"La société telle que nous
la connaissons a un besoin pervers de créer « l'Autre »
comme objet de condamnation, ainsi ceux qui condamnent peuvent selon
leur jugement se trouver bons. [...] Eve en est une production. Elle
représente la catégorie dans laquelle la tradition
chrétienne a placé toutes les femmes qui n'ont pas
réussi à imiter l'étonnant modèle de la
vierge qui est aussi mère.
On trouve un aperçu du comment la création
du statut de « bouc émissaire » a servi
une société sexiste dans les proclamations théologiques sur le sujet de la
prostitution. Augustin écrit :
Qu'est-ce qui peut être plus sordide, plus exempt de modestie, plus honteux que les prostituées, les bordels et toutes ces sortes de maux ? Cependant, retirez les prostituées des affaires humaines et vous allez tout polluer avec la luxure ; mettez-les au milieu d'honnêtes matrones, et la turpitude et la disgrâce vont déshonorer toutes choses.
Pour embellir ce morceau de sagesse
mâle, Thomas d'Aquin remarque :
... la prostitution dans le monde
[est] comme la saleté dans la mer ou le tout à l'égout
dans un palais. Enlevez le tout à l'égout et vous
allez remplir le palais de pollution ; même chose avec la
saleté dans la mer. Enlevez les prostituées du monde et
vous allez le remplir de sodomie... d'où Augustin excipe ...
que les cités de la terre ont fait de l'utilisation des
putains une immoralité légale.
Le fait est que les
prostituées - "les plus grandes gardiennes de la
vertu" pour réutiliser la phrase de Lecky,
historien de la morale- se sont vu accorder le privilège de
valves de sécurité pour les hommes. Ce qui soulève
d'intéressantes questions : la luxure de QUI polluerait
toutes choses sans eux ? Et la vertu de QUI est ainsi conservée
? Sûrement pas la vertu des prostituées ni celle des
hommes qui les utilisent. Donc, il semble que ce soit la « vertu »
des honnêtes matrones qui n'ont pas de tels exutoires pour
leurs désirs sexuels et dont la « vertu »
consisterait moins à être destinées à la
fonction de tout à l'égout pour les hommes qui ne sont
pas leurs époux et qui, conséquemment, ne porteront pas
d'enfants illégitimes. Ce qui fait qu'elles restent la
propriété non souillée et privée de leurs
époux (ou de leurs pères dans le cas des filles
vierges). La société ainsi structurée requiert
donc cette caste déchue. L'existence de femmes « honnêtes »
selon les standards mâles de la propriété
inviolée requiert l'existence de « mauvaises »
femmes qui deviennent les boucs émissaires de la culpabilité
sexuelle mâle.
Même de nos
jours, les lois montrent ce travers. Aux Etats-Unis, dans la plupart
des états, les hommes ne sont pas punis directement pour
leur commerce avec des prostituées. Même dans les états
où ce crime est reconnu, des interprétations
restrictives conduisent souvent à l'exonération des
clients mâles de prostituées. Dans les temps modernes,
les définitions mêmes de la prostitution continuent de
révéler un double standard. Il a été
défini par exemple « comme la pratique d'une femme
offrant son corps pour tout type de rapports avec un homme contre
argent ou équivalent » ; comme « tout
type de rapport sexuel avec un homme contre compensation »
; et comme « lascivité commune d'une femme contre
un gain ». Cette vision partisane et unilatérale du
problème contenue dans ces définitions montre l'acte de
la femme comme criminel, tout en ignorant la responsabilité du
deuxième partenaire mâle.
Il semble dans le
même temps que le rejet primordial des femmes dans le rôle
de « l'Autre » ait produit une seconde
dichotomie entre vertueuses et mauvaises femmes. Cela paraît
étonnant du fait que les autres groupes opprimés ne
sont pas « dichotomisés » de façon
aussi drastique. Aux Etats-Unis les noirs considérés
comme « Oncles Toms »* sont appréciés
et bien traités, mais pas placés sur un piédestal.
Cette dichotomie frappante entre femmes, si on y réfléchit,
peut être comprise par le fait qu'elles sont le seul groupe
opprimé dispersé parmi le groupe de rang supérieur
et intimement attachées au « maître »
par des liens biologiques, émotionnels, sociaux, et
économiques. A cause de l'identification des hommes avec
« leurs » femmes en tant qu'autre, il serait
contre-productif de proclamer toutes les femmes mauvaises.
Dans le même
temps, le rejet des femmes dans une altérité de caste
supplante l'identification que les hommes ressentent pour quelques
femmes en tant que possessions proclamant leurs accomplissements et
servant leurs intérêts. Avec pour conséquence que
la « vertu » attribuée à
quelques-unes n'est pas l'excellence d'une personne accomplie, mais
celle d'une créature impuissante, manquant de connaissances et
d'expérience. [....] Dans le cas de l'idéal de vertu
imposé aux femmes, il y a une aura spéciale de
glorification d'un idéal symbolisé par Marie. Cet idéal
impossible à une fonction punitive, parce que bien sûr
aucune femme ne peut l'atteindre (Considérez l'impossibilité
d'être à la fois vierge et mère). Il rejette et
renvoie donc toutes les femmes au statut d'Eve et renforce
essentiellement le statut universel des femmes en tant que basse
caste".
Traduit de Mary Daly in Beyond God the father.
* Ce texte a été
publié en 1973. « Uncle Tom » aux
Etats-Unis est aujourd'hui une insulte grave contre un noir, en
tous cas d'après ce qu'un de mes professeurs d'anglais
américain nous avait bien fait comprendre.
Lien : De DSK à L'Apollonide, la marchandisation du corps des femmes
"une seconde dichotomie entre vertueuses et mauvaises femmes"
RépondreSupprimer"la « vertu » attribuée à quelques-unes n'est pas l'excellence d'une personne accomplie, mais celle d'une créature impuissante, manquant de connaissances et d'expérience".
Génial ce texte.
Il rejoint totalement l'analyse que l'on peut faire des contes.
D'un coté l'excessivement mauvaise femme et de l'autre l'excessivement douce jeune fille (inoffensive) et aucun personnage féminin ne représentant la femme normale !
Tout a fait : la méchante (active) ou la gentille passive inoffensive ; jamais l'être humain normal "configuratrice du monde" comme disait Heidegger en employant le masculin (of course !). Si elle exerce sa transcendance sur le monde, celle-ci est forcément maléfique. :((
SupprimerDes prostituées pour qu'il y ait des mères chastes, c'est bien de moralisme puritain qu'il est question dans la prostitution et chez les règlementaristes. Et pourtant, c'est aux abolitionnistes qu'il est reproché dans une mauvaise foi sans bornes.
RépondreSupprimerBien sûr, accuser les abolitonnistes de puritanisme est une tromperie et une manipulation pour nous vendre leur pseudo libéralisme du tout est à vendre après le détournement de "mon corps m'appartient" ; vente à la découpe, organe par organe. C'est une récupération de slogan féministe.
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