dimanche 21 juin 2015

Phallocentrisme du désastre - 2

En ces temps d'encyclique pontificale, et en regardant Nicolas Hulot au 13H15 de France2, dimanche 21 juin, faire le tour du monde des grands ducs au pouvoir, en substance, les barbus en robe à dieu viril (pape, patriarches coptes, orthodoxes, imams...) pour les sensibiliser au changement climatique, j'ai eu envie de citer une nouvelle fois Naomi Klein " Tout peut changer", son troisième opus, dont j'ai déjà parlé une première fois ici. Bien que certains chapitres soient ardus, je recommande chaudement la lecture de cet ouvrage passionnant.


Au chapitre 12, "Partager le ciel", Naomi Klein voit un espoir pour le climat se lever du côté des Premières Nations. Klein est canadienne : les autochtones, (le Canada est à cette époque une colonie britannique), ont obtenu au 18ème et 19è siècles la signature de traités avec la couronne britannique, au gré des alliances, la guerre faisant rage entre France (au Québec) et Angleterre, pour la possession de territoires. La plupart de ces traités signés avec la monarchie, reconnaissant des droits aux autochtones (piégeage, fourrures, non exploitation de certaines terres des ancêtres...) sont restés inappliqués ou ont été largement bafoués par les ex-colons à l'époque moderne, bien qu'ils n'aient jamais été révoqués. Or, il se trouve que les compagnies extractivistes ont besoin des sols pour creuser et déposer des gravats, et de larges bandes de terres pour faire traverser des oléoducs, de voies ferrées pour transporter le produit de l'extraction, charbon, pétroles de schistes et gaz. Ces installations toutes très polluantes, traversent les territoires concédés aux Premières Nations qui se sont réveillées pour défendre la "terre des ancêtres" contre la prédation des extractivistes. Le mouvement Idle No More (Jamais plus l'inaction) a vu le jour, créé en 2012 par quatre femmes (Nina Wilson, Sylvia McAdam, Jessica Gordon et Sheelah McLean) en lutte contre la colonisation et le patriarcat, puis contre la vente de terres autochtones prévue unilatéralement, sans concertation, par une loi omnibus de Stephen Harper, grand extractiviste devant l'Eternel : Stephen Harper Premier Ministre conservateur du Canada et plus qu'accessoirement, protestant évangéliste. Naomi Klein place beaucoup d'espoir dans toutes les tribus autochtones, tous les peuples premiers de la planète pour défendre le climat et les énergies renouvelables contre l'extractivisme forcené des industriels.

Voici ce qu'elle écrit à propos de Red Cloud (Nuage Rouge) ancien ouvrier métallurgiste devenu pionnier des énergies renouvelables :

" En regardant [Red Cloud] s'affairer autour des maisons, une étincelle dans les yeux, je comprends soudain que c'est cette nécessité de s'adapter à la nature qui rend certaines personnes hostiles aux énergies renouvelables ; il qualifie d'"indianisation" ses bricolages et ses adaptations, qui lui rappellent la construction de sa première éolienne à partir d'une vieille camionnette Chevrolet Blazer 1978 qui rouillait sur sa réserve. En le regardant s'affairer autour des maisons, une étincelle dans les yeux, je comprends soudain que c'est cette nécessité de s'adapter à la nature qui rend certaines personnes hostiles aux énergies renouvelables : même à très grande échelle, ces dernières requièrent une humilité tout à fait contraire à l'esprit qui préside à la construction d'un barrage sur une rivière, à la fracturation de la roche-mère en vue d'en extraire du gaz ou à la domestication de la puissance de l'atome. Les énergies renouvelables exigent de l'être humain qu'il s'adapte au rythme des systèmes naturels, et non qu'ils soumette ceux-ci à sa volonté par la force brutale. [...]

C'est précisément de cette nécessité de s'adapter à la nature que la machine à vapeur de James Watt aurait affranchi l'humanité à la fin des années 1770, en libérant les manufacturiers de la contrainte de construire leurs établissements près des meilleures chutes d'eau et en permettant aux capitaines des navires de se moquer de la direction des vents. Le premier moteur à vapeur commercial, écrit Andreas Malm, "était apprécié pour n'être soumis à aucune force qui lui fût propre, à aucune contrainte géographique, à aucune loi extérieure, à aucune volonté résiduelle autre que celle de ses propriétaires ; il était absolument -ou plutôt ontologiquement- asservi à ceux qui le possédaient".

