samedi 28 mars 2015

Tueurs de masse et droits acquis lésés

Depuis le crash de l'A320 dans les Alpes mardi 24 mars, les chaînes tout info ont d'abord fait défiler des experts en aviation se battant les flancs devant le mystère de la descente en pilote automatique programmée pendant 10 minutes, puis ensuite les experts psychologues et psychanalystes sommés d'expliquer le comportement d'un suicidaire souffrant de troubles mentaux, en réalité tueur de masse ayant prémédité et planifié son acte. L'homme en question fait partie de la caste dominante, il ne défend pas d'idéologie religieuse, et il semble en tous points appartenir à la classe moyenne supérieure, il a fait un bon cursus scolaire, il exerce un métier prestigieux payé 63 000 euros par an dans une belle boîte internationale, ce qui ne le classe pas d'emblée dans les prolétaires "aigris". Il n'est pas non plus le physiquement défavorisé par la nature qu'on pourrait plaindre en se disant que la drague ne doit pas marcher, pauvre garçon. Mais alors, QUID ? Devinez :


La petite amie, bon sang, mais c'est bien sûr. Ça tombe sous le sens, cherchez la femme. Bon, ok, pour être honnête, j'ai entendu un psy de bon sens dire que si tous ceux qui ont des ennuis sentimentaux se comportaient de la sorte, il n'y aurait plus personne sur terre. Le cas est rare, mais quand même, on vient de grimper d'un cran dans la tuerie industrielle : 149 passagers et membres d'équipage emmenés à la mort pour se venger prétendument d'une déception amoureuse ! On en était restées aux lycéens qui se commandent de super guns bien phalliques sur internet, qui se livrent à un "killing spree " comme disent les américains, dans leur lycée ou dans la rue, dégommant tout ce qui bouge avant de se faire suicider par les policiers (suicide by cops) ; avec Lubitz, on a un "suicide by A320 ", un gros avion commercial de ligne lancé à 700 km/h, si on veut trouver plus phallique, il reste le lanceur de satellites orbitaux ! Plus haut , plus gros, plus fort.

Après avoir accusé les femmes, au lieu de chercher ce qui ne va pas chez eux, certains préfèrent accuser le féminisme : la preuve, trouvée par une twittas vigilante, un article de blog dont je ne vais pas mettre le rétro-lien, je ne tiens pas à le faire monter dans l'algorithme de Google en faisant cliquer dessus, sachez juste qu'il s'agit d'un masculiniste auto-proclamé "Alpha" qui écrit en anglais, et qui se propose de "briser les chaînes, gagner la partie et sauver la Civilisation Occidentale", rien de moins et avec des majuscules, s'il vous plaît !

Résumé : Ce pauvre Lubitz, 28 ans (la vie devant lui, co-pilote d'une filiale de la Lufthansa) "était un mâle Omega (notez l'Alpha hiérarchique qui considère l'Omega avec condescendance ou tout au moins en opposition avec lui) profondément amer et en colère qui effrayait les femmes à raison, car ils sont capables d'actes terribles et sans pitié d'auto-destruction ". Il le décrit d'après la photo le montrant assis, souriant près d'un pont, comme "un petit homme à calvitie naissante, un peu en surpoids (???), son métier montre qu'il est un peu plus intelligent que la norme MAIS son sourire incertain indique un rang socio-sexuel inférieur ". Le pauvre mâle Omega donc, qui ne s'accouple avec les femelles qu'en contrebande quand les alphas tournent le dos. On se pince devant une vision aussi réductrice des hommes entre eux. Toutefois, rajoute-t-il, "Lubitz est le seul à blâmer, même s'il est effrayant de penser à toutes ces vies qui pourraient être sauvées chaque année si les putes (SIC) de la planète étaient un peu moins sélectives et plus équitables dans leur distributions de pipes ", auxquelles les hommes ONT DROIT de DROIT DIVIN naturellement. Et de conclure son post du siècle : "A 28 ans, dans une société plus traditionnellement structurée (la tradition immuable, le temps cyclique, il n'y a que ça de vrai !) il aurait sans doute été marié. Il n'est donc pas impossible que les morts de la Germanwings représentent plus que les coûts indirects du féminisme ". Merci mec pour l'injonction faite aux femmes de faire infirmières soignantes palliatives de la rage et de la frustration masculines. On fait ce qu'on veut, d'abord. L'idéologie du mâle suprémaciste telle qu'on la lit ici n'est évidemment pas la plus largement répandue, mais tout de même, elle incite à rester sur ses gardes, les attaques au féminisme sont courantes et de plus en plus décomplexées.

