mardi 18 janvier 2011

Deux sexes et rien d'autre ?

A l'occasion de la diffusion de "Naître ni fille ni garçon" diffusé sur
France 3 le dimanche 21 novembre dernier, excellent documentaire que j'ai vu, et dont malheureusement je n'ai pas trouvé d'extrait, les réflexions sur le genre s'imposent enfin à la société. Une fois évacuées les problématiques de santé, de malformations dues ou non à la pollution de l'environnement, les problèmes psychiques et sociaux que tout cela pose et qu'il n'est pas question de nier, il est tout de même frappant de voir qu'après avoir surmonté sa gêne face aux intersexués, la société nous met en devoir à tout moment de spécifier clairement à quel sexe nous appartenons ! Et ça laisse l'impression tenace que tout cela sert à savoir qui va faire le secrétariat et les cafés au bureau, se taper les travaux ménager et la cuisine, et qui va aller chercher les enfants à l'école en faisant un détour par la boulangerie en rentrant !

Pour mieux expliquer ce que je viens d'écrire, je me réfère à d'un débat sur France 2 abordant le sujet, où un militant intersexe, Vincent (qu'on aperçoit dans l'extrait vidéo ci-dessous) faisait bien comprendre aux téléspectateurs comment on lui avait fait spécifier un sexe à coup de médicaments et de chirurgie, sans rien lui dire au préalable ni sans recueillir son consentement, histoire de le/la faire sortir de l'indécision (!!) où la biologie l'avait placé-e, où il utilisait clairement les mots normalisation, assignation et mutilation, en insistant parfaitement sur la différence entre sexe et genre, le genre étant le sexe social avec hiérarchie entre le masculin et le féminin. Évidemment, je laisse au médecin qui prétend qu'il y a un cerveau masculin et un cerveau féminin la responsabilité de ce qu'il dit. On n'est pas obligé d'adhérer.

Médicalement parlant, l'indifférenciation sexuée toucherait une naissance sur 700 à 2 000 en fonction des affections, et il y aurait 8 caryotypes sexuels différents dans l'espèce humaine ; le sexe féminin est bien premier parce que tous les fœtus sont féminins jusqu'à la 7ème semaine, moment où se produit un signal du cerveau qui différencie, sauf accident (mais est-ce un accident ou est-ce nous qui l'appelons ainsi ?) entre la 7ème et la 8ème semaine les organes sexuels sous l'influence de la testostérone. On a fait du chemin depuis les temps où Aristote (un grand ami des femmes) "décréte que la mère ne transmet pas ses propres caractères à l'enfant. Elle n'est que le réceptacle, le vase qui recueille la semence du père, pourvoit à son développement dans son ventre, puis met au monde l'enfant. Aristote dit que l'homme donne la forme, le principe vital, la femme fournit la matière qui nourrit la petite graine déjà préconçue par son partenaire qui informe cette matière".* Il a ainsi influencé des siècles de scientifiques, prélats et philosophes !

Voici un bel exemple de dualisme malgré de nombreuses précautions oratoires :

Hermaphrodisme-pierredesvaux-sergehefez
envoyé par jmphoenix2. - L'info internationale vidéo.

Télérama livre un article sur le sujet ICI (en montrant des corps nus, c'est devenu une habitude narcissique !) en expliquant pourquoi la question du genre est politique : discrimination à l'embauche, écarts de salaires même pour les femmes qui choisissent de ne pas avoir d'enfants et font carrière, assignation aux tâches ménagères, choix de métiers réduit, mal payés, etc... Toutefois, le concept de genre selon le magazine ne serait pas une invention des féministes, malgré le "On ne nait pas femme, on le devient" de Simone de Beauvoir, mais une idée des médecins qui ont traité les bébés "hermaphrodites" comme on disait à l'époque ! Des médecins préoccupés de biologie, de génétique et de chirurgie réparatrice qui inventeraient le concept éminemment social et politique de genre ? Tiens, une fois de plus, on ne doit rien aux féministes ! Comme à chaque fois qu'une idée exposée et martelée par le féminisme passe dans le corpus des sciences sociales, devenant ainsi un sujet de société non tabou donc mainstream ? C'est quand même dingue !

Bonne nouvelle toutefois, Science Po Paris à la rentrée 2011 va introduire un enseignement obligatoire sur les problématiques de genre (sexe social avec hiérarchie entre le masculin et le féminin) pour tous les étudiants. Et les féministes n'y seraient pour rien ? Si Télérama le dit....

Et si on arrêtait le genre ? Il ne fait pas bon être entre deux, ou être un éros minoritaire, gay ou lesbienne, dans la société majoritaire hétérosexuelle.


Pour en savoir plus sur le sujet en se divertissant tant qu'à faire, on peut recommander la lecture du magnifique roman de Jeffrey Eugenides, prix Pullitzer Littérature 2003, Middlesex, où sur fond de 50 ans d'histoire contemporaine américaine on voit des migrants grecs s'intégrer dans le creuset américain et l'héroïne une fille/garçon résistante, beau personnage de roman, Calliope, refuser l'assignation de la société et accepter de vivre en étant les deux sexes à la fois. Un roman libérateur.