C'est à cette envoûtante utopie d'une maîtrise totale de la nature que tant de défenseurs des énergies fossiles sont si peu disposés à renoncer. D'ailleurs, lors de la conférence climato-sceptique du Heartland Institute, on n'a pas manqué de tourner en dérision les énergies renouvelables, réduites à des "rayons de soleil" et à des "brises agréables". Le sous-entendu était sans équivoque : les vrais hommes font brûler du charbon. Et il ne fait aucun doute que la transition vers les énergies vertes n'est pas une simple substitution de sources d'énergie, car elle suppose aussi une transformation fondamentale des rapports de pouvoir entre l'humanité et le monde naturel qui maintient celle-ci en vie. La puissance du soleil, du vent et des marées peut certes être exploitée, mais, contrairement aux combustibles fossiles, ces forces ne pourront jamais être entièrement contrôlées par des êtres humains. Et chaque écosystème dicte ses propres règles.

L'humanité se retrouve ainsi à la case départ, en dialogue avec la nature. Les défenseurs des combustibles fossiles et du nucléaire affirment que les énergies renouvelables ne sont pas "fiables", car elles nécessitent de prêter attention à des facteurs comme l'endroit où on vit, la durée d'ensoleillement, la force des vents ou le débit des rivières. Et ils ont raison : les énergies renouvelables, du moins telles que Henri Red Cloud les envisage, imposent une rupture avec le mythe d'une humanité devenue maîtresse de la nature par la volonté de Dieu, et une reconnaissance du fait que nous vivons en relation avec le reste du monde naturel. Mais cette relation est maintenant fondée sur une connaissance de la nature qui dépasse de loin tout ce que nos ancêtres d'avant l'ère des combustibles fossiles auraient pu imaginer. Nous en savons assez pour être conscients de l'ampleur de ce que nous ne pourrons jamais prétendre connaître, mais également pour trouver des manières ingénieuses d'optimiser les mécanismes de la nature dans le cadre  de ce que l'historienne féministe Carolyn Merchant appelle l'"éthique de la coopération". "

Les caractères en gras sont de mon fait.


Il va nous falloir renoncer à la domination et à la maîtrise absolue du singe nu sur la nature et toutes ses autres espèces pour tenter de nous maintenir sur la planète : je ne suis pas sûre que le Pape Bergoglio, malgré son encyclique, et tous les autres hiérarques des religions patriarcales, y soient prêts. Pourtant, il devra en être ainsi si nous voulons que l'aventure humaine continue encore un peu sur la Terre, cette force géologique qui nous a laissés passer, et vivre de ses ressources. Le maintien du climat tel qu'il nous a permis de prospérer jusqu'à aujourd'hui est un enjeu colossal pour l'humanité.

Liens supplémentaires :
Le facebook de Idle No More Paris
Brasiers et cerisiers : le réveil des luttes autochtones au Canada
Widia Larivière : A la défense des femmes autochtones

4 commentaires:

  1. Fantastique Naomi Klein !
    C'est là que l'on voit pourquoi le mâle humain ne peut pas punir ses viols sur les créatures de sa propre espèce (femmes, enfants, vieillard(e)s, autres hommes moins agressifs, animaux, cadavres, que sais-je....) ni ses autres crimes envers les animaux parce qu'il serait obligé de se poser des questions sur son épouvantable brutalité avec le milieu qui l'accueille en général : flore, air monde minéral, océans etc...
    Dimanche matin j'ai écouté l'émission de Geneviève Delrue "Religions du monde" à l'occasion de laquelle elle avait invité trois représentants des religions monothéistes : christiasnisme, islam, bouddhisme pour parler de l'encyclique du pape. Déjà il s'agissait bien entendu de trois individus mâles ce qui annule d'emblée tout ce qu'ils peuvent énoncer même de positif.
    La question du partage du monde entre une poignée d'ultra-riches surpuissants et une majorité de vivoteurs et surtout vivoteuses n'a bien entendu pas été évoquée et surtout ce qui m'a le plus frappée c'est leur unanimité à déclarer qu'il ne faut pas "sacraliser" la nature (suivi de "mais" sentencieux et bien-pensant pour dire qu'ils sont plutôt d'accord avec le pape). D'après eux il faut sauver la nature mais rester circonspect et ne jamais assez se méfier des adorateur/trices de la nature (c'est comme cela qu'ils doivent voir les autochtones du Canada, d'ailleurs). Apparemment leur plus grande frayeur est de faire indirectement de la propagande pour les religions (qu'ils pensaient avoir éradiquées) qui place la nature avant le zhome.
    Ils ne se rendent pas compte à quel point ils sont ridicules. Et pourtant quand on pense à ce qu'ils sacralisent EUX ! À savoir : leur bite, tout bonnement.

