" Nous avons vu que dans les sociétés de chasseurs-collecteurs, le monopole de l'arme a une importance décisive dans les rapports entre hommes et femmes ; c'est en effet dans la technologie qui crée les armes et dans les armes mêmes que se produisent les progrès les plus importants, ceux qui marquent la distance entre outils masculins et féminins, puisque les armes sont en même temps des outils de production privilégiés. Mais l'aspect qui prévaut est celui du contrôle de la force ; d'où le rigoureux interdit imposé aux femmes quant à l'emploi des armes : le jeu se joue entre qui a les armes et qui ne les a pas. Le pouvoir des hommes sur les femmes est assuré par le monopole des armes-outils. " Paola Tabet, anthropologue - La construction sociale de l'inégalité des sexes.
L'anthropologie et l'ethnographie qui étudient les tribus premières des sociétés humaines relèvent une constante et nous enseignent que les outils et les armes sont taboues pour les femmes : elles vont à la chasse avec les hommes, mais elles se contentent de taper avec des bâtons sur le sol, pour effrayer ou rabattre les animaux, elles peuvent aboyer (SIC) aussi pour les mêmes raisons, mais elles n'utilisent pas d'armes, qui restent un monopole masculin, même dans nos sociétés modernes. " Ce n'est pas la chasse qui est interdite aux femmes, ce sont bien les armes ; c'est bien l'accès aux armes, en tant que telles et en tant que concrétisation d'un développement technologique qui leur est refusé " insiste Paola Tabet.
Du coup, ce tabou venu du fond des temps reste ancré et vivace dans les comportements d'aujourd'hui. Exemples, crescendo :
- les filles harcelées, quand elles font un jogging se contentent généralement, comme je l'ai constaté la semaine dernière, d'un tweet ou d'un post sur les medias sociaux pour dire aux mecs qu'ils sont "relous" alors qu'elles ont eu peur, et que c'était destiné à ça, faire peur. Je me suis personnellement équipée d'un spray au poivre que je balade partout avec moi depuis qu'il y a quelques années j'étais victime d'agresseurs sexuels qui exhibaient leur bite quand je marchais sur les quais de la Vilaine : il y avait un mauvais passage à l'écluse du Moulin du Comte. J'ai décidé d'arrêter de me plaindre : "mais où tu va comme ça aussi pour voir des gens pareils ?" : une de ma famille. "Je vais où je veux puisque mes impôts sont aussi bons que ceux des mecs et qu'on ne m'a jamais refusé mon chèque au motif que c'était de l'argent de bonne femme" fut ma sèche réponse. Comme s'il y avait des quartiers réservés aux agresseurs sexuels ! Après quelques essais infructueux, j'ai aussi arrêté d'appeler la Cavalerie qui a tant d'autres chats à fouetter : braquages de banques, trucidages divers de mecs entre eux, et bien sûr, violences sur enfants et conjointes, où ils ne brillent pas non plus par leur motivation à soustraire les victimes à leurs bourreaux. Donc, mon cas étant apparemment dérisoire, je me suis équipée et je fais face, dans l'adversité. PARCE QUE C'EST MAL VU. Sur les réseaux sociaux, où quand une se plaint et que je lui suggère un spray, silence de mort. On entend très bien les silences de mort et la désapprobation sur les réseaux sociaux. Pas de partage, rien, alors que les statistiques de Twitter vous montrent que vous avez de l'audience. Et puis dans les dîners en ville, c'est mal vu aussi : un jour, dans mon restaurant d'entreprise, une consultante (de l'APEC, je balance, il y a prescription, et puis ça me fait plaisir) raconte que rentrant chez elle, en plein jour, dans une rue de Paris, un mec tousse, elle se tourne vers la caisse auprès de laquelle elle passe, et voit... un type en train de se palucher, l'engin sorti du short. Ça m'est arrivé aussi ce genre d'histoire. A Tours pour moi. Je lui demande ce qu'elle a fait ? Réponse : Bin, qu'est-ce que tu voulais que je fasse ? Tu fais ce que tu veux, mais moi, j'ai un spray au poivre toujours sur moi, je le sors prestement, et j'enfume le type par le haut de la vitre qu'il a forcément baissée pour qu'on l'entende tousser ! Je lui donne un motif de tousser, mais vraiment ! Je vous le donne en mille : c'est moi qui suis passée pour l'agressive, la sauvage, qui veut la mort du Prince Charmant, ce sale type.
