lundi 14 janvier 2013

Isis, l'Eternelle

J'ai lu, sur prescription d'Euterpe dans un de ses précédents billets, l'ouvrage de Florence Quentin paru chez Albin Michel Isis l'Eternelle - Biographie d'un mythe féminin. J'ai énormément aimé : il se dévore, il est tonifiant et empowering. Je le conseille à mon tour.


Etat-civil : Déesse égyptienne Asèt, devenue Isis à Alexandrie, fille de Rê ou Ra, dieu du soleil, sœur jumelle d'Osiris, tué par Seth l'autre frère, (Caïn et Abel avant la bible), fait renaître en le ressuscitant son frère adoré et en fait son époux dont elle a un fils : Horus. Horus, dieu solaire comme sa mère, est le prototype de toutes les divinités solaires, aboutissant à Jésus Christ. Persistance des mythes.

ISIS est une belle synthèse du divin mythologique : solaire comme les dieux mâles (alors que les femmes seront plus tard associées à la Lune et à la nuit), chtonienne, elle est associée au serpent terrestre, un cobra femelle symbole de fécondité apanage de toutes les divinités féminines, serpent que les chrétiens transformeront en démon condamné à ramper sur terre, incarnation de tous les maux, car associé à la connaissance et aux femmes, ces démones qui ont précipité Adam dans la chute ! Nature ET culture : d'Isis qui "a enseigné aux Egyptiens l'agriculture et les lois", Boccace tient qu'elle a inventé l'écriture et l'a transmise aux humains ! Grande Mère, déesse du Nil, elle préside aux récoltes, aux crues du Nil, les femmes l'implorent pour être fécondes, les hommes l'invoquent comme puissance de la nature. Partie d'Egypte, elle voyage en suivant les voies commerciales et maritimes, elle conquiert Alexandrie, Rome, où déesse agraire des moissons elle devient Déméter, puis l'Europe et l'Afrique du Nord.

Ses attributs symboles : le petit trône qu'elle porte sur la tête, ou aussi un disque d'or entre deux cornes, un ciste et une croix ansée.

« Je suis tout ce qui a été, qui est et qui sera, et mon voile, aucun mortel ne l'a encore soulevé ». Citation d'Emmanuel Kant. Évidemment, ce voile d'Isis n'est en rien le lourd symbole d'appartenance des femmes qu'on soumet, mais le symbole des mystères de la Nature que les humains veulent percer. Comme dans cette sculpture du XIXème siècle "La nature se dévoile" au Musée d'Orsay : Isis révélant ses secrets à la science.


Métamorphoses d'Isis : Vierge-mère céleste, elle réapparaît en Marie. Les pères de l'Eglise qui ne voulaient "pas de déesses chez nous !" se sont fait doubler par Isis/Marie avec son serpent sous les pieds ; les vierges noires romanes de l'art médiéval sont les héritières des Grandes déesses-mères de l'antiquité nous affirme Florence Quentin. D'ailleurs dans les campagnes, avant Vatican II, on sortait, lors des Rogations, diverses statues de la Vierge qu'on promenait dans les chemins pour avoir de belles récoltes. Malgré leur appropriation des anciens rites, et surtout des grandes déesses, pour installer leurs franchises-business en leur piquant des idées, les religions à dieu mâle n'ont jamais eu raison d'Isis. Et attendez un peu : elle revient !

Au XVIème siècle, ce portrait d'Elizabeth 1ère en Isis anglaise, parée comme une déesse, en porte tous les attributs : voile, entrelac de cobra sur la manche de robe, roses et ciste.


Au XVIIIème siècle, Isis devient déesse des Lumières : en 1793, la Convention organise un projet d'anniversaire de la chute de la royauté. Les conventionnels imaginent de faire boire une eau issue d'une fontaine régénératrice -symbole isiaque- à tous les dignitaires républicains, qui se dirigeront ensuite vers le Champ de Mars avec "un bouquet d'épis de blé et de différents fruits" comme signe unitaire. Hommage à Isis / Déméter. Les francs-maçons, société occulte pratiquant par ailleurs un féroce apartheid des sexes, se proclament "fils de la Veuve", la veuve (d'Osiris) étant bien sûr Isis. Sarastro, dans le dernier opéra de Mozart, La Flûte Enchantée lance une supplique à Isis et osiris. Mozart et Schikaneder, son librettiste, sont tous deux maçons.

