lundi 18 février 2019

#MeToo Cours petite fille !



Je viens de lire cet ouvrage collectif qui présente sous formes d'articles ou d'interviews de chacun-e des participant-es son analyse du mouvement #MeToo, moment d'histoire comparable aux luttes pour l'avortement des années 70 et pour la parité dans les années 90 (4ème de couverture), né des réseaux sociaux (Twitter en l'occurrence), et l'état des lieux de la " production théorique " des féministes : philosophes, anthropologues, activistes, femmes engagées en politique, sociologues, artistes, poétesses, majoritairement des femmes mais aussi deux hommes, dont un historien de la courtoisie. Certains textes sont assez savants voire hermétiques, mais tout est lisible jusqu'au bout, puisque j'y suis arrivée. Évidemment, c'est impossible d'être d'accord avec tout ; en revanche, certains articles suscitent l'enthousiasme, les plus radicaux en ce qui me concerne. Excellente, Inna Shevchenko de FEMEN, émouvante et drôle Elise Thiébaut comme à son habitude (Ceci est mon sang), motivées Fatima Benomar, femme politique et Isabelle Steyer, avocate, spécialiste des droits des femmes et des enfants, pour n'en citer que quelques-unes.

Pour situer historiquement le mouvement #MeToo, le hashtag (mot-clé) sur Twitter est né en octobre 2017, en pleine affaire Weinstein, relancé par la comédienne Alyssa Milano ; il avait été " créé dix ans plus tôt par Tarana Burke, travailleuse sociale américaine originaire de Harlem pour dénoncer les abus sexuels ". Des millions de femmes de 85 pays y ont répondu en 24 heures sur les réseaux sociaux, porté par d'autres comédiennes telles Asia Argento (qui écrit l'avant-propos du livre) ; il va faire tomber pour harcèlement sexuel " des hommes puissants qui n'avaient pas compris que le droit de cuissage n'existait plus et se croyaient protégés de la loi par leur omnipotence ". (Alliance des femmes). Une déferlante qui a généré en retour des tentatives de remises au pas, abordées aussi par plusieurs articles.

Isabelle Steyer, avocate :
" #MeToo est l'anticommissariat. Tout peut être dit avec ses propres mots, dans l'organisation de sa propre pensée et non pas du droit pénal ou de celui qui interroge . Les femmes ne passent pas d'une domination à l'autre. Elles décident de tout. Et peuvent s'affranchir des questions de forme ". Avertissement sans frais aux agresseurs, quand la justice ne fonctionne pas, quand les plaintes ne sont pas prises ou n'aboutissent pas, quand les lois élaborées par et pour les hommes prévalent, la justice se rend ailleurs, sur les réseaux sociaux. On peut le déplorer, comme un peut s'indigner du déni de justice que fait subir aux femmes la justice patriarcale. Car " la justice préfère juger les victimes plutôt que les violeurs. Le procès du violeur est le procès des femmes et non du violeur ".

Eva Illouz : Directrice d'études à l' EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales)
" Les medias sociaux remplissent le rôle que les institutions n'ont pas voulu jouer puisqu'on arrive à faire ce que les institutions n'avaient pas réussi à faire, c'est à dire faire comprendre qu'il y a un prix à payer quand on est prédateur [...] les medias sociaux constituent une arme très forte pour répondre à la négligence systématique des institutions ".
Et aussi sur la réflexion à de nouvelles formes de masculinité :
" je regrette que les homosexuels n'aient pas joué de rôle plus décisif dans la formulation de modèles alternatifs de masculinité hétérosexuelle. Les homosexuels sont le mieux soustraits à l'idéologie patriarcale de domination sur les femmes et ils auraient pu sans doute formuler des modèles alternatifs. "

Valérie Gérard, professeure de philosophie :
" Les féministes ? 
Séparatistes, hostiles, nuisant à la coexistence...
En guerre. 
Alors oui, peut-être, en fait.
Et peut-être même qu'il n'y a pas à s'excuser. "
Sûrement, même.