Et pourtant ça marche ! Je ne m'en suis jamais servie, mais il fait reculer les agresseurs potentiels, quand ils le voient, ils reconsidèrent le (sale) coup. Et il rend assertive, sûre de soi. Je marche avec, je circule en voiture avec, et je descends ma poubelle avec. J'ai déjà été agressée plusieurs fois dans mon sous-sol par des mecs alcoolisés agressifs. Et puis ça sert aussi à "se dégager de son agresseur" comme dans cette affaire récente de viols en récidive à Brest.
- L'affaire Jacqueline Sauvage, vous vous souvenez ? Battue comme plâtre, maltraitée pendant 43 ans par le Prince Cogneur, Père abuseur, un jour elle règle son compte par trois coups de fusil dans le dos de son agresseur et celui de ses enfants, puisqu'elle est chasseuse*, bonne tireuse, et qu'il y a un fusil à la maison. Jamais je n'ai pu m'ôter de l'idée que si elle avait utilisé des médicaments ou un poison, ces armes par destination tellement féminines, ces armes des faibles, qu'elle aurait été moins lourdement condamnée : 10 ans ! Sortie de prison par la grâce présidentielle, et surtout par l'activisme féministe, Jacqueline Sauvage ne m'est pas sympathique, mais franchement, ne pas reconnaître la légitime défense à une femme battue, torturée avec ses enfants, pendant 43 ans, c'est refuser aux femmes le droit de se défendre. Plus récemment, le jugement de l'affaire Tobie, où de la même manière une femme abat d'un coup de carabine son conjoint maltraitant, retrouvé tout desséché trois ans plus tard dans l'appartement dont elle ne payait plus le loyer : 12 ans d'emprisonnement, plus que les réquisitions du Procureur, pas de reconnaissance de la légitime défense non plus. Et je parle bien de légitime défense, pas d'auto-défense, comme j'ai entendu me répondre un soi-disant pro-féministe, sur Twitter, pro-féministe, mais pas débarrassé lui non plus des injonctions patriarcales ni des tabous qui frappent les femmes.
Pour une femme, c'est bien porté d'aller à l'équarrissage. Le fusil ? Pas féminin pour deux sous (2 % de chasseuses* reconnues par les associations de chasse, on est en plein dans l'injonction aux femmes décrite par Paola Tabet ci-dessus) : pas glamour, pas plus que le spray au poivre. La féminité c'est l'impuissance : échasses sur quoi marcher, jupes étroites et courtes, gros sacs avec contenu en vrac en bandoulière, l'oreille collée à leur téléphone portable déchargé, elles préviennent les agresseurs qu'elles ont appelé leur petit ami (le preux chevalier des contes de leur enfance) qui va venir à leur secours. Bouh, ils ont peur ! Pas moyen de courir, pas question de brandir une arme. Alors vous pensez, quand une montre qu'elle a du répondant, ou en tous cas, peut en avoir, c'est forcément une virago hommasse avec du poil aux pattes. Qui veut la mort des mecs agresseurs (OUI) et qui va finir seule entourée de 15 chats mités (NON).
Pendant que la société enseigne aux filles l'impuissance, sachez quand même que tout est fait pour dépouiller les garçons de leur empathie : une juge vient de retoquer une association de protection animale niçoise qui poursuivait la ville de Tarascon pour l'autorisation d'une novillada et d'une bercerrada les 7 et 8 juillet. Novillada ? Bercerrada ? Il s'agit d'apprendre à de jeunes garçons apprentis bouchers/toreros à torturer, puis tuer à l'arme blanche, de jeunes veaux de maximum deux ans. Oui, vous avez bien lu. Il y a deux standards admis par la justice : pas touche aux couilles des mecs, et aux femmes, la férule patriarcale. Impitoyablement. Jusqu'à la mort.
Mesdames vous avez le droit de vous défendre, au moins de montrer qu'on ne peut pas vous emmerder impunément, en tous cas. Vous avez aussi le droit et le devoir de défendre les autres en cas d'attaque. Y compris un mec, si le cas se présente. L'attitude de la biche effarée dans les phares de voiture, c'est bien dans les romans à l'eau de rose, mais dans la vraie vie, c'est contre-productif. Les agresseurs sont des lâches. Dans 95 % des cas, s'ils rencontrent une résistance, ils détaleront sans demander leur reste. Evidemment, soyez prudentes : il faut impérativement avoir une possibilité de fuite. J'avais traduit un billet il y a quelques temps sur comment réagir en cas de harcèlement : il reste totalement valable. La terreur doit changer de camp. Ou au moins, il s'agit de rétablir un équilibre.
* Je n'aime pas les chasseurs, ni les chasseuses, ni la chasse. Mais ce n'est pas le sujet. On peut apprendre à se défendre sans tuer, et sans se faire la main d'abord sur des animaux. Nous ne sommes plus au Néolithique.
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