dimanche 25 avril 2021

Le manifeste des 343 - Histoire d'un combat





C'était l'époque où les femmes "se débrouillaient", l'époque où elles se "faisaient mettre enceintes" où elles se retrouvaient "avec un polichinelle dans le tiroir", où chaque rapport sexuel les faisait trembler, le temps de l'enfant-malheur. A notre époque d'enfants-rois, c'est difficile à concevoir, devoir aller chez une avorteuse qui vous "débarrassait" avec des aiguilles à tricoter ou un cintre de pressing ! Dans une grande injustice de classe, car les filles d'archevêques, les maîtresses de sénateurs et de ministres, elles, étaient introduites dans une bonne clinique ou un service hospitalier grâce au carnet d'adresse de Monsieur. Les femmes du peuple devaient se débrouiller en prenant tous les risques pour leur santé et leur vie. La loi Neuwirth sur la libéralisation de la contraception était votée depuis 1967 mais il a fallu 4 ans pour publier les décrets d'application, et en 1971, elle n'est prescrite sous le manteau que par quelques médecins "progressistes". 


Les risques judiciaires : c'était aussi l'époque où pour se ménager les bonnes grâces de la police et de la justice, on pouvait dénoncer une avorteuse ou une avortée, ce qui fut le cas pour le violeur du procès de Bobigny. Marie-Claire, victime d'un viol subit un avortement clandestin avec le soutien de sa mère ; le violeur, petit délinquant minable, les dénonce pour obtenir la clémence de la justice. L'avortement était utilisé par la police pour user de toutes sortes de pressions : 


L'acte fondateur du MLF (Mouvement de Libération des Femmes, un collectif informel de féministes convaincues et de tous horizons) : le dépôt de gerbe à la femme du soldat inconnu "plus inconnue" que lui. 

Comme l'idée germe qu'il faudrait taper un grand coup pour faire changer la loi de 1920 réprimant la contraception et l'avortement, une journaliste du Nouvel Observateur, Nicole Muchnik, propose à son rédacteur en chef de travailler sur le sujet. Elle appelle les filles du MLF qui acceptent de réfléchir ensemble à une stratégie. Une propose d'aller voir Simone de Beauvoir, comme ça en sonnant chez elle : Simone de Beauvoir les accueille ; par la suite les réunions se tiendront chez Simone qui écoute beaucoup, parle peu, propose de leur ouvrir son carnet d'adresses comprenant maintes signataires du Manifeste, et en proposant de pressentir Beuve-Méry, patron du Monde pour la publication du Manifeste; Il refusera ! Finalement, Beauvoir rédigera le texte du Manifeste qui sera publié par le Nouvel Observateur numéro 334 du 5 avril 1971 avec la liste des 343 noms déclarant avoir avorté. 


Cette planche évoque le conflit de loyauté des féministes avec les militants d'extrême-gauche et montre bien qu'il ne date pas d'aujourd'hui ! Les combats des femmes ont cette particularité, plombante à mon avis, le conflit de loyauté avec les mâles qu'on a à la maison et EN PLUS, comme si le premier ne suffisait pas, celui avec les "camarades" militants pour celles qui sont engagées à gauche. 

Quelques-unes des signataires : on sait aujourd'hui que pas mal d'entre elles n'avaient jamais avorté, dont Simone de Beauvoir, ce qui rendait le geste encore plus beau et courageux, engagé avec et pour les femmes, un pur geste de solidarité.




Le Manifeste ouvre la voie : quelques semaines plus tard Maître Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir créent l'association " Choisir" pour défendre les femmes accusées d'avortement ; l'année suivante le Procès de Bobigny est médiatisé et politisé à dessein par Gisèle Halimi, Marie-Claire et sa mère sont acquittées. En 1973, 331 médecins déclarent, toujours dans le Nouvel Observateur, avoir pratiqué des avortements. La même année, création du MLAC Mouvement pour la Libération de l'Avortement et de la Contraception, où des femmes apprennent elles-mêmes à avorter par la méthode d'aspiration Karman. Le 17 janvier 1975, la loi de dépénalisation de l'avortement défendue par Simone Veil est votée pour 5 ans. 

A lire, à offrir sans modération à vos filles, petites filles, filleules, élèves, via la bibliothèque de votre collège ou lycée : c'est une BD d'utilité publique. Cela s'est passé il y a cinquante ans, et pour celles qui pensent que tout est gagné, que tout cela est derrière nous, il est bon de rappeler que les archaïques ne lâchent JAMAIS le morceau eux, et qu'ils sont en embuscade, qu'ils soient curés, imams, soldats de Dieu, éleveurs de chèvres, ou simplement mâles lambda qui ne verrait pas d'un mauvais œil les femmes rentrer au gynécée pour leur laisser toute la place qu'ils pensent leur revenir, l'exercice du pouvoir partout où s'exprime leur médiocrité et leur insatiété. Ils arrivent en droite ligne du Néolithique, cette époque où l'humanité a pris le mauvais tournant, et dont les choix sévissent encore aujourd'hui, pour le pire. 

Scénaristes : Adeline Laffitte, journaliste ; Hélène Strag, ancienne élève de l'ENA, scénariste et réalisatrice. Le dessinateur est Hervé Duphot, illustrateur et graphiste. Edité chez Hachette / Marabout. 

2 commentaires:

  1. Ah! Oui le syndrome du traitre à la cause dès qu'on prétend soulever les questions féministes en sus ou pire à la place des autres. Désormais l'écofémisme englobe les autres mais il n'a toujours pas bonne presse dans les rangs des "historiques"

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  2. Exactement, la cause des femmes est toujours secondaire et sera réglée quand la classe ouvrière aura gagné. Variante : ou quand les nouveaux prolétaires, relégués, "racisés" auront gagné. On ne fait pas plus naïf -ou duplice pour ceux qui ont des arrière-pensées.

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