vendredi 11 décembre 2015

"Je l'avais dans la peau" - Jacqueline Sauvage

La Cour du Loir et Cher a confirmé en appel la condamnation à 10 ans de prison ferme de Jacqueline Sauvage, meurtrière de son mari/bourreau de trois coups de fusil dans le dos. 47 ans de sévices : coups, abus sexuels sur elle-même et ses enfants, menaces de mort et finalement, un jour avant le meurtre, son fils, lui même victime du père/bourreau, se suicide par pendaison. Selon le Procureur, Jacqueline Sauvage aurait dû avoir une "réponse proportionnée" aux actes de son mari, "trois coups de feu dans le dos, ce n'est pas admissible" ! Et l'abandon pendant 5 décennies par la société d'une femme battue, c'est admissible, ça ?

Les traumas dont souffrent les femmes battues sont analysés par quantité de médecins et de psychologues. Quelques analyses figurent sur les blogs de mon widget ci-contre. Mais qu'en est-il de l'analyse -politique- des féministes radicales ? Voici ce qu'en disent Ty Grace Atkinson et Andrea Dworkin.

"Je l'avais dans la peau : elle était éperdument amoureuse ". 
"Je dirais que le phénomène de l'amour est le pivot psychologique de la persécution des femmes. L'intériorisation de la contrainte jouant un rôle fonctionnel clé dans l'oppression des femmes (ne serait-ce qu'en raison de leur importance numérique) et étant donné le caractère évidemment grotesque de l'unité politique qui "apparie' l'Oppresseur et l'Opprimée, l'agresseur et l'impuissante, isolant de cette façon l'Opprimée de toute aide politique, il n'est pas difficile de conclure que les femmes doivent par définition vivre dans un état psycho-pathologique spécialement fantasmatique autant vis-à-vis d'elles-mêmes que dans leurs rapports avec la classe opposée.Cette situation pathologique considérée comme l'état le plus désirable* où peut se trouver une femme, est ce que nous appelons le phénomène de l'amour ".
Ty Grace Atkinson -Odyssée d'une amazone

"Elle était devenue sa chose, elle était sous son emprise"
Cannibalisme métaphysique
C'est ce processus que j'appelle le "cannibalisme métaphysique". Il consiste à manger quelqu'un de la même espèce, en particulier l'élément de la victime considéré comme le plus puissant de son vivant, à savoir son imagination constructrice. Ce processus absorbe le libre-arbitre de la victime et détruit la preuve que l'agresseur et la victime sont des semblables. Le principe du cannibalisme métaphysique semble satisfaire les deux besoins de l'homme : gagner en puissance (pouvoir) et décharger la frustration (hostilité).
Une moitié de la race humaine a donc obtenu un certain soulagement psychique aux dépens de l'autre. [...] Les hommes ont envahi l'être de ces individus que l'on défini ensuite comme fonction, ou "femmes", en s'appropriant leurs caractéristiques humaines et en occupant leur corps. Le "viol" originel était politique : on a volé l'humanité d'une moitié de l'Humanité. [...] La distinction masculin-féminin est le commencement du système des rôles où certaines personnes fonctionnent pour d'autres."
Ty Grace Atkinson - Odyssée d'une amazone

"Trois coups de feu dans le dos, ce n'est pas admissible" - Le Procureur de la Cour d'Appel de Blois

" Les hommes ont le pouvoir de propriété. Historiquement, ce pouvoir a été absolu ; refusé à certains hommes par d'autres hommes, en temps d'esclavage ou d'autres persécutions, mais généralement protégé par la force armée et les lois. Dans plusieurs parties du monde, le droit de propriété des hommes sur les femmes et sur tout ce qui provient d'elles (enfant et travail) demeure absolu, et  aucune considération de droits humains ne semble s'appliquer aux populations de femmes captives.
Andrea Dworkin - Pouvoir et violence sexiste

* L'assommoir culturel du Prince Charmant, les dressages hétéro-sexuels permanents dans toutes les productions culturelles ou sous-culturelles (publicité, jeux télévisés et vidéo...), l'injonction patriarcale à "réussir sa vie" sentimentale dans le mariage et la reproduction (tout autre destin est dévalorisé, voire proscrit, surtout le célibat, les célibataires étant taxé.es d'égoïsme !), toutes ces constructions sociales sont au bénéfice des hommes pour avoir à la maison une ménagère gratuite et pour reproduire leurs gamètes de mâles puisqu'ils sont obligés de passer par nous pour avoir une descendance. Mâle, bien sûr, c'est mieux. La contrainte est donc le chemin le plus court pour les obtenir, contrainte individuelle confirmée, réaffirmée sans cesse par la société. C'est ce que rappelle le Procureur de Blois.

Liens :
L'EXPRESS : Une femme battue condamnée à 10 ans pour avoir tué son mari
A signer sur Change Org  : Pétition au Président Hollande pour obtenir la grâce de Jacqueline Sauvage

6 commentaires:

  1. "Trois coups de feu dans le dos, ce n'est pas admissible"

    Sûr que quand Mme Sauvage tournait le dos, baissait la tête, pour ne pas tout prendre dans la face ou dans le bide, ce n'était pas admissible non plus, hein. Bitard.
    Merci pour les citations. Sleeping with the ennemy… on n'est pas sorties des ronces.

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    1. Le mec en question, surpris de la voir avec un fusil, a dû se dire que mettre les bouts était la meilleure solution :D D'où les coups de feu dans le dos ! Courage, fuyons : dicton masculin.

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    2. Apparemment, elle lui a réellement tiré dans le dos, sans qu'il l'ait vue venir. Mais quand on lit la façon odieuse dont la cour a traité les enfants, allant même jusqu'à accuser une des filles d'être la cause du malheur de sa mère, parce qu'elle n'avait pas porté plainte pour viol contre son père... On comprend mieux ce jugement à l'emporte-pièce.

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  2. Ma mère aurait pu être Jacqueline Sauvage (22 ans du même calvaire), j'aurais moi-même pu me retrouver à sa place (je n'ai pas hésité à lancer un couteau sur mon «père») j'ai toutefois eu plus de chance que ses filles.

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    1. C'est compliqué les femmes battues, et même si ce ne devrait pas être à un.e enfant de défendre sa mère ou ses parents, mais certainement l'inverse, c'est bien de l'avoir fait.

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    2. Quand on est dedans, on ne se pose pas cette question, on agit sur le moment. De plus, ma mère a toujours été là pour moi, ne pas la défendre n'est pas concevable.

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