    Si tu as un moment pour écouter l'émission, je te la recommande juste pour voir comment ils trahissent sans s'en rendre compte le vrai but de leurs belles religions à savoir la domination du monde par la VIOLENCE (masculine).
    Merci pour la mention de mon tweet :¬)

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    1. Les représentants autorisés des religions monothéistes ne peuvent être que des hommes puisque ces systèmes de récits épiques ne racontent que leurs exploits, leur légende sanglante, leurs razzias et leurs conquêtes au nom d'un dieu viril commodément fait à leur image. Dieu de maîtrise et de domination sur tout ce qui vit : femmes, bêtes et nature, mis à leur service et dont ils s'arrogent le droit de jouir. La phrase de la bible : croissez et multipliez, dominez la nature et les bêtes est, dans l'époque où nous vivons, mortelle, mais ils ne renonceront pas à leurs privilèges, par pur conservatisme et parce que tout cela est fait pour leur bénéfice. Ce qui est intéressant en revanche, c'est le retour des animistes qui vivent ou vivaient en osmose avec la nature, qui ne la ravageaient pas, prenant juste de quoi survivre, et notamment le retour des femmes, puisque ces mouvements autochtones sont inspirés / dirigés par des femmes. Le livre de Naomi Klein est indiscutablement écoféministe, Carolyn Merchant (Death of Nature, non traduit en français, tiens, tiens...) en constituant l'inspiration et un des fils rouge. Tant pis si le mot et le concept écorchent la bouche de certaines féministes universalistes et réformistes. Etre féministe, ce n'est pas forcément faire tout comme les hommes. Il est temps pour les femmes d'affirmer leur génie propre. J'ai bien aimé ton tweet, même si sauver la planète est un anthropomorphisme (la planète est quasi éternelle, pas nous, et elle se fiche de nous) né des vols spatiaux et des satellites géostationnaires habités (selon Naomi Klein) qui nous ont permis de la voir de HAUT et de LOIN, perdue comme un fragile esquif, ce qu'elle n'est pas. Nous, en revanche, nous sommes fragiles dessus au regard des temps géologiques auxquels la Terre obéit, et un peu d'humilité ne nuirait pas. Mais je sais la contrainte de Twitter : faire court, percutant, clair et ramassé, en 140 signes : ton tweet y parvient brillamment et c'est déjà un exploit !

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  2. Oui, en effet : "sauver la planète" ne peut que vouloir dire dans notre cas : sauver l'état de la planète afin qu'elle soit vivable pour nous-mêmes ! Elle change aujourd'hui dans une direction qui menace notre existence mais pourrait en favoriser d'autres comme cela a été le cas dans le passé. Cela dit quand on se documente sur les autres planètes du système solaire, comme je l'ai fait à une époque où je lisais tout ce qui me tombait sous la main dans le domaine, on est vite frappé(e) par le mode de fonctionnement géogazeux particulièrement hostile de la planète Vénus qui est aussi le résultat d'une évolution (comme partout). Un système viable est tout de même bien fragile. Si l'être humain continue à s'ingénier à détruire la stratosphère tout en augmentant l'effet de serre, la Terre n'aura aucune difficulté à devenir cet enfer qui sévit sur Vénus où toute vie est à peu près impossible.
    Pour l'univers tout est périssable. Ou la vie est capable de se maintenir d'elle-même et pour cela tous les outils naturels lui ont été donnés au cours de l'évolution, ou la pulsion de destruction d'une espèce donnée particulièrement folle et agressive l'anéantit. Un système se met alors en place qui rend impossible toute vie jusqu'à ce que cela se concrétise au niveau géogazeux.
    L'univers n'a pas d'état d'âme à ce sujet et des planètes il y en a des milliards. Chaque planète a son destin qui dépend de ses habitant(e)s, s'il y en a. Et je ne trouve pas que c'est surestimer l'être humain que de dire cela. Avec sa main préhensible le singe nu a eu la possibilité de fabriquer des outils et il a fabriqué des engins de mort capables de détruire plusieurs fois la planète. Ceci est une réalité. Son esprit, par contre, surtout celui de ses meneurs est incroyablement abruti. N'importe quel moineau a plus de sens commun.

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    1. Pas mieux ! Les autres animaux ont en effet plus le sens de l'intérêt de leur espèce que la nôtre. Tant pis, la faillite de notre espèce, si elle a lieu, laissera sa chance à une autre : les pieuvres sont particulièrement douées, paraît-il, elles arrivent à réfléchir et trouver des solutions à des problèmes ardus d'ouverture de bocaux où on a mis un crabe ;))))

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