Dans Stratégies de la framboise, sa "trousse de survie de l'humanité" (dit la 4ème de couverture), Dominique Louise Pélegrin raconte ses "aventures potagères" sur un mode décalé et amusant tout en étant didactique, en remplaçant les chapitres de son livre par des "Planches", les fameuses planches de légumes qu'elle tente de cultiver malgré les revers infligés par une chouette insomniaque et une taupe
folle ! J'avais lu ce livre lors de sa sortie en 2003 et il m'avait bien plu.
Voici deux citations qui illustrent de façon moins scientifique mais toutefois plus distrayante, ce que dit Christine DELPHY dans Penser le genre, le deuxième tome de L'ennemi Principal : le travail des femmes est SANS VALEUR, il ne compte pas dans les PIB*nationaux. Mon propos, ni celui de D L Pélegrin n'est pas bien entendu de prôner le retour des femmes à la cuisine par la culture du poireau, mais bien de montrer la façon dont le travail des femmes est traité selon sa destination, soit un éternel travail sans valeur (quand il se fait à l'intérieur du foyer) ou au maximum d'appoint mais salarié quand il est exécuté à l'extérieur !
" Si le poireau sort du rang, c'est toujours avec sa copine la ménagère. Ses feuilles très vertes, foisonnantes, dépassent de son panier et en constituent le principal ornement. Dans nos mythologies, la ménagère -personnage étonnant, on en parle plus qu'on ne la voit- ne sort jamais sans son panier, d'où dépasse donc le poireau. On sait qu'elle a parfois moins de cinquante ans, parfois plus, ce qui est une bien curieuse manière de définir les gens. L'âge du poireau n'est jamais précisé. Quand au panier, c'est lui le personnage principal. Le panier de la ménagère émarge à la comptabilité nationale. A la radio, c'est de lui qu'on parle.
La ménagère, malheureusement pour elle, s'est bien mal débrouillée. Tout ce qu'elle fait semble dépourvu de valeur. Une fois qu'elle a payé ses poireaux au marché, elle disparaît des échanges marchands ; or, dans notre merveilleuse société, rien d'autre ne semble exister. Qu'elle se débatte donc avec les limaces, qu'elle prépare un bon gratin pour sa famille ! Ce n'est pas considéré comme création de richesses. Au même moment, dans le restaurant le plus proche, l'employé qui lave les légumes touche un salaire. Le plat du jour, "gratin de poireaux", est affiché à tel prix, TVA comprise.
Les pieds dans la boue, la ménagère a peut être arraché les poireaux à l'aide d'une fourche, elle a abattu son couteau sur un assortiment de rubans bleus, humides et encombrants avant de fendre tout l'engrainement du poireau et de le porter sur la table de la cuisine. Si le poireau provient du potager, le fameux panier n'intervient pas ; or, comme on l'a vu, lui seul compte. Donc, dans ces cas-là, tout est gratuit et rien n'existe. On sent qu'elles sont bizarres, ces manières de compter qui nient toute l'autoconsommation des familles".
"L'élevage et le travail des champs rapportent de l'argent. Le labeur du jardin et les mille autres tâches féminines permettent surtout d'en économiser. [....] Dans le système de la ferme, un homme qui a travaillé dehors pendant des heures est en droit de trouver la table mise, du vin dans la carafe, le pain coupé, la salade dans le saladier, des légumes chauds, [....] bref, quelque chose d'élaboré et de bien présenté. Le repas est un moment important, une récompense, le moyen de refaire ses forces. La réciproque n'est pas vraie : si une femme a travaillé particulièrement dur, jamais elle ne pourra s'asseoir et attendre ce cadeau merveilleux, que tout soit prêt quand elle arrive affamée, qu'on pose à côté de sa cuiller des plats chauds et odorants".
Christine Delphy que DL Pélegrin a lue c'est certain, compare aussi le même travail : salarié quand il se fait dans un restaurant et gratuit quand il s'agit de la cuisine familiale, et le travail des fermières payé quand elles vendent leurs produits sur les marchés et gratuit quand il est destiné à nourrir leur famille. Les PIB masculins ne reconnaissent que l'échange marchand et il sont basés sur l'exploitation, la dilapidation et la destruction des ressources naturelles, cadeaux de la nature et les femmes, j'en ai bien peur, font partie des "ressources naturelles", ressources -cadeaux de la nature, disponibles et abondantes !
* PIB : Produit Intérieur Brut
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C'est ça exactement: les femmes font partie des ressources naturelles donc exploitables à l'envi.
RépondreSupprimerPourtant les féministes MLF en avaient fait l'une de leurs principales analyses de l'exploitation économique des femmes mais, le sujet étant jugé trop trivial sûrement, on n'a pas avancé d'un centimètre à ce sujet. Les femmes continuent de cuisiner gratuitement des poireaux alors qu'à deux pas il y a une personne qui exécute la même tâche pour un salaire ...