Au XIXème siècle, les romantiques allemands, suivis des symbolistes français, en réaction au catholicisme étouffant tombent tous amoureux de la belle Isis : Gérard de Nerval va enquêter en Egypte,  Michelet et Villiers de l'Isle-Adam (auteur de L'Eve future) veulent "se tourner vers les anciens cultes polythéistes : ...inventons une autre forme de sacré. Remontons à la sources des croyances !" écrivent-ils.

Isis aujourd'hui - Dans la pop culture : La série Mighty Isis 1976 - 1977
-8 numéros- est devenue une série télé.
La Wicca society, mouvement religieux néopaganiste et non sectaire, propose un syncrétisme, synthèse des vieilles croyances ; elle a été diffusée par les féministes américaines dans le contexte de la contre culture des années 70. Elle a désormais acquis une dimension écologique.


"Tsunamis et cyclones engloutissent l'arrogance, la supériorité et le mépris des hommes pour les puissances de la nature, eux qui se croyaient forts d'une technique sans faille. Le rappel à l'ordre est alors brutal, la nature reprend ses droits -mais les crues peuvent aussi trouver leur place dans le cycle de la fertilité. Nimbée de vent, Isis nous a montré qu'on ne soulève pas impunément son voile et qu'elle peut aussi bien nourrir que détruire. N'oublions pas cette leçon. ...La déesse rappelle que le féminin (comme genre et non comme sexe) peut être un rempart contre les pires dérives."

"Dans sa robe constellée d'étoiles gonflée par les vents, l'Isis maîtresse des flots tient toujours la barre du monde entre ses mains."
Florence Quentin


"One touch of nature makes the whole world kin
William Shakespeare - La citation est tirée de Troilus et Cressida  - (Une touche de nature rend le monde fraternel). Si c'est Shakespeare qui le dit, c'est indiscutable.

Voilà. Si ce résumé succinct ne vous donne pas envie de lire le livre, c'est dommage, vous allez passer à coté du bonheur.

15 commentaires:

  1. Il faut que tu lises Markale!! Urgemment !!

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    1. Je crois qu'à ta demande générale, je ne vais pas pouvoir faire autrement ! :))
      PS Évidemment, ma cruche de bibliothèque ne l'a pas !

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  2. Ainsi parla la femme...

    http://www.lejournaldepersonne.com/2012/12/la-fille-dalexandrie/
    A genoux !
    En fouillant les entrailles de la terre
    En en ouvrant toutes les veines
    On a toutes les chances de faire jaillir le ciel !

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  3. Oh merci Hypathie ! Je suis si contente que tu l'aies lu ! J'ai des lectures obligées qui me contraignent à repousser tout autres lectures aux calendes grecques et cela m'impatiente de plus en plus, alors ton compte rendu m'est une précieuse consolation. En plus, certaines pratiques préchrétiennes particulièrement mystérieuses sur lesquelles je n'arrête pas de tomber ici et là se mettent à prendre du sens à cette lecture. Il suffit de penser "Isis" et tout s'éclaire !

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    1. Je n'ai fait qu'un résumé succinct ! Le livre est très documenté, il y a plein de citations de poètes, d'historiens et de philosophes ; Florence Quentin est égyptologue et très érudite. Malgré cela, le livre n'est jamais chiant. Merci de me l'avoir conseillé.

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  4. Le mythe d'Isis est fascinant, et je me demande si elle a été la seule déesse associée au soleil ou s'il a existé d'autres déesses solaires dans des cultes et mythologies antérieures ?

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    1. C'est difficile de répondre, Isis est déjà sans doute un concept-aboutissement d'anciennes cosmogonies puisqu'elle n'a que 5000 ans, mais je trouve déjà bien qu'on ait Isis. Les symbolistes du XIXè siècle avaient raison, se tourner vers les anciens cultes polythéistes est une bonne idée. Ils sont pacifiques et nous apprennent que nous sommes des filles et fils de la terre. A défaut d'un dieu céleste hypothétique et clivant.

