dimanche 17 avril 2011
Andrea Dworkin - La prostitution : réalité et causes
"Je veux nous ramener aux éléments de base. La prostitution qu'est-ce que c'est ? C'est l'utilisation du corps d'une femme pour du sexe pour un homme : il donne de l'argent, il fait ce qu'il veut. Dès que vous vous éloignez de ce que c'est réellement, vous vous éloignez du monde de la prostitution, vous passez au monde des idées. Vous vous sentirez mieux ; ce sera plus facile ; c'est plus divertissant : il y a plein de choses à discuter, mais vous discuterez d'idées, pas de prostitution. La prostitution n'est pas une idée. C'est la bouche, le vagin, le rectum, pénétrés d'habitude par un pénis, parfois par des mains, parfois par des objets, pénétrés par un homme et un autre et encore un autre et encore un autre et encore un autre.Voilà ce que c'est."
"... l'argent a une qualité magique, n'est-ce pas ? Vous donnez de l'argent à une femme et soudain, quoi que vous lui ayez fait, elle l'a voulu, elle l'a mérité. Pourtant nous comprenons la dynamique du travail masculin. Nous comprenons que les hommes font des choses qu'ils n'aiment pas en échange d'un salaire. Lorsque les hommes font un travail d'usine aliénant, nous ne disons pas que l'argent transforme l'expérience pour eux de sorte qu'ils ont aimé cela, qu'ils ont eu du plaisir et, en fait, qu'ils n'aspiraient à rien d'autre. Nous voyons la routine, l'absence d'horizon ; nous reconnaissons que la vie d'un homme devrait surement valoir mieux que cela.
La fonction magique de l'argent est genrée, en ce sens que les femmes ne sont pas censées avoir de l'argent, parce que, quand les femmes ont de l'argent, on présume que les femmes peuvent faire des choix, et un de ces choix que peuvent faire les femmes est celui de ne pas être avec les hommes. Et si les femmes font le choix de ne pas être avec eux, alors les hommes seront privés du sexe auquel ils ont le sentiment d'avoir droit. Et s'il est nécessaire que toute une classe de personnes soit traitée avec cruauté, indignité et humiliation, placée en condition de servitude, pour que les hommes puissent avoir le sexe auquel ils pensent avoir droit, alors c'est ce qui arrivera. Voilà le sens et l'essence de la domination masculine. La domination masculine est un système politique."
Les causes : Pauvreté et violence
"Si vous deviez chercher une façon de punir les femmes d'être des femmes, la pauvreté suffirait. La pauvreté est dure. Elle fait mal. Ces salopes regretteraient d'être des femmes. C'est dur d'avoir faim. C'est dur de ne pas avoir un logis vivable. On se sent vraiment désespérée. La pauvreté est toute une punition. Mais la pauvreté ne suffit pas, car la pauvreté à elle seule ne fournit pas aux hommes un bassin de femmes à baiser sur demande. [....] Non seulement les femmes sont-elles pauvres, mais la seule chose de valeur que possède une femme est ce qu'on appelle sa sexualité, qui en même temps que son corps, a été transformée en produit marchand.
On peut alors formuler un a priori : on peut tenir pour acquis que si elle est pauvre et a besoin d'argent, elle vendra du sexe. L'a priori peut être faux. L'a priori ne crée pas à lui seul le bassin de femmes prostituées. Il faut plus que cela. Dans notre société par exemple, dans la population des femmes qui sont aujourd'hui prostituées, nous avons des femmes qui sont pauvres, issues de familles pauvres ; elles ont aussi été victimes d'agressions sexuelles dans l'enfance, d'incestes en particulier ; et elles sont maintenant sans abri.
L'inceste est la filière de recrutement. C'est là qu'on envoie la fille pour lui apprendre comment faire. Donc, bien sûr, on n'a à l'envoyer nulle part, elle y est déjà et elle n'a nul autre endroit où aller. On l'entraîne. Et l'entraînement est spécifique et il est crucial : on l'entraîne à ne pas avoir de frontières à son propre corps, à être bien consciente qu'elle n'est valorisée que par le sexe, à apprendre au sujet des hommes ce que l'agresseur, l'agresseur sexuel lui apprend. Mais même cela ne suffit pas puisque, après l'entraînement elle s'enfuit et se retrouve dans la rue, sans abri, itinérante. L'une ou l'autre de ces formes de destitution doit avoir lieu pour la plupart des femmes en prostitution."
"Dans la prostitution, une femme demeure sans abri."