Il est permis de penser que ce dont souffrait Lubitz, c'était d'un sentiment de "droit acquis lésé" (aggrieved entitlement), -voir article en lien ici - ce sentiment du masculin hégémonique qui fait d'eux des ayants-droit des considérations spéciales de la société, et quand ce droit est lésé (être dans les meilleures écoles, ne pas souffrir de la concurrence des femmes, noirs..., ne pas perdre le pouvoir, et sans doute dans ce cas précis, droit de devenir rapidement commandant de bord à la Lufthansa, plutôt que co-pilote dans une filiale low cost), ils passent à l'acte violent, estimant devoir se venger de la société qui ne tient pas compte de leur statut ; les symptômes de leur sociopathie ne sont détectables qu'après coup, car la société en général, les femmes de leur entourage aussi, sont indulgentes envers les divers comportements violents ou annonciateurs de violence chez les hommes, notamment les hommes blancs. Tout cela a un but : garder le pouvoir en faisant régner la terreur machiste.

Liens supplémentaires :  
Pourquoi ne parlerions-nous pas de violence et de masculinité par Soraya Chemaly
Désespéré ou tueur de masse ? Une interview de criminologue chez Atlantico
La capacité de terroriser par Andrea Dworkin sur mon blog
Le déclin de la virilité, ce modèle archaïque immémorial, résumé d'une conférence de Georges Vigarello.

8 commentaires:

  1. Pas du tout la même analyse.

    Bon, on est d'accord, la déception amoureuse, c'est de la merde en barre. Mais dire que le mec est un dominant alpha...

    Il est pilote dans une compagnie low cost. C'est à dire qu'il est précaire et mal payé par rapport à la norme de sa profession. Certes, tu parles de sa déception de ne pas être un dominant, mais ce que je retiens du témoignage de son ex, c'est ce que personne n'a l'air d'avoir retenu :

    "La nuit, il se réveillait et criait “Nous tombons” », en proie à des cauchemars. « Nous avons toujours beaucoup parlé du travail, et là, il devenait quelqu’un d’autre, il s’énervait à propos des conditions de travail. Pas assez d’argent, peur pour le contrat (de travail), trop de pression »"

    Ce qu'elle décrit, c'est plutôt un burn out à cause de mauvaises conditions de travail.

    Ryanair est le modèle organisationnel du low cost et si Lufthansa s'est fatigué à créer une sous-compagnie, c'est bien pour pouvoir récupérer du gras sur le dos du personnel, parce que c'est le modèle économique du low cost.

    Je crois que cet angle de compréhension est essentiel et qu'il est aussi assez volontairement laissé sous le boisseau.

    Sur ce que signifie concrètement le low cost en terme de conditions de travail : http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/tragedie-germanwings-haro-sur-le-165389

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ok, j'admets le low cost, les sacrifices de salaire (quoique avec 63 000 euros par an, je veux bien être précarisée au même salaire), la précarisation des conditions de travail, alors que le boulot reste quand même un boulot de prestige, à 28 ans, j'admets tout ça. Il reste quand même que les mecs dans ces situations perçues comme "déclassantes" répondent avec une violence hors norme : les plus précaires dans la société ce sont les femmes, nos métiers ont toujours été précaires, les femmes sont les premières "délestées" quand les entreprises ont un coup dur, nous sommes cantonnées aux tâches subalternes, aux bas salaires, nous ne sommes pas, nous, des seigneures de la terre, nous n'avons pas été socialisées avec la promesse qu'on nous doit des carrières et qu'on "pèse" 80 000 euros comme ils disent. Il y a d'autres moyens de défendre un métier une carrière qu'en se vengeant sur des passagers, même s'ils ne sont sans doute pas si innocents que cela parce qu'ils participent au système, ils veulent leur vacances low cost, vite et pas cher, comme ils veulent leur côte de porc sans savoir la détresse humaine (et animale) qu'il y a derrière, mais tout de même il faut questionner la violence masculine quand elle se manifeste de la sorte. J'ai été précarisée et déclassée de la même manière, il ne m'est pas venu à l'idée de détourner le TGV qui m'emmenait et me ramenait de Paris les innombrables fois où je m'y suis déplacée pour aller voir des cyniques qui me convoquaient juste pour voir ma bobine parce que j'étais la seule femme à avoir répondu à leurs postes d'ingénieure. Mais comme disait un de mes anciens patrons : je l'ai joué "petit bras", les femmes jouent petit bras, elles ne répondent jamais aux affronts de la société. Enfin, ce billet est aussi une analyse critique des "mecsplication" aux mauvaises actions masculines : les femmes toujours responsables de leurs malheurs, depuis la déception sentimentale jusqu'aux méfaits du féminisme forcément castrateur puisqu'il vise à rogner leur pouvoir délétère et mortifère.

