vendredi 28 janvier 2011

Au coeur de l'industrie : une journée au Bureau d'Etudes

Une journée ordinaire d'ingénieure commerciale dans un bureau d'études (BE) qui propose des prestations de Recherche et développement (R & D) à des industriels. Je suis à mon bureau où je prends mes rendez-vous. Le standard est tenu par une assistante, mais quand elle n'est pas là, les réponses aux appels se répartissent en cascade sur le commercial junior (stagiaire) et puis sur les autres commerciaux par ordre de séniorité. Ça a l'air compliqué mais ça marche !

Justement le téléphone sonne et entendant trois sonneries, je décroche : Bureau d'études Machin Truc Associés, Bonjour. Une très urbaine mais ferme dame au bout du fil me demande de parler à Monsieur Laurent Machin ou Emmanuel Truc, les deux dirigeants. Bien sûr, je vais voir s'ils sont là, qui les demande ? Vous remarquerez que j'évite soigneusement les très classieux keskecé, cétakelsujè dédiés habituellement aux malheureux qui ont l'impudence d'appeler une entreprise française ! Oh, bien sûr, je suis Madame Piedboeuf de l'entreprise Gros Camion de Z, je suis la Directrice des Achats, me répond-elle.

Une dirigeante et de leur principal client encore, ils ont en effet, je ne sais par quel miracle -il y a manifestement un petit dieu qui compatit au sort des petits entrepreneurs-, ils ont donc l'entreprise Gros Camion, fabricant international de poids lourds dans leur porte feuille client !

Je fais immédiatement sonner le téléphone de Emmanuel Truc, LE dirigeant en chef du BE, en pure perte, naturellement. Il n'est pas là, de toutes façons il n'est QUE 9 H, et il n'arrive jamais avant 10 H, puisqu'il vaconduirelesenfantsàlécole, concession à Madame sa femme, ce qui lui permet de traîner le soir au bureau jusqu'à point d'heure.
Quand à Laurent Machin, je fais sonner aussi, mais je sais que c'est peine perdue, personne, absolument personne ne sachant jamais où il est, d'ailleurs tout le monde subodore qu'il est aux fraises au printemps et aux champignons ou aux châtaignes l'hiver, en fonction de la météo, puisque son emploi du temps est l'une des choses les plus opaques de l'entreprise. Et je reviens vers mon interlocutrice, prends le message et les numéros de téléphone en promettant de suivre l'affaire. Réflexe professionnel : si c'était un de mes clients, j'apprécierais qu'on en fît
autant ! Je laisse des voice mails partout, double par des mails dans leurs boîtes respectives. Je ne les verrai ni ne les entendrai de la journée.
Le soir, vers 18 H, prise d'un doute, je rappelle les boîtes vocales, relaisse des messages, mets des post-it sur leurs portes ou leurs bureaux, vérifie avec l'assistante OU ils peuvent bien être, elle n'en sait  RIEN.

Je me doute toutefois d'où se trouve Emmanuel Truc : sa principale activité chronophage, c'est la quête auprès d'organismes paroissiaux fournisseurs de subventions, prêts à taux bonifiés  (OSEO-ANVAR) et autres statuts avantageux de JEI (Jeune Entreprise Innovante) et CIR (Crédit Impôt Recherche -niche fiscale depuis peu) que ces bonnes filles que sont la Région, l'Etat et les collectivités locales leur accordent généreusement -sans aucune contre-partie éthique, je suis dans une boîte de mecs, la seule de mon espèce, sous stricte surveillance. Et ils sont plus doués pour faire la quête aux aides publiques* qu'à aller prospecter les entreprises du bassin économique pour rapporter du chiffre d'affaires. Je suis pratiquement dans le couloir vers la sortie quand mon téléphone sonne : c'est Laurent Machin qui veut savoir si quelqu'un a rappelé cette dame pour laquelle j'ai laissé des messages ! Je suis au bord de l'explosion ; je lui dit n'en rien savoir et j'attire son attention calmement sur l'importance me semble-t-il de la rappeler, vu ses responsabilités. Je ne vais quand même pas être obligée de lui faire un dessin ?
- Mais qui c'est cette bonne femme, d'abord, et qu'est-ce qu'elle veut ? entends-je dans mon combiné, je n'en crois pas mes sens ! D'habitude on a affaire à Mr Bidule, pas à une bonne femme ! (sic).
Non mais c'est inouï ! Je hasarde que peut être Gros Camion a changé de DirectRICE des Achats ou alors que jusqu'à maintenant Machin Truc Associés avait affaire à la brute qui bourre la chaudière, Monsieur Bidule, en le prenant pour une pointure de la Direction, une sinistre habitude des boîtes de techniciens qui confondent ingénieur avec décideur-e ?  Et que la CHEFFE a décidé de reprendre les choses en mains ? Autrement exprimé, mais l'idée y est.
La conversation terminée, je rentre chez moi, qu'ils se débrouillent.

