samedi 14 juin 2025

Procès Mazan, une résistance à dire le viol - En bons pères de famille


 
Ce petit ouvrage est à trouver dans les bonnes librairies, chez Payot et Rivages éditeurs. Cela m'a paru intéressant d'en faire un nouvel article pour être tout à fait complète sur l'affaire des viols de Mazan.

A travers la recension du champ lexical (ou verbatim) utilisé par les protagonistes du procès de Mazan (accusé, co-accusés, avocats, juges, experts, psychiatres...), cet ouvrage indispensable fait la démonstration que notre société est incapable de dire le viol.

" Après tout, personne n'est mort ! Le maire de Mazan.

Atténuations, euphémismes, oxymores et paradoxes déréalisants, détournements du sens des mots, déresponsabilisation, inversions, finissent par créer une réalité alternative. On change le sens des mots pour changer le réel. 

La fonction genrée du silence (des femmes) et des proclamations tonitruantes (des hommes) ; la performativité de l'aveu chez les accusés, ils reconnaissent le crime mais nient l'intention ; plus l'éternel et oiseux débat sur le consentement, comme si "la violence, la contrainte, la menace ou la surprise" précisant la notion de viol dans l'article 222-23 du Code pénal ne suffisaient pas à qualifier le non consentement ! ' Or, le viol n'est rien d'autre que ce qu'a décidé l'agresseur ' clame un avocat. L'objectification des femmes qui apparemment, pour pas mal d'accusés, appartiennent au mari et pater familias, les explications victimisantes des psychiatres, décidément 'molosses du patriarcat', ces pauvres bouchons d'accusés éternellement victimes de leurs enfances martyrisées, de leur 'misère sexuelle' et de leurs 'pulsions' ! 

Les filles et les femmes sont les plus maltraitées par la famille patriarcale, elles devraient donc, si ce postulat est exact, fournir la masse des agressions sexuelles, or ce n'est pas le cas. Il faut donc reconnaître qu'une victime de maltraitance dans l'enfance ne devient pas forcément agresseure ensuite, mais que ce sont les hommes qui transgressent massivement. Aussi, merci Madame de le dire aussi nettement : notre société est incapable de nommer le problème, la violence des hommes, et sans nommer clairement et collectivement un problème, on ne peut pas y porter remède.

Mathilde Levesque, l'autrice, qui a, elle aussi, assisté au procès de Mazan en observatrice, est agrégée de français, docteure en littérature française, professeure de français, et c'est l'objet annoncé de ses travaux au début de ce petit ouvrage percutant au format poche à 8 €uros qui m'a intriguée et décidée à l'acheter : en l'espèce 'usages et enjeux de la parole en milieu contraint'. 

A lire d'urgence.

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A la même occasion, je me suis laissée tenter par l'ouvrage du Monsieur Enquêtes judiciaires qu'on voit sur BFMTV, Laurent Valdiguié qui a fouillé les archives de police et de justice sur les vies de Dominique Pelicot avant les viols sur sa femme endormie sous soumission chimique, pendant 10 ans, et arrêté seulement en 2020. Or, sa carrière criminelle aurait commencé beaucoup plus tôt dans les années 1990 alors qu'il était agent immobilier en région parisienne. L'enquête, très exhaustive, est sérieuse et troublante. Le service 'cold case' du Parquet de Nanterre travaille sur ces dossiers restés irrésolus. 

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Et enfin, pour terminer cette chronique sur mes dernières passionnantes lectures, je recommande chaleureusement ce petit ouvrage de 2023 par Rose Lamy.


'En bon père de famille' est une expression juridique évoquant la prudence et un comportement sage. Jouir d'un bien 'en bon père de famille', sans faire de dégâts, ou, en matière financière, les actions de 'bons pères de famille' qui évoquent un portefeuille de valeurs stables, sans risques. Partant de cette expression qui a la peau dure, Rose Lamy, qui a appris tardivement que son père maltraitait sa mère, examine à la loupe féministe ce concept de 'bon père de famille'. Que cache-t-il, à la lumière de ce qu'on lit dans les journaux et médias, des statistiques de police et gendarmerie qui nous rappellent impitoyablement qu'une femme meurt tous les deux jours et demi en France de violences conjugales, qu'il y a quarante cinq interventions de police par heure pour venir en aide aux femmes battues, et que les violences conjugales sont en train de devenir la première cause d'intervention du GIGN auprès de 'forcenés' armés menaçant de tuer tout le monde parce que Madame les quitte, le 'forcené' étant une diversion commode pour ne pas nommer le problème ?

91 % des violences sexuelles et conjugales sont commises par un homme connu de la victime. L'endroit le plus dangereux pour une femme n'est pas l'extérieur, mais sa cuisine, son propre domicile ! Cependant, différentes stratégies et mythes sont mis en place par la société pour épargner le 'bon père de famille', notamment des diversions commodes pour conserver en l'état ce système criminel gardien de l'ordre établi : la théorie des monstres, le mythe de la joggeuse qui a fait 'une mauvaise rencontre' (typiquement Alexia Fouillot, épouse de Jonathann Daval, époux criminel qui a roulé son monde en sanglotant devant les cameras), le trop d'amour et la frustration de ne pas être au centre (Bertrand Cantat), la figure de l'étranger forcément moins civilisé que nous, ou plus frustre, mal dégrossi, donc violeur. 

Le commun dénominateur à tous ces actes violents et criminels n'est ni l'ethnie, ni le quartier ou la classe sociale de provenance, c'est bel et bien le sexe (masculin), mais c'est très mal porté de le dire. Ceci précisé, je ne suis pas d'accord avec la thèse du fémonationalisme (féminisme nationaliste ; par pitié, arrêtons d'inventer des mots et des concepts, servons-nous de ceux qui existent !) développée dans l'ouvrage. Les femmes sont opprimées partout, les hommes sont les oppresseurs, et cela fait système. C'est un fait anthropologique. Alors on peut toujours tenter de 'séparer l'homme de l'artiste', faire des micro-trottoir où les voisins du violeur tueur tombent des nues 'il était tellement serviable, un peu renfermé peut-être, mais animant le club de foot tous les week-ends', (Dino Scala, père de famille et violeur sériel bien planqué dans le mariage), il reste une persistance rétinienne indéniable, le bon père de famille à la bobine du violent dangereux.

Une autre critique aussi : les féministes (dont je suis pourtant) me laissent toujours sur ma faim. Analyse impeccable de l'oppression, arguments pesés au trébuchet, statistiques fouillées, conclusions implacables. Mais on fait quoi après avoir fait le constat que vivre avec les hommes est dangereux ? Apparemment, on appelle toujours la Cavalerie, qui ne vient pas, ou trop tard, en continuant à faire dévolution de sa sécurité au Prince Cogneur. Interdiction de boycotter ou de se défendre, cet autre tabou anthropologique. Ils détiennent en plus le monopole des outils et des armes, sinon, c'est le bordel.
A lire, surtout si vous n'êtes pas une habituée d'Andrea Dworkin, de Katharine MacKinnon, de Ti Grace Atkinson, ou de Kate Millett. Celles qui les lisent recevront juste une piqure de rappel.

Bonnes lectures !