Jacqueline Merville, poétesse et peintre :

" toujours ils l'enfoncent leur machin
partout, dans villes, villages,
brousses, buildings,
tentaculaires sont leurs bites "

On peut être plus réservée, comme je le suis, avec les appels à l'aide aux hommes "on n'y arrivera pas sans eux", ou être moins touchée par la "génitalité" thèse de la psychanalyste féministe Antoinette Fouque ou encore de Luce Irigaray, qui rappellent toutes deux que nous avons des corps sexués : 1 + 1 = 3, unissons nous pour produire des enfants. Question de sensibilité personnelle.

Wendy Delorme, écrivaine :
" Je ne suis pas d'accord" suppose d'être éventuellement laissée pour compte. "Je ne suis pas d'accord" précède la désharmonie, la désunion, la rupture, peut-être.
"Je ne suis pas d'accord" propose la solitude d'être seule dans son opinion.
"Je ne suis pas d'accord, c'est se tenir droite sous le ciel, sans avoir peur qu'il nous tombe sur la tête.
Le courage de ne pas être d'accord, qui manque à tellement. On ne nous apprend pas à dire non, à dire "je ne suis pas d'accord". Ou alors dix ans après, quand les barrières cèdent devant le trop-plein de malheurs, et quand les faits sont prescrits : affaire Baupin ou LigueduLOL.

Car l'omerta règne. Parler, c'est rompre le consensus social, c'est devenir une "fille de Diogène", le philosophe grec antique de la " parrêsia ", pratique brutale de la vérité publique par le philosophe aux pieds nus, " vagabond charismatique fondant sa complète liberté sur l'absence de toute possession et un solide mépris du genre humain. La parrêsia, le "tout-dire", consiste à dire sans dissimulation ni réserve ni clause de style ni ornement rhétorique qui pourrait la chiffrer et la masquer, la vérité ".
 Je cite ici le formidable et libérateur article de Marie-Anne Paveau, philosophe, citant elle-même Michel Foucault.
" C'est une pratique profondément politique, en ce qu'elle concerne la vie de la cité. Mais le/la parrèsiaste prend le risque de tout perdre. " Les parrèsiastes, celles et ceux qui "balancent" la vérité à la tête des oppresseur-e-s et de la société toute entière, sont donc des personnes en danger car ils et elles appartiennent à la grande famille de ceux et celles que j'appelle les diseurs et diseuses de vérité, qui compte dans ses rangs les whistleblowers, les lanceurs d'alerte, les messagers, et tous ceux et toutes celles qui, un jour, osent parler. (Paveau, toujours). Le diseur ou la diseuse de vérité dérange l'ordre social, menace les puissant-e-s et, d'une certaine façon, culpabilise les complices et les silencieux et silencieuses. "

Carrie Fisher, Asia Argento, toutes celles qui ont accusé Weinstein et d'autres, sont des parrèsiastes, des " saboteuses féministes ", filles de Diogène, prenant le risque de la parole, pratiquant la parrêsia et la stratégie du sabotage des rapports de force."

Formidable article, à lire absolument.
Ouvrage collectif d'une trentaine de contributions, textes rassemblés par Samuel Lequette et Delphine Vergos, publié aux Editions Des femmes.

Hashtags à retrouver sur Twitter dans le moteur de recherche en haut à droite même sans être adhérente : 
#MeToo #TimesUp #Noshamefist 

Les citations sont en caractères gras et rouges.
Pour lire l'image ci dessus, il suffit de double cliquer dessus, sur Blogger, elle se superpose et s'agrandit.

"Cours, petite fille car les avant-gardes sont toujours derrière toi" : titre détournement d'un slogan féministe des années 70 "Cours petite sœur, les avant-gardes sont derrière toi".

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