* Citation tirée de Les putains du Diable d'Armelle Lebras-Chopard chez Plon

8 commentaires:

  1. Bonjour Hypathie,

    Je me souviens avoir entendu dire, il y a quelques années, qu'un pays (européen ?) réfléchissait à supprimer l'indication de la "civilité" (monsieur ou madame) sur les documents administratifs. Malheureusement, je ne me souviens pas du pays en question. Est-ce que ça te dit quelque chose ?

    Je suppose que ça n'a jamais abouti. Il faut dire que ce serait un sacré coup de pied dans les mentalités !

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  2. Hello Clumsybaby, ça ne me dit rien ; en revanche, pas mal d'associations féministes demandent le retrait pur et simple de la mention de sexe sur tous papiers d'identité. Le sexe est une notion fluctuante : il y a des transgenres, par exemple. Et puis, ça vous classe instantanément dans une catégorie : celle qui sert les cafés et ceux qui sont servis, celles qui font les photocopies et ceux à qui on les fait ! Et ce qui serait bien, ce serait de supprimer Madame et Monsieur sur les CV et de ne mettre que l'initiale de son prénom. Les choses seraient changées en première short-list au moins et cela donnerait des chances supplémentaires aux femmes recalées sur leur sexe dès la lecture du CV !

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  3. Quand le magazine féministe allemand "Emma" imprime un sondage dans ses pages, il donne toujours trois cases à cocher pour le sexe : féminin, masculin, autre. Quant il publie les résultats, on s'apercoit qu'il y a un certain nombre de gens qui ont coché "autre". Certains écrivent pour remercier le magazine.
    A Kreuzberg, il y a régulièrement des manifs de ces "autres" pour obtenir la reconnaissance de leur sexe ni féminin ni masculin. Peut-être que Clumsybaby parle de l'allemagne car ici on entend beaucoup parlé du 3e sexe.

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  4. @ Euterpe : Génial ce magazine décidément ! Dommage qu'on n'ait pas l'équivalent en France.

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  5. @ Emelire : tout à fait d'accord. Une case "autre", ça permet aussi d'être évaluée (réponses, personnalité...) à l'aveugle, c'est à dire scientifiquement, sans toute la pollution cognitive et stéréotypée qui joue tellement contre nous !

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  6. Les intersexes sont la preuve, bien planquée, que le clivage femme/homme est artificiel et que les sexes (organes) et le code génétique se situent sur un axe discontinu.

    Moi aussi j'avais tiqué sur l'article de Télérama et son sous-entendu otant aux féministes la maternité du concept de genre. Classique, il fallait bien que médecins et chercheurs (majoritairement masculins) satisfassent leur égo. On pourrait l'appeler comme tous les autres pillages "le coup de l'homme de Vitruve".

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  7. Concernant Aristote, ça va très loin. On peut lire ceci sur cette page :
    http://www.feministes.net/science_ordre_social.htm

    «Dans le cadre conceptuel d'Aristote, la femme est un être de matière qui aurait tendance à proliférer de façon anarchique et monstrueuse si elle n'était maîtrisée et dominée par la force du pneuma de la semence masculine, semence stockée dans la tête de l'homme dont le pneuma apporte le souffle, mais aussi l'esprit, la forme humaine, l'identité, la vie, valeurs nobles opposées à la matière féminine indifférenciée. Si la femme est capable d'enfanter les enfants des deux sexes, un rapport réussi impose la forme masculine. Par contre, la naissance d'une fille signe l'échec du masculin à cause de la tendance féminine à l'anarchie ce qui constitue la première étape vers la monstruosité (6). Ce faisant, Aristote n'invente rien : Hippocrate soutenait déjà un siècle auparavant que l'utérus des femmes leur tient lieu de cerveau : tota mulier in utero.»

    Quand je pense que des gens aujourd'hui osent dire que les Grecs anciens sont les fondateurs de la démocratie alors qu'ils excluaient les femmes de l'Assemblée et les considéraient comme des monstres. J'appelle ça du révisionnisme. Les Grecs ont inventé la phallocratie mais appeler démocratie un système qui exclut la moitié de la population, c'est plutôt malvenu.

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  8. @ Pierregr : merci de votre visite et de votre contribution au débat. Les grecs inventeurs de la démocratie excluaient les femmes (bien qu'il y ait de beaux personnages de femmes chez Socrate dans le banquet par ex) et autorisaient l'esclavage. :(((
    "Mulier tota in utero" et "anatomie est destin" de Freud se font bien écho, non ? Tout ceci s'explique parce que le masculin s'est constitué CONTRE le féminin ; ce qui embêtait tous ces illustres personnages, c'est bien que les femmes "fabriquent" de la différence, les filles mais aussi les garçons !

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