Andrea Dworkin : Pouvoir et violence sexiste. Éditions Sisyphe. Chapitre 4.
Pour expliquer le langage parlé, il faut préciser que ce texte est celui d'une conférence organisée par la Faculté de droit de l'Université du Michigan : "Prostitution : From Academia to Activism" 1992.
Le texte entre guillemets est d'Andrea Dworkin ; sont de mon fait, les caractères en gras et l'intertitre Pauvreté et violence.
Liens Wikipedia pour Andrea Dworkin en français et en anglais.
A lire aussi lien Mauvaise Herbe
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"il y a plein de choses à discuter, mais vous discuterez d'idées, pas de prostitution."
RépondreSupprimerC'est exactement ce qui est en train de se passer et ça me gonfle sérieusement :(
Toute la souffrance de ces femmes qui, à l'instar de Dworkin, se sont souvent exprimées sur le sujet est étouffée sous des monceaux de polémiques intellectuelles. Alors que pour certaines, il y a urgence ... Ecoeurant.
Absolument d'accord avec Dworkin. C'est très puissamment exprimé. Et il n'y a rien de plus horripilant que tous ces (imbéciles) qui romantisent la prostitution dans la chanson, le cinéma, la pub, la littérature voire la poésie !!! Il y a vraiment une image d'Epinal de la prostituée et c'est tout juste si comme les bossus elle n'est pas censée porter chance quand on la touche.
RépondreSupprimerEn réalité c'est à la base le plus souvent une gamine abusée sexuellement dont l'intégrité a été arrachée dans l'enfance, dont on a abusé de la confiance naturelle de l'enfant de la plus manière la plus ignoble et la plus criminelle, dont on a dérobé l'innocence et qu'on a éduqué à n'être plus qu'un instrument charnel prêt à tous les sévices !
@ Héloïse et Euterpe : ils préfèrent discuter d'idées, c'est dilatoire et comme ils sont clients...
RépondreSupprimer80 % des prostituées ont été en contact avec la prostitution et/ou ont été violentées durant l'enfance : lien très documenté à suivre (faire un copier/coller dans la barre de votre navigateur) :
http://www.romain-jammes.fr/?p=1007
Relayé par Mauvaise Herbe :
http://mauvaiseherbe.wordpress.com/
Comme Héloïse, je ressens devant ces bavardages de salon pour justifier l'insoutenable,un profond écoeurement. Oui il y a urgence!
RépondreSupprimerEt la lecture de celle décrite par ses paires comme "la plus courageuse d'entre nous" la grande Andrea Dworkin, devrait provoquer chez chacunE le refus de toute compromission avec le commerce infect de la prostitution. Le plus insoutenable de mon point de vue, est la caution apportée par certaines prétendument féministes aux consommateurs de ce commerce. Elles font bien plus de torts à la cause des femmes que tous les masculinistes zemmouriens réunis.
Merci Hypathya de relayer :-)
A mauvaise herbe : "Le plus insoutenable de mon point de vue, est la caution apportée par certaines prétendument féministes aux consommateurs de ce commerce" eh oui car ce ne sont pas des féministes du tout. Ce sont des gynocrates. Et en ce sens elles ont besoin du soutien des gros phallos patriarcalistes pour se hisser au sommet. Le féminisme est le gadget indispensable pour justifier le fait qu'en tant que femme, elles veulent le pouvoir. Mais pas trop de féminisme non plus, hein ! Juste ce qu'il faut pour arriver au but, c'est tout.
RépondreSupprimer@ Mauvaise Herbe et @ Euterpe : ces féministes sont libérales d'après mes réflexions (parce que moi aussi, je trouve cela incompréhensible !) ; le slogan des féministes "mon corps m'appartient" pour demander le droit au choix de poursuivre ou non une grossesse, trouverait aujourd'hui son application dans une prostitution "librement" choisie ; c'est faire l'impasse sur la l'implacable domination masculine qui structure la société. Et sur le fait que ce sont les hommes qui ont l'argent et le capital. Et même quand elles exercent sans proxénètes en se recrutant des clients via Internet, voici ce qui peut encore leur arriver (même si c'est extrême, dans la prostitution les femmes sont vraiment sans abri) :
RépondreSupprimerhttp://www.liberation.fr/monde/01012331307-long-island-a-la-poursuite-du-tueur-des-plages-de-la-mort
@Euterpe et hypathia
RépondreSupprimerNous sommes absolument d'accord sur tout ;-)
La question diviserait les féministes selon certain.e.s. Non! elle divise les féministes et les gynocrates dont parle Euterpe, rien à voir entre les deux si ce n'est les discours de façade des secondes qui pourraient ressembler à ceux des premières. Les théoriciennes, les chercheuses et les militantes ne s'y trompent pas, l'institutionnalisation de la prostitution serait un désastre féministe (celles qui l'ont promue en Australie s'en mordent les doigts car impossible de revenir en arrière tant ce qui est devenue une industrie génère d'argent et pèse dans l'économie).