Le lendemain matin, je prépare ma journée : je vais DEHORS, en visite clients, ouf, ça va me faire des vacances. J'ai horreur d'être enfermée. Je vérifie que j'ai tous mes dossiers, mes documentations, cartes de visite, et... tout étant au cordeau, je monte à la cuisine vers 9 H 30 me faire un café mérité. La cafetière potpotpotpote sur son support électrique, ça embaume. Je suis à peine servie que je vois Emmanuel Truc entrer, le poil humide, des valises sous les yeux, il doit avoir la truffe sèche, signe de fièvre, et son épi rebelle pointe comme une antenne irrésistiblement attirée par la cafetière. On dirait un bédouin qui a trois semaines de désert dans les sandales et qui rencontre enfin un point d'eau ! Bin dis donc, mais qu'est-ce qu'il fait de ses nuits ?

Bonjour, Emmanuel ! -Hon, hon, l'entends-je répondre. Décidément, c'est grave, je vais le laisser boire son remontant, attendre qu'il fasse effet (et par voie orale ça peut prendre du temps, peut-être que par voie sous-cutanée ou en intra-veineuse ?) en sirotant le mien. Après tout, on pas obligés de tout le temps se parler.
- Au fait, on a eu Madame Piedboeuf au téléphone !
- Ah, bon, ce n'était pas grave au moins ?
- Elle voulait juste nous voir, et comme on l'a jointe hier soir à 20 heures, ça a fait un peu court, on avait RV avec elle ce matin à 8 heures ! Vous aviez raison, c'est la nouvelle Directrice des Achats.
Dit d'une voix un peu faiblarde. Donc, elle les a bien convoqués et les a fait venir ventre à terre pour se présenter eux et leur boîte, et dès potron minet en plus. Je commence à comprendre : il s'est levé aux aurores et a dû négocier au débotté avec Madame (qui a un poste de cadre et les impératifs qui vont avec dans un entreprise du coin) le convoyage des enfants à l'école !  Mon intuition était la bonne. Ça réchauffe, ce genre de nouvelle : si j'avais été Piedboeuf, j'aurais exigé une rencontre à 7 heures, histoire de bien marquer qui tient qui par les couilles (Promis, dans le prochain billet j'évite le mot couille). Je me dis que j'ai raté une vocation de directrice des achats, et que je vais m'en mordre les doigts tous les jours que fera la Grande Déesse Cosmique désormais ! Quel beau métier tout de même !
* On estime qu'entre 40 à 80 milliards d'euros "tombent" sur le entreprises en une année sous diverses formes : subventions, prêts à taux bonifiés, exonérations de charges ou de taxes, crédit d'impôts divers, le tout sans aucun contrôle ni aucune obligation étique (parité hommes-femmes, embauche de handicapés, ouverture de postes aux français d'origine différente, non discrimination des eros minoritaires, bonnes pratiques environnementales et sociales, etc...) !























Mes références à Amazon ne sont pas sponsorisées.

10 commentaires:

  1. Merci à ma nouvelle "membre" (et aux autres !) de son intérêt pour mon blog. Comme je ne sais pas comment répondre via Google, je le fais dans les commentaires. :)))

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  2. Superbe témoignage ! Tu décris très bien comment les hommes pensent le monde sans les femmes !
    Je me demandais du coup si tu avais vu ce film que je viens de visionner au cinéma :
    http://www.youtube.com/watch?v=wxUC2wC-rY4
    malgré son titre, il s'agit de la lutte pour l'égalité des salaires. Il est tout à fait jubilatoire.

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  3. @ Euterpe : D'après imdb.com "Made in Dagenham", film qui doit être anglais est sorti en 2010 en Hollande aussi ; il a été vu en France au Festival du film britannique de Dinard mais je n'ai rien entendu sur une distribution en salle ailleurs en France. Tu as de la chance de l'avoir vu, il est couvert de nominations au BAFTA film awards, une académie britannique.

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  4. Ca fait du bien quand même de voir un macho prendre conscience que les femmes existent, peuvent être directrices et leur imposer des contraintes. Tu as dû te régaler !!!

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  5. @ Héloïse : parfaitement bien vu, l'anecdote est rigoureusement exacte et il s'agit d'une basse vengeance personnelle. De temps en temps, ça soulage et ça démontre que dans les entreprises, ils ne sont pas des flèches, ni intouchables. Ils nous bassinent tellement avec la "douteuse" compétence des femmes !

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  6. A Hypathie : oui en effet ! Le titre original est "Made in Dagenham" ! Les allemands ont trouvé super rigolo de l'appeler "We want sex" parce qu'un moment donné dans le film les femmes se baladent avec une banderole "we want sex equality" mais comme elle n'est pas complètement déroulée, on en voit que le début...arf arf:-s

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  7. @ Euterpe : c'est quand même dingue, on ne peut pas y échapper : minorer, péjorer, décrédibiliser, alors que d'après ce qu'on comprend il s'agit d'une lutte sociale : we want sex equality !

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  8. Une dernière fois sur ce film : j'ai trouvé un trailer traduit (mais pas génialement à vrai dire : http://www.youtube.com/watch?v=zLsP8TQbOLg) en francais parce que les QUÉBECOIS.ES l'ont synchronisé et il est diffusé en salle depuis le 21 janvier 2011 au Québec ! Je parierais que le film ne va même pas passer en France...

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  9. @ Euterpe : Ne désespérons pas ! Mais c'est vrai qu'il est considéré comme mieux de faire de la place à de gros blockbusters français ratés comme Rien à déclarer !

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  10. Comme je ne sais toujours pas envoyer de message par Google, merci à Saab (nouvelle membre) de son intérêt pour mon blog.
    :)))

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