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    2. Je suis heureuse de lire que de "jeunes soeurs terriennes" et contemporaines du renouveau de la pensée, cherchent les "secrets" bien plus loin et haut que le bout de leur nez. Quelle joie de savoir que votre existence apporte quelque chose de beau et concret. Que dois-je faire pour Brocéliande. J'aime bien le Centre de l'Imaginaire Arthurien, dont j'ai été membre. Il faudrait mieux connaître et surtout fréquenter plus souvent la sphère "Druidique Rénovée" (pas n'importe lesquels) pour trouver une "nourriture spirituelle et naturelle" dont on a tellement envie !
      Michèle

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    3. Merci de votre intérêt pour mon blog et de votre commentaire. Isis est surtout intéressante ici pour une lecture féministe, parce que ce blog est féministe, et que les dieux mâles sont les garants de l'oppression masculine depuis des millénaires. Et qu'ille est peut-être temps de commencer à renverser ce système de "pensée" délétère. Pour Brocéliande, à part militer, adhérer aux associations qui la défendent, fréquenter les manifs pour montrer la force et le nombre des opposants, je ne vois pas comment faire autrement. Ceci dit, j'ai quelques "païennes" "sorcières" et "fées celtiques" bien sympathiques qui suivent mon blog et mon compte Twitter ;)) Mais j'aime beaucoup aussi Taslima Nasreen qui se définit comme athée, mot mal vu, car radical, par notre époque aseptisée et consensuelle !

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  5. Me suis commandé le bouquin.
    Failli te mettre une copie de la préface de 'la femme celte' pour te faire envie, mais pas eu le temps.
    A moins que je ne fasse un scan tiens.

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    1. Super, je pense que tu ne seras pas déçue. Pour la femme celte, je l'ai trouvé aux Champs Libres, ma 2ème bibliothèque (je les fréquente peu, bizarre organisation) qui m'ont d'abord dit que je ne pouvais pas le sortir, il est dans le fond dit de conservation, puis finalement, ils me l'ont trouvé sur une étagère, sortable donc, un étage plus bas. Quand je dis que leur organisation est bizarre...

      Oui, Isis est un aboutissment, un concept, un agrégat d'autres déesses premières, comme prétend d'ailleurs Onfray qu'est le Christ : un concept fabriqué des différents (faux) "prophètes" et prêcheurs de son temps et qui avaient tous la même allure et des discours approchants, anti-romains entre autres. C'est comme cela qu'on crée des mythes.

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  6. Flûte j'aurais dû lire plus haut: oui Isis est en effet un avatar de la grande déesse primordiale, elle n'est donc ni la seule, ni la première ni la dernière, mais trés marquante pour nos sociétés qui ont largement oublié les autres.
    Donc elle sert de référence.
    Et ma grand mère était égyptologue :-)

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  7. Lu.
    Je regrette que l'auteure n'ait pas mentionné que Lilith est celle qui savait le nom secret de Dieu et qui donc avait une puissance égale à lui...et a fini par prendre sa liberté; de fait, cette figure puissante du féminin a ensuite été supplantée par l'Eve plus ou moins soumise au masculin (étonnant non?), et considérée comme représentante du mal et ses diverses manifestations(je résume).Histoire de scinder les femmes en 2 catégories.
    En ce qui concerne Isis et ses transformations, la Basse-Epoque n'est pas ma tasse de thé, donc lire ce bouquin est intéressant puisqu'il explique bien quel syncrétisme fut pratiqué à cette époque-là, surtout dans le bassin méditerranéen.
    A noter: nous vivons dans une époque du même acabit, avec mélanges divers des figures et symboles.
    Enfin, la Grande Mère éternellement vierge (cad non affiliée à un seul compagnon) et éternellement génitrice a pris d'autres masques et en prendra d'autres...il est à souhaiter que justement, elle n'ait plus besoin de masque pour être approchée :-)
    Un exercice simple: regardez la soleil (non là ce n'est pas une coquille).
    La soleil brille sur toustes.

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    1. Merci pour cet intéressant retour de lecture. Pour Lilith, elle est un mythe du judaïsme, me semble-t-il ? Mais c'est vrai que les juifs sont des égyptiens (lire la Bible, la fuite d'Egypte) ils sont donc imprégnés des mythes égyptiens.
      Tu as bien raison, la soleil brille pours toustes !

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    2. Oui Lilith est de tradition sémite (haha) mais comme l'auteure parle du moment où Isis invoque le nom ineffable du Créateur, il aurait été important de citer Lilith qui fait la même chose :-)

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