samedi 21 août 2010
Masterchef : graisses animales et testostérone
Crédit photo : Mon boucher en ligne.com
TF1 lance son concours de chefs cuisiniers comme M6 l'a fait avant elle.
Un jury : trois hommes (remarquez si c'est pour en remplacer un par Ghislaine Arabian, non merci, ce n'est pas la peine !), dont deux cuisiniers (ultra classiques) et un critique gastronomique looké, légèrement déjanté et bondissant, pour faire le spectacle.
Des candidats et des candidates qui veulent "changer de vie", rien que ça, et qui comptent sur la cuisine et la télévision pour ce faire. Émotion et pleurs garantis.
Émission ultra-scénarisée, au casting échantillonné : régionaux priés de cuisiner "terroir", blacks pour faire diversité et mélange des classes sociales. Le montage est serré, plans réguliers sur l'oeil sans concession voire méprisant des jurés, pleurs et mimiques d'appréhension des candidat-e-s, fanfaronnades ponctuées de "Chef, oui, Chef" pour faire amende honorable, embrassades émues et sanglots des familiers des victimes qui viennent soit de gagner, soit de se faire humilier. Car on se fait humilier publiquement : plats non goûtés (non, je ne goûte pas ça !) ou alors cuillère posée d'un air dégoûté par un des jurés, regard de mépris devant le plat, debrief demandant d'un air ahuri "mais pourquoi vous êtes là ?" et conseil de faire tout sauf de la cuisine. Heureusement, il y a Carole Rousseau qui materne et console dans la coulisse devant les cameras. Partage des tâches.
Une végétarienne convaincue (et convaincante) fait essayer son plat bien présenté et apparemment goûteux aux jurés et se fait retoquer par le plus prospère d'entre eux : "moi, si je ne mange pas ma côte de boeuf, je n'ai pas fait de repas" ! Avale ça, la végétarienne. Mais, miracle, on n'est pas des brutes bornées, elle récolte les deux "oui" qui l'envoient dans le top cent des finalistes. Après avoir été sondée, évaluée sur ses motivations à "travailler du veau, écailler et découper un poisson, ébouillanter un homard, trancher dans du boeuf" et promis de déchirer de la chair animale avec les dents ! Toutes convictions ravalées, créativité rentrée sous le boisseau et allégeance à la virilité ponctuée d'un "Chef, oui, Chef". Non mais !
Car la "grande cuisine" française c'est quand même avant tout une école para-militaire du larbinat ; uniforme obligatoire, soumission au chef, travail en brigades, garde à vous devant les ordres du chef, étalage de virilité comme dans les centres de redressement (on n'est pas des mauviettes tout de même), on ne répond pas, on baisse les yeux et on épluche ses 5 kilos d'oignons sans broncher. C'est comme cela que le métier rentre, petit. Entre ce style d'éducation, les brimades et la maltraitance, il n'y a que l'épaisseur d'une pelure d'oignon. Pas étonnant que les femmes ne soient pas tentées.
Plats : au centre de l'assiette, un gros morceau de viande ou de poisson entouré de trois carottes naines mais épluchées au scalpel -tout est dans l'épluchage- ou d'un dé à coudre de purée de céleri, voire de trois feuilles de salade (une de pissenlit, une de roquette et une de pourpier pour les omégas trois) en déco, d'ailleurs, ils appellent ça une "garniture". Nous, les végétariens, on ne mange que des garnitures selon les omnivores ! Conservatisme et tradition, valeurs viriles : s'il y a un métier où la recherche et le développement devraient fonctionner à plein parce qu'ils en ont bien besoin (les chefs étoilés renoncent à leurs étoiles : trop de pression et plus assez de clients, cuisine hypercarnée démodée), ce serait vraiment la cuisine ! Faire passer les légumes au centre de l'assiette, travailler les protéines végétales et les légumineuses pour les faire accéder au statut de grande cuisine, voilà un défi !
Mais il ne faut pas se fâcher avec les labos qui fabriquent des médicaments anti-obésité ou des crèmes qui gomment la culotte de cheval. Et je ne parle même pas des laiteries industrielles et de leurs alicaments, ni des produits allégés qui ne font pas maigrir ni mincir mais qui coûtent très cher ! Il faut bien vendre des écrans publicitaires.
Petites perles relevées au cours de l'émission : une poissonnière qui se gèle tous les matins à Rungis souhaite changer de métier car "poissonnier, c'est un métier d'homme" ! A quoi lui rétorque le Chef, que "cuisinier AUSSI, c'est carrément un métier d'hommes". Ah bon ? Et toutes ces femmes qui cuisinent pour leur famille ? Ah oui, mince, c'est des CUISINIERES, j'oubliais ! Ne pas confondre. Et puis c'est étonnant quand on y songe, lorsque les hommes partent s'entretuer dans les boucheries mondiales (14-18, 39-45) avec obligatoirement les femmes qui travaillent en usine à l'effort de guerre à fabriquer des avions, des chars de combat, des munitions, qui remplacent les hommes partout même aux postes de commandement puisqu'il n'y a plus de mecs nulle part, celles aussi qui ramassent les mourants sur les champs de bataille, personne ne se pose la question à ces moments-là de savoir si les métiers ont un genre ? Tant que le boulot est fait...
