mardi 29 juin 2021

Je suis le prix de votre liberté : mémoires d'une jeune fille de 17 ans

 

Ecrire seule (elle n'a pas de cosignataire) un livre de mémoires à 17 ans, c'est possible quand on a beaucoup et intensément vécu, et que le vécu se résume à l'horreur d'être mise à l'écart de la société et d'une vie normale par un magma indifférencié et anonyme ou se croyant tel, de harceleurs agissant en troupeau. Mila était, avant de devenir l'ennemie d'obscurantistes décérébrés, une jeune tiktokeuse et instagrammeuse publiant ses films de transformation et de maquillage auprès de sa communauté réduite à quelques centaines ou milliers d'abonné-es. Elle n'était pas sur Twitter et c'est pourtant Twitter qui va lui apporter la haine et la notoriété. Ce réseau de mises à jour permet à la fois le meilleur (faire de l'activisme avec succès en agrégeant des militant-es pour promouvoir une idée ou une cause, informer) et le pire, ostraciser et menacer de mort en meute. La haine des femmes et du sexe (minoritaire dans ce cas) fait le reste. 97 % des harceleurs sont des hommes et ils harcèlent des femmes. Identitaires, extrême-droite, virilistes tremblant de perdre leur derniers privilèges indus face à la montée du féminisme, hétéros normopathes, religiosité en écharpe, haineux des corps et du sexe des femmes, chassant celles qui mettent en avant une différence, ils opposent au sujet Mila une meute, magma informe et non identifié, leurs propositions obscènes, puis devant son refus catégorique, leurs injonctions, anathèmes et finalement leurs menaces de mort. Mila, devant le sérieux de la menace, se demande même si elle sera vivante au moment où son livre paraîtra. 

Fine analyse sur la façon dont fonctionnent les réseaux sociaux et leurs algorithmes, du comportement de sa génération abreuvée aux écrans et à l'instantanéité, mais génération sans références, sans capacités d'analyse, de mise à distance et de recul, le livre de Mila est aussi un appel à résister. Je suis le prix de votre liberté. Il n'y a pas à ergoter ni à chipoter, Mila est la cible de totalitaires, de malfaisants acculturés à une idéologie mortifère ou juste inconscients du mal qu'ils font, qui veulent nous imposer leurs diktats, nous faire taire, nous museler, nous faire "fermer nos gueules" comme dit Nadia Daam dans le documentaire #SalePute diffusé sur Arte. Il n'y a aucune analogie à faire entre critiquer ou même insulter une idée, une entité abstraite dont l'existence pas plus que la non existence n'est prouvable par des moyens rationnels, et insulter des personnes réelles, des individus pour leurs croyances. Les personnes sont réelles, elles souffrent de l'insulte et de l'anathème. Mila en témoigne. Et elle n'a jamais franchi la ligne. "Si vous croyez au combat sans cesse renouvelé pour nos vies libres, lisez ce livre". Je cite et souscris à la dernière phrase de quatrième de couverture de l'ouvrage. 


#SalePute, le documentaire des journalistes belges Myriam Leroy et Florence Hainaut diffusé sur ARTE et toujours en libre accès sur leur site ainsi que sur Youtube creuse la question en faisant témoigner des cyber-influenceuses, des blogueuses, une vidéaste sur Twitch, et des journalistes qui ont dû fermer leurs comptes sociaux à la suite de plusieurs mois de cyberharcèlement, ou se sont vu supprimer leurs émissions à la radio (Lauren Bastide sur France Inter ; elle a fermé aussi un compte de 60 000 abonnées sur Twitter). Nadia Daam a subi une campagne haineuse de plusieurs mois avec menaces de mort sur elle et sa fille. Natascha Kampusch, rescapée survivante d'un rapt en Autriche par un homme qui l'a séquestrée pendant 8 ans est aussi interviewée, avec des féministes allemandes. Le cas Mila n'y est pas abordé, je ne sais pas si c'est pour non concordance de délais de tournage ou si c'est pour ostracisation de Mila par les féministes intersectionnelles politiques, ce que sont presque toutes les femmes témoins du documentaire, qu'il faut voir de toutes façons. L'inextinguible haine masculine pour les femmes a indubitablement trouvé dans les médias sociaux une façon de se renouveler. 