      Je ne suis pas certaine que l'acte de Lubitz fasse avancer en quoi que ce soit la cause des salariés précaires, en revanche il signe une fois de plus la grande indulgence de la société à l'égard de la violence masculine, violence terroriste qui ne fera pas questionner la façon dont ils sont élevés et socialisés, tout cela sera mis sur le compte de la folie, explication commode. Merci de ton intérêt pour mes posts et de ton commentaire ;))

      Supprimer
  2. En fait, il est difficile de connaître les véritables motivations de cet homme étant donné qu'il n'a pas "signé" son acte meurtrier par un message écrit ou vocal comme le font beaucoup de terroristes masculinistes lorsqu'ils veulent marquer les esprits. Cela peut-être un burn-out comme le dit Le Monolecte aussi bien qu'un acte mûrement planifié. Ce qui est sûr en tous cas, c'est que ce type de comportement est effectivement masculin. D'après mon expérience personnelle et l'observation d'ami-e-s et de proches, les hommes adoptent nettement plus de conduites dangereuses, pour eux ou pour autrui, pour noyer leur chagrin pendant des périodes de dépression. S'alcooliser et prendre le volant ivre, il y a peu de femmes qui le font, elles auront plutôt tendance à rester recluses chez elles ou faire de la boulimie-anorexie, par exemple.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tout à fait ! Les femmes ne se suicident pas en groupe (sauf cas où elles sont abandonnées avec leurs enfants sans recours ni aide), il n'y a pas de suicides by cops, pas de suicides de masse, et si conduite dangereuse il y a, elles ne mettent qu'elles-mêmes en danger.

      Supprimer
  3. J'aime vos articles, mais je dois avouer qu'une phrase de votre réponse à Le monolecte m'a un peu déçue. Je ne sais pas quel est votre niveau de vie et je ne veux pas le savoir. Mais là, grâce à vous je me sens quelqu'un de mauvais parce que pour des raisons financières, je n'ai pas les moyens de m'offrir autre chose si je veux pouvoir découvrir des cultures étrangères une fois tous les deux ans maintenant je saurais qu'au lieu d'économiser et de rogner sur tout pendant ces deux ans, je dois rester pourrir dans ma banlieue qui se fait régulièrement cracher dessus par les médias comme la petite rsarde que je suis. Sympa le raccourci quand vous dénoncez régulièrement la précarité des femmes...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je suppose que vous parlez de ma remarque sur la responsabilité des client-es du low cost : sachez que sans doute nos situations sont ou ont été comparables ; je ne prends l'avion qu'à reculons personnellement, je préfère ma voiture ou le train, je sais, ça limite. Je l'ai quelquefois pris pour des voyages d'affaires mais absolument rien de comparable avec l'usage qu'en font les "hommes d'affaires", avions, d'ailleurs où j'étais souvent la seule passagère ! Pour le reste, effectivement, je suis assez contre le tourisme, cette industrie de masse qui défigure les paysages pour complaire le plus souvent à des retraités qui veulent aller à l'étranger, mais pour faire comme chez eux, notamment en matière de cuisine. Et j'ai proprement horreur de l'avion, ce n'est du tout une phobie, mais j'en sors mal portante. Je sens que je ne marque pas de points, là, tant pis. Merci en tous cas de votre intérêt pour mon blog et de votre fidélité ;)))
      PS J'adhère totalement à votre critique des médias méprisants pour les pauvres, traitant plus souvent qu'à leur tour les chômeuses de fainéantes. Quand on ne peut pas éradiquer un phénomène, on en vilipende les victimes. Mais je ne suis pas du tout dans cet état d'esprit. Je plaide juste pour plus de responsabilité des consommateurs. C'est tout.

      Supprimer
  4. Pour éviter de faire de la pub, on peut utiliser l'option "nofollow" sur les liens (qui dit à google de ne pas le suivre), mettre un lien vers le cache google, ou utiliser le site "donotlink" pour rediriger l'url.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, je vais creuser ça. Je sais que c'est frustrant. Le lien est sur ce tweet
      https://twitter.com/nebehrgudahtt/status/581424012049453056

      Supprimer