jeudi 14 novembre 2019

Ecce Homo

Verita Monselles
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Ecce homo - 1976 - Séquence photographique (4 éléments)




Carla Lonzi (1931-1982) est une féministe italienne, critique d'art, puis créatrice d'un collectif féministe Rivolta femminile. Dans son texte Crachons sur Hegel, elle critique la dialectique maître-esclave de Hegel, et sa suite le marxisme, qui ne font que mettre en sourdine l'oppression encore plus radicale qui réside dans le rapport homme/femmes et qui se cache dans 'les ténèbres des origines'. C'est la culture patriarcale qui est dialectique. Elle reproche, comme toutes les féministes, dans son cas à Hegel, de ne pas voir les femmes, de les décrire comme a-historiques, dans l'immanence, l'homme humaniste dans la transcendance, en opposition à la nature. De ce fait, selon Carla Lonzi, il est abstraction et néglige la vie.

 " Toute la structure de la civilisation , comme une seul grande battue de chasse, pousse la proie vers les lieux où elle sera capturée : le mariage est le moment où s'accomplit sa captivité. Pendant que les états accordent le divorce et que l'Eglise catholique s'évertue à le nier, la femme révèle sa maturité en étant la première à dénoncer l'absurde organisation des rapports entre les sexes. La crise de l'homme se manifeste dans son attachement aux formules : on confie à ces dernières la tâche de garantir sa supériorité.

La femme est, toute sa vie, économiquement dépendante : d'abord de la famille du père, ensuite de celle du mari. Pourtant la libération ne consiste pas à accéder à l'indépendance économique, mais à démolir l'institution qui a rendu la femme plus esclave que les esclaves et pour plus longtemps qu'eux.

Chaque penseur qui a embrassé du regard la situation humaine a réaffirmé depuis son point de vue l'infériorité de la femme. Même Freud a avancé la thèse d'une malédiction féminine ayant pour cause le désir d'une complétude qui se confondrait avec l'envie d'avoir un pénis. Nous affirmons notre incrédulité à l'égard du dogme psychanalytique qui prétend que la femme serait prise, dès son plus jeune âge, par un sentiment de partir perdante, par une angoisse métaphysique liée à sa différence.

Dans toutes les familles, le pénis de l'enfant est une sorte de fils dans le fils, auquel on fait allusion avec complaisance et sans inhibition. Le sexe de la petite fille est ignoré : il n'a pas de nom, pas de diminutif, pas de caractère, pas de littérature. On profite de sa discrétion physiologique pour en taire l'existence : le rapport entre hommes et femmes n'est donc pas un rapport entre les deux sexes, mais entre un sexe et son absence.

On lit dans la correspondance de Freud à sa fiancée : "Cher trésor, pendant que tu te dédies avec bonheur à tes activités domestiques, je suis tout au plaisir de résoudre l'énigme de la structure du cerveau humain. "

Examinons la vie privée des grands hommes : la proximité d'un être humain tranquillement considéré comme inférieur a fait de leurs gestes les plus communs une aberration qui n'épargne personne. "

Les hommes font l'Histoire. 

" La différence de la femme a été façonnée par des années d'absence de l'histoire ". Un homme peut dire  "mais enfin qu'est-ce que tu as fait toi pour moi ? Moi, je t'ai entretenue et toi, à la maison, à ne rien faire ou à faire ces corvées que toute femme accomplit sans faire des histoires. Les hommes font l'Histoire, les femmes font des histoires, "l'immédiat présent qui disparaît". 

[Aparté] Je pense moi que si les femmes arrêtaient de leur préparer et servir les repas, de nettoyer leurs maisons, de produire et d'élever leurs enfants, d'assurer l'intendance leur permettant ainsi de produire intellectuellement, délivrés de toutes les contingences de la vie quotidienne, on les verrait retourner dans leurs cavernes originelles où ils n'arriveraient pas même à dessiner, car ils ne sauraient pas où se trouvent les craies. Mais bon, apparemment, c'est infaisable.


Carla Lonzi ne croit pas à l'émancipation des femmes : elle pense que les lois sur l'avortement ou la contraception, les quelques concessions qui nous sont faites, ne sont que des subterfuges du patriarcat qui se rénove pour se survivre. Aujourd'hui, elle rajouterait le mariage gay, la PMA et la GPA là où elle est légale, toutes institutions ou techniques qui permettent un aggiornamento réformiste du patriarcat, mais ne mettent absolument pas en cause son idéologie, le mariage, la maternité dans le mariage et la mise à disposition du corps des femmes aux hommes, même gays, afin qu'ils puissent engendrer. Rien de révolutionnaire. Son féminisme s'exprime au présent et refuse toute démarche téléologique. Voici la transformation qu'elle appelle :

" Depuis les premiers pas du féminisme jusqu'à aujourd'hui, les femmes ont vu défiler sous leurs yeux les faits et gestes des derniers patriarches. Nous n'en verrons pas naître d'autres. Telle est la nouvelle réalité dans laquelle nous nous mouvons tous. C'est d'elle que renaissent les premières flammes, les bouillonnements et les affirmations d'une humanité féminine jusque-là mise de côté.

La femme est à elle seule un individu complet : la transformation ne doit pas advenir sur elle, mais sur les manières dont elle se perçoit à l'intérieur de l'univers, et dont les autres la perçoivent. 

Nous avons perdu le sens des dichotomies de pensée : nous n'entendons pas nous exprimer dans le cadre des contraintes, mais progressivement, pas à pas, afin de rassembler toutes nos observations et d'en faire notre inventaire. Nous considérons comme délétère la consommation de toute idée, aussi proche de nous soit-elle, qui a été rendue comestible pas sa dialectisation immédiate.

Osons toutes les opérations subjectives qui ouvrent l'espace autour de nous. Par-là, nous ne faisons pas allusion à l'identification : celle-ci a un caractère compulsif masculin, qui entrave la florescence d'une existence et la tient sous l'impératif d'une rationalité qui détermine dramatiquement, jour après jour, le sens de l'échec et de la réussite. 

L'homme est replié sur lui-même, ses finalités et sa culture. La réalité est pour lui épuisée -les voyages spatiaux en sont la preuve. Mais la femme affirme que sa vie sur cette planète n'a encore jamais commencé. Elle voit là où l'homme ne voit plus.

L'esprit masculin est entré définitivement en crise quand il a enclenché le mécanisme qui menace la survie de l'humanité. La femme sort de sa tutelle en identifiant la structure caractérielle du patriarche et sa culture comme source de péril. 

Il n'y a pas de ligne d'arrivée, il n'existe que le présent, nous sommes le passé obscur du monde, nous réalisons le présent."
Carla Lonzi - Crachons sur Hegel - Eté 1970 

* Ecce homo : voici l'homme.

Lien : Un aperçu de la philosophie de Hegel

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