C'est prouvé : ils n'en ont pas, la preuve, c'est que les femmes font tout (bien) quand les mâles sont indisponibles.
J'ai jeté l'éponge au moment où l'épluchage des oignons commençait. Allée me coucher épuisée. Pris deux Alka Seltzer pour digérer l'émission.
Carole Adams dit en citant la poétesse Francine Winant :
"Mangez du riz, faites confiance aux femmes".*
*"Slowly we begin
Giving back what was taken away
Our right to the control of our bodies
Knowledge of how to fight and build
Food that nourishes
Medicine that heals
Eat rice, have faith in women"
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Cuisine ou autre, il y a une tendance à l'humiliation, au SM dans ces émissiosn télé-réalité. La 1ere émission du genre a dû être le Maillon faible.
RépondreSupprimerAs-tu lu "Acide sulfurique" de Nothomb? C'est effrayant de vérité sur ces nouveaux programmes télé.
J'ai regardé un peu cette émission, à partir des oignons justement :P, mais pas très longtemps non plus.
RépondreSupprimerDéjà, je n'aime pas ce genre d'émissions avec ce déballage de nourriture qui finira certainement dans les poubelles de TF1 après avoir marinée sous les projos. En général, il n'y a pas mieux pour me couper l'appétit sévère.
Ensuite, c'est évidemment réducteur pour les femmes qui vont regarder et qui font la tambouille au quotidien pour nourrir la famille et qui ne découpent pas des roses dans les tomates^^. Mais ça, c'est pas considéré comme " de l'art "...
Je pense que cette émission retombera comme un soufflé et tant mieux, car j'aime mieux ma salade du jardin, élevée à l'air du pays et au pipi de mes chats, que leurs 50 grammes de rien au milieu d'une assiette.
@ Alice : non, je n'ai pas lu ce roman de Nothomb, mais je vais le faire !
RépondreSupprimer@ Angèle : mais oui, tu as raison, je n'y avais pas pensé : toute cette bouffe doit finir en immense gaspillage, à la poubelle ! Avec des gens qui n'arrivent pas à se nourrir chez nous et dans le Tiers-monde, c'est révoltant ! Mais ça vaut le coup de creuser, au fait... Quand à la voir retomber somme un soufflé, ils ont une campagne de pub dans ma ville sur l'émission, des grands 4 X 3 !
En écho au commentaire d'Alice (j'ai lu aussi "Acide sulfurique", mal écrit mais très juste!), je trouve aussi que la téléréalité véhicule des valeurs barbares, notamment éliminer la/le plus faible. C'est carrément contraire au "contrat social" qui veut que l'on protège les plus faibles. Sans parler de la mise en compétition aux antipodes des valeurs de solidarité.
RépondreSupprimerAmélie n'est pas si loin de la réalité avec son camp de concentration téléréalisé ...
J'ai juste tapé " Que devient la nourriture de Masterchef sur tf1? " sur Google et la réponse est: " Dans Masterchef, toute la nourriture qui n'est pas utilisée dans l'émission est redonnée au Secours populaire à Paris et en Province. " (second lien).
RépondreSupprimerD'un autre côté, ils n'allaient pas nous dire qu'ils jetaient tout.
Je n'ai pas lu " l'acide sulfurique " mais du coup, j'en ai envie!
@ Angèle : merci de cette info. J'ai trouvé la même chose, on n'a plus qu'à les croire sur parole ! En même temps, les gens supportent de plus en plus mal le gaspillage, tant mieux.
RépondreSupprimerOuais... Mon arrière-grand-mère était ouvrière dans une fonderie de l'est -parisien reconvertie en usine d'armement (obus) pendant la guerre de 14-18: 15 jours de jour, 15 jours de nuit, 12 heures par tour et une heure de pause pour manger, seulement le dimanche de repos. Veuve et 3 enfants à charge. A part ça les femmes sont de faibles créatures, mais ça, j'y ai jamais cru.
RépondreSupprimer@ Floréal : La mienne aussi, c'est en pensant à elle que j'ai précisé cela. Elle "faisait l'homme" aux champs, enceinte puis avec une petite fille, que sa soeur qui faisait la "femme de la maison" a ensuite élevée pendant 5 ans, le temps que le grand-père revienne. Et ne retrouve pas vraiment les clés du pouvoir, il faut préciser.
RépondreSupprimerHey, à propos de grande cuisine hypercarnée : j'ai appris récemment l'existence d'un chef étoilé qui s'intéresse aux légumes... Alain Passard, à L'Arpège, à Paris. Il paraît qu'il fait des merveilles. Un peu de viande dans le menu (ultra-minoritaire, comme accompagnement :D), mais aucune difficulté pour la remplacer par du végétal si l'on veut. ça m'a fait chaud au coeur d'apprendre ça.
RépondreSupprimer@ Jerry : je connais bien sûr la cuisine végétale d'Alain Passard. Il est à ma connaissance le seul en France à faire de la recherche sur les légumes au centre de l'assiette. Réelle vocation ou tentative de se démarquer ? En tous cas, c'est bon à prendre. Mais un seul cuisinier ne suffira pas, il faut que les végétariens soient plus nombreux et qu'ils se montrent dans les restaurants. On est loin du compte.
RépondreSupprimerMasterchef c'est une emission qui me fait penser plus au nazisme qu'aux plaisirs de la bouche
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