Dire qu'on nous présente la famille comme la seule voie d'épanouissement pour les femmes alors qu'en regardant avec lucidité ce qui s'y passe c'est le lieu par excellence de leur asservissement. Sans compter que c'est lieu où elles sont le moins en sécurité (cf. Dworkin).
Avant le Concile de Trente, l'asservissement de la femme aux tâches ménagères n'était pas clairement institué avec décret noir sur blanc ratifié par un aéropage masculin. J'ai tendance à penser que l'émergence du protocapitalisme à la Renaissance l'a directement généré. On commencait à exploiter les "sauvages" du Nouveau Monde, on s'est dit que les femmes pouvaient tout aussi bien constituer une "main d'oeuvre" gratuite sur place en les assignant sous des prétextes fallacieux officiellement aux tâches ménagères. Pour mettre fin à cet asservissement institué il faudrait une vraie révision du décret Tametsi de la part des religieux. Un acte qui aurait une charge symbolique énorme et ferait immédiatement changer les choses. Des hommes de pouvoir annulant officiellement un décret sexiste digne d'une véritable loi sur l'esclavage contribueraient à modifier le comportement de la majorité des bonshommes, j'en suis persuadée.
RépondreSupprimer@ Héloïse : en fait, la seule avancée qu'il y ait eu, pour mieux renforcer l'idée que la place des femmes est à la cuisine, c'est le plat préparé qu'il n'y a plus qu'à mettre au micro-onde ! D'ailleurs, certains cyniques font leur pub en disant que ces produits font les femmes sortir plus rapidement de "leur" cuisine, comme faisait l'électro-ménager dans les années 50 - 60 ! Ils en ont vendu des tonnes avec ce slogan.
RépondreSupprimerEt effectivement, elles n'y sont même pas en sécurité dans "leur" cuisine !
@ Euterpe : J'aimerais te croire ; cependant, l'exploitation du travail "gratuit" des femmes est tellement ancien et intriqué dans toutes les cultures humaines sur l'ensemble de la planète qu'on est en droit de penser qu'il est une caractéristique de la seule humanité. Cette exploitation est d'ailleurs le socle de toutes les autres exploitations : ouvriers, colonisés, esclaves dans les sociétés antiques. D'ailleurs Aristote ne disait-il pas : les plébéiens (par opposition aux patriciens) n'ont pas d'esclaves, MAIS ils sont leur femme !
@ cmP (Membre) : merci pour votre soutien !
Le travail de la femme est sans fin et sans horaires comme si c'était une évidence, un peu comme une bête de somme, quoi, qui avance même si elle en peut plus. Et même des horaires de nuit si le gosse est malade, qu'il faut le changer, changer le lit et le veiller alors que le père ronfle fort. A 5 heures, il faudra quand même qu'elle fasse la première traite et les soins aux animaux, avant de préparer les gosses pour l'école, etc...
RépondreSupprimerJ'ai pas mal de copines plus jeunes que moi, avec gosses et qui travaillent à s'occuper de la maison, dont la vie me sidère parfois, tant elles semblent trouver " normal " que leurs mecs leur reprochent de rien foutre de la journée...
@ Angèle : "J'ai pas mal de copines plus jeunes que moi, avec gosses et qui travaillent à s'occuper de la maison,..." : méthodologiquement, c'est la première génération d'esclaves qui est difficile à mater, il faut les attacher, les battre, pendre les fuyards, couper des mains tous les 10 individus comme faisait Léopold 1er au Congo belge ; à la seconde génération, ça va tout seul, les esclaves adhèrent au mode de domination voire houspillent celles/ceux qui renâclent et traînent les pieds ; modèle emblématique : la "mamma" noire d'Autant en emporte le vent. Elle houspille sans arrêt les "mauvais nègres" qui volent, paressent et dépassent leur condition d'asservis. Ses journées sont harassantes et n'ont jamais de fin. Bref, le syndrome de la Case de l'Oncle Tom (des femmes ici en l'ocurrence). Terrifiant.
RépondreSupprimerEh ben, c'est pas gagné:/
RépondreSupprimerJ'ai une copine, 25 ans, 3 gosses dont un couple de jumeaux fille/ garçon, qui est épuisée physiquement (et je parle même pas de l'intellect^^) par son boulot de " mère au foyer " mais qui reproduit le cliché: l'aîné de 6 ans est un roi, servi sans qu'il se déplace, etc... alors que dans le couple de jumeau, la petite de 3 ans sait déjà tenir un balai, mettre la table et la desservir, etc..,et le petit garçon donne des ordres^^.
Alors bien sûr, quand ils viennent chez moi, je passe pour la méchante sorcière qui fait lever les culs à celui qui veut un pain au chocolat au goûter LOL. (mais en fait, ça marche!).
Bien sûr que ça marche ! Tu rends même service à tout le monde : la mère dépassée et annihilée, le garçon que tu ne traite pas en roi (il n'est pas un roi et la vie va se charger de le lui apprendre à ses dépens) et aussi la petite fille qui se souviendra un jour (d'émancipation) de ton exemple et aura sûrement le sursaut de dire non aux tyrans. On a vraiment besoin de femmes de tête !
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