Lauren Bastide a publié sur Instagram un article "Pourquoi je ne soutiens pas Mila" où elle expose ses arguments dont le discutable "Mila est irrespectueuse des musulmans de France" ou comment instrumentaliser les "musulmans", les assigner à une case "offensés" dans laquelle ils ne se reconnaissent pas tous, bref les bons sentiments classistes et relativistes habituels : puisqu'Instagram est un réseau filiale de Facebook donc totalement fermé, déroulez le fil Twitter avec captures d'écrans de Hadrien Mathoux journaliste à Marianne, et un article-réponse du même Marianne sur le non soutien de Lauren Bastide à Mila et la réfutation de ses arguments. Le problème c'est que les accusés au procès des harceleurs de Mila n'ont pas de profil type religieux ou social, ils (10 hommes, 3 femmes) sont étudiants en psychologie, un se dit athée, un est cuisinier passionné d'astrophysique. Evidemment ce n'est qu'un échantillon dans les centaines de milliers de messages haineux reçus. Il y a donc instrumentalisation d'un groupe social pour justifier une reculade ; il y aurait les bonnes harcelées, femmes influentes, journalistes, femmes désirant se faire connaître et promouvoir leur carrière (je n'ai RIEN contre bien entendu) et l'adolescente lycéenne "grossière" qui s'énerve devant des propositions indécentes de se faire mettre des "coups de bite" pour changer d'orientation sexuelle et de façon de penser. Elle a besoin d'un bon sermon en somme, et tout le monde, ses harceleurs et les féministes intersectionnelles seraient d'accord sur ce point ?

Moi je suis solidaire de Mila et de Lauren Bastide dont je ne suis pas forcément toutes les idées intersectionnelles et dont je n'ai pas apprécié sa postface intersectionnelle aussi à la réédition du SCUM Manifesto chez 1001 nuits, de Nadia Daam, dont je vois de loin en loin les chroniques sur 28 minutes, et de toutes les autres qui témoignent dans le documentaire #SalePute. Par solidarité féministe avec les femmes, puissantes ou non, adultes, professionnelles, faisant carrière, ou lycéennes. Les masculinistes, les virilistes toxiques porteurs de la plus vieille haine anté-historique qu'est la haine des femmes sont nos ennemis à toutes. Les doctrines religieuses sont par essence patriarcales car elles ont été inventées contre les femmes pour les contrôler socialement et les asservir à leur reproduction et leur service domestique. Pour moi, il n'y a là aucune ambiguïté, pas de conflit de loyauté, pas de connivence possible avec l'extrême-gauche qui a toujours subordonné les luttes de femmes pour leur auto-détermination à celle des "damnés de la Terre", c'est une plaie historique du féminisme, hélas. Céder à la pusillanimité, c'est être molle du genou, c'est ne pas être ferme sur les principes, c'est s'exposer à rendre les armes pour des picaillons. Pas de compromis. Pas plus envers l'extrême-droite dont on sait ce qu'elle pense des femmes, ce qu'elle ferait de leurs droits chèrement acquis, et qui soutiendrait Mila, prétexte utilisé pour que la gauche ne la soutienne pas, excuse commode et clivante. 

Les deux réalisatrices du documentaire #SalePute n'ont pas souhaité participer non plus à cette émission de France-Culture sur l'affaire Mila et le cyber-harcèlement, misogynie, technologie, laïcité, qui m'a été signalée par une de mes abonnées Twitter, qui analyse assez bien la situation : raison invoquée, Mila serait soutenue pas l'extrême-droite ! C'est vraiment sympa pour nous de ne pas voir une fois de plus les nombreuses féministes universalistes qui soutiennent Mila. 

Je souhaite le meilleur à Mila et je suis fière d'elle ; je pense qu'elle a un fort potentiel artistique et de performeuse, elle est créative et a du charisme, c'est à dire qu'elle sait fédérer des gens autour d'elle ; ce qu'elle appelle sa déscolarisation, alors que bien sûr elle suit des cours par correspondance, son isolement, l'abandon par une partie de l'opinion publique, sont évidemment des épreuves, mais on n'apprend pas la vie dans une école, même si c'est un raccourci pour faire des pas de géante. Elle est très jeune et elle a le soutien et la solidarité d'une bonne famille. Elle apprend en ce moment à s'exprimer sur des plateaux de télévision et quand on ne lui tend pas de pièges, mais elle apprend vite, son discours est réfléchi et pondéré, sa pensée est structurée, elle réfléchit avant de parler, et n'hésite pas à ponctuer ses réponses de silences. A 18 ans ! Elle a déjà écrit un livre de mémoires. Lesquels de ses attaquants ont fait le quart de ce qu'elle a accompli ? 

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