Conférence à Rennes - Les Champs Libres avec Georges Vigarello et Claudine Haroche sur L'histoire de la virilité de l'antiquité à nos jours : une somme en trois tomes. J'ai décidé d'aller voir. Hormis, bien sûr, l'apparition du mouvement féministe au XXème siècle, les autres raisons de ce déclin seraient selon les conférenciers plus contingentes que volontaires.
1 - Les guerres du XXème siècle : alors que lors des siècles précédents, pendant les guerres on peut exercer sa bravoure et sa force face à face, les deux guerres de 14-18 et celle de 39-45, sont des guerres où ceux qui en réchappent sont ceux qui ont été capables d'éviter les balles, et finalement la mort en se terrant dans des tranchées, en plongeant dans un trou d'obus ou un fossé. C'est moins glorieux et brave, qu'habile ou chanceux. Ce sont des guerres d'hommes couchés ou terrés, plus que d'hommes debout, affrontant les coups d'épées ou trouvant la faille d'une cuirasse, comme c'est le cas lors des guerres antérieures.
2 - Pendant la Première Guerre mondiale, pendant que les hommes s'entretuent, les femmes debout elles, tiennent les pays : elles sont aux champs (la France est à 80 % agricole), dans les usines, sur les champs de bataille ramassant les blessés, elles tiennent les commerces, partout elles font marcher le pays. Quand les hommes rentreront 5 ans plus tard, certaines ne leur rendront pas les clés du pouvoir. Notez également que dans la majorité des pays de l'hémisphère nord, c'est après 1919 qu'elles obtiendront le droit de vote, suite directe de la preuve faite qu'elles sont aussi capables que les hommes de faire marcher un pays. Malheureusement pour les françaises, il leur faudra une guerre de plus et leur participation sans faille à la Résistance pour l'obtenir une génération plus tard !
3 - Dans les usines du XXème siècle, les machines remplacent les bras et la force humaine : les femmes ont ainsi accès aux postes industriels, même s'ils restent des bastions masculins où leurs salaires sont inférieurs. La force physique est remplacée par la gestion des flux informationnels.
4 - Au XXème siècle, l'attention au physique, la "sensibilité", favorisent la délicatesse, pôle féminin, même chez les hommes.
5 - Le féminisme. Evidemment, les mouvements de femmes vont imposer les idées féministes, faire prendre conscience de l'inégalité de traitement entre hommes et femmes, des torts particuliers faits aux femmes, proposer un corpus et les luttes pour y remédier.
6 - Enfin, les modes de travail favorisent le tertiaire "communicationnel" où les femmes sont réputées plus à l'aise que les hommes.
Mais les hommes, réfractaires à la mixité dans "leurs espaces" vont se trouver des bastions où se réfugier : certains secteurs industriels et électroniques, mais tout particulièrement le sport, conservatoire de la virilité en est un exemple remarquable. Alors que, précise Georges Vigarello, l'immense majorité des sports de loisirs sont pratiqués par les femmes, les comptes-rendus sportifs, les émissions sur le sport et ce qu'on y montre de la pratique sportive sont dominés par les hommes. Et même si les femmes entrent aussi dans les sports considérés comme masculins (haltérophilie, boxe, escrime...), les réticences se manifestent dans des détails vestimentaires ridicules et des injonctions à rester "féminine" et "maman aussi" comme je l'ai vu sur un reportage de France Télévisions cette semaine, à propos de l'équipe de France féminine d'haltérophilie. La crainte de ne plus ressembler à "une vraie femme" en pratiquant un sport que les hommes pratiquent aussi est agitée en permanence. La féminité, comme la virilité, accessoires mal accrochés qui se perdent stupidement comme des clés, une écharpe ou une carte de crédit ? En tous cas, c'est comme cela qu'ils sont traités par la société.
Madame Haroche a rappelé que la domination masculine est insidieuse, qu'elle est un "modèle archaïque dominant immémorial", citant Françoise Héritier.
La virilité n'a jamais cessé d'être en crise car elle est en permanence l'angoisse de l'impuissance ; "les hommes ont besoin de dominer deux êtres, le cheval et la femme" (quand j'entends cela, l'idée s'affermit que le combat féministe et le combat pour les animaux sont compatibles parce que nous sommes affronté-e-s à la même oppression immémoriale !). Les représentations et les juristes sont en avance mais les moeurs et les pratiques sont en retard. On antagonise le rapport à l'extérieur (hommes) et le rapport à l'intérieur (femmes), alors que l'enjeu, c'est notre rapport au monde, hommes et femmes confondus. Les privilèges sont des pièges, concluent les deux conférenciers, et les avancées féministes sont comme les avancées de la démocratie, fragiles, perpétuellement remises en cause, aussi nous devons être vigilantes.
Mon commentaire : la virilité n'a aucune utilité ni sociale,ou biologique, ni au regard de l'évolution, elle est même dangereuse pour l'avenir de l'espèce : "La pratique de la virilité est incompatible avec la vie sur la planète" écrit Kate Millet dans La politique du Mâle - 1969.