RépondreSupprimerEuh! devenU. J'ai rédigé un peu vite.
RépondreSupprimer@ Héloïse : L'institutionnalisation de la prostitution revient à laisser se développer et prospérer un "marché" soit-disant comme les autres : tout est marchandise, les ventres des femmes dans la gestation pour autrui parce qu'on croit dur comme fer que l'instinct maternel n'existe pas, la prostitution légale parce que "mon corps m'appartient" et que j'ai le droit d'en user à ma guise, (sauf, dans le cas de Badinter, pour vendre son rein car on a droit à l'intégrité de son corps ???), etc... Je ne crois pas à l'instinct maternel, je crois que le corps des femmes leur appartient à elles et à elles SEULES (pas à la société ni aux hommes, ni à n'importe quelle sorte de curé), mais je ne crois pas que tout puisse être rangé au rang de la marchandise, ni qu'on doive appliquer toutes les techniques au motif qu'elles sont disponibles. Le corps humain n'est pas à vendre, ni le ventre des femmes, ni leur sexualité, ni leurs enfants ; les techniques d'élevage de l'INRA me révulsent, et la totalité du vivant (animal, humain et végétal) n'est ni brevetable ni marchandisable. C'est la limite infranchissable au tout libéral. Je précise aussi que le mot "libéral" dans le sens anglo-saxon et global du terme n'est pas pour moi un gros mot.
RépondreSupprimerMerci Hypathie.
RépondreSupprimerDu coup j'étais repartie lire Dworkin, hier soir.
Et je suis sur votre ligne, comme mauvaise herbe, héloïse...
@ Mehabel : on a toujours intérêt à la relire, elle met les mots sur les choses ; je déplore que si peu soit traduit en français, et le peu est encore dû aux québécoises !
RépondreSupprimerOn assiste a une nouvelle forme de tourisme sexuel qui se développe rapidement dans les pays pauvres d'Afrique ou d'Amérique latine .Au Sénégal ou a St Domingue on assiste à la rotation de charters d'Européennes, de Canadiennes ..de tout ages qui viennent consommer de jeunes garcons contre rémunérations et ,encore plus pervers; les obligent a feindre des sentiments amoureux .Il est a noter que dans les pays musulmans c'est la seule prostitution visible (à Sally par exemple ) les femmes se prostituant le faisant très discrètement avec des risques de rétorsions violentes des hommes de leur communauté . Comme quoi les choses ne sont pas aussi simples...
RépondreSupprimerVous pouvez donner des chiffres comparatifs entre achats d'actes sexuels par les femmes et ceux par les hommes ? L'achat d'actes sexuels par des femmes, c'est peanut par rapport aux hommes qui n'arrêtent jamais d'innover en cette matière. Dernière innovation : le sugar daddy ! Ce nombre de femmes clientes est introuvable sur Google, en tous cas. Ça n'est donc pas un fait massif de société. Le fait massif est le suivant : les hommes (mariés avec enfants en écrasante majorité) sont les clients, les femmes sont les victimes-marchandises de ce phénomène - en majorité contraintes économiquement et/ou par la violence, et quand ce sont des hommes qui sont victimes de la prostitution pour à peu près les mêmes raison que les femmes -itinérance, violences, dévalorisation de soi-, leurs clients sont encore et toujours des hommes ! Comparer les clients avec les clientEs n'a aucun sens, sauf à vouloir noyer le poisson. Ce que tend à confirmer votre remarque : "et encore plus pervers (avec les femmes, tout est toujours pire), les OBLIGENT à feindre des sentiments amoureux, comme si des mecs clients ne faisaient pas pareil ! Toujours la même rhétorique, celle du dédouanement des hommes massivement clients par le contre-exemple (non documenté bien sûr) des quelques femmes riches qui cherchent à combler leur solitude en payant, mais qui ne représentent que les poussières d'un trafic mondial de chair humaine. Effectivement, vous avez raison, ce n'est pas simple de s'attaquer aux privilèges indus des patriarcaux.
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