque d'herbe et de fourrage, parlait d'être obligée de décapitaliser ! En d'autres termes de vendre son bétail : elle ne précisait toutefois pas où elle allait le décapitaliser, chez un autre éleveur -peu probable, ils sont tous touchés par le manque de nourriture- ou directement dans un abattoir où son capital lui sera remis sous forme de liquide ou encore mieux, de cash !

Négation de l'être vivant, sensible, social, interagissant avec les autres et son milieu, voire être politique, retors, querelleur, joueur... qu'est l'animal. Pour celles et ceux qui en doutent, suivre le lien chez Angèle dont la voisine entretient sa pelouse avec deux moutons.

Dans la pêche industrielle, on ne parle même pas d'unités mais de stock, de ressource, de tonnage : on peut dire combien on abat d'animaux par milliers, dizaine de milliers ou dizaines de millions dans une journée, un mois ou une année sur la terre ferme, mais les poissons tués ou abattus (on dira pêchés ou pris et on parlera de prise sur le milieu) sont comptabilisés en tonnes, jamais en individus. L'indifférenciation absolue.

De même le vocabulaire des abattoirs est dégraissé de toute tournure agressive : on va parler d'une vache, truie ou poule de réforme pour signifier qu'elle est en fin de vie (qu'elle est arrivée à la fin de son cycle de citron pressé et qu'il n'y a plus rien à en tirer pour être tout à fait précise) et que l'heure de sa mort industrielle -et prématurée, on ne fait pas de vieux os dans une usine à viande- a sonné.

Mais dans ce processus de déshumanisation et de négation de l'être sensible qu'est l'animal, tout le monde est touché, y compris les salariés qui travaillent dans l'élevage : ne sont-ils pas appelés UTH en technolecte productiviste courant : Unités de Temps Humain ! "Sur l'exploitation, nous employons deux UTH" : la première fois que je l'ai entendu, il m'a fallu un décodeur. Et si les animaux vivent dans un milieu pauvre, pestilentiel, saturé d'ammoniac, sans voir la lumière du jour ou l'herbe, il va de soi que l'UTH ou technicien porcher ou volailler aussi, puisque c'est là qu'il travaille. Que si l'animal est contenu, parqué dans une cage, sommé de grossir en faisant des gains de productivité pris sur son bien-être, le salarié posté dans ce genre d'usine le paie de troubles respiratoires et musculo-squelettiques, et de la détérioration de ses conditions de travail, donc clairement de son bien-être à lui aussi. Techniciens ou ingénieurs agronomes, incollables sur le taux butyreux (gras) du lait de vaches, chèvres, brebis... mais ignares en éthologie (comportement) parce qu'elle n'est pas incluse dans le programme !

Et je ne parle même pas des conditions de travail dans un abattoir ! Il est à noter d'ailleurs que la population ouvrière des abattoirs est ancrée dans un territoire, qu'elle n'est pas ou peu mobile géographiquement, qu'elle est peu diplômée, et qu'elle doit donc se contenter du travail qui se propose au pied de chez elle. Et qui dit pas de mobilité géographique dit pas de mobilité sociale, peu de pouvoir de négociation, et donc bas salaires et conditions de travail à l'avenant. Ce sont en majorité des femmes qui travaillent dans les abattoirs, contrairement à une idée reçue !

Alors il est peut être enfin temps de revoir notre vision de l'animal, être vivant comme nous et de modifier nos comportements vis à vis de lui vers plus d'éthique. "Frère Loup" disait François d'Assise*.

* Je ne renie pas mes principes agnostiques : le sort de ce pauvre François d'Assise a longtemps balancé entre la "sainteté" accordée par la hiérarchie mâle catholique et les culs de basse fosse de l'hérésie ; pensez donc, un homme accordant une place à nos voisins de planète et prêchant la pauvreté, la simplicité, la frugalité à une hiérarchie catholique bitocentrée phallocentrée et autiste, calée sur le trône d'or de Pierre et arbitrant les élégances entre hommes (le Top model de la Création ironise Jean Michel Truong, quelle prétention !), femmes (bas morceau de la Création écrit Michel Onfray citant la bible et se reférant à la côte d'Adam) et le reste. Pauvre François, il l'a échappé belle !

7 commentaires:

  1. Si l'on prenait le temps, si l'on regardait, si l'on écoutait, alors oui, on saurait à quel point l'animal est un être sensible et fin! Comment un simple moineau sait, en quelques jours, reconnaître la mélodie simple qu'on lui siffle pour lui dire qu'on lui a laissé des miettes ou de l'eau! Comment un cochon pleure de vraies larmes à l'abattoir, parce qu'il sait qu'il va mourir! Comment une laie, voulant traverser avec ses petits, sait remercier quand on s'arrête la nuit sur la route, en nous fixant avec son petit regard brillant!

    L'homme devrait prendre le temps de toutes ces choses au lieu de prendre sa calculette!

    RépondreSupprimer
  2. Le poids des mots est énorme et il peut atteindre une rare violence. Et les gardiens du patriarcat l'ont ien compris.

    RépondreSupprimer
  3. Cela me noue les tripes...toutes ses existences animales broyées...cela glace et broie l'âme...merci Hypathie de le dire, de l'écrire, de le rappeler et de dénoncer ses noms avec lesquels on les humilie, on les réduit, on les chosifie d'abord pour mieux les exterminer ensuite, pour mieux banaliser l'immonde massacre qu'on en fait à chaque instant.

    RépondreSupprimer
  4. Merci à Alice et Euterpe pour leurs encouragements ! Et merci à Angèle pour son retour d'expérience éthologique sur la laie traversant la route devant sa voiture. C'est extraordinaire.

    RépondreSupprimer
  5. Entièrement d'accord avec toi et avec ce st François, bien sympathique malgré le fait que je ne croie absolument pas en Dieu, ni quoi que ce soit...
    Très étonnant effectivement que nous l'évoquions au même moment sur nos blogs, et que j'aie mis la fresque où st François parle aux oiseaux comme exemple des fresques que j'ai pu voir (Sublimes...)...

    RépondreSupprimer
  6. Les mots sont terribles.
    Une *exploitation* agricole.
    Une *ressource humaine*. Et "humaine" est parfois implicite. Une ressource, c'est quelque chose que l'on exploite. Je ne suis pas une ressource.

    RépondreSupprimer
  7. @ Nemo : vous avez raison, vous n'êtes pas une ressource, mais dans une économie masculine de la prédation où ne sont pas comptabilisés dans les PIB nationaux le travail des femmes (culture, élevage, nourrissage de la famille, soins aux enfants, aux vieux, aux malades), où les 15 milliards de dollars de contribution des abeilles pour ne citer qu'elles, au PIB américain comptent pour du beurre, ainsi que tous les autres services rendus par la nature, toutes les vaches à traire sont bonnes à traire, croyez-moi ! Selon moi, cela s'appelle même du parasitisme.

    RépondreSupprimer