Pour aller plus loin, lien vers une interview du Figaro.
Actualisation 20/11/11 : je me demande finalement si ce billet n'est pas très optimiste ! Hier soir, journal de TF1, 10 minutes en début de journal sur le massacre d'Agnès par un sociopathe récidiviste de 17 ans. Rien sur la violence masculine infligée aux femmes, cela troublerait la digestion des téléspectateurs, mais la deuxième "marche blanche" consensuelle de la quinzaine est organisée ; il y a une semaine, rappelez-vous, c'était pour Océane. Une toutes les semaines, mais toujours rien sur les crimes sexistes, le massacre des filles et des femmes en France aujourd'hui par les "garçons d'à-côté", "the boys next door" disent les américains. En fin du même journal de TF1, sujet "divertissant" : une laie (femelle de sanglier) a affolé le centre-ville de Toulouse en débarquant dans les rues et en entrant dans un centre commercial ; le sanglier affolé s'échappe finalement en se jetant dans le Canal du Midi par où il tente de s'enfuir -les sangliers sont d'excellents nageurs. Mais c'est sans compter sur les pompiers, corporation mâle (pas de gonzesses ni de tapettes chez nous !) qui vont la traquer et la faire abattre par un tireur de louveterie. #clubdeséquarrisseurs.
La virilité ne fait pas de quartiers. A tout ce qui peut se traquer et servir de gibier : faites gaffe à vous !
Hypathie, lorsque j'ai consulté ce blog pour la première fois, j'ai été surprise par le rapprochement que tu fais entre défense des droits des femmes et défense de la cause animale. J'avoue que, progressivement, tes articles m'éclairent.
RépondreSupprimer@ Michelle : aller voir ici chez Pelenop, une image vaut tous les commentaires. D'ailleurs, je le rajoute en lien sur mon billet. :-)))
RépondreSupprimerhttp://pelenop.fr/?p=1629
Les oppressions se superposent.
Et puis, toujours Carol J Adams dans "The sexual politics of meat".
C'est-à-dire plutôt le "cheval" dans son sens "force motrice", non ? Il me semble que la voiture l'a largement remplacé.
RépondreSupprimerIl y a d'ailleurs une forme de dégradation de la fonction des femmes et des animaux aux yeux des mâles. L'animal est un produit alimentaire, la femme un sex toy.
D'un côté elle a plus de droit mais ce n'est pas vraiment acquis, cela peut lui être repris du jour au lendemain et l'animal n'est plus taillable et corvéable à merci mais il n'est même plus un minimum "humanisé" !
Sinon la citation "La pratique de la virilité est incompatible avec la vie sur la planète" est très juste et j'ajouterais même qu'elle n'est pas non plus compatible avec sa survie. En fait, elle oeuvre continuellement à sa destruction et cela depuis toujours.
@ Euterpe : Vigarello a dit le cheval en qualité d'être individu animal, doté d'une volonté propre et du sens de son intérêt de cheval, le cheval "qu'on monte" comme disait Chirac à propos "des chevaux et des femmes qu'on aime monter", une de ses blagues égrillardes les plus citées ! D'ailleurs, un cheval ne veut pas qu'on le monte : il faut le contraindre par un dressage souvent brutal (appelé débourrage); les femmes qui pratiquent l'équitation en grande majorité (les fameux sports de loisirs évoqués dans le billet, avec aussi la randonnée par ex) ont de meilleurs résultats avec les chevaux car, disent les profs d'équitation, elles ne cherchent pas à dominer l'animal qui le comprends parfaitement. Et c'est vrai que ces chevaux (notamment les chevaux de courses) finissent leur vie à l'abattoir, récompense d'une vie au service des humains, peu reconnaissants des services rendus. Comme le patriarcat est peu reconnaissant aux femmes des services rendus, non rémunérés, ou pas rémunérés du tout. Rappel : les pensions de retraite des femmes sont en moyenne de 48 % inférieures à celles des hommes.
RépondreSupprimer"La féminité, comme la virilité, accessoires mal accrochés qui se perdent stupidement comme des clés, une écharpe ou une carte de crédit ? "
RépondreSupprimerEt dans le même temps, la société n'a de cesse de nous répéter que féminité et virilité sont inhérentes à la nature humaine. Hiatus.
Quant à la domination sur le cheval/la femme, la remarque d'Euterpe est plus que pertinente. La voiture ou la moto ont remplacé le cheval. Plus faciles à dominer mais aussi plus meurtrières, elles sont des instruments de virilité. Les femmes qui décorent les salons de l'auto ou les championnats de sports mécaniques est un phénomène qui illustre bien à la fois le ridicule de la virilité et sa prégnance encore de nos jours.
