dimanche 17 août 2014

Idée lecture : Comment rêvent les morts

Sur les conseils d'un abonné Twittos québécois, j'ai lu Comment rêvent les morts, roman américain de Lydia Millet. Une excellente idée de lecture pour l'été, ou n'importe quand.

Thomas, dénommé T. par sa mère, le héros du roman, "fait" de l'argent en bétonnant, vitrifiant, artificialisant tous les bouts de terres vierges qu'il trouve "valorisables". Il adore l'argent et d'ailleurs, quand il était petit, il pouvait passer des heures à contempler un billet usagé de 20 dollars (les neufs font trop fausse monnaie !). T. est promoteur immobilier, il trouve des terrains, les financeurs et les capitaux, et il construit des lotissements pavillonnaires pour retraités de la classe moyenne supérieure, clés en mains. Il y a bien quelquefois des interdictions émanant des services fédéraux ou locaux de protection de l'environnement, car abritant une espèce endémique d'animal, mammifère, insecte..., mais rien qui résiste réellement à une armée de bons avocats.

Seuls inconvénients de son métier lucratif, les protestations mesquines de ses nouveaux propriétaires qui souhaitent redresser une allée de garage voulue légèrement courbe par l'architecte : ce serait tellement mieux s'ils pouvaient entrer en ligne droite, sachant que c'est, bien entendu, pire pour sortir du garage en marche arrière. Le roman est plein de petites notations drôles et saugrenues de la sorte sur les frustrations perçues dans une société d'hyper consommation.

Et puis un jour, T. blesse mortellement une femelle coyotte sur une bretelle d'autoroute. Cela lui cause un choc émotionnel dont il va tenter de se remettre en allant adopter une chienne dans un refuge. Puis son père abandonne le domicile conjugal : mâle alpha hétérosexuel quinquagénaire, patriarcal ne doutant pas de ses prérogatives dues à sa naissance dans le bon sexe, il réapparaît cependant quelques temps plus tard barman dans un bar gay, où il goûte une nouvelle jeunesse, un nouveau look, un nouvel appétit de la vie, débarrassé des contraintes du conjugo. Pendant que sa femme, la mère de notre héros, abandonnée, incapable elle, de se retrouver une raison de vivre, aliénée par des années d'asservissement dans la routine du mariage, se laisse aller à folleyer, perdant progressivement contact avec le réel. C'est injuste, mais le patriarcat est injuste, par la haine de soi paralysante qu'il provoque chez les opprimées. Toutes ces épreuves successives imposées par la vie, la mort brutale aussi de la femme à laquelle il était profondément attaché, font que T. va aller du côté de l'empathie et de la compassion.

Roman sur la perte, et sur l'effacement progressif mais inéluctable des espèces animales autour de nous, sur la destruction de la nature par notre parasitisme et nos aveuglements de consommateurs-rois, roman assez mal foutu quand T. commence à aller visiter des zoos (la partie la moins convaincante), il se termine -les cinquante dernières pages formidables- par une confrontation avec la nature, la vraie, celle qui ne fait pas de cadeaux aux humains. Fin ouverte, à nous d'inventer ce qu'il adviendra du héros, mais fin bouleversante grâce à une rencontre. Avec un animal, bien sûr.

Lydia Millet dédie son livre au rhinocéros noir, disparu d'Afrique Occidentale pendant l'écriture de son livre ( 2008) et à toutes les espèces animales qui vont disparaître dans les mois et les années qui viennent.

Lien : La critique de Télérama

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