@ Heloïse : la phrase de Chirac que j'ai entendu citer plusieurs fois par des journalistes est exactement la suivante (en portant des toasts à la fin de ses dîners de campagne, à la campagne) : "A nos femmes, à nos chevaux, et à ceux qui les montent !".
RépondreSupprimerUn autre truc important (je pense) à aller voir et soutenir les filles :
RépondreSupprimerhttp://www.lemondedesreligions.fr/actualite/la-feministe-aliaa-elmahdy-pose-nue-pour-la-liberte-15-11-2011-2027_118.php
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'ai du mal avec la bêtise qu'il y a à souhaiter une inversion pure et simple des valeurs.
Le clivage entre virilité et féminité, et la valorisation de la virilité, posent un important problème.
D'une part parce que, selon leur sexe génétique, on enferme les individus dans des rôles, et d'autre part parce qu'on hiérarchise systématiquement ces deux rôles.
Pour autant, inverser la hiérarchie, ce n'est pas résoudre le problème.
Prétendre que la virilité est incompatible avec la vie sur terre est aussi idiot que prétendre que la fémininité est incompatible avec le progrès, avec la fierté ou je ne sais quoi.
C'est le clivage virilité/féminité qu'il faut dépasser. C'est permettre à chaque individu de faire appel, selon les circonstances, à telle ou telle qualité, à sa force, à sa souplesse, à sa sociabilité, à son esprit de compétition, à sa persévérance, à son sens du compromis, de façon intelligente, sans se demander "est-ce viril?" ou "est-ce féminin?". Voilà ce qui est souhaitable.
Diaboliser la virilité simplement parce qu'elle a été valorisée, c'est perpétuer le clivage sexiste.
@ Grunt : Kate Millet ne propose pas dans sa phrase tirée de La politique du Mâle (Sexual politics) une inversion et un remplacement de la virilité par la "féminité". La virilité s'est construite contre le féminin préexistant, ce qui explique sa fragilité et sa constante réaffirmation par des jeux et comportements imbéciles et inutiles. Si vous pensez qu'à 7 milliards on peut continuer à jouer à la guerre (les hommes jouent, et la guerre est le jeu suprême disait à peu près Bourdieu), je souhaite bonne chance à notre espèce. D'autre part, ce blog tente, mais certainement maladroitement, de proposer une big picture, une vision globale et ternaire de la situation, et il ne propose pas de remplacer les défauts des uns par ceux des autres (qui en ont aussi).
RépondreSupprimer@ CommandantBOD : voilà qui est fait ! Merci pour le lien. Je la suis sur Twitter. :-))
N'empêche que je me demande dans quelle mesure les hommes (de pouvoir surtout) n'ont pas remplacé les tournois du temps jadis où ils se blessaient eux-mêmes par les fameuses "parties fines" ou pire (pédocriminalité à la Lang, Douste-Blazy, Polanski, etc) où ils blessent des plus faibles (pour les enfants) et des infériorisées artificiellement (les femmes).
RépondreSupprimerHeu je me demande si Vigarello connait bien l'histoire antique et comment se déroulait une bataille... hein quelle gloire de mourir d'insolation, de cuir dans sa cuirasse, écraser par ses camarades dans le choc des phalanges ou tout simplement piétiner par les soldats... Tellement de bravoure et de dextérité à percer les armures... y a que les hommes pour croire à de telles conneries !
RépondreSupprimerEt j'en dirai pas mieux de l'histoire moderne ou pourtant vigarello excelle... un bon vieux connétable français tué "au combat" d'une balle d'arquebuse dans le fion parce qu'il était en train de chier, j'avoue que c'est un exploit guerrier !
Et il faut arrêter de parler de patriarcat immémorial, comme si c'était ainsi partout et de tout temps, c'est oublier notre propre passer, c'est oublier qu'il y avait - ok presque 2 millénaires - des royaumes dirigés uniquement par des femmes, des sociétés matrilinéaires où les femmes uniquement exerçait le pouvoir, comme en Bourgogne (hein la fameuse Dame de Vix, qui était une reine), ou encore Boudica, les Crétoises etc etc.
Faut arrêter d'écraser l'histoire des femmes par celle des hommes, ils nous emmerdent à la fin, on ne parle que d'eux et d'encore eux et on en oublie tout notre passé d'héroïnes, de guerrières, de reines, de rebelles, d'artistes ou que sais-je encore.
@ MYsandriste : évidemment, qu'il faut faire la part des choses sur les hommes qui meurent bravement au combat à tous coups, il y a certainement eu des morts moins somptueuses, pantalon baissé sur les chevilles :-D
RépondreSupprimerEt ce n'est pas moi qui nie l'histoire des femmes, c'est bien les patriarcaux qui y ont intérêt. Merci de ton tonus, ton 1er paragraphe m'a bien fait rigoler !
@ Euterpe : il n'y a qu'à entendre le vocabulaire de reîtres des journalistes quand ils parlent des politiques : le mot duel y revient en permanence ! Ce n'est pas en parlant comme ça qu'on va attirer les femmes.